Crazy lover
Zoé Vernon
Œuvre publiée sous licence Creative Commons by-nc-nd 3.0
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Chapitre 1
Mimi serra Mathilde dans ses bras autant que le ventre rond de son amie le lui permettait. La sensation la troubla, et Mimi s’écarta avant qu’elle ne devine son malaise. Elle ne souhaitait pas parasiter le bonheur durement acquis par Mathilde avec ses problèmes. Elle était maintenant heureuse et épanouie.
Très épanouie même lorsqu’elle regarda son mari, Logan Matthews, poser une main possessive sur son ventre. Cet homme possédait cette froideur qui réussissait encore aujourd’hui à lui filer la chair de poule. Avec sa stature impressionnante, Mathilde paraissait toujours menue et délicate à ses côtés. Son visage semblait taillé dans la pierre et il affichait cette beauté presque arrogante qui attirait inexorablement les regards. Il suffisait qu’il posât les yeux sur elle pour que Mimi se sente plus petite encore qu’elle ne l’était déjà. Des yeux verts qui vous glaçaient jusqu’aux os. Et pourtant, dès qu’il les posait sur Mathilde, sa physionomie se transformait complètement. Il irradiait de chaleur et d’une prévenance à la limite de la vénération. Et malgré ses airs froids et distants, il était évident par ses gestes qu’il était profondément épris de Mathilde et qu’il
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n’hésiterait pas à déchiqueter quiconque oserait s’approcher de sa femme !
Mimi regarda une dernière fois le couple avant de s’engager dans les escaliers. Elle avait refusé la proposition que Logan lui avait faite de la raccompagner. Jamais elle n’avouerait à Mathilde que son mari lui faisait toujours un peu peur. Pourtant, elle était téméraire. Mais pas assez pour se retrouver enfermée dans une voiture avec Logan, même si elle l’appréciait. Elle avait mis du temps avant de lui pardonner son rôle dans la disparition de Mathilde. Mais Mimi était assez maligne pour savoir qu’elle avait été nécessaire, voire vitale pour la survie de Mathilde 1.
ce souvenir, elle ne put réprimer un frisson. Elle se concentra sur le présent. Maintenant, cette sordide histoire était derrière eux. Mathilde était heureuse. Bonheur qu’elle méritait amplement.
Elle arriva dans le hall de l’hôtel particulier appartenant à Logan et prit une profonde inspiration. Son ventre se noua à l’idée de traverser les rues de Paris pour atteindre le métro. Non qu’elle estime l’environnement hostile, mais elle devait absolument rester le plus possible dans l’ombre.
Surtout depuis son retour.
Tant qu’il se trouvait de l’autre côté de l’Atlantique, elle avait vécu dans un semblant de normalité, oubliant, à mesure que les années passaient, de se retourner trop souvent pour regarder par-dessus son épaule. Elle s’était habituée à la sécurité. Et elle venait de découvrir qu’il n’y avait pas plus vicieux que
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ce sentiment. Il mettait vos doutes, vos craintes et vos peurs entre parenthèses. Il affaiblissait vos défenses et vous rendait vulnérable.
Et le monde de Mimi s’était mis à tournoyer lorsqu’elle avait lu l’article le concernant, toute une tribune consacrée au retour du fils prodige à Paris après huit ans passés à l’étranger. Celui de l’homme qu’elle devait absolument fuir.
Elle poussa un cri quand une main se referma fermement autour de son bras. Mimi sursauta, le cœur au bord des lèvres, et se retourna vivement. Elle se retrouva face à un torse puissant, moulé dans un simple t-shirt blanc qui mettait sa musculature en valeur. Elle releva la tête. Une ombre de barbe se devinait le long d’une mâchoire au dessin très masculin, puis elle rencontra des yeux chocolat, doux, magnifiques, qui avaient longtemps hanté ses nuits. La terreur qui l’avait saisie se dissipa instantanément. Sans qu’elle s’en aperçoive, elle relâcha son souffle.
— Sur les nerfs ? demanda Daniel avec ce sourire aux lèvres qui l’avait fait littéralement baver un an plus tôt.
Mais c’était avant. Avant qu’il se serve de Mathilde. Avant qu’il la rejette, elle, quand elle l’avait supplié de l’aider à la retrouver. Elle donna un brusque mouvement d’épaule pour dégager la main de Daniel qui avait de nouveau encerclé son bras. Sans répondre, elle se détourna pour rejoindre la sortie.
— Vous fuyez ? L’apostropha-t-il au moment où elle agrippait la poignée.
Daniel la vit se raidir. Satisfait, il la regarda se retourner lentement. Il n’avait pas revu Mimi depuis plus de huit mois. La dernière fois, elle le suppliait de l’aider les larmes aux yeux, terrifiée à l’idée qu’il soit arrivé quelque chose de grave à son amie. Il l’avait
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toisée avec hauteur sans lui accorder la moindre attention et l’avait laissée se débrouiller avec ses peurs et son impuissance à retrouver Mathilde, car lui-même était incapable de faire face à la douleur de Mimi. Il réprima une grimace à ce souvenir. Et il comprenait qu’elle le traite avec mépris. Toutefois, il gardait surtout en mémoire l’image d’une femme pétillante, pleine de vie, qui un jour n’avait pas hésité
s’en prendre à lui et le menacer des pires représailles au milieu d’une rue du dix-huitième arrondissement de Paris s’il osait toucher un cheveu de Mathilde. Mais aujourd’hui, elle semblait tendue, fatiguée, et ne ressemblait pas à la femme qu’elle était réellement.
Une lueur étrange traversa le joli regard ambre de Mimi. De la peur identifia immédiatement Daniel.
— Ne vous donnez pas autant d’importance ! Si une femme qui ne vous répond pas, cela ne signifie pas qu’elle vous fuit. Posez-vous la question de savoir si elle est intéressée, ou plutôt, si vous êtes suffisamment intéressant pour qu’elle vous adresse la parole.
Il retrouva un peu du mordant de la jeune femme qu’il connaissait. Insolente et rebelle. Plus dans sa posture revêche, avec son petit menton fièrement pointé, que par ses mots, qui somme toute n’étaient pas faux. Daniel n’insista pas. Il se contenta de l’observer. Une attitude qui visiblement déstabilisa un peu plus Mimi.
Dans la lumière tamisée de l’entrée, il admira ses traits fins qui lui conféraient une fragilité presque éthérée, des pommettes hautes, ses lèvres généreuses qui étaient un véritable appel aux baisers et aux caresses les plus audacieuses.
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Avec une indifférence, qu’il aurait volontiers applaudie si quelque chose n’avait pas déclenché ses alarmes et ne le tourmentait pas dans l’attitude de la jeune femme, elle se tourna vers la porte.
— Soit, articula-t-il d’une voix délibérément paresseuse. Peut-être aurons-nous l’occasion de reprendre cette conversation à un moment plus opportun… Charlie.
Daniel avait sciemment laissé une pause avant de prononcer son prénom. Ce qui confirma un peu plus ses doutes quand il vit Mimi se figer.
Mimi eut l’impression qu’un froid polaire venait de s’abattre sur elle. Son cœur manqua un battement. Personne ne l’appelait Charlie. Sauf ceux qui creusaient. Et indubitablement, Daniel avait creusé. Pas assez profondément pour que son passé soit exhumé. Mais avec les événements de ces dernières semaines, Mimi venait de prendre conscience d’une réalité primordiale.
Même enterrés, les secrets finissaient toujours par réapparaître.
Daniel entendit parfaitement sa respiration se couper et vit ses fines épaules se contracter malgré l’épais sweat- shirt informe qu’elle avait revêtu. Prononcer son véritable prénom avait été l’indicateur qu’il attendait. Dix mois plus tôt, il s’était intéressé au profil de Mimi. Il souhaitait seulement découvrir quelques informations à son sujet. À sa grande surprise, il avait pu constater qu’elle n’apparaissait nulle part. Ni comptes sur les réseaux sociaux ni sur les plates-formes de partage des établissements scolaires dans lesquels elle aurait pu étudier. Uniquement les écoles obligatoires ainsi que le lycée
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de la ville où elle habitait. Lyon.
En fouillant, il avait découvert plusieurs choses.
La première et la plus étrange, l’abonnement de son portable qu’il avait réussi à retrouver avait été subitement suspendu. Ce qui l’avait évidemment poussé à creuser. On ne passe pas sous les radars quand on a seize ans. Au contraire. On vit, on s’expose.
La seconde, Charlie Meyer s’était littéralement évaporée pour apparaître deux ans plus tard sur le nom de Charline Duval, le nom de jeune fille de sa mère, avait-il découvert après quelques recherches auprès du tribunal des affaires familiales. Il avait là encore retrouvé sa demande de changement de patronyme. Une démarche loin d’être anodine. Même si un nombre insoupçonné de personnes s’engageaient dans cette voie lorsque leur nom était difficile à porter, qu’il présente un caractère péjoratif ou une consonance ridicule. Dans son cas, Mimi avait invoqué la consonance masculine de son prénom qui la handicapait dans sa vie aussi bien privée que professionnelle.
Mais ce qui avait allumé toutes ses alarmes avait été l’absence totale d’activité la concernant précédent cette période. Deux années sans aucun signe de vie. Ni bail, ni dépense, ni compte en banque. Rien. Comme si la jeune femme avait « disparu ».
Il avait suivi les traces de Charline qu’elle avait transformée à sa sauce en Charlotte, se faisant appeler ainsi par son entourage. L’art et la manière de brouiller les pistes, avait-il reconnu. Il avait donc étudié avec une attention toute particulière le parcours de « Charlotte ». Un parcours professionnel
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succinct. Pas de famille. Rien qui puisse lui donner une quelconque indication sur les deux années blanches. Et c’était précisément ce passage qui l’intéressait particulièrement.
La question qu’il se posait depuis tournait en boucle dans sa tête : qu’as-tu fait pendant ces deux années, ma belle ? Et s’il désirait obtenir des réponses, il allait devoir se remettre à chercher, car à l’évidence, la jolie Mimi n’était pas prête à s’épancher.
Il posa les yeux sur ses mains minuscules. Elle avait beau serrer les poings, elle n’avait pu dissimuler leur tremblement. Sans un regard ni un mot, elle ouvrit et se faufila à l’extérieur. Comme une ombre. Silencieuse et discrète.
— Oh si, tu fuis, ma belle, murmura-t-il. Reste à savoir qui te fait aussi peur.
Car c’était bien ce qu’il avait vu quand elle s’était retournée. De la peur à l’état brut. Celle-ci s’était transformée en soulagement lorsqu’elle avait plongé ses yeux agrandis par la terreur dans les siens et qu’elle l’avait reconnu.
L’effroi qu’elle avait ressenti n’était en rien le résultat d’une quelconque surprise. Loin de là. Et Daniel était suffisamment observateur et intuitif pour comprendre que Mimi avait de sérieux problèmes.
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Chapitre 2
— Quoi ? répondit Daniel avec impatience après avoir sorti son portable de sa poche arrière de jean et décroché.
— Tu es en retard.
Succinct. Droit au but. Sans fioriture. Tout ce qui définissait Greg, son associé.
« En retard ».
Et pour cause, se renfrogna Daniel, les yeux toujours fixés sur la porte qui venait de se refermer sur la silhouette aussi tendue qu’alléchante de la jolie rousse. Mathilde lui avait parlé de la visite de Mimi dans la soirée. Une force, qu’il ne parvenait pas à s’expliquer, l’avait poussé à rester. Depuis des mois, Mimi l’évitait, la colère à son encontre toujours profondément ancrée chez la jeune femme. Alors, il l’avait volontairement attendue — traquée ? — dans son propre hall, quitte à faire passer les intérêts de sa société en second plan. Une action qu’il ne regrettait pas quand il se remémora le regard apeuré de Mimi. Quelque chose n’allait pas, et vu le ressentiment que Mimi éprouvait à son égard, il était évident qu’elle n’allait pas se confier à lui. Dans ce cas, ne lui restait qu’une option. Découvrir ce qu’elle lui cachait et faire
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en sorte de résoudre son problème.
Quel qu’il soit.
Mais surtout, mettre les moyens dont il disposait pour la protéger. C’était d’ailleurs dans ce domaine qu’il excellait.
Car avec son expérience et ce qu’il en avait tiré, si une femme, ou même un homme tentaient de se cacher et de passer inaperçus, cela prouvait que, dans la majorité des cas, ces personnes se sentaient traquées. Et lorsque l’on se sentait traqué, cela signifiait qu’on l’était réellement. À moins d’être atteint de paranoïa, ce qui n’était incontestablement pas le cas de Mimi.
Il repoussa et étouffa sous une couche de certitudes ce fourmillement qui, par ces subtiles vibrations, soulevait des souvenirs, des émotions qu’il avait profondément enfouis depuis plus de vingt ans. Aussi, se persuada-t-il qu’il allait aider Mimi, même si elle ne le savait pas encore. Uniquement parce qu’elle était une amie de Mathilde ! Car tout ce qui touchait Mathilde avait un impact sur Logan, qui par ricochet, l’atteignait lui.
— J’arrive, grogna-t-il avant de raccrocher.
*
Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent dans un chuintement familier. Une sensation de fierté et d’apaisement l’envahit quand il sortit de la cabine qui venait de le déposer à l’avant-dernier étage d’une tour du quartier de la Défense. Daniel s’engagea dans le hall où régnait perpétuellement une activité. Les bureaux n’étaient jamais endormis, même s’ils
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fourmillaient un peu moins la nuit. Depuis six ans, Greg et Daniel étaient associés. Ils avaient créé leur société de sécurité privée spécialisée dans la protection physique des personnes et la mise à disposition d’agents, que l’on nommait dans le langage familier, gardes du corps. Ils intervenaient aussi bien en France qu’à l’étranger. Grâce à leur réseau, leur professionnalisme et cette faculté à allier discrétion et efficacité, ils avaient rapidement atteint une notoriété qui se traduisait aujourd’hui par l’obligation de refuser des missions.
Si au sous-sol de l’immeuble, ils détenaient une flotte plutôt conséquente de véhicules adaptés aux différents types de mandats qu’ils effectuaient, le dernier étage lui appartenait. Daniel l’avait acquis et transformé en loft. Logement qu’il avait délaissé ces derniers mois quand il avait consacré tout son temps à la protection de Mathilde et Logan. Maintenant que Grabowski n’était plus en état de leur porter préjudice, il ne voyait plus l’intérêt de rester sur Paris pour loger et se réappropriait le dernier étage. Cela ne le dispensait pas de profiter de son appartement situé dans l’immeuble qui appartenait à Logan dans le 8e, et où il venait de croiser la jolie Mimi pas moins d’une demi-heure plus tôt.
Daniel avait connu Greg sur le terrain lorsqu’ils œuvraient pour le gouvernement. À plusieurs reprises, ils avaient été amenés à s’engager sur des missions communes, même s’ils n’étaient pas binôme. Les deux hommes, malgré leur jeune âge à l’époque, avaient l’accréditation maximum sur les trois niveaux qui définissent les articles de lois sur le code du secret de la défense nationale : très secret défense.
Leur dernière mission, six ans auparavant, avait
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sonné le glas de leur carrière au sein des diverses entités gouvernementales. Daniel avait trente-trois ans, Greg sept de moins. Celui-ci avait été blessé. À partir du moment où sa jambe avait été touchée, Greg avait immédiatement compris que sa carrière s’arrêtait. Bien qu’il ait retrouvé l’usage de ses membres inférieurs, il n’était plus en mesure d’assurer les missions. Les séquelles, même minimes, l’avaient rendu inapte pour les opérations terrestres. Si Greg s’en était sorti, le binôme de Daniel n’avait pas eu cette chance. Bien que la chance n’avait pas sa place dans ce genre d’opération. Le succès était le résultat d’une préparation minutieuse, ordonnée et contrôlée. Les impondérables avaient été en amonts tous anticipés, et dans le cas où une option leur aurait échappé, les hommes étaient suffisamment entraînés pour s’organiser et s’adapter. Cela excluait le risque zéro. Celui-ci était présent, et c’était précisément grâce à lui que les hommes restaient vigilants. Sauf lorsqu’un membre de l’équipe décidait de jouer solo. Ce qui était arrivé ce jour. Un homme. Un seul s’était scindé du groupe, refusant de suivre les instructions, et l’opération avait tourné au massacre.
Avec un soupir exaspéré, il lança un regard vers le bureau de l’accueil, de nouveau désespérément vide. Leur dernière réceptionniste les avait lâchés du jour au lendemain pour rejoindre un petit ami perdu dans il ne se souvenait plus quelle pampa du bout du monde. Depuis, les intérimaires se succédaient sans qu’ils soient parvenus à trouver la perle rare. Quand il repensait au nombre d’entretiens que Greg et lui avaient fait passer, il en avait encore le tournis. La succession de candidats et candidates était hallucinante, à la limite de la plaisanterie. Si une ou un postulant était parfait pour le poste, et ils étaient
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nombreux, l’environnement de la protection rapprochée les effrayait. Ou alors, les horaires ne leur convenaient pas. Ou encore, le poste à plein temps les empêchait de profiter entièrement de leur famille, ce que Daniel et Greg comprenaient parfaitement. Il y avait aussi les cas « particuliers », ou certaines femmes, et même des hommes qui n’avaient pas hésité à mettre en avant les avantages dont la nature les avait dotés. Non que l’expérience eut été traumatisante. Simplement désespérante. Il y avait également les cas où le manque de discrétion du candidat était tellement flagrant qu’ils ne pouvaient se permettre de l’engager. La discrétion dans la profession était fondamentale, et ce concept échappait à beaucoup de candidats.
Quoi qu’il en soit, la situation devenait problématique. L’accueil téléphonique était la vitrine de la société. Ils ne pouvaient fournir une image de professionnalisme et de stabilité si leur entreprise était incapable de trouver une personne susceptible de remplir correctement son rôle. Les deux hommes ne perdaient pas espoir, mais Daniel devait s’avouer qu’il avait un peu mis de côté le problème.
Daniel salua plusieurs agents avant de se diriger vers le bureau de Greg. La réunion restait informelle. Les deux hommes évoquaient les missions à venir, réorganisant les équipes disponibles tout en faisant le point sur celles en cours. Puis, celles qui devaient être révisées et réadaptées en fonction du pays où se rendait leur client. Les lois n’étaient pas les mêmes partout, même si elles s’organisaient autour d’un axe identique.
Le mouvement de toupie qu’il imposait à son téléphone portable fut interrompu avec efficacité quand Daniel entra dans le bureau. Comme le reste de
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l’étage, la pièce était aménagée de façon sobre et élégante, alliant moderne et meubles anciens. Le mariage fonctionnait à merveille, et il se dégageait des lieux une sensation de sérénité. Les bureaux représentaient également la vitrine de leur société. Ils devaient aussi apporter une notion de sécurité, de sérieux aux clients qui venaient les rencontrer. Mais aussi d’une forme subtile de puissance. Ce que conférait la vue panoramique sur Paris depuis leur étage. Non qu’ils dominaient le monde depuis la tour, mais la vue donnait une profondeur et une perspective de leur environnement qui apaisait leurs clients, souvent anxieux dans la démarche de faire appel à leur service.
Daniel reporta son attention sur Greg. Il arqua un sourcil amusé en observant son associé. Si physiquement, ils étaient aux antipodes l’un de l’autre, sur le plan professionnel, ils partageaient non seulement les mêmes valeurs, mais aussi cette faculté de se donner à fond dans les missions qui leur étaient confiées. Ils savaient reconnaître leur force, mais surtout leur faiblesse et agir en conséquence. Et c’est cette faculté à analyser une situation qui leur avait probablement sauvé la vie à bien des reprises.
Greg assis à la table de réunion de son bureau ne releva pas la tête, seulement les yeux. Comme s’il économisait chaque geste. Il dégageait une autorité naturelle, une force, qui, combinées à une impassibilité quasi robotique, intimidait la plupart de ses interlocuteurs. Son visage, sa posture restaient imperturbables dans toutes les situations. Un stoïcisme et un contrôle de soi qui aurait pu être effrayants pour ceux qui ne le connaissaient pas. Mais au-delà de son masque impénétrable, Greg cachait une générosité, mais aussi des secrets et une solitude pleinement assumée et surtout volontaire. Daniel
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n’avait pas tenté de forcer les verrous de Greg. Il le connaissait comme quelqu’un d’intègre, de loyal. Et cela lui suffisait.
Si Daniel avait abandonné la coupe classique que les militaires arboraient, Greg l’avait gardée, quoiqu’un peu plus civile. Cheveux rasés courts sur les côtés, plus longs sur le dessus. Tout chez lui trahissait un style de vie rigoureux. Il s’imposait une discipline sportive qui allait de pair avec leur métier, et Greg n’avait, à l’instar de Daniel, rien perdu de sa force physique. Comme Daniel, Greg était expert dans le combat rapproché et son corps avait été sculpté par des années d’entraînement. Daniel ne put que remarquer la cicatrice qui barrait la joue de son ami, depuis la pommette gauche descendant en une ligne si droite jusqu’à sa mâchoire que l’on aurait pu penser qu’elle avait été tracée de façon presque chirurgicale, ce qui était loin d’être le cas. Elle était le résultat de nombreuse erreurs commises par une personne. Celle qui avait fait tuer le binôme de Daniel et avait blessé gravement Greg. Ce qui interpella Daniel ne fut pas de voir cette cicatrice. Il était présent lorsque c’était arrivé. Non, ce qui le tracassait c’était que Greg se rasait deux fois par jour pour éviter que l’ombre de sa barbe fasse justement ressortir cette marque. Et là, la repousse associée à la lumière artificielle faisait ressortir avec force sa cicatrice, ce qui ne ressemblait pas à Greg. Son regard d’un noir profond accrocha celui de Daniel.
— Quatorze minutes.
— Tu me chronomètres, maintenant ? demanda Daniel narquois.
— Seulement quand tu perds la main, riposta Greg avec un calme dans la voix, proche de la froideur.
Une remarque qui ne manqua pas d’amuser Daniel face à l’humour pince-sans-rire de Greg. Tous leurs
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portables étaient dotés d’un GPS pour des raisons évidentes de sécurité qui permettait de positionner leurs agents n’importe où et n’importe quand. Il était manifeste que Greg avait vérifié sa position et prenait plaisir à lui rappeler qu’il était sorti des clous. Il aurait dû mettre le double de temps pour parcourir la distance depuis le 8e arrondissement. Surtout avec la circulation qui allait crescendo. Mais sa rencontre avec son elfe lui avait échauffé les sangs, et Daniel avait laissé l’affect prendre le dessus. Il se sentait à présent plus calme, mais pas totalement apaisé.
— Le « problème » qui t’a retardé est réglé ?
— Je ne la qualifierai pas de problème, soupira Daniel avant de prendre place sur une chaise face à Greg. Mais rien n’est réglé non plus.
— « La » ? releva Greg, en arquant un sourcil qui disait très clairement qu’il avait compris de qui Daniel parlait.
Même s’il n’avait pas été concrètement sur le terrain, Greg avait étroitement secondé Daniel durant l’affaire Grabowski. Il connaissait le dossier sur le bout des doigts, les intervenants directs et indirects, comme Mimi. Et Daniel grogna de s’être dévoilé si rapidement.
Un sourire discret éclaira le visage de Greg.
— Si tu veux parler de la fille avec qui tu as joué au con, c’est certain que tu vas ramer pour qu’elle revienne dans de bonnes dispositions.
Greg n’attendit pas que Daniel, dont le visage venait de s’assombrir, réponde. D’ailleurs, il n’y avait rien à ajouter. Car malgré la légèreté de leur conversation, il était suffisamment intuitif pour comprendre que quelque chose tracassait Daniel. Et tout aussi fin pour savoir que même lui ne parvenait pas à mettre le doigt sur le problème. Greg reprit la parole avec un sérieux qui lui était coutumier,
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toutefois teinté d’une légère inquiétude.
— Dois-je inclure une enquête et une protection ?
— Pas pour le moment, répondit Daniel au bout de quelques secondes.
Ce qui confirma les doutes de Greg. Il garderait néanmoins une équipe en réserve. Au cas où…
Les deux hommes embrayèrent sur les affaires courantes. Au bout de trente minutes, ils avaient réorganisé le planning et adapté les équipes.
— Maintenant, tu vas me dire ce qu’il se passe ? interrogea Daniel.
Durant la demi-heure qui venait de s’écouler, Greg avait à plusieurs reprises fait glisser son index le long de sa cicatrice. Un signe anodin aux yeux des profanes. Mais à ceux de Daniel, il révélait très clairement l’agitation intérieure qui secouait Greg.
Celui-ci ne chercha pas à démentir. Il attrapa son téléphone et après plusieurs manipulations tourna l’écran vers Daniel qui se figea. La photo n’était pas de bonne qualité, mais le personnage représenté facilement reconnaissable. Ainsi que les informations indiquées sur la capture d’écran d’une vidéosurveillance des douanes de l’aéroport Paris Charles de Gaulle.
D’après la date et l’heure, Romain Giraud, avait atterri le matin même d’un vol en provenance de l’aéroport international John-F.-Kennedy de New York.
— Objectif ? demanda Daniel soucieux.
— Inconnu.
Pour le moment compléta mentalement Daniel. Car les deux hommes avaient parfaitement conscience que la présence de Giraud sur le territoire français ne relevait en rien d’une visite de courtoisie. Giraud avait été un partenaire, un homme à qui ils avaient eu le malheur de faire confiance lors de leur dernière mission. Mais il avait surtout été le binôme de Greg.
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L’homme qui était responsable de la mort de plusieurs de leurs frères et de tout le merdier dans lequel il avait plongé l’intégralité des membres de l’équipe sur place ce jour-là. Parce qu’il n’avait pas supporté de suivre des ordres et des directives. Ils avaient été exfiltrés. Les morts avaient été enterrés et avaient reçu, à titre posthume, la médaille de l’ordre du mérite. Les blessés avaient été soignés. Giraud avait été renvoyé pour insubordination et refus d’obéissance. Daniel, comme de nombreux membres de leur groupe avaient amèrement regretté que la France ait supprimé la justice militaire en temps de paix. Car ses hommes et lui n’auraient pas été cléments quant à leur jugement et la peine que Giraud méritait.
Daniel avait suivi son parcours de loin. Greg, avec une attention redoublée. Giraud se servait maintenant de ce que l’armée lui avait appris pour le mettre au service de personnages peu recommandables. En clair, il était devenu un mercenaire plutôt efficace, faisant preuve de peu de scrupule et ne détenant aucun sens moral. Le peu de valeurs qu’il possédait encore lorsqu’il faisait partie de leur unité avait bien vite été oublié pour le profit. Ce qui le rendait aussi insaisissable que dangereux. Le problème était que légalement et juridiquement parlant, il n’avait commis aucun délit, même si tous étaient d’accord pour reconnaître que Giraud n’agissait jamais par bonté d’âme, et que les moyens utilisés s’étendaient du rapt
l’exécution pure et simple de sa cible.
— Besoin de soutien physique et matériel ? demanda Daniel.
Greg lui adressa un sourire qui aurait fait frémir le diable lui-même. Il releva la tête de façon imperceptible. Daniel ne put que visualiser la lueur de
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danger qui brillait au fond des prunelles noires de son ami. Il comprit aussi que quoiqu’il dise ou qu’il fasse, Greg ne l’écouterait pas.
Mener une vendetta n’apportait rien de bon. Il le savait pour avoir plus ou moins inconsciemment nourri celle de Logan à l’égard de Grabowski avec les conséquences qui en avaient découlé. Tout s’était bien terminé, mais cela aurait pu tourner au carnage.
Il le savait aussi pour avoir mené la sienne vingt ans plus tôt. Il avait perdu toute maîtrise de lui-même jusqu’à ôter la vie d’un homme uniquement muni de ses poings.
Regrettait-il ?
D’avoir tué ce salaud ? Non !
De n’avoir pu sauver Lizzie, celle qu’il considérait comme l’amour de sa vie
Bon Dieu ! Oui !
Le souvenir du doux et beau visage de cette jeune fille de dix-sept ans se superposa à ce même visage dont les traits s’étaient figés à jamais dans la mort. Daniel refoula l’image douloureuse.
La culpabilité l’avait suivi. Par moment, il la pensait disparue. Mais il avait très vite compris que la culpabilité était un sentiment qui s’apparentait à un poison. Il s’infiltrait dans les veines, se répandait dans le corps jusqu’à ce qu’il fasse totalement partie de vous. Il restait tapi, en dormance. Et au moment où il s’était retrouvé face à jolie Mimi et ses magnifiques yeux ambrés, hantés par la terreur, ses propres démons s’étaient réveillés. Comme si la peur attirait les sentiments les plus sombres. Le venin dont il parvenait à contrôler les effets s’était brusquement mis à circuler dans ses veines, charriant avec lui les souvenirs, les faisant vivre d’une façon douloureuse, comme si on lui enfonçait une lame dans les chairs.
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La sensation était désagréable, mais il ne parvenait pas à la chasser. Daniel secoua la tête, pour se concentrer sur le présent sans toutefois réussir à mettre de côté le parallèle entre les problèmes de Mimi et la fin tragique qu’avait connue Lizzie, comme un écho sinistre qu’il ne pouvait ignorer.
— OK, soupira Daniel en revenant au présent.
— Je vais faire des recherches pour savoir pour qui Giraud travaille.
— Reste prudent et ne fais pas le con. Celui qui l’a engagé l’a fait en toute connaissance de cause. Giraud est aussi cinglé que déterminé.
Ce qui le rendait bon, excellent même, dans son travail. Et par conséquent particulièrement dangereux.
Et la lueur de défi qui traversa le regard de Greg n’augurait rien de bon.
*
Daniel retrouva le calme de son bureau. Sans allumer, il alla se poster devant les larges ouvertures des baies vitrées. La vue s’étendait loin sur Paris dont les lumières des champs Élysée restaient un spectacle toujours aussi fabuleux. Même encore aujourd’hui, Daniel ne se lassait pas. Il n’avait pas ménagé sa peine, et avec force de travail et de détermination, il pouvait maintenant respirer. Financièrement, ses objectifs avaient été largement atteints et dépassés depuis longtemps. Lui, le gamin des rues dont le père avait déserté son rôle sitôt la grossesse de sa mère dévoilée avait pris une revanche sur la vie. Sa mère, Françoise, avait péniblement survenu à leur besoin, allant de petits boulots en petits boulots. Elle s’était saignée aux quatre veines avec une dignité qui aujourd’hui encore lui nouait les tripes. Tout cela pour lui offrir un quotidien à peu près normal, composé
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d’un toit sur sa tête, de trois repas par jour, et de valeurs et de principes moraux qui malheureusement ne l’avaient pas empêché de partir à la dérive. Même avec toute la bonne volonté du monde, sa mère n’avait pu l’éloigner des resquilleurs et autres petits malfrats que l’attrait de la rue propose.
Jusqu’à ce que sa mère rencontre un homme, un Anglais. Harold, qui allait bouleverser leurs vies. Même si Daniel n’avait que neuf ans à l’époque, il se souvenait encore de sa mère qui rayonnait de bonheur dès qu’elle évoquait ce Harold, même s’il ne comprenait pas pourquoi. Maintenant, avec le recul, il était content d’avoir pu assister à ce que la plupart appelaient le coup de foudre. Un concept qui l’avait frappé une fois, mais que la vie s’était chargée de lui enlever, ne laissant à la place du cœur qu’un vide immense, une douleur destructrice et une haine farouche envers la plupart des personnes en général, et un en particulier. Celui qu’il avait tué.
Depuis, même s’il papillonnait, aimait séduire et ne se privait pas d’utiliser son physique, jamais il ne s’était autorisé à replonger dans le piège de l’attachement. Les femmes traversaient sa vie, mais sans jamais s’y arrêter. Un principe auquel il ne dérogeait pas et qui lui convenait, au grand dam de sa mère qui désespérait d’être grand-mère un jour, et de façon plus subtile, de voir son fils réellement heureux, même si Daniel lui soutenait le contraire. Sa vie le satisfaisait, il avait tout ce qu’un homme pouvait désirer !
Sa mère et Harold s’étaient rapidement mariés, et Daniel avait vu sa vie transformée. Harold, Britannique pure souche, était un homme travailleur et bienveillant. Si ses valeurs étaient profondes et ancrées, ses principes l’étaient encore plus. Il n’avait pas seulement accepté sa mère dans sa vie, mais aussi
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Daniel avec une générosité sincère. À peine mariés, ils étaient partis s’installer en Angleterre où Harold travaillait en tant que jardinier pour une grande famille. Cela avait été un bouleversement pour Daniel qui avait quitté les rues de Paris pour une Angleterre qu’il trouvait hostile, loin de tout et dans une langue qu’il ne comprenait pas.
La famille Matthews les avait accueillis avec respect et commisération. Daniel avait rencontré pour la première fois le fils de la famille, d’un an son aîné. Logan Matthews. Dès leur première rencontre, ils s’étaient battus comme des chiffonniers, pour ensuite devenir les meilleurs amis du monde. Amitié qui se poursuivait depuis près de trente ans, Daniel approchant de l’âge canonique des quarante ans. Une donnée technique qu’il avait mise de côté et qui le fit grimacer. Non que vieillir le fasse grincer, mais le temps filait, et il restait avec cette impression de plus en plus persistante ces derniers temps qu’il passait à côté de quelque chose d’important. D’essentiel. Peut-être depuis que Logan s’était marié à la douce Mathilde et qu’ils attendaient leur premier enfant…
La porte de son bureau qui s’ouvrit apporta la lumière des couloirs, brisant la plénitude du lieu et du moment. Daniel reconnut les mouvements de Greg dans la pièce. Chaque personne détenait sa propre empreinte. Même en étant silencieux, le déplacement de l’air, aussi infime fût-il, était une signature à part entière. Et Daniel connaissait celle de Greg, tout comme la réciproque était vraie.
Daniel se retourna et passa une main sur son visage, comme si ce simple geste pouvait effacer la fatigue qui venait de lui tomber dessus. Greg l’observa avec attention. Même dans la pénombre qui les entourait, il percevait une tension latente émaner de
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Daniel. Une tension qui l’habitait depuis qu’il l’avait rejoint une heure plus tôt.
— Je rentre. Tu devrais faire la même chose. Tu as une sale tête.
Daniel esquissa un sourire. C’était là une raison pour laquelle ils se complétaient parfaitement dans leur travail. Ils se connaissaient assez pour comprendre l’état d’esprit dans lequel l’autre se trouvait et anticiper. Puis agir ou prendre les bonnes décisions. Et également éviter les mauvaises.
Et Greg venait de mettre le doigt sur le problème. Un problème que Daniel avait préféré ignorer, même s’il était plus sage d’écouter son ami et rentrer chez lui un étage au-dessus pour s’offrir une bonne nuit de repos. Un problème qui avait les traits délicieux d’une danseuse de cabaret, qui possédait un corps à se damner, des yeux à faire fondre un saint, des ennuis qui rayonnaient à dix kilomètres à la ronde et auxquels il s’était pourtant promis de ne pas se mêler. Il avait tenu une heure. Une malheureuse heure durant laquelle il avait chassé le visage tourmenté de la belle Mimi. Mais sa putain de conscience l’avait rattrapé dès que le portrait heureux de Mathilde enceinte et Logan s’était immiscé dans ses réflexions.
Et merde !
— C’est ce que je vais faire, assura-t-il cependant. Greg accrocha un moment son regard, attendant
probablement que Daniel se rétracte. Mais ce dernier ne broncha pas et resta campé sur ses positions. Greg soupira et hocha la tête, comprenant ce que les mots de Daniel signifiaient. Quel que soit le problème qui le tracassait, il suivrait son idée et n’irait certainement pas rejoindre sagement son appartement.
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La porte se referma, noyant le bureau dans l’obscurité, simplement illuminé par les éclairages de la ville en contrebas et des tours qui lui faisaient face.
Daniel consulta sa montre. 22 h 47. Le temps de se débarrasser de son jean et son t-shirt et de passer des vêtements un peu plus adaptés.
La journée n’était pas terminée. Au contraire, elle venait à peine de débuter.
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Chapitre 3
Mimi attendit de se fondre dans une flaque d’ombre pour enfin oser reprendre sa respiration. Son cœur tambourinait douloureusement contre ses côtes. Daniel Clément était une force de la nature. Une allure de voyou, un teint légèrement olivâtre, comme s’il avait des racines espagnoles bien que son nom de famille ne le laisse pas à penser, une beauté arrogante et des yeux qui lui donnaient toujours l’impression qu’il sondait son âme et lisait en elle.
Son attitude était ridicule, mais revoir Daniel, sentir sa main sur son bras, ses yeux se poser sur elle avec un calme désarmant, bien que toujours teinté de cette lueur malicieuse, l’avait totalement prise au dépourvu. Aujourd’hui, elle détestait cet homme, alors qu’un an auparavant elle avait ressenti cette connexion, cette force qui l’avait immédiatement attirée à lui tandis qu’elle défendait Mathilde au milieu d’une rue du 18e arrondissement de Paris. L’attraction, le désir avaient été réciproques. Immédiat. Brutal. Mais quelques semaines plus tard, il l’avait rejetée de la plus cruelle des façons au moment où elle avait besoin de lui.
Et il fallait qu’il réapparaisse dans sa vie au plus mauvais moment ! Daniel était une complication qu’elle ne pouvait pas prendre le luxe de gérer. Pas maintenant. Ni jamais, tenta-t-elle de se persuader. Mais l’attirance qu’elle éprouvait pour lui lui était
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revenue en plein visage, comme un boomerang. Et la violence du choc de le revoir la poursuivait encore. Daniel était un danger. Et elle avait bien assez à faire pour ne pas croiser la route du seul homme qui ne devait jamais, mais jamais découvrir son identité, même si vraisemblablement c’était trop tard. Au moins n’avait-il pas encore trouvé ce qui se dissimulait derrière.
Une douleur, comme une pointe qu’on lui enfonçait dans la poitrine la plia presque en deux. Mimi chercha
nouveau son souffle et tenta de refouler la panique qui venait de s’insinuer dans ses veines. Elle prit plusieurs longues inspirations, ferma les yeux et visualisa la douleur sous la forme d’un objet, n’importe lequel. Si elle parvenait à synthétiser la douleur, celle-ci était plus facile à repousser. Elle fit apparaître mentalement une chaise. Banale, à laquelle elle mit le feu. Contrairement aux fois précédentes, elle prit du temps à s’embraser, et Mimi pouvait même en ressentir la chaleur qui en émanait. Suffocante, privant son espace d’oxygène. Celui qui lui servait à respirer entretenait le feu. Elle inspira plus profondément, laissant son esprit, ses émotions, vaincre sa peur. Puis, lentement, le processus s’inversa. La chaise se consumait enfin et au bout d’un temps qui lui parut interminable, elle visualisa un tas de cendre. Les fumées s’en échappaient, mais les flammes, comme sa terreur venaient, d’être circonscrites.
Du moins temporairement. Les feux devenaient de plus en plus difficiles à maîtriser. Depuis qu’elle avait découvert qu’il rentrait en France. Mimi se ressaisit. Elle ne pouvait plus se cacher derrière ces artefacts. Elle avait retourné le problème dans tous les sens, et une option se détachait des autres : la fuite. Encore une fois. Mais elle n’avait pas le choix. Il n’y avait pas
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que sa vie qui était en jeu. Si cela avait été le cas, elle aurait affronté son passé. Ses conséquences surtout. Mais elle ne pouvait pas. Elle n’en avait pas le droit.
Elle n’avait pas peur de lui, mais était terrifiée par ce qu’il était capable de faire.
*
L’ambiance frétillante l’apaisa instantanément. Mimi se dissimula le temps de se reprendre dans l’ombre d’un recoin. Après l’oppressante solitude qui l’avait accompagnée jusqu’aux coulisses du cabaret, la vie qui palpitait, la chaleur, les filles pour certaines en train de s’habiller, de se maquiller. Il régnait dans les bakcstage un joyeux désordre. Mais elle savait qu’il ne fallait pas se fier au chaos qui régnait dans les coulisses. Au contraire, tout était savamment orchestré. Les costumes, l’ordre de passage. Au millimètre, à la seconde près. Le jacassement incessant des autres danseuses lui comprima malgré tout le cœur. Elles appartenaient à une grande famille. Elle en faisait partie. Il y avait bien des conflits, des clans qui se créaient, des jalousies qui s’exacerbaient, mais jamais Mimi ne s’était sentie seule… jusqu’à ce soir. Car même entourée d’une cinquantaine de danseuses dont nombreuses étaient devenues des amies, elle ne pouvait se confier au risque de les mettre en danger. Elle prit conscience brutalement qu’elle vivait probablement les dernières apparitions sur scène. D’ici quelques jours, semaines, tout au plus, elle devrait abandonner ce qu’elle avait mis une décennie à bâtir. Mimi ravala ses larmes. Ce n’était pas le moment de flancher.
Le spectacle de la soirée se divisait en vingt tableaux. Mimi en assurait sept, dont trois d’affilés en
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groupe et un solo, ce qui lui laissait que peu de temps pour se changer entre chaque représentation. Celui-ci clôturait la nuit. Mimi avait travaillé dur. Son corps avait souffert des répétitions, mais sa volonté lui avait toujours permis de dépasser la souffrance et les moments d’abattement. Alors ce soir, comme ceux qui lui restaient, elle allait donner tout ce qu’elle pouvait, les vivre avec toute la passion qu’elle était encore capable d’offrir au public, mais surtout à elle-même. En dansant, elle puisait une force qui lui avait permis de tenir debout et ne pas s’effondrer de chagrin quand elle repensait à ce qu’elle avait été obligée de faire. Non ! On l’avait obligée à agir de la sorte ! Et pour cela, pour tout le mal que cet homme lui avait fait, pour tout le bonheur dont il l’avait privé, elle le haïssait plus que tout. Car ce qu’il lui avait pris, jamais rien ni personne ne pourrait un jour le lui rendre.
— Tout va bien ?
Mimi sursauta en entendant la voix légèrement éraillée d’une danseuse. Celyne. Magnifique brune aux yeux de chat. Mimi se força à sourire, mais à la façon dont Celyne plissa les paupières, Mimi sentit que son geste devait plus ressembler à une grimace. Elle se reprit néanmoins et obligea sa voix à trouver une intonation posée.
— Oui, tout va bien.
— Dit celle qui se cache, lança la jeune femme en arquant exagérément les sourcils.
— Ça va, répéta Mimi.
La jolie brune la fixa pendant plusieurs secondes avant de hocher la tête et rejoindre les loges. Mimi relâcha son souffle, heureuse qu’elle n’ait pas insisté. Une des qualités de Celyne. Chaque fille possédait sa propre histoire et Celyne contrairement à beaucoup d’autres savait quand parler, mais surtout quand
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respecter l’intimité de son interlocutrice.
Mimi respira profondément. Elle ne pouvait pas montrer la moindre faiblesse. Elle était là pour danser, pour offrir un spectacle aux clients, non pour leur faire partager ses problèmes. Après avoir expulsé l’air de ses poumons, elle prit une profonde inspiration, plaqua un sourire lumineux sur ses lèvres, celui qui d’habitude la caractérisait et entra à son tour dans le joyeux chaos qui régnait dans les loges. Seuls ceux qui la regarderaient vraiment verraient que son sourire n’atteignait pas ses yeux.
*
Daniel haussa un sourcil, un sourire au coin des lèvres. Il traversa le hall silencieux d’une démarche étonnamment souple et féline pour un homme de sa stature, et alla rejoindre la jeune femme assise sur une banquette confortable qui meublait l’entrée.
— Salut.
— Salut, beauté, répondit-il tout en poussant un soupir de satisfaction lorsqu’il prit place et étendit ses longues jambes devant lui.
Mathilde arqua à son tour un sourcil, amusée.
— « Beauté » ?
— Ça ne te plaît pas ?
Mathilde posa un regard sur son ventre arrondi.
— Dans la mesure ou je n’ai plus rien d’une sirène, je dirais que oui, ça me plaît, argua-t-elle un sourire aux lèvres.
Sourire auquel Daniel répondit. Mathilde avait traversé des épreuves qui auraient pu faire disparaître toute spontanéité ou joie de vivre, mais elle en avait au contraire extrait une force impressionnante. Elle et Logan méritaient le bonheur.
— Que fais-tu debout à cette heure-ci ? interrogea
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Daniel avec une légère inquiétude dans la voix.
— C’est plutôt à moi de te poser la question. Il est trois heures et demie du matin, tu portes un magnifique costume sur mesure…
Mathilde s’interrompit deux secondes pour se pencher vers Daniel et inhaler profondément sous l’œil scrutateur et étonné de Daniel.
— Et tu sens diablement bon ! Sais-tu que les femmes enceintes développent certains de leurs sens.
— Et tu pensais découvrir quoi en me reniflant de la sorte ?
— Le sexe et la débauche ? demanda-t-elle mutine. Daniel pouffa.
— Au risque de te décevoir, je suis resté sage et aussi chaste qu’un moine tibétain.
— Pour ce soir, compléta Mathilde, amusée par leur répartie.
Daniel passa une main dans ses cheveux. Il faillait vraiment qu’il les coupe ! Il aurait bien aimé la contredire, car niveau chasteté, encore un petit effort et elle pourrait réellement le comparer à un moine. Tibétain ou pas. Ces derniers mois, il n’avait guère eu le loisir de s’adonner au plaisir de la chair. Un manque qui se faisait ressentir, il devait se l’avouer. Surtout lorsqu’il posa son regard près de l’entrée et que le souvenir de la peau chaude de Mimi sous ses doigts au moment où il l’avait retenue se rappela à lui. Une flèche de désir le prit par surprise. Il poussa un juron tout en se replaçant de façon à repositionner son érection.
Bon sang !
Il n’allait pas avoir ce genre de pensée à côté d’une femme enceinte, qui plus est, la femme de son meilleur ami ! Il fallait vraiment qu’il se reprenne… ou
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assouvisse ce besoin primaire.
— Ça ne répond pas à ma question, reprit-il pour changer de sujet. Que fais-tu debout à cette heure-ci ?
Mathilde plaça ses mains de chaque côté de son ventre dans une position si classique qu’arboraient avec une fierté toute maternelle et férocement défensive les femmes enceintes.
— Junior a décidé de s’exprimer cette nuit. Je ne voulais pas réveiller Logan, alors je me suis levée.
— Et tu as décidé que le hall était l’endroit idéal, ajouta Daniel narquois tout en relevant que le joli visage de Mathilde semblait marqué par la fatigue.
Mathilde eut une moue qui ne trompa pas Daniel.
— Je t’attendais en fait.
— J’avais deviné, répliqua-t-il avec une douceur dans la voix qui avait toujours surpris Mathilde.
Comment un grand gaillard comme lui parvenait-il à mettre les personnes en confiance ? Sa simple présence était apaisante. Il dégageait cette aura de force tranquille qui rassurait d’emblée son interlocuteur.
— Je me fais du souci pour Mimi, avoua-t-elle. Aussitôt, toutes les alarmes de Daniel s’allumèrent.
Il ne révéla pas à Mathilde qu’il avait senti que quelque chose n’allait pas. Le comportement de Mimi l’avait immédiatement alerté. Au début de soirée, il avait tenté de mettre de côté ce que son instinct lui hurlait. À savoir que Mimi cachait quelque chose, pour aussitôt se fustiger. Cela ne le concernait pas. Il n’avait pas mis moins de deux secondes pour s’apercevoir qu’il se leurrait. À partir du moment où ses yeux s’étaient posés sur la frêle silhouette de Mimi, il avait su qu’il était foutu.
— Explique-toi.
Mathilde inspira profondément. Daniel avait adopté un ton professionnel. Elle aimait qu’il se montre si
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attentif, même si inconsciemment, cela la rendait nerveuse. Car cela signifiait que Mimi pouvait vraiment être en difficulté et par conséquent, l’inquiétait de façon trop alarmante.
— Je n’ai pas d’éléments concrets à te donner. Seulement qu’elle ne ressemble plus à la Mimi enjouée et que je connais.
— Peut-être des problèmes au cabaret ? tempéra Daniel.
— Non, je suis sûre que non. Pour y avoir dansé un moment, je sais que cela n’a rien à voir avec le cabaret. Je ne m’en suis pas rendu compte immédiatement, mais avec le recul, je dirais que cela fait bien deux mois qu’elle n’est plus vraiment elle-même.
— Développe, insista Daniel.
— Elle est devenue de plus en plus nerveuse quand on sortait en ville. Plus le temps passait et moins elle souhaitait m’accompagner en ville. Alors que cela ne ressemble pas à Mimi. C’est la première à m’avoir emmenée dans les boutiques quand j’ai commencé à travailler pour Logan et constituer un semblant de garde-robe. Et maintenant, j’ai l’impression qu’elle m’évite ou vient me voir dès que la nuit tombe.
Un sourire triste s’afficha sur son joli visage en une vaine tentative de dédramatiser.
— Un peu comme les chats. Elle sort la nuit. Et elle m’interdit catégoriquement que je vienne chez elle. J’ai essayé de lui parler, mais elle reste muette. Elle me fait un grand sourire en m’assurant que tout va bien.
Les mots de Mathilde eurent un impact sur les mécanismes de Daniel. Les propos de la jeune femme consolidaient ce qu’il avait soupçonné. Il ne laissa rien paraître et encouragea Mathilde à poursuivre, sachant déjà ce qu’elle allait dire.
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— Bref, Mimi est une jeune femme pétillante et pleine de vie. En deux mois, c’est comme si je la voyais s’éteindre et je me sens complètement impuissante. Elle n’est pas dépressive Daniel. Elle a peur. Ça aussi je le sais, ajouta-t-elle avec un petit rire crispé au souvenir des moments pénibles qu’elle avait traversés avec l’affaire Grabowski 2 compris sans difficulté Daniel. Et je ne sais pas de quoi ou de qui, continua-t-elle doucement. En fait, reprit-elle après une courte pause, elle n’a pas peur. Cela va au-delà. Elle est terrifiée, même si elle fait tout pour le dissimuler.
Il lui avait fallu croiser le regard de Mimi pas plus tard que quelques heures auparavant pour en venir à la même conclusion que Mathilde.
— Mimi est trop fière et indépendante pour demander de l’aide, murmura Mathilde.
Ça, Daniel l’avait deviné. D’autant plus qu’elle ne lui pardonnait toujours pas de l’avoir évincée quand elle recherchait un soutien lorsque Mathilde avait totalement disparu de la circulation. Daniel passa un bras derrière les épaules de la jeune femme et l’attira
lui en une étreinte fraternelle. Avec satisfaction, il sentit le corps de Mathilde se détendre et se reposer contre lui. Daniel esquissa un sourire, heureux de pouvoir l’apaiser.
— Qu’est-ce que tu connais d’elle ? Son passé, sa famille ?
— Pas grand-chose en vérité. Ses propos ont toujours été un peu flous à vrai dire. J’ai souvent pensé que c’était dû à une certaine retenue.
— Mimi, dans la retenue ? souligna Daniel. Mathilde se renfrogna. Avait-elle été trop centrée
sur elle-même toutes ces années au point de ne pas prêter attention à son amie ? Elle se redressa et se
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tourna vers Daniel qui ne put que lire la peine et le désarroi dans son regard.
— Je m’en veux de ne pas avoir été à l’écoute.
Il comprenait ce que ressentait Mathilde et ne pouvait pas la laisser penser cela.
— Arrête de te fustiger. Mimi est adulte. Elle a elle-même choisi de rester discrète sur son passé.
— J’aurais quand même dû être plus attentive.
— Tu ne peux pas aller contre la volonté des gens. Et ce n’est pas parce que Mimi ne parle pas de son passé qu’elle a quelque chose à cacher, ajouta-t-il, même s’il n’en croyait pas un mot.
Juste pour savoir à quel degré de discrétion s’était livrée Mimi, Daniel posa une question d’apparence innocente.
— Mimi, c’est son nom de scène, mais quel est son véritable prénom ?
— Charlotte. C’est joli, non ?
— Oui, c’était un joli prénom.
Mais une mauvaise réponse, se renfrogna Daniel sans rien laisser transparaître. Il resserra la poigne autour des épaules de Mathilde et la força gentiment
se reposer contre lui.
— Je suis sûr que tu t’inquiètes plus qu’il n’existe de problème. Je vais voir ce que je peux faire.
Mathilde se redressa légèrement et regarda Daniel. Bon sang ! Comment pouvait-il faire autrement que de l’aider lorsque le sourire qu’elle lui adressait illuminait non seulement son visage, mais la pièce entière. Le soulagement qu’il lut sur ses traits le conforta dans ses intentions. Il déposa un baiser sur son front, et rassurée, Mathilde laissa aller sa tête contre son épaule.
— Tu as conscience que Mimi rêve de me faire la
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peau ?
— Oui, mais je sais que tu es capable de te défendre.
Ça, c’était nettement moins sûr, pensa Daniel en retenant une grimace.
— Tu as aussi conscience que je vais devoir œuvrer en sous-marin ? Une approche frontale avec Mimi est exclue si je tiens à donner des petits-enfants à ma mère.
— Là aussi, je sais que tu t’en sortiras.
Daniel secoua légèrement la tête quand il entendit le sourire dans la voix de Mathilde.
— Tu sais aussi que je ne peux pas te dire non ?
— Oui, je sais. Tu m’en veux d’en profiter ?
Daniel eut un petit rire de gorge qui raisonna dans le corps de Mathilde.
— Je t’en voudrais si tu ne venais pas vers moi, reprit-il avec un sérieux qui déstabilisa quelque peu Mathilde.
Elle redressa de nouveau la tête pour plonger son regard dans celui chocolat de Daniel.
— À cause de Mimi ?
— Non, enfin pas uniquement. Mais maintenant, tu es ma famille. Tu y es entrée à partir du moment où Logan a vu en toi autre chose qu’une petite stagiaire débutante. Et je ne laisse jamais tomber ma famille.
Mathilde lui adressa un autre de ses sourires lumineux. Elle le désarmait totalement. Il comprenait pourquoi son ami était fou amoureux de cette femme. Il n’y avait pas une once de méchanceté chez elle.
— Pourquoi ne dis-tu pas tout simplement que tu m’aimes bien ? le taquina-t-elle.
— J’avoue que je n’aime pas quand tu t’inquiètes comme ça. Ce n’est pas bon pour le Gremlins, plaisanta-t-il pour rompre le côté trop solennel de sa confession.
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Mathilde étouffa un grognement faussement outré en frottant doucement son ventre. « Le Gremlins ». Elle aura tout entendu. Ce qui ne la dispensa pas de reposer sa tête contre cette épaule solide.
— Il serait temps que toi et Logan me fassiez enfin confiance ! maugréa-t-elle.
— On te fait confiance, riposta Daniel fermement.
— Si c’était le cas, vous ne seriez pas constamment sur mon dos.
— Je n’ai pas eu ce plaisir, s’amusa à répondre Daniel, certain que s’il la regardait, il verrait ses joues aussi rouges que si elle avait couru un marathon.
Ce qui ne la dispensa pas de lui enfoncer un coude dans les côtes.
— Ce n’est pas drôle, marmonna-t-elle. Si Logan t’entendait.
Si Logan l’entendait, il ne ressortirait pas vivant de ce hall. Ou alors salement amoché. Il était terriblement protecteur dès qu’il s’agissait de la sécurité et du bien-être de Mathilde. Et depuis qu’elle était enceinte, il resserrait encore un peu plus sa protection. Mais cela, Daniel le comprenait. Mieux que quiconque.
— Je ne suis pas en sucre, poursuivit Mathilde. Je ne vais pas m’effondrer chaque fois que j’ose mettre un pied dans la rue.
— Tu ne peux pas reprocher à Logan de s’inquiéter pour toi.
— Même si ses réactions frôlent parfois l’absurdité ?
Daniel se raidit imperceptiblement, mais Mathilde nota immédiatement le changement, comme le timbre plus métallique de sa voix.
— Tu ignores totalement ce qu’un homme peut ressentir lorsqu’il voit la femme qu’il aime étendue sur le sol dans une mare de sang.
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Celui de Mathilde se figea dans ses veines. Les souvenirs de l’année passée lui revinrent en mémoire, et inconsciemment, elle porta une main à sa tempe. Là où la balle l’avait touchée. Mais ce qui la fit frémir fut le sentiment, qui, par son égoïsme, venait de faire resurgir la douleur de Daniel et la culpabilité qui l’habitait depuis plus de vingt ans.
— Je suis désolée, Daniel. Je ne voulais pas te faire de la peine en te rappelant la mort de Lizzie, murmura-t-elle.
— Je sais, princesse, soupira Daniel.
Daniel avait évoqué deux fois Lizzie avec Mathilde. Une fois avant qu’elle ne disparaisse pendant quatre mois suite à la fusillade de Varsovie. La seconde, lorsqu’elle était tombée enceinte. Daniel ignorait encore comment elle avait réussi à lui arracher les mots, mais il lui avait confié toute la douleur que la mort de Lizzie, tuée parce qu’elle n’avait pas répondu aux avances d’un malade, avait provoquée chez lui. La destruction, la rage, la culpabilité. Un cocktail d’émotions qui avait failli lui faire perdre la tête. Aujourd’hui, l’envie de détruire ce qui se trouvait sur sa route, la colère, avaient disparu. La culpabilité, elle, lui restait chevillée au corps comme un parasite trouve un hôte disponible.
Mathilde se colla un peu plus à Daniel, qui resserra son étreinte. Ils restèrent sans mot dire un moment, appréciant l’instant. Tout simplement. Cette parenthèse dans la nuit que rien ne vint perturber. Juste eux, cette amitié qui avait cimenté des liens très forts et particuliers, seulement entouré un silence reposant.
— Oh ! s’exclama Mathilde.
— Qu’est-ce qu’il y a ? s’inquiéta Daniel.
— Rien, le rassura-t-elle tout en lui prenant la main
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et la posant sur son ventre.
Daniel étendit sa grande paume, et au bout de quelques secondes des coups se répercutèrent en une onde délicate sous sa main. Un sourire étira ses lèvres.
— C’est le Gremlins ?
— Si tu appelles encore mon bébé comme ça, je te le fais regretter, répliqua Mathilde tout en levant les yeux au ciel.
Daniel ricana et se pencha sur le ventre rond de la jeune femme.
— T’entends ça, mon pote ? La demi-portion qui te sert de mère pense faire le poids.
— Je peux savoir ce que tes yeux font à deux centimètres des seins de ma femme ? s’exprima une voix grave et profonde.
Mathilde se retourna et adressa un sourire à haut voltage à Logan qui descendait les escaliers uniquement vêtu d’un bas de jogging.
— Je parle à mon filleul, argua Daniel, le visage toujours collé au ventre de Mathilde.
— Qui te dit que ce sera un garçon ? demanda Logan. Et retire ton visage de là !
— Parce que j’ai tout un stock de techniques à lui enseigner, et pas seulement en matière de combat, ajouta-t-il avec un sourire plein de malice tout en éloignant sa tête pour sa propre sécurité.
— Seigneur, murmura Mathilde en secouant la tête tout en se levant pour rejoindre Logan.
Aussitôt, il agrippa sa nuque et la rapprocha de lui pour l’embrasser délicatement tandis que son autre main caressait son ventre dans un geste autant protecteur que révérencieux, comme le ferait le gardien d’un trésor.
— Ça va ? lui demanda-t-il doucement.
— Oui, je ne parvenais pas à dormir et je ne voulais
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pas te réveiller.
— Tu aurais dû, sweetheart, chuchota-t-il, ses lèvres caressant les siennes en une promesse silencieuse. Remonte, ma belle, j’arrive tout de suite, poursuivit-il sans lui laisser le temps de répondre.
— D’accord.
La large carrure de Logan devant elle, Mathilde se pencha sur le côté pour saluer Daniel d’un petit geste de la main.
— Merci d’être resté un moment avec moi.
Il lui adressa un clin d’œil puis s’étira avant de se lever pour rejoindre Logan. Les deux hommes observèrent la jeune femme gravir les escaliers. Elle se retourna sur le palier et envoya un autre de ses lumineux sourires à Logan, puis entra dans l’appartement.
Dès que la porte se referma, Daniel retrouva un visage grave qui n’avait rien à envier à celui de Logan.
— Ta femme s’inquiète.
— Je sais, soupira Logan. Et je n’aime pas la voir comme cela.
Pas besoin qu’il précise que cela laissait des traces de fatigue sur son visage.
— J’imagine qu’elle t’a parlé de Mimi.
— Précisément.
— Je lui ai demandé d’attendre demain, s’agaça Logan. Ce n’est pas en restant debout à trois heures du matin qu’elle va pouvoir se reposer. Elle a des contractions. Le médecin lui a conseillé de se mettre au vert.
— Ta femme en a toujours fait qu’à sa tête.
— C’est bien le problème, grommela Logan. Je vais l’emmener à HylandsHall. Mais je sais qu’elle ne bougera pas d’ici tant qu’elle ne sera pas rassurée sur Mimi. Que penses-tu de son inquiétude vis-à-vis de
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son amie ? C’est justifié ?
Daniel lui relata sa rencontre avec Mimi pas plus tard que le soir même dans le hall. Logan voyait Daniel se rembrunir à mesure qu’il exposait les faits et l’analyse qu’il en faisait. Sa conclusion était nette et précise.
— En clair, résuma Daniel, cette fille sent les emmerdes à plein nez.
— Hors de question que cela ait des retombées sur Mathilde !
Daniel lui lança un regard empli de détermination.
— C’est bien pour cela que je me suis déjà plongé dedans, et que j’en fais une question personnelle, répliqua-t-il sans possibilité aucune de le contredire.
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Chapitre 4
La musique vibrait dans le corps de Mimi. Elle observait chacune des filles avec qui elle partagerait le prochain tableau. Ici, on s’appelait par son nom de scène, celui que l’on prenait dès que l’on était engagé dans la troupe. Mimi avait choisi Mimi Grande, prononcé Grandé. En rapport avec sa taille. Elle était l’exception. Il lui manquait un centimètre pour entrer dans les critères stricts qui permettaient d’intégrer le cabaret. Mais sa cambrure était son plus gros atout et avait compensé ce léger manque. Un nom de scène qui était apparu comme une évidence.
Le troisième tableau allait débuter. Mimi respira à fond, son avenir se résumant pour le moment sur les prochaines minutes. Un frisson lui parcourut la nuque et elle ouvrit brusquement les yeux. Une sensation, comme un courant électrique se propageait le long de sa colonne, mettant ses sens en alerte. Elle se força à revenir sur ses exercices de respiration.
Au cours de la semaine écoulée, elle avait constamment ressenti des petits picotements derrière la nuque. Différents de ceux qu’elle éprouvait les soirs où elle était sur scène.
Lors des répétitions cette semaine, ce sentiment d’être observée ne l’avait pas quitté. Mais elle lui interdisait d’avoir un tel contrôle sur son corps ! La
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peur. Elle ne la paralysait pas, au contraire, elle faisait circuler dans ses veines ce poison qui rendait sa peau et ses sens hyper sensibles au point d’en devenir douloureux. La peur lui donnait une conscience aiguë de son corps. Il se révoltait, mais malheureusement cela se traduisait par des erreurs sur scène. Elles étaient quasi invisibles pour le public, mais sa meneuse elle, ne les avaient pas laissé passer, même si elles ne s’étaient produites que lors des répétitions.
— Mimi, tu entres sur scène sans tes problèmes ! Si tu n’es pas capable de les compartimenter, je te remplace.
Ce qui équivalait pour elle à une mise à pied qu’elle ne pouvait se permettre. La danse était son refuge, bien que ses défenses pour le protéger s’altéraient et laissaient des brèches de plus en plus béantes. Mimi ne se voilait pas la face. Elle se savait en sursis. Dans quelques semaines, son contrat d’intermittence prendrait fin, et elle avait déjà compris qu’elle ne pourrait pas rempiler. Sa carrière au cabaret avait une date de péremption, c’était une certitude, mais elle souhaitait plus que tout éviter de l’écourter. Elle désirait profiter de ces ultimes instants avant de tourner définitivement la page sur les dix dernières années. Une douleur lui comprima la poitrine à cette pensée, qu’elle tenta de refouler. Pas maintenant. Elle ne pouvait pas perdre pied maintenant. Elle ne demandait pas l’impossible. Juste quelques semaines.
Un nouveau frisson remonta le long de sa colonne. Différent de ceux éprouvés durant les répétitions. La nuance était subtile, néanmoins perceptible. Mimi ferma les yeux et respira profondément. Ce qu’elle ressentait à l’instant, cette impression d’être observée était dérangeante, mais sans la sensation malsaine qu’elle charriait avec elle habituellement et qu’elle
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avait distinctement ressentie tout au long de la semaine.
Clara Honey, une des danseuses se glissa doucement derrière le rideau. D’ici, elle pouvait apercevoir la salle sans être vue. Certaines filles aimaient prendre la « température » avant de monter sur scène. Mimi préférait se concentrer sur la chorégraphie. Que la salle soit pleine ou vide, ce qui n’arrivait jamais, elle enchaînait ses pas et se laissait porter par la musique. Lorsqu’elle dansait, c’était les seuls moments où elle pouvait relâcher sa garde. La scène était l’unique endroit où elle se sentait réellement à sa place. Mimi n’avait pas cette impression dérangeante d’être un imposteur en mentant depuis dix ans à celles qu’elle considérait pourtant aujourd’hui comme sa seule famille.
— Il est là, chuchota Clara avec dans la voix une excitation qui gagna toutes les filles.
— Qui ça ? demanda la voix éraillée de Celyne.
— Le grand type baraqué.
Mimi feignit l’indifférence sans se mêler à l’état de liesse qui s’emparait du groupe tout en essayant de calmer les battements de son cœur. Ça ne pouvait pas être lui. Cela ne lui ressemblait pas de venir lui-même. Il préférait envoyer ses sbires pour faire le sale boulot. Mais surtout, Mimi ne le reconnaissait pas. Plus précisément, elle ne reconnaissait pas l’aura et les vibrations malsaines qu’il dégageait. Une certitude. Pour l’avoir côtoyé à un moment, même très court, de sa vie, elle était certaine que l’inconnu dans la salle n’était pas lui. Elle avait appris à se fier à ses sens. À son instinct. Même si ce dernier lui murmurait de faire preuve de la plus grande prudence.
— Où ça ? demanda Kiki Rose avec impatience.
— Comme d’hab’ !
— Quatre soirs qu’il occupe la même table et cela
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ne vous semble pas étrange ? intervint Celyne avec pragmatisme.
Et quatre soirs d’affilée que Mimi ressentait ces drôles picotements derrière la nuque. Quatre soirs qu’elle était sur la défensive, à tenter d’oublier l’homme dans la salle pour porter toute sa concentration sur son tableau et éviter les erreurs.
Ce n’était pas rare qu’un spectateur porte une attention particulière à une danseuse. Généralement, il laissait un mot qui atteignait les coulisses après avoir transité par Paul le responsable du bar. Jamais directement. Les danseuses étaient surveillées, protégées et quasiment impossible de les approcher sans montrer patte blanche. Une sécurité par moment excessive, mais rassurante pour les filles. Elles ne se sentaient pas vulnérables, mais certains clients avaient parfois du mal à comprendre qu’elles étaient des êtres humains, et non des objets que l’on regardait et avec lesquels on espérait pouvoir jouer une fois le spectacle terminé. Les cas étaient rares, mais pour avoir été confrontée à ce type de harcèlement la direction avait pris des mesures drastiques. Chaque soir, un taxi raccompagnait les danseuses jusqu’à leur domicile.
— Tu crois qu’il va assister à la totalité du tableau cette fois ?
Car jusqu’à aujourd’hui, l’inconnu était resté dans l’ombre sans se manifester. Et cela, au sens littéral. Il disparaissait dès que les filles entraient en scène. Il ne quittait pas le cabaret, non. Il se mettait simplement à l’abri des lumières, jouait avec les ombres sans jamais montrer son visage.
Oh, oui ! Il va rester jusqu’au bout, répondit silencieusement Mimi. Car même sans le voir, elle avait une conscience aiguë de sa présence dans la salle. Une présence troublante qui, sans être
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effrayante, laissait échapper une aura de danger. Cet homme n’était pas une menace. Juste un avertissement. Et Mimi ignorait totalement ce que cela signifiait.
Un claquement de mains autoritaire d’un membre de la direction artistique mit fin au joyeux chaos dans les coulisses.
— Tout le monde se prépare. Vous entrez en scène dans deux minutes ! tonna une voix qui n’appelait aucune discussion, au grand soulagement de Mimi.
Les filles se mirent en place dans un désordre organisé. Mimi pouvait sentir l’excitation monter dans toute la pièce. Puis, l’espace de quelques secondes, le silence. Chargé d’électricité. Revigorant. Celui qui, dans un moment de répit, reprend des forces et appelle la tempête.
*
— Tu es sûre que tu ne veux pas venir ?
Mimi se pelotonna dans sa doudoune et remonta son écharpe. La fin de l’été approchait, mais l’air était saturé d’humidité particulièrement mordante cette nuit. Ce matin plutôt quand elle consulta sa montre.
3H37.
Elle se tourna vers Celyne et trois autres filles qui s’étaient déjà engouffrées dans le taxi. En temps normal, elle les aurait accompagnées avec plaisir et aurait terminé la nuit en se rendant dans la petite boulangerie du 9ème arrondissement qui ouvrait plus tôt que les autres. La première fois que le propriétaire avait vu débarquer cette bande de furies à quatre heures du matin, il avait été un brin effrayé. La cinquantaine souriante, sans une once de lubricité dans le regard ou les gestes. Et cela avait été précisément cette lueur de bonté qui avait fait
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pencher la balance. Mimi toujours sur la réserve malgré son côté exubérant était parvenue à le convaincre de leur ouvrir sa boutique. Et jamais elles n’avaient mangé d’aussi bonne première tournée de croissants. Depuis, Georges avait acheté une cafetière, du café moulu premier prix, mais qui avait le goût du bonheur, et appuyait sur le bouton de démarrage de la machine dès qu’il entendait le ronronnement du moteur du taxi devant sa vitrine.
Mais cette nuit, Mimi ne se sentait pas le courage d’affronter Georges. Georges qui travaillait en silence et écoutait le piaillement des filles. Il entendait surtout quand cela n’allait pas. Il possédait une sorte de capteur qui détectait les tensions ou les coups de blues. Et à coup sûr, il percevrait le malaise qui habitait Mimi depuis deux mois. Elle avait jusqu’à aujourd’hui réussi à le dissimuler, mais elle sentait que son armure s’effritait. Celyne la regardait déjà différemment. Mimi appliquait un masque de jovialité sur son visage dès qu’elle apparaissait en public. Le masque craquelait et tombait de plus en plus vite ces dernières semaines. Elle ne pouvait pas prendre le risque de se faire démasquer par Georges… même si cela lui crevait le cœur, car cela signifiait qu’elle ne reverrait probablement plus jamais cet homme adorable.
Elle offrit un sourire lumineux à Celyne. Un sourire qui ne mentait pas ce soir quand elle pensa au boulanger.
— Pas ce soir, merci. Je suis crevée. Embrasse Georges pour moi.
Celyne la fixa un moment, comme si elle essayait de lire au-delà de ce que Mimi montrait, puis hocha la tête avant de monter dans le taxi. Mimi leur adressa un petit signe de la main, un sourire aux lèvres… qui s’effaça totalement quand les feux arrière du taxi ne
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furent que deux points rouges flous au milieu d’une circulation quasi inexistante à cette heure de la nuit.
Elle se dirigea à son tour vers le taxi qui l’attendait et ouvrit la portière. Au moment de monter, son regard fut attiré par un mouvement. Furtif. Mimi se figea et tenta de percer l’obscurité. Sans succès. Si elle ne put se fier à sa vue, le frisson qui lui remonta le long de la colonne la poussa à s’engouffrer dans la relative sécurité que lui apporta l’habitacle de la voiture.
*
Le savoir et la connaissance sont des armes redoutables. Le plus délicat n’était pas nécessairement de les détenir, mais de savoir précisément quand s’en servir.
Les moyens en sa possession pour regrouper les informations dont il avait besoin ne passaient plus par les voies officielles, mais par son réseau d’informateurs qu’il rémunérait grassement. Trop, s’agaça-t-il en comparaison des résultats reçus. Mais s’il y avait acquis une chose au cours de sa « carrière », c’était bien la patience.
Il connaissait sa cible. Charlie Meyer.
Si tout se passait comme il le prévoyait, il la localiserait dans peu de temps. Et à ce moment-là, le jeu commencerait réellement. D’un mouvement sec, il referma le capot de son ordinateur après avoir effacé toute trace de son passage. Et si par hasard on remontait jusqu’à lui, l’adresse IP qu’il avait utilisée enverrait ceux qui le traquaient sur une fausse piste, dans ce cas précis, un coin paumé de l’Argentine. Il aurait pu porter son choix sur un autre pays comme l’Inde, ou, pourquoi pas, la Suède. Mais seuls ceux, une poignée d’hommes, avec qui il avait eu un passé
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commun pourraient remonter jusqu’à lui et comprendraient que le choix du pays lorsqu’il brouillait les pistes était loin d’être distribué au hasard, mais suivait un schéma bien précis.
Car l’Argentine avait été le pays ou tout avait changé.
Un jeu de piste qu’il s’amusait à égrainer, même s’il était certain que personne ne relèverait. Ce qui était décevant finalement.
Il tira sur les manches de sa chemise et rajusta sa veste de costume. Le tissu luxueux épousait parfaitement son torse, mettant en valeur sa silhouette sportive, résultat de longues heures d’entraînement et d’un régime alimentaire stricts. Un regard à sa Richard Mille, une beauté en Titane et carbone à plus de quatre cent mille euros, lui indiqua qu’il lui restait exactement dix-sept minutes avant de rejoindre sa cliente. Belle. Très belle, même, malgré qu’elle ait une bonne dizaine d’années de plus que lui. Douze pour être exact. Jamais il ne s’engageait dans une affaire sans effectuer une enquête approfondie préalable sur les protagonistes. Dans quatre-vingt- dix pour cent des cas, cela lui servait de garanties, ou plus précisément de moyen de pression contre ses clients qui se croyaient pour la plupart plus malins que lui. Car il avait appris un aspect fondamental sur la nature humaine. Que les hommes, même les plus respectables, cachaient les secrets les plus inavouables.
Il observa son rendez-vous. À cinquante-deux ans, il devait admettre qu’elle avait gardé une plastique plus que bandante. Il détestait cette femme qui faisait montre d’une condescendance et d’une arrogance sans nom. Une femme qui aimait diriger et contrôlait son entourage d’une main de fer. Ce qui en soit ne le
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gênait nullement. Sauf qu’elle avait oublié à qui elle s’adressait. Et s’il y avait une chose qu’il ne supportait pas, c’était la complaisance.
Généralement, il la laissait prendre la main lors de leur entretien. Il était amusant de voir comment les personnes pensaient détenir le pouvoir alors qu’en fait, c’était lui qui menait les négociations. Elle était maline, futée, absolument vénale. Mais pas autant que lui. Il connaissait précisément comment allait se dérouler leur entretien. Ils parleraient affaires et ensuite, quand il jugerait que la séance était close, il engagerait la conversation sur un terrain plus personnel. Un sourire étira ses lèvres pleines. Et il adorait ce moment quand la femme de pouvoir pensait très naïvement que les rôles s’inversaient et qu’il reprenait la main. Elle devenait docile. Suppliante.
Elle abandonnait son costume de femme de pouvoir pour revêtir celui que lui avait choisi. Une femme soumise qui le suppliait de la laisser le sucer. Alors, seulement à ce moment, il prenait tout son temps, l’obligeait à ramper. À quémander. Un état qui était aussi jouissif que l’acte sexuel qu’il lui imposait. Selon ses humeurs. Mais il était assez subtil dans sa démarche pour endormir cette garce avec quelques mots appréciateur et des encouragements. Il dépassait largement le cadre de l’avilissement, mais elle était tellement certaine de détenir les rênes que jamais elle ne s’était aperçue qu’il avait depuis longtemps dépassé le cadre respectueux de son rôle de dominant.
*
Daniel porta le verre à ses lèvres sans quitter la scène des yeux, son regard immuablement accroché à Mimi. La salle était plongée dans l’obscurité que
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seules les danseuses parvenaient à percer. La musique pulsait au rythme de ses propres battements de cœur.
Étrangement lancinante.
Totalement hypnotique.
Irrémédiablement sensuelle.
Le son cadencé qui sortait des hauts-parleur recouvrait la salle, emprisonnant le public, et lui en particulier. Il avait la sensation d’être enfermé dans une bulle assourdie dont les jeux de lumière glissaient sur ses sens lorsqu’ils caressaient les corps des danseuses, les rendant spectaculaires. D’une sensualité à fleur de peau. Mais Daniel n’avait d’yeux que pour Mimi qui jouait avec un talent fou avec la musique et ses accords, faisant ressortir toute sa féminité avec impertinence, élégance, et cette touche qui caractérisait les filles : l’espièglerie.
Mimi s’avança sur la scène, belle à se damner. Elle ne pouvait pas voir Daniel, mais il eut la certitude qu’elle avait deviné sa présence et dansait exclusivement pour lui. La gorge soudainement sèche, il avala une autre gorgée de son scotch. Le seul de la soirée. Il devait garder les idées claires, et Mimi avait cette furieuse tendance à lui faire oublier ses priorités. Il était ici avec en tête un but précis : découvrir qui se cachait derrière les admirables yeux ambre de Mimi. Et pourquoi, et surtout par qui, était-elle tant effrayée au point d’éviter tout contact aussi bien avec l’extérieur qu’avec Mathilde.
Et pour l’heure, Daniel devait faire un effort presque surhumain pour chasser l’attirance qu’il éprouvait pour la jeune femme et se concentrer sur l’essentiel. Une attirance qui avait pris vie dans une rue du dix-huitième arrondissement de Paris et qui ne l’avait pas quittée depuis.
Depuis plus d’une semaine, il assistait à toutes ses représentations. Il restait dans l’ombre, profitait des
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services VIP du cabaret qui lui offraient la discrétion nécessaire. Paradoxalement, il évitait ainsi d’éveiller les questions que se poserait sans aucun doute le personnel s’il se présentait tous les soirs en tant que clients lambda. Son statut lui assurait une discrétion dont il se servait en ce moment même.
Il reporta son attention sur Mimi, son corps partiellement dénudé qui se mouvait avec grâce sur la scène et que les lumières sublimaient sans une once de perversion. Le rapport entre sensualité et réalisme était d’une justesse et d’une beauté incomparables, rendant les gestes de la jeune femme gracieux et empreint d’érotisme sans tomber dans la dépravation ou le voyeurisme.
Daniel s’était interrogé sur le comportement de Mimi. Il avait passé ses derniers jours à fouiller, décortiquer, analyser, étudier sa vie. Aujourd’hui âgée de vingt-huit ans, Mimi était issue d’une famille bourgeoise et aisée de Lyon. Un père à la tête d’une grosse entreprise d’import, entré en politique, au début sans étiquette, puis briguant des postes plus élevés en tant que député de sa région, visiblement plus lucratif que de satisfaire de petits mandats. Une mère décédée. En creusant, Daniel avait découvert que la mère, s’était suicidée, laissant derrière elle une Mimi âgée à peine de douze ans et une sœur, Clotilde, de dix ans son aînée.
Si la scolarité de Mimi avait été exemplaire, il semblerait que la mort de sa mère l’ait précipitée dans une sorte de fuite en avant, son dossier scolaire mentionnant des heures de retenues à n’en plus compter avec pour conséquences une série d’exclusion. La seule activité stable de la jeune fille avait été la danse qu’elle avait pratiquée avec assiduité d’après l’enquête effectuée auprès de son
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ancienne professeur. Il se souvenait encore des mots de la vieille femme en parlant de Mimi : « une gamine perdue qui ne demande qu’à être aimée ».
Des propos pour le moins sibyllins, mais qu’il avait traduits pourtant facilement. Sa mère était décédée, sa sœur avait quitté le domicile pour suivre ses études et son père qui devait être aux abonnés absents. Elle s’était retrouvée seule, sans ressource, sans soutien et Daniel avait compris les excès de l’adolescence comme étant simplement un appel au secours. Un moyen d’attirer l’attention. Un schéma tristement classique.
seize ans, elle faisait déjà divers petits boulots pour payer ses cours de danse avec probablement des rêves un peu fous dans la tête. Des rêves qui avaient visiblement été stoppés net, car pendant deux ans, même en creusant comme un malade, Daniel n’avait trouvé aucune trace de Mimi. Elle avait totalement disparu de la circulation, ce qui à l’époque des réseaux sociaux relève du miracle.
Et les miracles n’avaient rien à voir dans l’histoire, il en était convaincu. Il avait retrouvé sa trace deux ans plus tard dans les archives du ministère de la Justice où sa demande de changement de nom avait abouti quelques mois plus tard. Charlie Meyer était devenue Charline Meyer, mais se faisait appeler Charlotte par ses amis et aussi ses employeurs s’il se référait aux documents qu’il avait dénichés en fouillant dans le réseau informatique du cabaret et des données de la Sécurité sociale et de l’URSSAF.
Cette fille était un véritable caméléon, et c’était précisément ce qui la rendait non seulement intéressante, mais terriblement attirante. Comme Mathilde à l’époque, elle habitait un minuscule appartement dans le dix-huitième arrondissement, était à jour dans ses loyers, le paiement de ses impôts.
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Une redevable modèle qui ne faisait pas parler d’elle. Il ne lui avait découvert aucune longue relation avec un homme, juste quelques amants de passage, ce qui lui avait amené une satisfaction déplacée en le découvrant. Et à part Mathilde et l’équipe de danseuses, il ne lui connaissait aucune autre fréquentation. Elle avait coupé les ponts avec sa famille et d’après ce qu’il en savait n’avait pas remis les pieds à Lyon depuis ses seize ans.
Il regarda Mimi évoluer sur la scène, le visage rayonnant. Il avait la sensation de retrouver la jeune femme qu’il avait rencontrée la première fois. Celle dont les yeux brillaient de candeur, qui respirait la fraîcheur et qui possédait ce petit plus qui l’avait mis
terre. Daniel grimaça lorsqu’il prit conscience à quel point il était loin du compte et qu’il se mentait à lui même. « Attirante » était loin d’être le terme adapté. Elle le fascinait littéralement.
Merde !
Parce que la Mimi qu’il avait rencontrée dans le hall de l’immeuble avait perdu de son éclat. Il avait vu la peur dans ses jolis yeux et cette constatation l’avait plus atteint qu’il ne voulait se l’avouer.
Il chassa ces pensées parasites qui l’empêchaient d’analyser la situation et retrouva sa concentration. Et il était parvenu à la conclusion aussi simple qu’élémentaire que Mimi se cachait depuis plus de Douze ans. Douze ans durant lesquelles elle n’avait pas vraiment vécu, mais survécu. Un résultat qui n’avait pas manqué de surprendre Greg lorsqu’ils avaient évoqué le nouveau sujet de « traque » de Daniel.
Il se cala plus confortablement contre le dossier de son fauteuil, sa main jouant nonchalamment avec son
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verre. Il le faisait tourner entre ses doigts, suivant les mouvements lascifs de Mimi. Des mouvements hypnotiques, totalement ensorcelants. Ses jambes décrivaient des arabesques et il imagina immédiatement une autre façon d’exploiter cette souplesse. De préférence, entourée autour de sa taille, lui bien enfoui dans les profondeurs du corps tiède et tentateur de la jeune femme.
Ce n’était pas la femme quasiment nue qui dansait qui le fascinait. Elle était belle. Il n’y avait aucun doute possible. Son corps aurait perverti le diable lui-même. Non, si la majorité des personnes qui la voyait pensait qu’elle se mettait à nue, Daniel avait compris un élément essentiel. Celui qui avait échappé à la personne qui la poursuivait. Mimi en se déshabillant revêtait justement un costume et se cachait derrière cette nudité. Un paradoxe qui avait pris tout son sens quand il l’avait vue pour la première fois sur scène cinq jours plus tôt.
Elle était futée. Trop pour qu’il ne se montre pas vigilant. Car, quel meilleur endroit pour se cacher que d’être sous les feux des projecteurs tous les soirs ? Il était le premier à le reconnaître, s’il avait dû traquer la jolie rousse pendant Douze ans, la scène d’un des plus grands cabarets de France aurait été le dernier lieu où il serait allé fouiner.
Daniel avala la dernière gorgée de son scotch et reposa son verre avant de se lever. Le tableau de Mimi n’était pas encore achevé, mais il était temps pour lui d’entrer en scène.
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Chapitre 5
— Bon sang ! Vous m’avez fichu la frousse.
Mimi posa sa main contre sa poitrine, tentant par ce geste d’apaiser les battements désordonnés de son cœur. Ce qui ne l’empêcha pas de fusiller Daniel des yeux, nonchalamment appuyé contre la portière de sa voiture, un sourire arrogant aux lèvres qui traduisait à lui seul toute la confiance qu’il avait en lui.
— Ce n’était pas mon intention.
— Ça s’est pourtant produit, marmonna Mimi. Daniel conserva une expression sereine, à la limite
de la désinvolture dans le seul but de maintenir le contact avec Mimi. Tous ses gestes, des petits mouvements des yeux qui scrutaient les alentours à sa façon de se cramponner à son sac comme si sa vie en dépendait, dénotaient un stress certain. Elle était aux aguets, prête à prendre la fuite au premier faux mouvement. Et Daniel ne voulait pas être celui qui l’effrayerait.
Une procession de taxis embarquait les danseuses qui sortaient du cabaret. Celui de Mimi s’était garé devant la voiture de Daniel, obligeant la jeune femme
passer à ses côtés. Il était sorti de l’ombre au dernier moment pour s’appuyer contre la portière et attendre que la jolie rousse le voit. Et on pouvait dire qu’elle l’avait bien vu.
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Daniel s’écarta de la carrosserie pour ouvrir sa portière.
— Je vous dépose. Mimi haussa un sourcil.
— Vous avez oublié la forme interrogative.
— Étrange, murmura-t-il. Je n’ai pas l’habitude d’oublier quoi que ce soit.
Mimi leva les yeux au ciel.
— Cela vous arrive d’être sérieux ?
— Oui, et je peux vous assurer que je le suis actuellement.
Mimi secoua la tête, à la fois agacée et un peu amusée. La légèreté des propos de Daniel avait quelque chose d’apaisant. Tout comme sa présence et l’impression de sécurité qu’il dégageait. Elle leva la tête. Elle n’avait pas souvenir qu’il était si grand. À sa décharge, Mimi était loin d’avoir la longueur des jambes d’un mannequin. Elle lui arrivait à peine au menton. Elle leva les yeux vers Daniel. La dernière fois qu’ils s’étaient fait face, elle se trouvait dans un état de stress trop élevé pour prendre la mesure de ce que Daniel provoquait sur ses sens et son traite de corps. L’alchimie, l’attirance, avait été immédiate entre eux plusieurs mois auparavant. Et ce n’était pas le temps qui avait émoussé cette attirance. En un regard, une parole et un sourire, Daniel était parvenu
infiltrer ses défenses, l’obligeant à baisser sa garde. C’était un sentiment reposant, mais dangereux. Daniel était dangereux. Une certitude qu’elle avait acquise des mois plus tôt et qui se confirmait encore aujourd’hui.
— Je reformule dans ce cas, reprit-elle la voix légèrement enrouée. Cela vous arrive de demander l’avis des gens ?
— N’est-ce pas ce qu’il s’est passé ?
— Drôle de façon de faire, quand même. Et non !
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Vous n’avez pas demandé. Vous avez ordonné !
Daniel esquissa un de ses insupportables sourires charmeurs.
— Ah, oui !?
Il capta le regard ambre de Mimi et y vit crépiter une petite étincelle amusée. Premier signe autre que la peur qu’il pouvait voir refluer, l’encourageant dans ce sens. Il retrouvait, très légèrement, la jeune femme pétillante qu’il connaissait.
— Pourquoi êtes-vous là ?
— Le hasard, répondit Daniel avec une assurance qui la laissa bouche bée.
Cet homme était incroyable ! Il débarquait sans rien dire et elle devait prendre ses mots pour paroles d’Évangile ?
— Le hasard est un principe bien trop hors de contrôle pour que ce soit lui qui vous ait amené ici. Il est trois heures et demie du matin.
Comme si ce simple constat prouvait ses dires.
— Et ? demanda Daniel en arquant exagérément les sourcils.
— Et pourquoi êtes-vous là ? répéta-t-elle.
— Pour poursuivre ce que l’on a commencé plusieurs mois plus tôt ?
— Peu probable, assura Mimi avec conviction.
Et force était de s’avouer qu’elle prenait plaisir à cet échange pour le moins rafraîchissant… même si elle aurait dû détester Daniel pour la façon dont il l’avait éconduite et ignorée lorsqu’elle recherchait Mathilde.
— Pour me faire pardonner ? ajouta Daniel comme s’il avait lu dans ses pensées.
Mimi allait répondre, mais des pas se rapprochèrent et la voix cassée de Celyne lui parvint, empreinte d’une pointe de suspicion.
— Tout va bien Mimi ? Tu veux que j’appelle
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Laurent ?
Laurent qui assurait la sécurité.
— Non, ça va, je te remercie. Je te présente Daniel Clément… un ami.
Daniel nota la légère incertitude qui avait taché la voix de Mimi. Un minuscule laps de temps durant lequel Mimi avait estimé sa situation. Et d’après ce que Daniel pouvait voir, la légère crispation dans ses épaules, il semblerait que la douce Mimi ne veuille pas attirer l’attention et surtout éviter un quelconque conflit. Elle voulait se fondre dans les ombres et passer inaperçue. Daniel observa la jeune femme brune qui s’était positionnée à côté de Mimi en un geste protecteur. Ses yeux le dévisageaient. Elle ne le jugeait pas comprit Daniel. Elle déterminait si Mimi était en sécurité ou non. Il la laissa le détailler, acceptant son examen.
La belle brune baissa lentement les paupières. Un signe discret, mais qui équivalait à un assentiment. Et Daniel se sentit bêtement soulagé d’obtenir l’approbation de cette fille qu’il ne connaissait ni d’Ève ni d’Adam, mais qui semble-t-il était le juge Van Ruymbeke de la troupe.
— Bien, dit lentement la belle brune. Enchantée, Daniel.
— De même, répliqua ce dernier en hochant la tête.
— Ravie de faire enfin votre connaissance, insista Celyne, les traits impassibles.
Mimi la dévisagea, puis ses yeux se posèrent sur Daniel dont le visage se fendit d’un franc sourire. Mimi éprouva une sorte d’agacement à se trouver exclue de leur échange. Visiblement, elle avait manqué quelque chose, et ignorait quoi.
— Le cabaret, la troupe et moi-même espérons que vous avez été… satisfait du service VIP ces cinq derniers jours.
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Mimi regarda Daniel, les yeux ronds. Elle s’attendait à beaucoup de choses, mais certainement pas à ce que le mystérieux individu soit Daniel. Elle se trouva curieusement bête de ne pas l’avoir reconnu. Et tout aussi curieusement, un poids s’ôta de sa poitrine. Les étranges vibrations qu’elle ressentait quand il était présent dans la salle trouvaient enfin une explication. Depuis le début, elle ne les considérait pas comme hostiles. Simplement une sensation dérangeante de ne pas les comprendre et encore moins d’en connaître l’origine. Savoir que Daniel avait été présent depuis cinq nuits avait quelque chose de réconfortant, mais qui alluma tous ses signaux lumineux de danger.
— Tout a été parfait.
Celyne le dévisagea. Elle promena son regard sur la large et haute silhouette de Daniel qui se découpait dans la faible lumière de l’éclairage de la rue, et aurait pu paraître inquiétante, avant de porter son intention sur Mimi, toujours figée par l’échange improbable qui se déroulait devant ses yeux.
— Il semblerait, oui, ajouta-t-elle avant de saluer Daniel tout en pressant affectueusement le bras de Mimi et de rejoindre son taxi.
Daniel observa cette femme qui en trois mots et un regard avait deviné que ses intentions envers Mimi étaient dénuées de malfaisances. A contrario de ses fantasmes, qui eux étaient loin d’être avouables, et dans lesquels la jolie Mimi tenait le rôle principal.
Mimi baissa la tête en sentant ses joues la brûler, mais trop tard pour que cela passe inaperçu. Daniel et son sourire arrogant venaient de la prendre en flagrant délit. Il sourit un peu plus lorsque la jeune femme se précipita pour monter dans la voiture, dont il tenait toujours la portière, pour se soustraire à son regard. Elle devait absolument mettre un terme à
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cette situation et le mieux pour échapper aux yeux de lynx de Celyne et ceux audacieux de Daniel était encore d’accepter sa demande et monter en voiture.
Mimi sursauta lorsque Daniel referma sa portière et se fustigea. Bon sang ! En deux minutes, elle avait attiré l’attention de la moitié des danseuses, dont Celyne qui pouvait se montrer aussi protectrice et hargneuse qu’une maman ourse. Mais surtout de Daniel qui n’avait pas manqué le trouble que sa conversation avec sa collègue avait causé sur sa température interne.
Elle n’avait eu d’autre choix que le présenter comme un ami.
Mais bon sang ! Est-ce que l’on a envie de déshabiller un ami et de découvrir l’entièreté de son corps avec ses mains, sa bouche ?
Non, évidemment !
Surtout que ses priorités étaient sa future fuite et non imaginer comment profiter des plaisirs que Daniel serait immanquablement apte à lui donner. Mimi ferma les yeux et poussa une plainte silencieuse.
— Pardon ? demanda Daniel.
Pas aussi silencieuse que cela, visiblement, se morigéna -t-elle.
— Rien. Vous êtes fier de vous ?
— À propos ? demanda-t-il avec cette désinvolture qui fit lever les yeux de Mimi au ciel.
Cet homme était insupportable. Indécemment insupportable, rectifia-t-elle lorsqu’elle se tourna pour observer son profil scandaleusement beau.
— Pour avoir failli provoquer une émeute dans la rue. Les filles étaient à deux doigts de vous sauter dessus quitte à me piétiner au passage avec votre agaçant côté bad boy et votre gueule d’ange.
Le sourire de Daniel s’épanouit un peu plus.
— J’ignorais que vous me trouviez beau comme un
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Dieu, ajouta -t-il tout en démarrant et engageant la voiture dans la rue.
— Ça, c’est vous qui le dites ! Vous n’avez pas besoin que je gonfle votre ego. Il prend déjà suffisamment de place comme ça, maugréa la jeune femme.
Ce qui accentua le sourire de Daniel.
Il roulèrent dans un silence confortable, même si Mimi pouvait ressentir cette tension sexuelle qui avait envahi l’habitacle. Une tension qu’elle ressentait dans les endroits les plus secrets de son corps. Une tension qui charriait avec elle un sentiment qu’elle redécouvrait avec un plaisir réconfortant : la confiance.
— Alors, comment dois-je vous appeler ?
Une question anodine en apparence, mais qui mit toutes les défenses de Mimi en alertent, se doutant de ce qui allait suivre.
— Dois-je utiliser le patronyme Mimi ? Charlotte peut-être ? poursuivit-il alors qu’elle gardait le silence. Charline dans ce cas ? Ou préférez-vous Charlie ? J’avoue que je m’y perds.
Daniel la poussait dans ses retranchements. Mais il devait être vigilant et ne pas aller trop loin. Il était parvenu à un créer un contact avec Mimi, et il savait qu’elle pouvait lui échapper en un claquement de doigts. Aussi, augmenta-t-il légèrement le son de la radio, montrant ainsi qu’il n’attendait pas de réponse de la part de la jeune femme. Et vu la rapidité à laquelle elle s’était figée, elle n’avait clairement pas l’intention de lui fournir la moindre explication.
Pas encore, ma belle. Mais bientôt…
Elle devait se reprendre, verrouiller ses émotions et se recentrer sur ses priorités. Sa priorité. Celle pour qui elle se battait depuis plus de douze ans. Un retour
la réalité qui la frappa aussi durement qu’un
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uppercut, insinua cette douleur perverse dans le corps, transperçant sans état d’âme ce qui lui restait d’humanité. Car si elle échouait maintenant, elle en mourait. Littéralement.
Daniel engagea la voiture dans les rues pratiquement désertes de Paris, son humeur en demi-teinte. Il glissa un regard furtif vers la jeune femme assise à ses côtés. Elle semblait perdue et minuscule dans le siège et un sentiment de possessivité le prit au ventre. Daniel l’avait vue se replier sur elle aussi vite qu’elle était montée dans sa voiture. La faible lueur de malice qui avait éclairé son regard s’était éteinte avec une rapidité qui le faisait s’interroger un peu plus.
Le point positif était qu’au moins, elle ne l’avait pas incendié ni ignoré. Elle n’avait pas non plus été particulièrement prolixe, mais le simple fait qu’elle soit à ses côtés dans cette voiture était une avancée qu’il ne pouvait pas négliger. Une avancée, mais aussi une brèche dans la carapace que s’était visiblement construite la délicieuse Mimi et derrière laquelle elle se protégeait. Ou plus précisément protégeait un secret qu’elle défendait bec et ongles. Quitte à se couper du monde, de ses amis et de Mathilde.
Et Daniel possédait suffisamment d’expérience et de connaissance sur la nature humaine pour savoir ce que signifiait un tel comportement. Un comportement d’animal traqué. Charlie Meyer se trouvait au bord du gouffre et Daniel savait exactement quel était le processus qui se mettait en place dans la tête des gens dans ce genre de situation : la fuite.
Seulement, il ne la laisserait pas s’échapper… quitte à devoir l’enfermer et chercher le temps qu’il faudrait ce qui lui inspirait autant de terreur.
Mimi ne fut même pas surprise lorsque Daniel engagea sa voiture dans sa rue. Elle connaissait
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parfaitement en quoi consistaient les activités professionnelles de Daniel. Il avait beau lui dire qu’il souhaitait se faire pardonner, même si derrière sa nonchalance elle percevait une part de vérité, il ne lui avait pas dit pourquoi exactement il se trouvait devant le cabaret à trois heures et demie du matin, à l’attendre elle spécifiquement. Il ne lui avait pas dit non plus comment il était remonté jusqu’à son véritable patronyme, mais Mimi imaginait assez facilement qu’il disposait d’un réseau d’informateurs important et de connaissances tout aussi utiles.
Il ne lui avait pas non plus expliqué pourquoi elle se trouvait actuellement dans sa voiture à se faire raccompagner. Et c’était précisément ce qui inquiétait Mimi. Daniel était intuitif, et s’il venait d’apparaître dans sa vie après plusieurs mois d’absence, ce n’était sûrement pas pour les raisons évoquées, mais parce qu’il avait forcément parlé à Mathilde… et qu’ils en avaient déduit qu’elle avait des problèmes jusqu’au cou. Mais il était hors de question de mêler Mathilde à tout cela. S’il lui arrivait quoi que ce soit, Mimi ne se le pardonnerait jamais. Une raison de plus pour qu’elle disparaisse rapidement. À l’idée de ne plus voir son amie, une douleur vive lui empoigna le cœur.
Il en ressortait toutefois un élément essentiel. Si elle se trouvait actuellement dans sa voiture, cela signifiait que Daniel n’était pas remonté aussi loin qu’elle l’avait craint et qu’il ignorait encore ce qu’elle devait fuir. Cela signifiait également que si Daniel pouvait remonter la source, et donc jusqu’à elle, lui en était tout autant capable.
Mimi se détourna pour observer le profil altier de Daniel. Il dégageait une force et une assurance qu’elle ne se lasserait peut-être jamais d’admirer. Elle ne pouvait voir la couleur de ses yeux, mais elle se
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souvenait parfaitement de ce brun envoûtant qui l’avait séduite immédiatement. De la douceur de son regard mêlée à une délicieuse attitude malicieuse qui le rendait terriblement sexy.
Ses yeux parcoururent son nez patricien, pour descendre sur ses lèvres pleines, caresser sa mâchoire dont les angles donnaient à son visage une virilité brute. Magnifique. Elle poursuivit son inspection et détailla ses épaules drapées dans un somptueux costume qui devait valoir au moins trois mois de son loyer. Ses yeux s’arrêtèrent sur ses mains puissantes dont les doigts longs et forts tenaient avec une douceur presque délicate le volant. Il alliait force brute et sensualité.
Elle s’était peu à peu détendue durant le trajet jusqu’à son immeuble. Ils avaient partagé un silence empli de souvenirs et d’un champ des possibles qui malheureusement se réduisait de minute en minute. En temps normal, Mimi aurait été heureuse de se soumettre au jeu de séduction que Daniel maniait à la perfection. Elle se serait laissée séduire, même si en étant honnête envers elle, elle l’était déjà, se serait laissée aller à la sensualité que cet homme dégageait pour profiter de tout ce qu’il lui proposerait. Elle aurait tout accepté de lui. Si le temps ne leur était pas compté…
Alors, l’avoir à ses côtés même pour un minuscule laps de temps était comme une bulle d’oxygène. Douce, légère. Douloureusement indispensable. Une bulle dont elle se nourrit comme une affamée sachant qu’elle serait unique. Une bulle dont elle profita jusqu’à ce que Daniel se gare au pied de son immeuble.
Mimi soupira. La parenthèse se refermerait quand elle claquerait la portière. Mais elle ne regretta pas un seul instant les dernières vingt minutes durant
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lesquelles son corps et son esprit avaient pu se relâcher et trouvé un semblant de repos.
Aussi fut-elle surprise lorsque Daniel ouvrit sa portière pour faire le tour de la voiture et l’inviter à sortir. Mimi hésita quelques secondes devant la main tendue de Daniel pour finalement la saisir. Quand les doigts chauds de Daniel emprisonnèrent les siens, Mimi ferma les yeux, ne pouvant empêcher l’éclair de désir qui lui traversa le corps, propageant à l’intérieur de son être une chaleur délicieuse. Une chaleur aussi délicieuse qu’interdite.
Daniel riva ses yeux sur le visage de Mimi. Il avait parfaitement ressenti son frisson. Elle avait beau se montrer distante, elle ne pouvait cacher son attirance. Un sentiment de satisfaction toute masculine eut pour conséquence de voir se dessiner un sourire sur ses lèvres. Sourire qu’il effaça immédiatement. Mimi était trop sur les nerfs, trop à fleur de peau. Il était parvenu, assez facilement, à créer un lien avec la jeune femme. Un lien ténu, mais qui avait le mérite d’exister. Et il ne voulait pas tout foutre en l’air, car son ego, sa fierté et sa libido venaient se rappeler à lui.
Mimi avait une conscience aiguë de la proximité de Daniel. Ils gravissaient les escaliers pour atteindre son étage, et même si elle avait le regard rivé droit devant, elle ne pouvait ignorer sa présence, la chaleur de son grand corps, la largeur de ses épaules qui l’obligeait à se coller contre le mur, sa démarche sûre et souple, ses pas qui s’adaptaient à son rythme, son souffle qui trahissait une habitude à l’effort. Monter six étages n’avait aucune incidence sur sa respiration. Mimi se surprit à calquer son souffle au sien. Quand elle réalisa l’unité de ce simple geste provoquait, elle trébucha sur une marche. Daniel passa aussitôt un
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bras autour de sa taille pour la stabiliser. Sa respiration se bloqua et son corps réagit d’une façon totalement inadaptée. Elle pria silencieusement pour que Daniel ne desserre pas son étreinte. Comme s’il lisait dans ses pensées, il la resserra et l’attira à lui, ses hanches se collant aux siennes, apportant une chaleur qui devenait forte, trop forte réalisa Mimi qui se dégagea des bras de Daniel et gravit les dernières marches comme si elle avait le Diable aux trousses.
Tu as raison de fuir, jolie Mimi, pensa Daniel alors qu’un sourire qu’il ne dissimula pas cette fois se dessina sur ses lèvres.
Mimi tremblait tant qu’elle fut incapable d’insérer la clé dans la serrure. Elle sursauta violemment quand elle devina la présence de Daniel dans son dos. Il la surplombait de toute sa hauteur, et pourtant sa présence même si proche d’elle, n’avait rien d’étouffant. Au contraire. Elle avait la sensation libératrice que la petite bulle d’oxygène qui s’était formée dans de l’habitacle venait de se reformer. Elle se figea et inspira un grand coup quand le torse de Daniel entra en contact avec son dos et que sa main se referma sur la sienne. Il obligea doucement ses doigts à guider la clé, qui comme par miracle, s’inséra dans la serrure, et déverrouilla sa porte. Mimi resta sans bouger, appréciant simplement le souffle de Daniel se rapprocher de sa nuque, puis quand ses mots aussi légers que les ailes d’un papillon franchirent ses lèvres et vinrent se perdre dans le creux de son cou, elle crut qu’elle allait s’effondrer sur place.
— Bonne nuit, douce Mimi…
Elle mit plusieurs secondes avant de ressentir un courant d’air froid dans son dos. Quand elle se
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retourna, ce fut pour découvrir que le couloir était désert. Un sentiment étrange de déception et de soulagement l’assaillit. Mimi referma la porte. Elle était trop épuisée pour réfléchir aux émotions que Daniel était parvenu à rallumer. Des émotions trop fragiles qui pouvaient en un claquement de doigts disparaître. Pour le moment, il lui fallait dormir. Même si c’était que quelques heures.
Daniel regagna sa voiture, la mine assombrie.
Bon Dieu ! Mimi délivrait trop de combats. Contre elle-même. Contre l’attirance qu’elle éprouvait pour lui. Et contre une personne qui visiblement l’enfermait dans une terreur qui provoqua une colère sourde chez Daniel. Sa décision de fouiller le passé de Mimi et de découvrir ce qui la terrifiait n’avait plus rien de chimérique. Il était bien déterminé à la délivrer de ses démons. Quitte à y laisser des plumes, se renfrogna-t-il.
Il avait quitté ce couloir avant de commettre l’impensable. Avant également que Mimi ne sente dans son dos toute l’étendue de son désir. Une monumentale érection le laissait à l’étroit, le faisant grimacer de douleur. Se retrouver en contact avec son corps souple, humer l’odeur captivante de son parfum, plonger son visage dans la douceur accueillante de sa nuque, avait failli lui faire perdre le contrôle. Et avant de l’entraîner dans son appartement pour lui faire l’amour sur la première surface plane, peu importe qu’elle fût verticale ou horizontale, c’était lui qui avait pris la fuite. Lâchement. Ou non. Il lui avait fallu puiser une force insoupçonnable pour s’arracher à un tel paradis. Car même si l’attirance était réciproque, Mimi n’était pas prête. Non par pudeur ou timidité. Mais parce qu’elle s’interdisait de vivre en s’enfermant dans une solitude que même Mathilde
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avait remarquée. Et il se faisait aujourd’hui un devoir de la libérer et lui rendre son sourire et toutes ces petites choses du quotidien qui la caractérisaient. Une joie vive et une formidable énergie. Émotions qui avaient déserté son joli visage.
D’un geste aussi assuré qu’agacé, il sortit son téléphone, coupa le Bluetooth pour ne pas passer par les commandes vocales de la voiture. Pratique quand il roulait, mais loin d’être discret à l’arrêt, moteur éteint, s’il ne voulait pas que sa conversation soit entendue par la moitié de la rue. Il composa le numéro préenregistré. Il avait mis en place, le même protocole de surveillance et de protection que pour Mathilde.
— Monsieur ?
— En place ?
— Affirmatif, monsieur. Nous vous avons en visuel.
— Vous prenez la relève. S’il se passe la moindre anomalie, je veux être immédiatement averti.
— Bien, monsieur.
— Merci.
Daniel raccrocha, soulagé malgré lui par la conversation même succincte qu’il venait d’avoir. Deux de ses hommes étaient sur place. Il avait volontairement évité de regarder leur position. Daniel ignorait totalement contre qui il devait protéger Mimi, et il ne voulait pas commettre la moindre imprudence.
Plus tôt dans l’après-midi, il était entré dans l’appartement de Mimi pour en évaluer la configuration. Il était entré dans un univers indéniablement féminin, sans tomber dans le girly à l’excès. Des couleurs douces entraient en contradiction avec d’autres, plus acidulées. Une dualité qui définissait la belle Mimi. Douce comme le velours, mais qui pouvait aussi se montrer piquante.
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Docile ou insoumise. Provocante ou discrète.
Délicate ou impertinente.
Et nom de Dieu !
Qu’il aimait toute cette dichotomie !
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Chapitre 6
Mimi était épuisée. Il lui restait deux tableaux à assurer, mais elle s’obligea à appliquer un sourire sur ses lèvres. Elle avait dormi quelques heures, mieux que les nuits blanches des semaines précédentes. Mais à partir du moment où elle avait posé un pied dans la rue pour rejoindre le cabaret, l’angoisse lui avait noué le ventre, annihilant le bienfait que ses heures de sommeil lui avaient apporté. Encore cinq soirées avant trois de repos. Et à l’idée d’être livrée à elle-même pendant ses jours de congés, une angoisse d’un autre type lui noua un peu plus les entrailles. Lorsqu’elle dansait, Mimi maîtrisait son environnement, son corps, ses émotions. La danse lui permettait de compartimenter et d’organiser ses pensées. Elle évitait de se faire des films, de se perdre dans de sombres scénarios. Elle respira profondément. Le problème de son désœuvrement elle le réglerait en temps voulu. Pour le moment, elle se concentra sur les premières notes qui annonçaient l’ouverture du tableau, ignorant les picotements familiers, et qu’elle avait maintenant identifiés, qui lui parcoururent la colonne.
*
Mais si elle se doutait de sa présence, elle s’arrêta
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net dans sa progression quand elle aperçut Daniel, dans une pose similaire à la veille. Nonchalamment adossé contre la carrosserie, il était l’image même de l’homme sûr de lui, d’une beauté à couper le souffle.
Elle entendit les murmures des filles derrière elle, et avant d’être prise dans les feux croisés de leurs questions, elle leur adressa un petit signe de la main et se dirigea vers Daniel qui ne la quittait pas des yeux. Même dans l’obscurité, Mimi décelait l’intensité de son regard. Un regard qui étrangement délia les muscles de ses épaules et les nœuds qui formaient une boule dans son estomac.
Daniel ne pouvait s’empêcher de la dévorer des yeux. À l’instant où elle l’avait aperçu, il avait pu constater que sa démarche avait perdu en rigidité, comme si le fait de le voir lui enlevait un poids des épaules. Elle restait sur la réserve, mais la tension qui l’habitait semblait se dissoudre à mesure qu’elle s’approchait de lui. Même les muscles de son visage paraissaient se détendre.
Elle s’arrêta devant lui, attendant qu’il prenne la parole. Daniel profita de cette proximité pour l’observer. La crispation de ses mâchoires se relâcha sans pour autant que sa jolie bouche esquisse un sourire même si la tension autour de celle-ci s’était dissipée. Daniel prit sur lui pour ne pas l’attirer contre lui et effacer toute trace de fatigue sur son adorable visage. Malgré ses traits tirés, elle restait belle. Belle dans une fragilité qui lui donnait envie d’envoyer tout au diable et de l’emmener loin de Paris. Loin de tout.
Mimi ignorait pourquoi elle s’était dirigée vers Daniel. C’était comme si elle était aimantée. La simple vue de cet homme lui permettait de souffler, de retrouver des repères et de rééquilibrer quelque peu
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son monde dont l’axe de rotation avait été totalement modifié deux mois plus tôt. Elle ne comprenait pas comment Daniel par le simple pouvoir de sa présence parvenait à pondérer le désordre qu’était sa vie. Et Mimi avait plus que besoin de retrouver un instant de repos. Même s’il ne durait que le temps d’un trajet.
Daniel invita Mimi à monter dans la voiture dans un silence qu’eux seuls parvenaient à comprendre. Il l’entendit respirer profondément quand il s’installa à son tour et ferma la portière. Une inspiration qui ne traduisait pas la nervosité de se retrouver dans un espace confiné, mais un soulagement. La certitude d’être enfin en sécurité.
Il lui lança un regard en biais. Mimi avait fermé les yeux. Elle ne dormait pas, mais il pouvait voir ses traits se détendre un peu plus. Ils ne respiraient pas non plus la sérénité, mais ils reflétaient un apaisement certain. Et rien que pour cela, Daniel ne regretta pas d’avoir modifié toute l’organisation de la société pour se concentrer uniquement sur Mimi. Greg avait pris en charge les dossiers en cours.
— Pourquoi êtes-vous là ?
Elle lui avait posé exactement la même question la veille. Il utilisa le silence pour l’obliger à ouvrir les yeux et le regarder.
— Le hasard ?
La réponse fit apparaître un sourire sur les lèvres de Mimi. Daniel l’observait avec une intensité désarmante. Elle avait l’impression grisante de sombrer dans ses yeux chocolat que l’obscurité assombrissait. Et pourtant, elle y lisait une assurance et une tendresse qui la toucha profondément.
Le hasard. Précisément ce qu’il lui avait répondu hier. Sa vie professionnelle suivait des caractéristiques invariables. Les heures qu’elle
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passait à s’entraîner, à travailler avec les filles lui permettaient de rester ancrée dans la réalité. Elle ne pouvait en dire autant de sa vie privée, totalement déstructurée. Et ce « hasard » si particulier devenait une constante aussi improbable que réconfortante.
Mimi détourna le regard. Elle n’était pas certaine d’aimer ce qu’elle voyait. Il n’y avait rien de hasardeux dans la présence de Daniel cette nuit encore. Il fouillait toujours son passé.
Elle savait qu’il cherchait, et lui, savait qu’elle cachait quelque chose.
Et pourtant, en deux soirs, ils venaient d’instaurer un jeu de pouvoir et de patience. Un jeu qui n’amusait pas Mimi, car il la rapprochait dangereusement du départ. Elle prit une profonde inspiration. Elle profiterait de la partie. Peu importe ce que cela impliquerait, quelle relation elle établirait réellement avec Daniel. Inconsciemment, en montant dans sa voiture, elle venait d’accepter la partie engagée par Daniel. Elle en acceptait les règles également. La partie pouvait continuer encore quelques semaines, mais guère plus. Elle pouvait aussi se stopper brutalement. Et si elle devait s’arrêter, Mimi voulait que ce soit de son fait. Elle voulait au moins maîtriser cette part de sa vie.
Daniel était dangereux sur un bon nombre de points. Il ne lui faudrait plus longtemps pour découvrir son secret. Et ce qu’elle redoutait le plus était elle-même. Elle était trop fragile émotionnellement pour s’impliquer dans une relation quelconque avec Daniel. Et a contrario, cette même fragilité pouvait la pousser à s’investir trop loin avec Daniel. Mais c’était un risque qu’elle souhaitait prendre. Car ce risque charriait avec lui cette petite bulle d’oxygène qu’elle avait découverte hier et qui cette nuit encore se formait à nouveau dans
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l’habitacle. Une petite bulle. Un peu plus grosse que la veille et qui le temps d’un trajet, l’aidait à respirer plus facilement.
*
Daniel se posta à côté de Mimi et ensemble ils gravirent les six étages dans un silence quasi monastique. Sauf que ses pensées n’avaient rien de pur ni de chaste. Il chassa les images qui hantaient son esprit, mais à chaque mouvement de Mimi se libérait une odeur florale qui l’amenait à un cheveu de lui faire perdre la tête. Avec soulagement, ils atteignirent le palier. Et comme la veille, il attrapa les clés de Mimi et lui ouvrit. Et tout comme la veille, au moment où elle entrait dans son appartement, il se pencha, son torse se pressant contre son dos, son souffle se perdant sur la nuque délicate de la jeune femme.
— Bonne nuit, douce Mimi.
Elle ne put empêcher son corps de frissonner puis se raidir quand les lèvres de Daniel effleurèrent sa peau.
Quand elle se retourna quelques secondes plus tard, le couloir était vide.
*
Greg s’installa dans le fauteuil face à Daniel. La mine renfrognée de ce dernier aurait refroidi plus d’un et personne ne se serait risqué à entrer dans son bureau. Mais Greg n’était pas du genre à s’arrêter pour si peu. Au contraire. Sans être impulsif, il aimait les défis. Et le masque de contrariété, de frustration, rectifia -t-il après avoir regardé plus longuement Daniel, était une raison supplémentaire. Au-delà de ce
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qui tracassait son ami, ils devaient aussi faire le point sur les affaires en cours. Même si celle qui occupait à plein temps l’esprit de Daniel était sa principale motivation devait-il l’admettre. Il n’était pas intrusif, mais le cas de la fameuse Mimi le laissait sur sa faim, et son instinct, tout comme celui de Daniel, le poussait
croire qu’il y avait quelque chose de lourd derrière l’apparence fragile de la jeune femme.
Les deux hommes s’observèrent, chacun tentant de percer les mystères de l’autre. Impassible, Greg prit la parole :
— Du nouveau ?
— Rien, soupira Daniel après un moment. Je ne suis pas parvenu à lui soutirer quoi que soit.
Greg lui lança un regard sardonique
— Le grand séducteur est tombé sur un os, on dirait.
Daniel grogna. Sa tchatche lui avait souvent permis d’obtenir des informations. Mais dans le cas de Mimi, il s’était retrouvé devant un mutisme plus grand encore que sa détermination à comprendre ce qui se passait en ce moment dans la vie de la jeune femme. Et la remarque de Greg ne faisait que souligner ses échecs des derniers jours… et augmenter sa volonté à chercher et trouver des réponses.
— Et de ton côté ? demanda Daniel.
Greg haussa un sourcil et esquissa un sourire. Son binôme le connaissait mieux que personne. Daniel savait qu’il ne resterait pas inactif et qu’il ferait appel
ses contacts pour en savoir un peu plus.
— Rien non plus, admit Greg. Ce qui ne fait aucun doute que ce que cache ta femme promet de déranger.
— Ce n’est pas ma femme, gronda Daniel ne retenant que ces seuls propos.
— Si tu le dis…
Bon sang ! Il n’avait pas envie de s’engager dans
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cette voie avec Greg. Avec personne d’autre. Il rendait service à Mathilde pour la rassurer sur son amie. Par ricochet Logan serait moins inquiet pour la santé de sa femme qui poursuivrait une fin de grossesse loin de tout stress. Point. Et plus que tout, il détestait les sous-entendus de Greg.
— Je suis en train de me concentrer sur les deux ans durant lesquels elle a totalement disparu. J’avais un peu de temps libre, alors autant l’exploiter, poursuivit Greg face au silence de Daniel. Ce dernier regarda avec attention son ami, touché par ses mots. Greg n’était pas un sentimental, ce qui ne signifiait pas qu’il était dénué de sentiments ni d’empathie. Il observait, analysait, puis frappait. Et jamais Daniel ne l’avait vu manquer sa cible. Quelle qu’elle soit. Une personne, une idée. Alors qu’il s’investisse dans une enquête que Daniel estimait comme entrant dans sa sphère privée, même si paradoxalement, il avait recruté quelques-uns de leurs meilleurs hommes pour surveiller Mimi, offrait une perspective différente. Mais surtout, soulignait l’amitié que Greg lui témoignait. Et réciproquement.
Daniel hocha la tête de façon révérencieuse.
— Merci
— De rien. Par contre, reprit rapidement Greg pour, supposa Daniel, ôter l’aspect intimiste qui saturait l’atmosphère, je pense qu’il faut se concentrer sur la période qui a précédé le moment où elle s’est volatilisée.
Analyse que Daniel avait également abordée et dont les résultats rejoignaient ceux de Greg.
— Je suis plutôt d’accord avec toi. Ce n’est pas tant les deux ans pendant lesquels elle a disparu qui m’intéressent, mais ce qui s’est passé dans sa vie juste avant.
Car les deux hommes étaient certains d’une chose.
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S’il découvrait le déclencheur, il trouverait la personne que Mimi fuyait.
— Je vais creuser du côté du père et de la sœur pendant que tu te penches sur le cœur du sujet, ajouta Greg, une lueur dans les yeux, qui, si Daniel ne le connaissait pas aussi bien, aurait pu paraître malicieuse.
Daniel ignora le sous-entendu de Greg, cachant la contrariété qui le mettait de plus en plus mal à l’aise.
Bon sang ! Il était attiré par Mimi, c’était un fait indiscutable. Mais cela ne signifiait pas qu’il avait l’intention de s’investir autre que sur le plan de sa sécurité !
Il grimaça devant son propre mensonge.
*
C’était sa dernière représentation avant trois jours de repos. En attrapant son sac, Mimi se demanda si Daniel serait dehors à l’attendre, comme il le faisait depuis cinq soirs… officiellement. Car si elle faisait le compte, il traînait dans le cabaret et ses alentours depuis plus longtemps que ça. Et il ne s’en était même pas caché puisqu’il l’avait avoué à demi-mot à Celyne le premier soir où il était venu la chercher à la sortie de leur représentation.
Elle s’obligea à ne pas s’arrêter et continuer sa progression jusqu’à sa voiture. Il avait troqué son costume hors de prix pour un jean noir qui descendait bas sur ses hanches étroites et moulait ses cuisses puissantes. Son blouson de cuir, lui, soulignait son air de mauvais garçon et la faisait littéralement craquer.
Bon sang ! S’admonesta-t-elle. Un peu de tenue, ma fille.
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Daniel resta le regard braqué sur la fine silhouette qui s’approchait. Il y avait quelque chose d’aérien dans sa façon de se déplacer, contrairement au premier soir. Mimi ne semblait pas plus détendue. Elle l’était. Il savait rien qu’en observant son attitude qu’elle avait baissé le niveau de ses défenses. Mimi restait prudente, mais n’abordait plus ce masque de méfiance. Il accrocha son regard quand il ouvrit la portière et ne le lâcha pas jusqu’à ce qu’il la claque.
Mimi profita de ce que Daniel a fait le tour de la voiture pour reprendre son souffle. Seigneur ! Une seconde de plus à soutenir son regard et elle frôlait la combustion spontanée.
Quelque chose avait changé dans leur rapport. Elle ne parvenait pas à dire quoi avec précision. Uniquement que, plus elle passait de temps aux côtés de Daniel, plus il prenait de place dans sa vie. En cinq petits jours seulement, il était parvenu à trouver une brèche dans la carapace qu’elle s’était bâtie en plus de dix ans et avec une facilité déconcertante s’y était introduit. Le pire était qu’elle ne souhaitait pas le chasser.
Mimi ferma les yeux, laissant ses sens prendre le dessus. La petite bulle d’oxygène dans laquelle elle respirait plus librement se chargea d’effluve sauvage, de musc et de cette odeur particulière qui n’appartenaient qu’à Daniel lorsqu’il referma sa portière. Elle entendit distinctement le cuir de son blouson craquer quand elle le devina se tourner vers elle. Elle sentit son souffle régulier et puissant. Celui d’un homme sûr de lui. Et c’était ce dont elle avait besoin. De quelqu’un qui l’espace de quelques minutes dans sa journée lui apporte ce sentiment puissant et libérateur qu’était la sécurité.
— Pourquoi êtes-vous là ? demanda-t-elle dans un murmure, connaissant déjà la réponse.
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— Le hasard ?…
Daniel vit avec plaisir les lèvres de Mimi frémir timidement, puis esquisser un sourire. Impulsivement, il attrapa la main de la jeune femme. Mimi se raidit avant de se détendre. Daniel ne lui ferait pas de mal. Elle ignorait quel était son but, mais elle lui faisait confiance.
Il sentit sans peine qu’elle se crispait avant de se relâcher. Alors, il embrassa chacun de ses doigts avec lenteur, appréciant les frisons qui la parcouraient dès que sa bouche rencontrait sa peau douce et soyeuse.
Et bon sang ! Ce n’était que ses doigts.
Il puisa sur sa volonté pour ne pas empoigner la jeune femme par la taille, la soulever, la poser sur ses genoux et ravager sa bouche.
la place, il relâcha doucement sa main, démarra et engagea la voiture dans les rues de Paris.
Les battements de son cœur résonnaient lourdement. Mimi inspira profondément, mais ce n’était pas assez. L’air qui les entourait semblait s’être raréfié. La présence de Daniel dans l’étroit couloir semblait-elle prendre toute la place et aspirer l’oxygène. Ils n’avaient pas échangé un mot durant le trajet, mais les silences qui circulaient entre eux étaient chargés de promesses que Mimi ne pouvait espérer voir se réaliser.
Daniel lui attrapa ses clés quand elle les sortit de son sac. Elle sentit son torse se rapprocher de son dos, son souffle se perdre dans sa nuque quand il se pencha pour ouvrir sa porte. Le bruit du penne résonna dans le silence et Mimi retint son souffle. La présence de Daniel dans son dos la brûlait presque, mais elle était prête à subir ce supplice encore
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quelques secondes rien que pour sentir sa chaleur et les ondes de désirs que le corps de Daniel émanait avec force..
La déception lui noua le ventre quand elle sentit qu’il se dégageait.
Bon sang !
Elle devait arrêter de faire l’idiote et de penser que
Daniel partageait ses fantasmes de midinette.
Visiblement, il était prêt à rentrer chez lui.
Elle se retourna lentement, certaine de ne trouver qu’un couloir vide. Mais quand ses yeux se posèrent sur un torse puissant, moulé dans un t-shirt qui soulignant chacun de ses muscles, Mimi se figea. Il était proche. Au point qu’elle percevait sa chaleur, son odeur. Elle leva la tête, arrachant ses yeux au magnifique spectacle qu’offrait son corps et leurs regards se soudèrent. L’attirance vibra entre eux, dense, palpable. La lueur qui brillait dans les yeux chocolat de Daniel lui coupa le souffle. Un mélange de désir, de retenue et de promesses. La petite bulle d’oxygène qui se créait dès qu’il était à ses côtés lui sembla d’un coup insuffisante pour respirer normalement. Daniel s’approcha, entrant encore plus intimement dans sa sphère. Mimi ressentit le besoin viscéral de devoir maîtriser la situation à défaut de maîtriser ses émotions. Elle se sentait à vif, prête à s’écrouler. Mais le mur dans son dos la tint désespérément debout, portée entre lucidité vive et sentiment éthéré de se trouver dans des limbes qui l’éloignaient de la réalité. Les mots sortirent sans qu’elle puisse les retenir.
— J’ai besoin de plus d’oxygène, murmura-t-elle. Son corps se décolla légèrement du mur et
parcourut les quelques centimètres qui la séparaient de Daniel. Elle avait besoin de contrôler cette part nébuleuse qui la portait inexorablement vers Daniel.
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Se hissant sur la pointe des pieds, elle posa ses lèvres sur celles de Daniel. Chaudes, dures et douces à la fois. À peine un effleurement, qui lui fit l’effet d’une onde de choc secouant son corps, son cœur, son âme.
Daniel brûlait de la toucher, de dévorer sa bouche. Mais il avait senti son hésitation puis sa capitulation et enfin sa détermination à diriger leur baiser. Un geste qu’il comprenait. Il ignorait ce qu’elle fuyait, mais il devinait qu’elle avait besoin de maîtriser quelque chose. Ce qui le conforta dans ce qu’il savait déjà. Que la vie de la jolie rousse partait à vau-l’eau et qu’elle avait désespérément besoin de retrouver un point d’ancrage, une fixité qui lui rendrait un semblant de stabilité dans le chaos. Et si ce quelque chose était son propre corps, il était prêt à le lui offrir jusqu’à ce qu’elle retrouve cette fougue qui la définissait.
Il entrouvrit les lèvres sous la pression délicieuse qu’elle appliqua sur sa bouche. Le souffle chaud de la jeune femme lui chatouilla les lèvres. Presque timidement, elle glissa sa langue tandis que ses mains minuscules s’agrippaient à sa nuque. Daniel poussa un grondement. Il avait tenu le plus de temps qu’il pouvait, c’est-à-dire à peine une poignée de secondes avant que la faim qu’il avait de Mimi prenne le pas sur sa volonté.
D’un mouvement fluide, il attrapa la nuque de la jeune femme et laissa libre cours à ce besoin primal de la goûter. Il inclina la tête de Mimi pour avoir un meilleur angle et investir sa bouche. Sa langue vint à la rencontre de la sienne dans un ballet soutenu. Il se perdit dans la douceur de sa bouche, se nourrissant de ses petits gémissements, de sa saveur. Un goût sucré, d’une douceur inouïe qui fit circuler son sang plus vite dans ses veines et accélérer les battements de son cœur. D’un mouvement autoritaire, il la
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souleva de terre et lui plaqua le dos contre le mur. À sa plus grande satisfaction, Mimi noua ses jambes autour de sa taille. Il avait un besoin désespéré de la sentir se fondre en lui. Ses mains s’égarèrent dans son cou. Il pouvait sentir le pouls affolé de Mimi. Un affolement qui n’avait rien à voir avec la peur, mais qui trahissait le désir qu’elle avait de lui, identique au sien.
Il reprit son souffle avant de mordiller les lèvres de Mimi. Sa chair avait le goût de l’interdit, de la passion, et il replongea la langue dans les profondeurs interdites de sa bouche, la dévora, se repaissant de son odeur, de son essence. Il arracha sa bouche à la sienne alors que ses doigts traçaient un sillon de son cou à sa clavicule. Il posa les lèvres sur la peau fine qu’il mordilla, arrachant une plainte à Mimi, avant d’y passer la langue.
Mimi émit une autre plainte lorsque le mouvement de bassin de Daniel imprima contre son ventre la preuve flagrante et impressionnante de son désir pour elle, allumant un brasier dans son bas ventre tandis qu’une chaleur liquide pulsait entre ses cuisses, la laissant pantelante. Ses mains se posèrent sur son torse, suivant les courbes dures de ses muscles et ses méplats. Ses doigts glissèrent sur son ventre plat et descendirent plus bas. Toujours plus bas. Il tressaillit violemment lorsqu’elle effleura le renflement dans son pantalon.
Soudainement, il stoppa tout. Son baiser, sa grande main enserrant son cou le quitta, la pression sur son ventre disparut. Il l’attrapa par la taille pour la reposer au sol. Mimi releva la tête et contempla le visage de Daniel. Sa capacité à gérer ses émotions était stupéfiante. Seul son souffle un peu court le trahissait. Sans cela, elle aurait pu croire qu’elle avait imaginé les cinq dernières minutes. Mais sa
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respiration à elle était trop saccadée, son corps trop frémissant. À la limite de la douleur pour qu’elle ait imaginé ce qui venait de se produire. L’attirance qu’elle éprouvait pour Daniel ne s’était pas tarie. Tant s’en faut. Elle se maudit presque de vouloir plus, et le maudit encore plus d’avoir l’air si détaché alors qu’elle brûlait de l’intérieur.
— Ce n’était pas une bonne idée.
Mimi se figea. Des mots qu’elle perçut comme une gifle. Des mots qui réduisaient à l’état de détail insignifiant le moment torride et sensuel qu’ils venaient de partager. Comme si la foudre qui l’avait frappée n’était qu’une illusion. Mimi releva le menton et planta ses yeux frondeurs dans les siens. Et ce qu’elle y lut avant qu’il ne revête un masque d’insolence et de nonchalance lui coupa momentanément le souffle.
Le regard de Daniel démentait catégoriquement ses paroles. Elle n’était pas la mieux placée pour décrypter les hommes. Si cela avait été le cas, elle ne serait pas à fuir son ancien amant depuis plus de douze ans. Mais elle était certaine d’une chose néanmoins. Daniel n’était pas parvenu à masquer ses émotions. Elle lui plaisait. C’était une certitude et il se cachait derrière une attitude débonnaire et ouvertement séductrice pour dissimuler au reste du monde quel genre de personne il était réellement. Oh ! Il mettait visiblement beaucoup d’énergie à dissimuler sa véritable nature, mais elle savait au fond d’elle qu’il était loin d’être cet homme superficiel et frimeur qu’il s’évertuait à montrer dès qu’il se trouvait en société en général et avec les femmes en particulier.
Elle ouvrait la bouche pour répliquer, mais Daniel lui entoura la taille et lui imposant un demi-tour sur
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elle-même. Mimi émit un petit cri étouffé, surprise par le geste et la rapidité de Daniel. Il plaqua son large torse contre son dos tandis qu’il ouvrait sa porte. Elle ne l’avait même pas vu, encore moins senti lui subtiliser ses clés. Sa respiration se bloqua quand elle sentit le souffle de Daniel dans son cou. Elle percevait sa chaleur. Un léger mouvement vers l’arrière et elle sentirait ses lèvres. Elle le sentait vibrer. De désir, de frustration et de cette autre émotion qu’elle ne parvenait pas à définir avec précision. Elle ferma les yeux lorsqu’elle sentit les vibrations de l’air autour d’eux se modifier, devenir presque palpables quand le souffle de Daniel lui caressa la nuque.
— Bonne nuit, douce Mimi.
Les mots de Daniel se perdirent sur sa peau, enveloppant ses sens, la faisant trembler de la tête aux pieds. Elle attendit quelques secondes dans l’espoir qu’il marque ses mots par le toucher de ses lèvres sur sa peau frémissante. Mais lorsqu’elle se retourna, le couloir était vide, la laissant perdue et désorientée.
Daniel referma sa portière et se passa la main sur le visage. Il grimaça quand il voulut se replacer sur son siège. Le moindre mouvement lui envoyait des décharges dans tout le corps. Une douleur lui ceignait les reins tant son érection était prononcée.
Bon sang !
Il avait failli perdre toute sa maîtrise et avait été à deux doigts de faire l’amour à Mimi dans le couloir. De s’enfoncer dans sa moiteur, les jambes de la jeune femme lui enserrant les hanches tandis que sa langue glissait sur sa peau et que ses mains exploraient son corps souple et ferme de danseuse. Lorsqu’il l’avait reposée au sol et fait faire demi-tour, il avait rassemblé toute sa volonté pour ne pas poser ses
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lèvres sur sa nuque et l’entraîner dans son appartement.
Mimi était dangereuse. Plus encore que les missions accomplies par le passé en territoire hostile. Au moins, lorsqu’il était sur le terrain, connaissait-il par cœur les zones à envahir et contrôler. Tandis que là, chaque fois qu’il posait les yeux, les mains ou la bouche sur Mimi, ce qu’il découvrait le laissait sans voix et une force qu’il ne contrôlait pas le poussait à explorer plus en profondeur les secrets de son corps et en vouloir encore plus. Mimi représentait tout ce qu’il s’interdisait depuis vingt ans. Depuis la mort de Lizzie. Pour son bien, il était indispensable de ne plus l’approcher.
Mais cette fois, il n’était pas certain que sa raison soit plus forte que ses pulsions…
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Chapitre 7
Malgré son état de fatigue, aussi bien physique qu’émotionnelle, Mimi ne s’était endormie qu’aux premières lueurs de l’aube. Elle émergea difficilement, se laissant attirer par la chaleur accueillante de sa couette. Une chaleur qui produisait un paradoxe déroutant par rapport aux bruits stridents et répétitifs qui s’élevaient de la rue. Un peu comme son état d’esprit.
Embrasser Daniel avait été loin d’être une erreur. Au contraire. En dépit de son rejet de la veille, il avait répondu à son baiser. Et de façon plutôt enthousiaste. Malgré ses sourires et sa propension à amener les sujets sérieux en dérision, il n’était certainement pas là par « hasard ». Mimi soupira. Son « hasard » prenait l’apparence d’une blonde adorable enceinte jusqu’au cou qu’elle évitait de façon éhontée pour ne pas l’entraîner avec elle dans le maelstrom que constituait sa vie depuis que Ghislain De Ribaupierre avait brusquement surgi du passé. Daniel avait creusé son passé. Il avait découvert ses différentes identités. Et si Daniel avait réussi à remonter sa piste, cela signifiait que Ghislain s’en approchait dangereusement.
Mimi attrapa son téléphone posé sur la table de nuit et s’adossa contre sa tête de lit. Elle tapa le nom de
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son ancien amant. Rituel qu’elle effectuait maintenant depuis plus de deux mois. À partir du moment où il avait foulé le sol français. Rien de nouveau n’apparaissait sur Ghislain. Aussi bien sur la scène publique qu’économique. Elle l’avait rencontré alors qu’elle était jeune. Très jeune…
Bon sang !
Elle avait tout juste seize ans quand il l’avait approchée pour la première fois. Et, elle, comme une jeune oie blanche était tombée sous le charme de cet homme viril qui lui portait attention. Riche industriel de la région Lyonnaise, ils s’étaient rencontrés alors qu’elle travaillait comme extra lors d’une soirée. Elle était en première et n’avait même pas encore passé son bac de Français et ignorait totalement ce qu’elle pourrait faire après le lycée. Déjà à ce moment-là Mimi savait qu’elle n’avait aucune perspective d’avenir sur Lyon. Ses rapports avec son père étaient conflictuels. Ce qui représentait un euphémisme. Sa naissance avait été l’accident qui avait perturbé le bon fonctionnement et la dynamique de cette famille aisée. Sa sœur était son aînée de dix ans et son père lui avait toujours fait comprendre par des termes blessants qu’elle n’avait jamais été désirée. Elle le gênait dans sa course aux élections. Argument que Mimi n’avait jamais tout à fait compris. Aujourd’hui encore.
Si son père n’avait jamais levé la main sur elle, les violences psychologiques avaient sans doute été pires. Surtout lorsqu’il l’avait rendu responsable du suicide de sa mère.
Mimi prit une longue inspiration. Même vingt ans plus tard, la souffrance était toujours là. Sa mère était une petite créature fragile. Aimante. Mais
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terriblement faible face à un mari dominant. À croire qu’elle-même avait reproduit le schéma avec Ghislain.
Elle le revit dans son smoking le soir de leur rencontre. Lui et sa forte personnalité, son assurance et cette séduction qu’il distillait comme un cocktail aphrodisiaque. Un mélange qui l’avait irrésistiblement attirée et fait sombrer dans une relation qui, à cette époque, lui semblait normale. Naturelle. Que Ghislain ait pratiquement vingt ans de plus qu’elle ne lui avait jamais parut déplacé ni étrange. Au contraire, il était le seul homme à la voir comme une femme, et non une petite fille paumée que son père détestait et pour qui elle était aussi transparente qu’une eau limpide. Et encore, l’eau possédait des vertus et une utilité que son père ne lui prêtait même pas. Alors elle s’était accrochée à l’unique point d’ancrage qui s’était présenté à elle depuis des années. Elle était tombée dans le schéma classique de « l’autre femme ». Elle savait qu’il était marié, mais avait préféré ignorer les raisons pour lesquelles il l’avait prise pour maîtresse… à seize ans.
Elle avait été totalement éprise de cet homme, aurait fait n’importe quoi pour lui… jusqu’à ce que le petit grain de sable qui s’était glissé dans leur relation grossisse et prenne la forme d’un tremblement de terre et que Ghislain lui impose son autorité. Une férule qu’elle avait rejetée et qui l’avait contrainte à fuir et se cacher pour préserver sa vie.
Son amant n’était pas aussi animé de bonnes intentions qu’elle avait stupidement cru.
Oh ! Non.
Il avait montré son vrai visage, et ce qu’avait vu Mimi l’avait choquée, détruite un peu plus et rendue
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particulièrement amère et méfiante. Il avait habilement manœuvré pour qu’elle soit totalement sous son influence. Cela avait commencé par des compliments qui peu à peu s’étaient transformés en demandes, qui elles, étaient devenues des ordres. Mais toujours enrobées dans un fin papier d’apitoiement et de séduction. Et Mimi n’avait rien remarqué. Ou elle avait vu seulement ce qu’elle désirait voir. Un homme qui s’occupait d’elle et lui accordait de l’attention. Elle était tombée bêtement amoureuse sans comprendre pourquoi elle souffrait en même temps.
Ghislain exerçait son contrôle dans un besoin individuel. Elle ne voyait que par lui. Que pour lui. Il avait fallu un peu moins de six mois à Ghislain pour qu’elle perde son estime d’elle- même. Ils ne vivaient pas ensemble. Elle était encore chez son père qui ne lui accordait que son mépris et Ghislain profitait de sa femme, qui venait d’accoucher, dans leur appartement situé en plein cœur du quartier chic de Lyon.
Mais cela n’empêchait pas Ghislain de contrôler ses moindres faits et gestes. Il ordonnait. Elle obéissait. Elle ne pouvait plus sortir sans son accord, et lorsqu’il le lui donnait, c’était pour qu’elle le rejoigne dans un hôtel de façon à étancher ses désirs sexuels. Il était en quête continuelle de succès et de reconnaissance. Et qui mieux qu’une gamine de seize ans naïve et malléable pour assouvir son fantasme.
Et puis le pire était arrivé. Instinctivement, elle posa une main contre sa joue. Même après tout ce temps, elle avait l’impression de sentir la brûlure des coups portés par Ghislain. Tout cela parce qu’elle avait cru en lui, en ses mots. Elle voyait encore la lueur meurtrière dans ses yeux, ses paroles assassines, puis la caresse sur son bras et sa voix doucereuse qui lui expliquait combien elle l’avait déçu
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et que par sa grandeur d’âme il était prêt à lui pardonner. À condition qu’elle obéisse. Ce n’était même pas les coups qui avaient provoqué le déclic. À sa plus grande honte, elle les lui aurait pardonnés. Non, ce qu’elle n’avait pas supporté, étaient les menaces qu’il avait ourdies si elle refusait de se plier à sa volonté.
Alors, elle avait fui. Pire, elle avait totalement disparu.
Longtemps après qu’elle l’eut quitté, la honte l’avait poursuivi. Elle avait mis des années à retrouver un semblant de confiance en elle. La danse l’avait obligée
montrer ses forces et mettre ses faiblesses de côté. Elle lui avait permis de se reconstruire. Morceau par morceau. Même si un grand bout d’elle lui manquait terriblement et qu’elle ne pourrait jamais le retrouver.
L’amertume au fil des années s’était estompée, mais pas sa méfiance. Elle ne pouvait pas dire qu’elle faisait confiance aux gens en général, aux hommes en particulier, mais sa prudence était la seule arme qui l’avait maintenue en vie.
Mimi frotta machinalement sa poitrine. Une douleur sourde qu’elle connaissait bien l’étreignait.
Juste là.
Au niveau du cœur. Comme si frotter à cet endroit pouvait alléger cette blessure toujours à vif. Elle la connaissait pour vivre avec depuis douze ans. Elle s’efforça de refouler la douleur sachant qu’elle ne disparaîtrait jamais. Elle ne pouvait que s’en accommoder. Et c’était le mieux qu’elle pouvait faire…
Mimi ouvrit une autre page Internet sur son téléphone. Rien dans les médias. Elle ressentit un soulagement furtif. Ghislain, étonnamment, semblait
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fuir les mondanités. Lui qui ne manquait jamais de profiter de la presse restait particulièrement discret depuis son retour des États -Unis. Cela ne signifiait pas qu’elle devait relâcher son attention. Bien au contraire. Elle avait appris au cours de ses années de cavales que c’était lorsque tout semblait calme que le pire se préparait. Mais elle était prête. Elle avait quasiment finalisé sa fuite. Elle devait se rendre dans une semaine dans un petit bouge récupérer des papiers d’identité et un nouveau numéro de sécurité sociale. Avec un peu d’argent, celui mis de côté pour parer à ce genre d’éventualité, tout était possible…
Bientôt, dans quelques semaines, Mimi disparaîtrait. Elle prendrait une nouvelle identité, et tenterait de combler les vides du mieux qu’elle le pourrait. Même si elle savait que certains étaient irremplaçables.
L’image de Mathilde s’imprima. Elle avait été une source de vitalité, un roc. Elle avait été une des rares personnes en qui Mimi vouait une confiance absolue. Et même si elle savait qu’elle avait contacté Daniel et qu’il fourrait joyeusement son nez dans ce qui ne le regardait pas, elle ne lui en voulait pas et comprenait que son amie s’inquiète pour elle et veuille la protéger.
Mimi fit la grimace. Si elle pouvait « entourlouper »,
tromper » Mathilde sans rencontrer d’obstacle, le faire avec Daniel s’avérait un peu plus délicat. Pour lui échapper, elle devrait faire preuve d’une évidente inventivité et d’une grande capacité d’adaptation. Car elle avait la vilaine intuition qu’il ne la laisserait pas s’échapper comme ça. Elle était prête à parier dix ans de sa vie qu’il épiait le moindre de ses déplacements et connaissait son emploi du temps mieux qu’elle-même.
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Il ne lui avait pas dit explicitement, mais il savait exactement qui elle était. Personne ne l’avait appelé Charlie depuis plus de douze ans. Et si lui était parvenu à remonter jusqu’à elle, cela signifiait qu’il lui restait peu de temps avant que Ghislain ne la retrouve lui aussi. Raison pour laquelle, il ne lui restait que peu de jours avant de disparaître à nouveau.
Un autre pincement au cœur lui bloqua le souffle. Mimi ferma les yeux. Elle allait se retrouver seule, mais cela valait la peine. Si elle voulait que son secret le reste et qu’il soit loin du danger que représentait Ghislain.
Mimi laissa retomber son portable sur le lit. S’apitoyer n’avait jamais été dans ses habitudes. Au contraire. Elle avait appris à tirer le meilleur de chaque situation. Si actuellement la sienne n’avait rien d’enviable, elle ne pouvait décemment pas mettre de côté le baiser hautement explosif échangé avec Daniel la veille. Et elle ne pouvait pas non plus ignorer l’attirance qui s’exerçait entre eux. Daniel était tout aussi réceptif et étrangement il lui permettait de mieux respirer quand il était là et qu’il jouait avec maestria de ses doigts et de sa bouche.
Elle savait également qu’elle ne retrouverait jamais un homme comme Daniel avec lequel elle se sentait si libre d’être elle-même de ressentir non seulement une attirance. Avec lui, elle se sentait apaisée et en sécurité. Deux émotions qu’elle n’avait pas connues depuis longtemps. Elle savait aussi par Mathilde que Daniel n’était pas du genre à s’attacher. Il papillonnait sans se poser, profitant visiblement des plaisirs charnels de la vie. Et après sa démonstration de la veille, elle avait très envie qu’il les partage avec elle.
Mais avant, elle devait aussi mesurer à quel degré Daniel s’était immiscé dans sa vie. Qu’il apparaisse
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soudainement n’avait rien d’anodin. Qu’il se montre intrusif pouvait par contre poser problème. Mimi voulait être libre de ses mouvements, ce qui s’avérerait compliqué si Daniel s’amusait à la suivre. Mimi se renfrogna. La probabilité était élevée. Mais il était hors de question qu’il interfère dans ses déplacements. S’il était malin, elle pouvait l’être aussi. Et elle avait déjà une petite idée sur la façon de procéder pour l’amener à se découvrir s’il s’avérait qu’il était un peu trop protecteur.
Elle n’avait rien à perdre. Il y avait de toute façon que deux options. Soit elle avait raison. Soit elle avait tort.
Mais pas aujourd’hui. Non, pour le moment, Mimi voulait profiter de sa journée pour récupérer. Les derniers jours avaient été éprouvants, et elle avait besoin de s’isoler pour faire le point et se recentrer. Ce qu’elle avait l’intention de faire en prenant une bonne douche suivie d’un solide petit déjeuner. Ensuite, elle appellerait Mathilde, juste pour la sonder. Mathilde était incapable de mentir. Dès les premiers mots, Mimi saurait si c’était le cas ou non et confirmerait ce que son intuition lui hurlait et prouverait que son amie n’était pas étrangère à l’apparition soudaine de Daniel dans sa vie.
*
Greg prit place dans le fauteuil face au bureau de Daniel et étendit ses longues jambes. Ce dernier, le téléphone à oreille lui adressa un hochement de tête tout en écoutant attentivement son interlocuteur. Il répondait par de simples affirmations, sans développer. Une attitude qui éveilla tous les instincts de Greg qui se redressa légèrement dans son siège. Il fixa Daniel, attendant de lire une quelconque
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expression. Celle-ci ne tarda pas à venir. Tous les muscles de Daniel se figèrent et ses yeux accrochèrent ceux de son ami. Il marmonna un vague remerciement et raccrocha sans quitter Greg du regard qui haussa un sourcil, en attente d’une explication.
— Caz, avança Daniel.
Greg se redressa, en alerte. Caz était un de leur indicateur. Il savait tout ce qui se passait sur son territoire, rien ne lui échappait. Ce type était une véritable mine d’informations et la relation qu’ils entretenaient était loin d’être la plus légale qui soit. Ils oscillaient dans leur rapport entre confiance et méfiance, mais ce fragile équilibre était payant. Quel que soit le côté où ils se situent. Caz œuvrait dans un périmètre bien précis : les quartiers nord de Paris. Ce qui inévitablement fit apparaître le nom de la jolie Mimi qui obsédait tant Daniel.
— OK. Tu m’intéresses, là, répondit Greg.
— Caz vient de m’apprendre qu’une « jolie rouquine » s’était rendue chez Marty.
Greg tiqua. Marty était bien connu pour son travail de faussaire. Un travail qu’il faisait payer grassement
ses clients. En avance et évidemment, en espèces. Et gare à ceux qui cherchaient à le rouler. Marty avait la réputation d’être aussi bon dans la falsification qu’inflexible s’il avait vent d’une entourloupe. Raisons pour lesquelles il était aussi « côté » sur le marché.
— Qu’a-t-elle demandé ?
Pas besoin de nommer Mimi, vu la pâleur qu’affichait Daniel.
— Passeport, numéro de sécu. Nom de Dieu, marmonna-t-il en se passant une main lasse sur le visage, dans quel merdier elle s’est fourrée… ?
Greg se renfrogna. Il n’aimait pas ça. Daniel était trop impliqué émotionnellement. Cette fille lui avait
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ravagé le cerveau, et sûrement pas que ça, pensa Greg. Le problème était que Daniel risquait de perdre toute objectivité. Et c’était bien la première fois qu’il pouvait assister à un tel bouleversement chez son associé et ami.
Comme s’il avait suivi les pensées de Greg, Daniel redressa les épaules et se recomposa une expression impassible. Il verrouilla tous les accès à ses émotions comme il avait appris à le faire lorsqu’il était sur le terrain, et se restructura. Ce qui consistait à ériger des barrières autour de lui pour ne se focaliser que sur sa cible sans avoir la crainte d’être atteint par des pensées parasites, ou au pire comme cela lui était arrivé, par des balles tirées par l’ennemi. Il reprit d’une voix ferme.
— On renforce la protection. De niveau 1, elle passe
niveau 3.
— Je place Paul et Georges.
Daniel hocha la tête. Paul était un grand gaillard, aussi blond que lui était brun avec qui il avait servi dans l’armée. C’était un professionnel aguerri en qui il avait toute confiance. Probablement qu’être assigné à ce genre de mission ne l’enchanterait pas, habitué à des actions plus « musclées », même si Daniel était conscient qu’il sous-utilisait les capacités de Paul, celui-ci un des meilleurs. Et Mimi ne valait pas moins. Daniel aurait préféré s’en occuper personnellement. Il aurait volontiers enfermé la jeune femme dans son appartement à l’étage supérieur et profiter sans vergogne de son petit corps chaud et accueillant dans
une protection plus que rapprochée. Malheureusement, il devait se concentrer sur la raison qui la poussait à se faire faire de faux documents dans le but évident de fuir la capitale, si ce n’était la France. Et pas question de la laisser s’échapper !
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— Que vas-tu faire avec Marty ?
— Rien, répondit Daniel après quelques secondes de réflexion. Je garde cette avance sur Mimi.
Greg posa ses mains sur les accoudoirs pour prendre appui et se relever pour se diriger vers la sortie.
— J’ignore ce qu’elle a aux fesses, mais pour en arriver à contacter Marty, ça ne doit pas être beau.
Daniel grogna, ce qui amena un sourire sur les lèvres de Greg, accentuant la profondeur de sa cicatrice sur la joue.
— C’est le mot fesses associé à Mimi qui te contrarie comme ça ?
Le visage renfrogné de son ami lui apporta la réponse et le fit éclater de rire.
— T’es dans la merde, mon frère. Tu l’as vraiment dans la peau.
— Tu ne pouvais pas être plus proche de la vérité, marmonna Daniel, se souvenant encore du goût de ses lèvres, de sa bouche. Des petits gémissements qu’elle poussait tandis qu’il pressait son corps contre le sien. De la fermeté de ses cuisses s’entourant auteur de sa taille. De la rondeur de sa poitrine et de la dureté de la pointe de ses adorables seins contre son torse.
Bon sang !
— Soit rassuré ! Aussi belle soit-elle, je ne suis pas intéressé par ta princesse de la nuit, termina-t-il en refermant la porte du bureau.
Daniel soupira. Oui, il l’avait dans la peau et il l’empêcherait par tous les moyens de le fuir.
Bordel !
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Chapitre 8
La décoration surannée donnait au lieu un sentiment d’abandon. Le contraire recherché, apparemment. Il ne comprenait pas que sa cliente lui ait donné rendez-vous ici. L’hôtel était pourtant bien noté. Mais ses goûts n’étaient pas partagés. Il préférait de loin le luxe moderne agrémenté d’une pointe de décadence aux boiseries et tentures, certes de belle facture, mais qui l’oppressaient.
Il n’était pas parvenu à se détendre pendant l’entretien avec sa cliente. C’était la sixième fois qu’il la rencontrait. Toujours seule à seul. Ce, qui, étant donné la nature de sa requête, était évident. Elle ne tenait pas à ce que leur rencontre se sache et venait donc seule.
Il l’observa attentivement. Sous son tailleur chic, sa coiffure sophistiquée, elle incarnait le pouvoir dans les hautes sphères des affaires. Il était amusant, presque jouissif de voir comment ceux qui pensaient détenir le pouvoir et tirer les rênes de la conversation étaient en fait des pions qu’il aimait diriger. Il choisissait ses mots avec soin, ne laissant aucune chance à son partenaire. Et cette femme ne faisait pas exception. Il adorait jouer avec elle, son petit air pincé, son apparente impression de dominer ses pairs et son cul juste incroyable. Son apparence était toujours aussi froide et austère, mais dès qu’il décidait qu’il était
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temps de reprendre la main elle se montrait particulièrement docile. Il la laissa lui expliquer comment elle voulait que les choses se déroulent et qu’elle attendît de résultats.
— Cela fait trois mois que je vous ai engagé. Et à part deux ou trois renseignements qu’il me semble facile d’obtenir, vous n’avez rien apporté de nouveau.
Il la regarda avec insistance et attendit qu’elle baisse les yeux. Ce qu’elle fit pour son plus grand plaisir. Un coin de ses lèvres remonta discrètement quand il la vit croiser et décroiser ses jambes, mal à l’aise. Des jambes au galbe parfait que de hauts talons rendaient encore plus bandante. Il savait ce qui se cachait sous sa jupe. Et si elle avait obéi à ses ordres de la semaine passée, elle ne devait porter aucun sous-vêtement. Uniquement des bas retenus par un porte-jarretelles. Même si son érection venait de s’éveiller, il s’obligea à l’immobilité.
Il laissa encore quelques secondes supplémentaires de silence s’installer. Ces secondes avaient un pouvoir exceptionnel et grisant avec lequel il aimait jouer. Il instaurait un climat de gêne qui déstabilisait son interlocuteur. Et un partenaire déstabilisé était souvent malléable et fragile. Une faille dont il se servait pour manœuvrer et amener la personne exactement là où il désirait qu’elle soit.
Et il adorait ça !
Il se pencha vers l’avant. Le bruissement de l’enveloppe placée dans la poche de sa veste de costume détourna furtivement son attention. Ce qu’elle contenait était aussi bandant que ce qu’il s’apprêtait à faire subir à sa cliente.
Une photographie de Charlie Meyer. « Mimi ».
La retrouver n’avait pas été simple. Elle avait pris un soin particulier à se cacher en changeant d’identité, en déménageant en se fondant dans la
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masse mouvante qu’était la population parisienne. Ce qui l’avait bluffé le plus avait été son culot en s’exposant sur la scène d’un cabaret. Et il devait être honnête avec lui-même en disant que c’était le dernier endroit où il avait cherché.
Mais il n’attaquerait pas frontalement. Il pourrait le faire pour obtenir les informations que ses clients payaient grassement. Mais quel plaisir retirerait-il à terminer ainsi et si rapidement la partie ? Aucune. Il aimait la chasse. Il aimait la traque. Et par- dessus tout, il adorait la peur et le doute que faisait naître chez ses proies sa façon de les manipuler. Il préférait jouer un peu avec sa victime, s’amuser avec elle comme un chat le ferait avec une souris. Une minuscule souris dont il pouvait briser la nuque d’une seule main. Il la pousserait dans ses retranchements, jouerait avec elle, avec ses peurs. Car une personne qui se sentait prise au piège était plus à même de faire des erreurs.
Il reporta toute son attention vers sa cliente.
— Croyez-vous vraiment que je ne dispose que de
deux ou trois renseignements » ? demanda-t-il avec un calme et une froideur dans la voix qui déstabilisa un peu plus sa cliente.
Avec satisfaction, il la regarda remuer maladroitement sur sa chaise. La grande dame perdait de sa superbe et ce simple spectacle fit gonfler son sexe un peu plus.
— Je… il me semble vous avoir engagé dans ce sens, balbutia-t-elle.
Il la fixa avec intensité.
— C’est exact. Et depuis le temps, vous devriez savoir que ce genre d’assertion me déplaît. Me déplaît fortement, ajouta-t-il, une menace à peine voilée dans la voix.
Ses lèvres s’incurvèrent légèrement, brisant le
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masque de froideur qui recouvrait ses traits. Un sourire dénué d’émotion, à peine une esquisse, mais qui fit frissonner sa cliente.
Il se demanda si c’était par peur ou par anticipation. Probablement un mélange des deux.
Avec une lenteur calculée, il se leva et vint se poster devant le fauteuil de la femme. Plus il s’approchait, plus il avait l’impression satisfaisante de la voir se recroqueviller. D’une voix basse, mais ferme, qui trahissait une dureté presque tranchante, il prit la parole :
Il désigna le lit d’un geste du menton.
— Va te mettre à quatre pâtes, genoux bien au bord du lit.
La femme eut un sursaut de stupeur, marquant une légère hésitation qui n’échappa pas à l’homme. La façon dont il lui avait ordonné de se mettre à quatre pâtes était avilissante. Le terme également. Mais tous deux savaient qu’il avait été utilisé à escient.
Les jambes tremblantes, la femme obéit. Il vit ses joues se colorer d’indignation, mais elle prit place comme il lui avait demandé. Il se positionna derrière elle, et même sans la toucher, il perçut clairement son tressaillement. Il plaqua ses mains de part en part de sa taille, puis brusquement la fit reculer de façon à ce que ses genoux reposent au bord du lit, ses mollets et ses chevilles dans le vide. Une position inconfortable, car elle devait maintenir son équilibre. Mais ainsi, il avait un accès total à la femme, il lui suffisait de soulever cette jupe pour pouvoir s’enfoncer profondément en elle. Il pouvait la prendre. Là. Sauvagement. Et il avait bien l’intention de concrétiser ses envies.
Mais pas dans l’immédiat, non. Il avait d’autres projets pour elle. Des projets qu’il retardait, rien que
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pour faire monter le niveau de stress de la femme. Il jouait avec le temps, avec sa peur. Il déplaça ses mains, les faisant remonter le long de la colonne de la femme, les fit glisser sur ses côtes, effleura ses seins. Un sourire retroussa ses lèvres quand il l’entendit retenir sa respiration. Il se pencha.
La femme sentit son souffle chaud contre sa nuque et sursauta violemment lorsqu’il murmura à son oreille :
— Doucement. Bientôt, je te baiserai.
Il fit glisser ses mains en sens inverse, caressant son dos. Ses doigts tracèrent des petits cercles, et au travers le vêtement, il la sentit frissonner. Il descendit ses mains. Sur ses fesses, qu’il malaxa puis poursuivit sa lente descente jusqu’à la lisière de sa jupe. Il glissa ses mains sous le tissu et la respiration de la femme se fit hachée. Il pouvait sentir sa peur mêlée à son excitation qui embaumait l’air.
— Tu es excitée.
Sa voix était basse. C’était plus une constatation qu’une question, à laquelle la femme acquiesça.
D’un mouvement vif, il souleva la jupe de la femme jusqu’à sa taille, dévoilant son cul parfait et son sexe déjà luisant. Un sourire apparut sur ses lèvres. Il aimait la domination. Sous toutes ses formes. Mais ce qu’il appréciait particulièrement était l’humiliation ressentie par les femmes lorsqu’il les contraignait à faire exactement ce qu’il désirait. Ce qui lui avait valu d’être blacklisté d’un grand nombre de clubs libertins.
Devant son immobilité, la femme releva légèrement la tête. En réponse, il lui administra une gifle cinglante sur la partie haute des cuisses.
— Ne bouge pas.
Le ton anormalement bas et posé fut un avertissement suffisamment menaçant pour qu’elle
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obéisse. Il jeta un coup d’œil circulaire et ses yeux s’arrêtèrent sur les rideaux. Finalement, le côté suranné de cet hôtel allait lui servir. Il se dirigea vers les lourdes tentures qui obstruaient les fenêtres, puis arracha l’embrasse d’un des rideaux. Il éprouva par habitude la résistance du tissu qui ferait un merveilleux lien. Il revint silencieusement vers le lit sur lequel la femme avait gardé la même position.
— Appuis ton torse et ta tête contre le lit et passe tes mains dans ton dos.
Elle s’exécuta. Elle émit un petit sifflement de douleur lorsqu’il passa l’embrasse autour de ses poignets et qu’il serra le lien. Il se recula, observant la femme étendue, les mains ligotées, la croupe exagérément remontée dans la position qu’il lui imposait, les cuisses largement écartées ne cachaient rien de son sexe béant. Il l’entendait haleter et s’amusa de jouer ainsi avec sa pudeur. Un mot qui le fit grimacer. Comment cette femme pouvait-elle jouer les ingénues et les prudes alors qu’elle était un requin affamé dans la vie quotidienne et qu’elle n’hésitait pas
employer les grands moyens pour parvenir à ses fins ?
Il s’éloigna à nouveau vers les fenêtres et d’un geste sec arracha la baguette qui permettait de faire glisser les fins rideaux de voilage derrière les lourdes tentures. Là encore, il éprouva la flexibilité de la baguette. Elle ferait une excellente badine.
Avec une lenteur qui exacerba l’anxiété de la femme qu’il pouvait ressentir tant elle transpirait de chacun de ses pores, il prit le temps d’ôter sa veste. Un tissu gris perlé taillé sur mesure dans une qualité qui rivalisait avec les meilleurs. Puis sa cravate. Grise également. Enfin sa chemise, couper dans le meilleur tissu égyptien rejoignit le reste de ses affaires.
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Il se positionna derrière la femme et sans prévenir abattit la badine sur l’arrière de ses cuisses, laissant une trace rouge.
Parfaite.
Précise.
Il pouvait laisser ce genre de marque. Sa cliente lui avait avoué qu’elle ne baisait plus avec son mari depuis de nombreuses années, ce qui avait provoqué leur petit arrangement. Et dans le cas contraire, ce n’était pas son problème.
Un cri de surprise et de douleur s’échappa des lèvres de la femme.
— Tss, tss, tss… tu m’as habitué à mieux.
Il se pencha par-dessus la femme qui à nouveau sursauta en sentant le tissu de son pantalon frotter contre sa chair sensible. Elle sentit le souffle de l’homme lorsque ses lèvres s’approchèrent de son oreille et qu’il murmura :
— Je vais te donner dix coups. À chaque cri qui passera la barrière de ses jolies lèvres, je multiplierai le nombre de coups par deux. Tu auras le cul tellement rouge que tu me supplieras de ne pas te baiser.
Il marqua une pause.
— Et tu sais à quel point j’aime lorsque tu me supplies. Ne pousse pas un seul cri, reprit-il fermement tout en lui attrapant les cheveux, tirant sa tête vers l’arrière, et je te promets que tu vas aimer.
Il la regarda fermer les yeux et acquiescer silencieusement.
— Bien. Bonne fille.
Il lui relâcha avec douceur les cheveux, d’un geste presque tendre. D’un mouvement souple, il se releva et abattit la badine sans attendre. Elle claqua dans le silence de la chambre, laissant une seconde marque
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formant une croix sur le haut des cuisses de la femme.
Il continua ainsi, appréciant le sifflement de la badine cinglant l’air avant qu’elle s’abatte sur la peau laiteuse de la femme. Le contraste entre le rouge et la blancheur de sa peau l’excitait encore plus. À chaque coup, il bandait davantage à la limite de la douleur. Et plus sa queue était douloureuse, plus il fouettait fort. Il flirtait avec la frontière entre douleur et plaisir.
Au septième coup, il s’arrêta et recula, légèrement essoufflé, admirant le tableau vivant qu’il venait de créer sur la peau de la femme. Elle respirait lourdement, mais n’avait pas poussé un seul cri. Uniquement quelques gémissements vite réprimés. Il passa sa paume sur la peau échauffée, faisant sursauter la femme. Lentement, il descendit sa main entre ses cuisses et glissa deux doigts entre ses replis intimes jusqu’à son clitoris. Un autre gémissement s’échappa des lèvres de la femme lorsqu’il glissa aisément sur son sexe humide. Elle aussi, il la faisait flirtait entre plaisir et douleur. Même s’il aurait préféré ne lui administrer que de la douleur, il savait également qu’il ne pouvait pas se le permettre. Il la ferait jouir. Juste pour sauver les apparences. Brutalement, il enfonça profondément deux doigts dans son sexe et sentit aussitôt les parois intimes se resserrer sur lui.
Nom de Dieu ! Elle aimait ça.
Il imprima des gestes brusques, ses doigts allant et venant rapidement. Le souffle de la femme s’accéléra, proche de la jouissance.
— Pas encore, grogna-t-il en retirant ses doigts.
Il se pencha, et lui mordilla la nuque avant de la pincer plus sérieusement.
— Tu jouiras lorsque je te l’ordonnerai. Pas avant. Elle lui répondit par une plainte sonore, la
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souffrance que son refus provoquait se lisant sur son visage. Pour son plus grand plaisir.
Il dominait.
Il ordonnait.
Il était le maître.
Son maître.
Il reprit la badine et l’abattit sèchement sur son clitoris. La femme se raidit sous la puissance du coup et la violence de la douleur. Il l’observa se tortiller avec une lueur malsaine. Ses yeux impeccablement maquillés, remplis de larmes. Puis, il assena les deux derniers coups exactement au même endroit avant de jeter la badine plus loin dans la chambre. La femme si fière et orgueilleuse qui était entrée dans cette chambre ne ressemblait plus qu’à une pauvre chose soumise, le corps tendu entre douleur et désir. Et tout ceci était son œuvre. Il ouvrit son pantalon et libéra son sexe gorgé, prêt à exploser. Vivement, il enfila un préservatif et s’enfonça brutalement entre les lèvres humides de la femme qui se refermèrent sur lui comme un gant chaud. Aussitôt, il sentit qu’elle s’appétait à jouir.
— Pas encore, lui ordonna-t-il.
Il la saisit par les hanches, la pilonna violemment. Le bruit de leur chair humide claquait, rompant le silence de la chambre. Plus il était brutal, plus elle était réactive. Il ne pourrait pas l’empêcher bien longtemps de se retenir de jouir. Elle n’était ni habituée ni entraînée. Pour cela, il savait exactement dans quel club se rendre… et quelle femme demander.
cette pensée, il sentit son sexe gonfler un peu plus, forçant le passage le long des parois intimes de la femme. Encore quelques coups de reins et il jouirait. Mais il ne voulait le faire que lorsque la femme s’abandonnerait à son tour, enserrant sa queue
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jusqu’à la douleur. Il cligna des paupières quand la transpiration coula de son front jusqu’à ses yeux, mais ne prit pas le temps de l’essuyer. Il y était presque… encore deux coups.
— Jouis ! Maintenant ! ordonna-t-il.
Une injonction qui déclencha automatiquement le mécanisme chez la femme qui ne put retenir plus longtemps son plaisir. Un cri rauque, presque désespéré s’échappa de ses lèvres, et il ressentit avec une sensibilité décuplée les parois de son vagin se resserrer sur son sexe, l’emprisonnant violemment pendant qu’il jouissait par à coups puissants qui le laissèrent sans force.
Il relâcha les hanches de la femme qui avaient gardé les empreintes de ses doigts profondément enfoncés dans sa chair. Elle aurait des bleus, mais il s’en foutait royalement. C’était ce qu’elle désirait. La bourgeoise qui s’encanaille assumerait les conséquences qui en découleraient.
Le souffle lourd, il quitta le corps de la femme qui émit un gémissement. Son sexe était irrité, rouge et gonflé. Par les marques de badine et par sa baise sauvage. Elle aurait probablement mal pendant quelques jours. Mais là encore, à elle d’en accepter les conséquences.
Il se débarrassa du préservatif et se rhabilla rapidement, prenant le temps de rajuster sa veste et tirer sur les manches de sa chemise, les faisant dépasser de sa veste en une parfaite symétrie.
Il aurait dû s’occuper de la femme qui sanglotait, libérer ses poignets, les masser pour que la circulation sanguine reprenne sans la faire souffrir. Masser ses épaules probablement raidies d’être restées dans la même position. Il aurait dû prendre soin d’elle, comme les fondamentaux propres au monde de la domination l’ordonnaient. Aurait. Un
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conditionnel qu’il aimait. Car on l’avait chassé de ce monde, à juste titre, son sadisme, lors des séances, n’ayant pas été le bienvenu.
Les reniflements de la femme le tirèrent de ses pensées. Ce bruit l’agaçait particulièrement. D’un geste vif il délia les embrasses et la femme poussa une autre plainte, tirant entre douleur et soulagement. Ses bras s’affaissèrent de part et d’autre de son corps. Puis, ses jambes la lâchèrent à leur tour et elle se retrouva les genoux au sol, le buste allongé sur le lit. Avec sa jupe remontée, le sexe exposé elle n’était pas dans une position avantageuse et il eut une grimace de mépris en voyant si peu de tenue. Elle était comme les autres. Elle voulait jouer dans la cour des grands, mais dès qu’elle était un peu malmenée, elle pleurait comme une gamine et perdait toute sa superbe !
Avec une moue de dégoût, il se dirigea vers la sortie. Avant d’ouvrir la porte, il se retourna vers la femme, toujours immobile sur le lit. Seuls ses yeux le regardaient avec un mélange de peur, de contentement et de stupéfaction.
— N’oubliez jamais que même si c’est vous qui payez, c’est moi qui fixe quand, où, comment. On se revoit quand je le déciderai !
— Était-ce une punition ? articula-t-elle d’une voix éraillée.
Elle se demanda pourquoi elle avait posé une question pareille puisqu’elle en connaissait la réponse. Elle le côtoyait depuis peu, mais avait appris
cerner les grands traits de sa personnalité. Cet homme n’avait pas de maître. Il obéissait à ses instincts sans se soucier des dommages collatéraux. Il détestait être défié, et plus encore que l’on remette sa parole et son travail en cause. Ce qu’elle avait bêtement fait juste avant que sa personnalité change
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et qu’il se transforme en démon dominateur.
L’homme lui adressa un sourire qui illumina ses traits tout en angles et d’une beauté agressive. La femme frissonna. Cet homme était aussi beau, avec un corps parfaitement entretenu, qu’il était fou.
Oui. Cet homme aimait flirter avec les limites ténébreuses, louvoyait parmi les ombres pour mieux se fondre dans la foule. Il était dangereux. Une prise de conscience qu’elle réalisa à l’instant. Mais pour la mission pour laquelle elle l’avait contacté, il était la personne parfaite.
— Je ne punis pas, madame. J’inflige ce que le client demande. Et vous avez demandé à être baisée. Brutalement, ajouta-t-il avec une douceur dans la voix qui contrastait de façon violente avec ses propos.
Sans attendre qu’elle réagisse, il ouvrit la porte et disparut.
Alors, la femme ferma les yeux et expira de soulagement.
Longuement.
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Chapitre 9
Le lendemain, Mimi prit une douche rapide et enfila des vêtements confortables et pratiques qui se résumaient en une paire de leggings, un pull à col bateau et des tennis de ville. Son appel à Mathilde la veille lui avait confirmé ce qu’elle savait déjà. Daniel n’était pas revenu dans sa vie par hasard.
Une pointe de déception lui avait furtivement traversé la poitrine. Elle aurait aimé qu’il revienne pour elle, et non pour rassurer Mathilde qui se faisait un sang d’encre à son sujet. Elle avait tenté de la tranquiliser, comprenant toutefois au son de la voix de Mathilde qu’elle n’y était pas parvenue. Et pour ceci, elle se sentait terriblement coupable. Son amie vivait une fin de grossesse difficile, car le stress lui provoquait des contractions. Et elle était la source de cette anxiété…
D’une voix penaude, Mathilde lui avait avoué qu’elle s’était confiée à Daniel et lui avait fait part de ses craintes pour elle. Et Mimi, pour avoir harcelé Daniel quand Mathilde avait disparu, connaissait par cœur sa façon de fonctionner. Suite à sa conversation, elle avait mis au point un plan pour repérer les hommes que Daniel avait assignés à sa surveillance. Pour le moment, elle avait quelques pions d’avance et comptait bien profiter de la situation.
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Mimi attrapa son sac et après avoir verrouillé sa porte s’élança dans les escaliers. Elle se sentait particulièrement en forme, ressentait presque une pointe d’excitation. Son plan était simple. Semer les hommes de Daniel et profiter de l’effet de surprise pour se rendre dans un bouge du 20ème pour récupérer ses nouveaux papiers d’identité, en espérant qu’ils furent prêts, puis faire une petite visite de courtoisie à Daniel. Pour avoir fait le chemin jusqu’à ses bureaux dans une des tours de la Défense un nombre incalculable de fois, elle pourrait s’y rendre les yeux fermés.
Elle ouvrit la porte cochère et cligna des yeux sous les rayons du soleil qui inondaient la rue. Mimi passa une paire de lunettes de soleil tout en prenant le temps d’observer son environnement. Un environnement familier qui grouillait déjà de monde et dont elle aimait les couleurs chatoyantes, les odeurs particulières de goudrons, mêlés à celles des épices qui s’échappaient du restaurant indien dans lequel elle aimait prendre des plats à l’emporter. Elle respira longuement, comme pour imprégner dans sa mémoire des odeurs qui bientôt disparaîtraient de son quotidien.
Elle reporta son attention sur la rue, observant les alentours. Tout semblait normal. Se déroulait sous ses yeux la vie quotidienne du quartier. Mais cela ne signifiait pas qu’elle était seule, et Mimi resta sur ses gardes. Elle se dirigea vers le métro. Là encore, elle respira longuement et rit bêtement. Comment des odeurs d’urine noyées dans des produits d’entretien et de graisse des machines pourraient lui manquer ? Elle prit le temps d’ôter ses lunettes et de les ranger dans son sac tout en effectuant un tour d’horizon, sans rien déceler d’anormal. Si Daniel avait placé une de ses
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équipes à sa surveillance, elle devait admettre que ses hommes étaient particulièrement efficaces. À moins que sa cabale ne soit que le fruit de son imagination… Mimi secoua la tête et reprit ses esprits. Non ! Elle était loin d’être folle et de s’imaginer des choses. Elle sentait constamment peser sur ses épaules le poids d’un regard. Parfois insistant, parfois discret. Mais toujours présent. Le retour de Ghislain avait réveillé tous ses sens et son instinct lui dictait clairement de fuir. Et si elle avait évité les pièges ces dix dernières
années, c’était bien parce qu’elle s’était fiée à lui.
Un souffle chaud sortant de la gueule béante du tunnel indiqua l’arrivée du métro. Mimi resta bien en retrait derrière la ligne et jeta un autre coup d’œil alentour. Rien qui n’aurait pu l’alarmer. La plupart des usagers avaient le regard fixé sur l’écran de leur téléphone et personne ne s’occupait de son voisin. L’heure de pointe était largement passée, mais il y avait toujours une animation perpétuelle. La masse des passagers était vivante, colorée, de par les différentes ethnies ou les vêtements. Et c’était ce melting-pot qui faisait de certains quartiers de Paris une ville unique… une ville qui allait terriblement lui manquer.
Mimi s’engouffra dans la rame, observant ceux qui l’imitaient. Là encore, rien qui n’attira son attention. Elle restait cependant sur ses gardes, espérant malgré tout avoir tort quand à la probable intrusion de Daniel, fliquant ses moindres déplacements. Car, si elle voulait se rendre chez Marty pour récupérer ses faux papiers, elle ne pourrait le faire que si elle était sûre de ne pas être suivie. Et pour cela, elle savait exactement comment procéder pour faire sortir du bois les hommes de Daniel… Cela lui prendrait deux bonnes heures, mais il était inenvisageable de se faire
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attraper aussi bêtement. Pire. Si elle attirait l’attention sur son receleur, il risquait de le lui faire chèrement payer. Marty avait été clair. Si la moindre anicroche survenait, elle disparaîtrait purement et simplement de la surface de la terre, mais pas de la façon dont elle le prévoyait.
Elle descendit à la station République, heureuse de retrouver la lumière du jour. Là encore, elle s’arrêta quelques secondes à profiter de la frénésie de la ville avant de remonter l’avenue. Un sourire étira ses lèvres lorsqu’elle arriva devant la boutique et n’hésita pas une seconde avant d’en ouvrir la porte.
Elle fut accueillie par le sourire chaleureux de Corine, la créatrice et gérante. À force de passer des heures dans les lieux, Mimi avait appris à connaître cette femme à qui la vie n’avait pas fait de cadeaux et dont la voix éraillée trahissait sa passion pour les cigarillos. Une excentricité qui allait comme un gant au personnage. Un peu brut en apparence, mais d’une bonté et doté d’un œil aussi sûr que ses mains de créatrice. Elle lui faisait penser à l’actrice Jeanne Moreau dans le film Nikita. La cinquantaine, une beauté éthérée, Corine dégageait une aura de mystère qui faisait frissonner Mimi à chaque fois qu’elle la retrouvait. La première fois que la jeune femme avait poussé la porte de sa boutique, Corine avait immédiatement senti une vulnérabilité chez Mimi qu’elle s’efforçait pourtant de dissimuler. Mais la créatrice possédait cette clairvoyance qui mettait à nu ses interlocuteurs sans qu’ils aient besoin de se confesser. La créatrice ne lui avait jamais posé la moindre question et Mimi avait apprécié sa discrétion. Comme si deux âmes ayant vécu des traumatismes similaires pouvaient se reconnaître.
— Bonjour, ma chérie, lança Corine, sa voix éraflée
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sonnant comme une musique réconfortante.
— Bonjour, Corine, répondit Mimi en l’enlaçant. Dieu, que c’était bon ! Corine représentait pour
Mimi ce qui se rapprochait le plus de la figure maternelle depuis qu’elle avait fui sur Paris. Son cœur se serra lorsqu’elle prit conscience qu’elles vivaient probablement leur dernier moment d’intimité. Mimi lui rendit son sourire qui devait plus ressembler à une grimace quand celui de Corine s’effaça. La jeune femme inspira profondément. Pas question de lui dire la vérité, mais pas question de lui mentir également. Non seulement Corine ne serait pas dupe, mais elle ne méritait pas cela. Aussi, Mimi alla droit au but.
— J’ai des soucis.
— De quel genre ?
— Du genre « grosses emmerdes ».
— Ton langage, Mimi ! la tança Corine.
Encore un des aspects qui avait toujours plu à Mimi. La ville pourrait être sur le point d’être détruite, Corine ne supportait pas la vulgarité sous toutes ses formes. Dans ces cas, Mimi avait l’impression d’être une écolière face à la directrice. Aussi ajouta-t-elle penaude :
— Excuse-moi.
— Ce n’est pas grave, ma chérie.
Elle poussa légèrement Mimi pour ne plus être à porter de voix des autres clientes.
— Bien ! J’imagine que tu ne veux pas m’en parler, reprit Corine en soupirant.
Mimi secoua la tête tout en baissant les yeux au sol.
— Si je t’expliquais, je pourrais t’attirer des ennuis, murmura-t-elle.
Et c’était bien la dernière chose qu’elle souhaitait.
— C’est si grave que cela, alors ?
— J’en ai bien peur.
Corine lui posa deux doigts sous le menton,
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l’obligeant à relever la tête. Le sourire compréhensif de la créatrice lui serra le cœur. Comment cette femme à qui elle ne s’était jamais confiée pouvait-elle si bien la connaître ?
— Ma chérie, quoi qu’il se passe, je serais toujours là pour toi… même si je pressens que je ne te verrais plus pendant un moment, soupira-t-elle.
Une boule se logea dans la gorge de Mimi qui sentait ses yeux s’humidifier dangereusement. Corine passa doucement sa main sur la joue de Mimi, et comprenant qu’elle allait craquer d’un moment à l’autre, elle recula d’un pas et reprit d’une voix ferme. Mimi lui fut reconnaissante de préserver les quelques morceaux de dignité qu’il lui restait.
— Bien ! Si tu es venue ici, c’est que tu estimes que je peux t’aider. En quoi puis-je le faire ?
Mimi s’éclaircit la voix, heureuse de l’inflexion directive de Corine. Un ton qui lui permit de se reprendre.
— Je n’en suis pas sûre, mais je crois que je suis suivie.
Rien dans l’expression de Corine ne pouvait indiquer que ses paroles la choquaient. Seule une lueur menaçante traversa son regard de façon tellement furtive que Mimi crut l’avoir imaginée.
— Je suis quasiment certaine que ces personnes ne me veulent pas de mal, ajouta prestement Mimi.
Elle soupira longuement face au désarroi de Corine. Ce que Mimi comprenait aisément. Elle avait la quasi-certitude que Daniel la faisait suivre. Lui, n’était pas dangereux, dans le sens où il ne mettrait jamais sa vie en jeu, elle en était persuadée. Il était dangereux, mais pour des raisons totalement différentes. Et d’un autre côté, il y avait Ghislain. Même s’il était étrangement discret depuis son retour en France, Mimi sentait sa présence. Latente, tapie. Prêt à
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attaquer. Or elle n’était pas suivie par celui qui la traquait, mais celui qui souhaitait la protéger. Dans un geste las, elle se passa une main sur le front.
— C’est tellement compliqué, ajouta-t-elle doucement.
Corine posa une main parfaitement manucurée sur son bras, en un geste de réconfort.
— Ma chérie, si un jour tu décides de te confier, tu le feras. Là, ce n’est pas le moment. Tu ne prendras le temps que si tu en ressens le besoin. Pour l’instant, on va faire en sorte de te mettre à l’abri. Sais-tu par qui tu es suivie ?
— Des hommes, je présume
— Parfait ! Tu ne pouvais pas choisir plus sur refuge, répliqua Corine avec un sourire qui l’illumina toute entière et prouva à Mimi que la nature humaine n’était pas si mauvaise que ça.
C’était exactement là dessus que Mimi avait tablé. Quel meilleur endroit qu’une boutique de lingerie fine pour échapper à ses poursuivants et prendre une longueur d’avance ? Non que le magasin soit interdit aux hommes, bien au contraire. Mais si ceux qui lui collaient au train s’aventuraient dans la boutique, ou à ses abords, elle pourrait au moins les identifier.
— Laisse-moi faire, lui intima Corine.
Mimi hocha la tête tandis que son amie passait entre les rayons, prenant ça et là des articles. De magnifiques pièces, ne put s’empêcher de constater Mimi en regardant le superbe corset en dentelle arachnéenne, brodé de discrètes perles, donnant à l’ensemble une impression de légèreté. Corine se rapprocha de la vitrine et fit défiler des ensembles sur un portant. Ses yeux balayaient la rue avec une discrétion qui impressionna Mimi. Puis, elle lui fit signe de la rejoindre légèrement en retrait de la vitrine, là où elles pouvaient voir ce qui se passait
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dans la rue sans se faire remarquer. Corine leva le menton en direction d’une librairie de l’autre côté de la rue et Mimi se figea.
— Je crois avoir repéré ton « problème », ma chérie.
— Sans aucun doute possible, murmura Mimi en observant l’homme qui se tenait en retrait.
Habillé avec élégance, mais sans excès. Un pantalon de toile, chemise et veste de ville. Une tenue qui seyait aussi bien pour se rendre dans un bar que dans un hôtel cinq étoiles. Le genre de déguisement qui s’adaptait à n’importe quel environnement. Mais ce n’était pas sa tenue qui avait trahi le type blond. Elle l’avait déjà croisé. Quelques mois en arrière lorsqu’elle se rendait tous les jours dans les bureaux de Daniel pour l’obliger à lui dire ce qu’il savait sur la disparition de Mathilde. Au moins, était-elle fixée. Elle avait la preuve de ce qu’elle soupçonnait.
Une sorte d’étrange soulagement l’envahit à savoir que quelqu’un tenait suffisamment à elle pour s’inquiéter. Le fait d’être surveillée lui donnait également un peu de répit. Si Ghislain décidait de s’en prendre à elle, elle ne serait pas totalement sans défense. Un autre sentiment vint se greffer à son soulagement. L’irritation. Que Mathilde n’ait pas suffisamment confiance en elle pour lui parler directement au lieu de lui envoyer ses sbires.
Mimi grimaça à sa propre pensée. Elle avait tout fait pour cacher la vérité. Principalement à Mathilde. Elle se refusait à l’embarquer avec elle dans ses problèmes.
Merde !
Mimi inspira profondément et reporta son attention sur la rue.
— Il devrait y en avoir un deuxième
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— Pardon ! s’exclama Corine en se tournant vers elle, les yeux plissés.
— D’homme. Daniel les envoie toujours en binôme. Elle avait suffisamment passé de temps dans ses
bureaux pour connaître quelques-uns de leurs protocoles.
Devant le manque de réponse de Corine, Mimi se tourna vers son amie qui avait exagérément haussé les sourcils. Mimi se sentit redevenir une petite fille devant son air aussi interrogateur que soupçonneux. Elle la scruta quelques secondes supplémentaires, et Mimi sentit le rouge lui monter aux joues. Chose qui ne lui était pas arrivée depuis des années, se maudit-elle. Est-ce qu’elle avait prononcé le prénom de Daniel avec un sourire énamouré ? Quand même pas !
— Effectivement, cela a l’air bien compliqué, dit Corine, la tête légèrement penchée
Si, visiblement, se rabroua Mimi. Action que confirma la créatrice quand elle reprit :
— J’ignore qui est ce Daniel, mais à ta voix, ce n’est pas lui le problème.
— Non, avoua Mimi en reportant son regard sur l’homme à l’extérieur.
— Mais inconsciemment, il te les évite, compléta Corine.
Mimi ne fut pas surprise de sa clairvoyance et se sentit coupable de lui cacher la vérité. Mais c’était pour son bien.
— Très bien ! continua Corine. J’ignore pourquoi tu veux fuir, et tu as tes raisons pour garder le silence. Une qualité que je respecte.
Mimi lui attrapa la main, et la lui serra doucement.
— Merci, murmura-t-elle.
Corine écarta ses remerciements d’un geste de la main.
— Allez ! Maintenant, on va te sortir de là.
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— Il y a le problème du second homme. Je ne le reconnais pas, ajouta Mimi en scrutant la rue.
— Ou alors, il se cache un peu mieux, ajouta Corine.
— Sûrement, marmonna Mimi.
— Ce n’est pas un problème.
Corine se dirigea vers l’arrière et Mimi la suivit.
— Tu connais la spécificité de ces bâtiments ? Le visage de Mimi s’éclaira.
— C’est exactement la raison pour laquelle je suis venue.
— En plus de venir me dire au revoir, j’espère ! ajouta Corine.
Malgré son ton léger, Mimi perçut clairement la tristesse dans sa voix.
— Évidemment, répondit doucement la jeune femme.
À mots couverts, elle lui annonçait qu’elles ne se reverraient probablement jamais. Mimi chassa les larmes qui lui montèrent aux yeux et se jeta au cou de Corine. Mimi l’entendit sourire alors que la main manucurée de Corine lui caressait doucement les cheveux. Et la réconfortait.
— Promets-moi de faire attention à toi, ma chérie
— Promis, murmura Mimi des sanglots dans la voix. Elles restèrent quelques secondes, puis Corine se
dégagea, reprenant le contrôle, contrairement à Mimi qui sentait la déchirure dans son cœur se faire plus vive, plus nette, plus douloureuse.
Combien de personnes qu’elle aimait, allait-elle laisser derrière elle ?
Trop, assurément.
Combien de temps durerait cette fuite ?
Une question à laquelle elle préférait ne pas répondre bien qu’elle en connaisse parfaitement la
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réponse.
Mimi suivit Corine vers l’arrière de la boutique. Elle ouvrit une porte donnant sur un petit local servant de salle de détente et les deux femmes s’y engouffrèrent. Corine referma précautionneusement derrière elles puis déverrouilla une seconde porte se trouvant au fond de la pièce qui permettait d’accéder à la cave de l’immeuble. Après avoir allumé, la lumière éclaira les escaliers et elle se tourna vers Mimi.
— Bien ! N’oublie pas ta promesse, ma chérie.
La fêlure que Mimi perçut dans sa voix l’obligea à cligner des yeux plusieurs fois. Si Corine détestait une chose, c’était que l’on s’apitoie.
Mimi hocha la tête avant de s’engager dans les escaliers. Arrivée sur le seuil inférieur, elle se retourna et fit un petit signe de la main.
— Envoie-moi un message quand tu arrives au bout. Je te dirais si ces deux hommes sont toujours devant. Du moins, le blond, se reprit Corine.
— Merci, murmura Mimi avant que Corine ne referme la porte sur elle, mais aussi sur une partie de ce que fut sa vie durant les dix dernières années.
Mimi dut s’appuyer contre le mur. La fraîcheur humide des parpaings contre son dos lui permit de calmer le feu qui la déchirait. Elle respira profondément, ignorant l’odeur doucereuse de moisissure. Même si elle s’était montrée forte devant Corine, elle n’en éprouvait pas moins un choc à l’idée qu’elles ne se verraient plus. Mais c’était un bien faible sacrifice en comparaison de ce qui se passerait si Ghislain arrivait à ses fins.
Avec une force qui l’électrisa, elle se redressa et suivit les murs. Par endroits, elle devait baisser la tête pour éviter une solive. Mimi avisa un interrupteur et
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appuya avant que la minuterie ne la plonge dans le noir. D’un pas déterminé, elle ouvrit une porte qui contrairement à ce qu’elle pensait ne lui résista pas… et passa dans les caves du bâtiment suivant.
Ce qui faisait la particularité des immeubles de la rue. Toutes les caves communiquaient, et si elle continuait ainsi, elle se retrouverait bien en amont de la boutique de Corine… et des hommes de Daniel.
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Chapitre 10
Mimi lut le message de Corine.
Le blond est toujours devant. J’imagine que le deuxième homme n’est pas loin. Reste prudente ! »
Ce fut lorsqu’elle relâcha l’air de ses poumons qu’elle s’aperçut qu’elle avait cessé de respirer.
Bon sang !
ce rythme, ce n’était pas sous les coups probables que lui infligerait Ghislain s’il la retrouvait qu’elle y resterait ! Mais d’une crise cardiaque !
Mimi sortit de l’immeuble aussi naturellement qu’elle était capable de le faire et se noya parmi les anonymes qui envahissaient le trottoir. Son cœur battait à tout rompre, et elle sentit un désagréable filet de sueur couler le long de sa colonne. L’effort pour ne pas se retourner et se mettre à courir lui demanda une énergie qui affola un peu plus son niveau de stress. Si elle avait appris une chose durant ces douze dernières années, c’était que s’immerger et se fondre dans son environnement était le moyen le plus sûr pour échapper à la menace. Il aurait été trop stupide de se faire repérer par les hommes de Daniel,
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en se retournant en ayant l’air d’un animal aux abois. Encore faudrait-il qu’ils se doutent qu’elle les avait bernés.
Elle repéra un homme, le nez plongé dans son téléphone qui se déplaçait avec une facilité déconcertante au regard du nombre de personnes et obstacles qui gênaient sa progression, et se cala à son pas.
La fenêtre de tir pour se rendre chez le faussaire s’était réduite de façon considérable depuis que Daniel avait décidé de jouer au Samaritain. Un samaritain qui embrassait comme un Dieu. La simple idée de le voir recommencer lui provoquait une chaleur bienvenue dans le creux de son ventre, songea Mimi. Elle chassa ses pensées peu opportunes. Ce n’était vraiment pas le moment de fantasmer. Avec un soulagement évident, elle prit une rue transversale et accéléra le pas. Deux minutes plus tard, elle atteignit la station de métro et s’engouffra dans les profondeurs de la capitale sans avoir été suivie.
Sa visite n’avait pas eu le résultat escompté, mais Mimi s’en doutait un peu. Ce qui allégea sa déception. Ses papiers n’étaient pas prêts, et Marty n’avait pas été spécialement heureux de la voir. Chaque visite augmentait les chances d’être découvert, et c’était un point qui le mettait particulièrement de mauvais poil. Et là, Marty lui avait franchement donné la frousse. À présent, elle se trouvait de nouveau assise dans un métro en train de reprendre son souffle et de calmer les battements de son cœur. Ce qu’elle réussit à faire quand elle rejoignit la ligne 1 pour La Défense. Ce qui signifiait après avoir fait un long, très long trajet.
Mimi émergea enfin sur l’esplanade de la Défense.
Comme à son habitude, l’endroit grouillait de monde.
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Des costumes-cravates aux touristes en passant par la mère de famille où l’étudiant. Un brassage coloré comme elle les aimait. La tour dans laquelle Daniel avait ses bureaux s’élevait face à elle. Puissante, dominatrice, indestructible. Des adjectifs qui définissaient également Daniel.
Un picotement lui chatouilla les lèvres et instinctivement, Mimi y porta ses doigts. Comme si le souvenir de leur baiser se réveillait à son approche, et que son propre corps reconnaissait ses besoins avant elle. Daniel était entré dans sa vie de façon fulgurante presque un an auparavant… et n’en était jamais ressorti. L’attirance avait été immédiate. Et réciproque. Elle n’avait jamais connu ce genre d’attraction. C’était une sensation inconnue, mais au lieu d’être dérangeant, elle la fascinait et étrangement, la trouvait réconfortante.
Mais il avait fallu qu’il établisse ce contact par un baiser qui l’avait foudroyée sur place… qui malheureusement arrivait trop tard. Comment pourrait-elle envisager de créer quoi que ce soit avec Daniel sachant qu’elle disparaîtrait bientôt de sa vie ? Mimi ressentit comme un étau lui comprimer la poitrine.
Peut-être pourrait-elle simplement profiter du peu de temps qu’il leur restait ?
Peut-être pouvait-elle goûter cette minuscule parcelle de bonheur et de bien-être que représentait la simple présence de Daniel avant de fuir ?
Puis, l’emporter avec elle dans le secret de son cœur, ouvrant le coffret de ses souvenirs pour en admirer la beauté lors des moments les plus sombres qui allaient inévitablement arriver quant elle serait loin de tous ceux qu’elle avait appris à aimer ces dix dernières années.
Mais ne serait-ce pas injuste ? Pour elle ? Mais
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surtout pour Daniel ?
Seigneur !
Mimi ferma les yeux quelques secondes. Il n’y avait pas de réponses toutes faites. Elle ne pouvait se fier à rien. Ni à son instinct ni sur son bon sens. Elle ne pouvait que vivre l’instant présent, Daniel n’étant pas le genre d’homme qu’elle pouvait manipuler dans quelque domaine que ce soit. Bien au contraire. Elle qui avait l’habitude de maîtriser chaque part de sa vie se sentait complètement démunie face aux émotions que Daniel faisait naître en elle. Peut-être pourraient-ils juste profiter de cette attirance. Daniel, d’après ce qu’elle en avait déduit et ce que Mathilde lui avait dit, était un phobique de l’engagement. Il collectionnait les femmes comme un philatéliste acharné. Elle, de son côté, ne pouvait en aucun cas s’engager, son temps à rester sur Paris étant compté. Alors, pourquoi ne pas trouver une sorte d’arrangement mutuellement profitable…
Mimi respira profondément pour se ressaisir. Elle était venue pour confronter Daniel, ou plus précisément pour connaître ce qu’il avait découvert sur elle… et qu’il stoppe immédiatement sa surveillance. Elle était parvenue à semer des professionnels et Mimi ne se gênerait pas pour lui expliquer qu’elle était tout à fait capable de réitérer l’expérience… même si cela s’annonçait beaucoup plus délicat.
Il devait aussi comprendre une chose !
Elle ne manquait pas de ressource et pouvait parfaitement se débrouiller seule. Ce qu’elle faisait depuis plus de douze ans. Une information qu’elle garderait cependant pour elle. Pas la peine de mettre un morceau de viande devant un requin pour ensuite
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le lui retirer. Enfin, c’est à peu près l’idée. Daniel ne lâcherait pas si elle en disait trop. Ou pas assez. À elle de trouver l’équilibre.
*
Mimi sourit à l’agent de sécurité qui l’avait reconnue malgré le nombre de personnes qui chaque jour qui passaient les portes et traversaient le hall immense. Elle était venue si souvent dans ces bureaux que la procédure de sécurité s’avéra une simple formalité. Elle se soumit au protocole en présentant une pièce d’identité avant que l’agent ne lui remette un badge et lui souhaite une bonne journée.
Les cinquante-six étages cinquante-sept que possédait la tour défilèrent étrangement vite. Mimi avait appris lors de ces fréquentes visites que le cinquante-septième et dernier étage avait été aménagé en loft avec une terrasse panoramique à faire pâlir les plus envieux. Non qu’elle le soit, mais elle avouait sans honte qu’elle aurait adoré profiter du spectacle qu’offrait la vue sur La Défense, Paris et les environs.
Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent dans un chuintement discret et Mimi posa les pieds sur un sol en marbre clair de première beauté. L’espace ouvrait sur un hall lumineux et aéré, et les matières utilisées pour la décoration cassaient le côté froid du marbre pour donner une atmosphère étonnamment élégante et chaleureuse.
Le bureau de l’hôtesse d’accueil était désert. Mimi se souvenait parfaitement de la jeune femme qui l’avait accueillie tous les jours pendant des semaines.
Lila avait fait preuve de gentillesse et de compréhension. Jamais elle ne lui avait fait de remarques sur ses venues, qui, avec le recul pensa
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Mimi, n’avaient rien eu de constructif. Mais elle se faisait tellement de soucis pour Mathilde qu’elle aurait donné sa propre vie pour obtenir une bribe d’information concernant sa disparition. Lila s’était montrée douce, compatissante et avait fait preuve d’une patience d’ange. Elles avaient appris à s’apprécier et avaient développé des rapports proches d’une forme d’amitié. Aujourd’hui, Lila avait accouché d’un petit garçon, et vu le désordre qui régnait sur le bureau d’habitude immaculé, elle n’avait pas encore été remplacée.
Ce que Mimi comprenait, car Lila était devenue un pilier indispensable au bon fonctionnement de l’entreprise. Elle gérait une multitude de détails et de dossiers. Daniel et Greg se reposaient entièrement sur elle dans le domaine administratif. Il se dégageait d’elle une aura particulière qui amenait le respect. Elle n’avait pas besoin d’utiliser quelque autorité que ce soit pour exister dans le monde très masculin qu’était la protection rapprochée, les femmes étant encore peu nombreuses à exercer ce métier. Mimi en avait croisé quelques-unes, mais n’avait pas pris le temps à l’époque de leur parler, trop perturbée par Mathilde pour s’engager dans des discussions sur la place des femmes dans un milieu bourré de testostérone. Mais le peu qu’elle en avait vu lui confirmait qu’elles y avaient parfaitement trouvé leur place et que ces femmes étaient considérées comme des membres à part entière de l’équipe et non de blondes affublées d’une paire de seins. Daniel et Greg avaient marqué des points sur ce coup-là.
Mimi se tourna pour s’engager dans le couloir lorsqu’elle percuta une haute silhouette tout en muscles, et recula précipitamment en étouffant un cri. Elle releva les yeux et accrocha ceux d’un noir
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profond de Greg. Des cheveux foncés, coupés courts, un teint hâlé, un visage impassible, le tout moulé dans un corps immense dont les muscles saillaient sous son t-shirt. Sa posture, jambes légèrement écartées, pieds fermement ancrés au sol en une attitude faussement détendue alerta Mimi. Cet homme était peut-être taciturne, sombre et inquiétant, il n’en était pas moins vif et averti.
Greg semblait toujours sur ses gardes. Deux secondes auparavant, Mimi était sûre d’être seule dans le hall, et elle s’étonna qu’un homme de sa taille puisse se déplacer si vite, mais aussi dans un silence absolu. Il avait le pouvoir de lui foutre une trouille bleue. En plus d’être en noir de la tête au pied, Rangers, pantalon cargo, t-shirt noir, il dégageait une énergie virile inquiétante et une beauté presque hypnotique, renforcée par la cicatrice qui lui barrait la joue. Il respirait le danger, à l’instar de Daniel. Mais si la dangerosité de ce dernier se traduisait par une aura lumineuse, presque aveuglante, celle de Greg était définie par une noirceur qui vous sondait l’âme et vous attirait dans les profondeurs de son regard.
Les deux hommes étaient comme les deux faces d’une même pièce. Complémentaires et indissociables. Mimi ignorait ce qui avait pu rendre Greg si sombre et ombrageux, et elle n’avait pas particulièrement envie de percer ses secrets.
Greg observa la petite rouquine qui lui arrivait tout juste à l’épaule. Son visage fin était tiré, probablement dû à la fatigue s’il en croyait les légers cernes sous les yeux. Et Greg comprit tout de suite pourquoi son ami semblait si attiré par cette fille. En plus d’être belle dans le sens classique du terme avec son visage doux, ses yeux expressifs, elle possédait une volonté farouche et une détermination qui se
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lisaient sur son visage. Dans les faits également, ajouta- t-il mentalement, sinon, pourquoi irait-elle se foutre dans la merde en contactant un type comme Marty ? Ses grands yeux étonnants couleur de l’ambre, presque jaune, étaient écarquillés par la surprise qui se mua en soulagement et enfin une émotion qu’il faisait souvent naître chez les gens : la peur. C’était pourtant le dernier sentiment qu’il voulait qu’elle éprouve. Elle était suffisamment aux abois pour ajouter une couche supplémentairement à son inquiétude. Aussi hocha-t-il la tête pour la saluer.
— Mimi.
— Greg, répondit-elle en reproduisant son geste. Au moins, se détendit-elle, remarqua Greg. Ses
épaules se relâchèrent légèrement et elle décrispa ses doigts qui s’étaient inconsciemment agrippés à la bandoulière de son sac. Ils restèrent campés sur leur position, le regard de l’un fixé sur l’autre. Mimi, car elle n’était pas encore totalement rassurée, Greg, pour observer cette femme qui n’avait pas froid aux yeux. De nouveau, il se demanda jusqu’où elle serait capable d’aller pour se sortir de la merde dans laquelle elle était indéniablement plongée.
Un juron qui aurait fait rougir tout un commando de mercenaires leur parvint de derrière les cloisons d’un bureau. Malgré la voix étouffée, Mimi reconnut le timbre entre mille. Pour une raison qui lui échappa, elle se sentit étrangement mal à l’aise et empruntée d’avoir faussé compagnie aux hommes de Daniel.
Comme s’il lisait dans ses pensées, elle vit les lèvres de Greg frémir légèrement, et ses yeux briller d’une lueur qu’elle ne lui avait encore jamais vue. Ce qui pouvait s’apparenter à un sourire chez cet homme.
— Bien joué !
— Merci…, bredouilla-t-elle.
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Mimi se sentit rougir devant ce qu’elle considéra comme un sacré compliment. Greg n’était pas le genre de personne à en distribuer, encore moins à en être amusé. Cela voulait aussi dire qu’il en savait autant que Daniel sur elle… et qu’elle pouvait dire adieu à son fol espoir de pouvoir un jour les semer à nouveau. Raison pour laquelle elle devait mettre les choses au clair avec Daniel. Et la tâche s’annonçait délicate…
Mimi désigna le bureau du menton.
— État d’esprit ?
Greg pencha la tête sur le côté, comme s’il observait un ovni. À la fois fasciné et incrédule. Et cette fois, un sourire franc lui barra le visage, changeant totalement sa physionomie. Ce type était canon !
— Furax.
ce simple mot, Mimi sentit toute légèreté s’envoler.
— Merde, marmonna-t-elle.
Si elle voulait amadouer Daniel, le mettre dans un tel état d’esprit était loin d’être judicieux.
Greg s’avança et domina Mimi de toute sa taille. Même si elle mourait d’envie de prendre ses jambes à son cou, elle ne bougea pas et soutint le regard de Greg aussi noir que l’encre. Il pencha la tête, toute trace d’amusement disparue, et annonça d’une voix basse et profonde.
— Si vous étiez à moi et que vous m’aviez joué ce sale tour, vous seriez à l’heure actuelle dans mon bureau allongée sur mes genoux à recevoir la fessée de votre vie.
Mimi recula le souffle coupé, et le regarda les yeux écarquillés, la bouche ouverte sans qu’aucun son n’en
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sorte.
— Une fessée !? balbutia-t-elle après plusieurs secondes.
— Oh ! oui, chérie. Il se pencha un peu plus. Et je peux vous garantir que vous vous en souviendriez autant que vous aimeriez.
— Je… je ne suis pas à vous, ni à personne d’autre, glapit-elle à court d’arguments, totalement prise au dépourvu par les propos hallucinants de Greg.
Car à n’en pas douter, il était plus que sérieux. Il désigna le bureau du menton, et sans demander son reste, Mimi se précipita vers la porte. Et si elle se retournait, elle était certaine de lire de l’amusement sur les traits de Greg.
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Chapitre 11
Daniel bouillait.
De colère.
De frustration.
Il se retint à grand-peine d’envoyer son téléphone se fracasser contre le mur. À cela s’ajoutait un sentiment qu’il détestait ressentir : l’inquiétude. Elle lui brouillait l’esprit et l’empêchait de réfléchir correctement. Et il savait précisément pourquoi. Il était personnellement impliqué, mais il aurait tué quiconque oserait lui en faire la remarque en lui conseillant de déléguer la surveillance de Mimi à un autre que lui.
Il arrêta de faire les cent pas dans son bureau et se passa une main nerveuse dans les cheveux en soupirant. Il faudrait absolument qu’il les coupe ! Même si ce n’était vraiment pas le moment de penser à ce genre de futilité !
Comment une petite danseuse pouvait semer un type comme Paul ? C’était incompréhensible ! Enfin, pas tant que cela, maintenant. Paul avait vite découvert comment la jeune femme avait fait pour disparaître. C’était audacieux et culotté. Comme elle. Mais cela soulevait aussi une faille dans leur protocole
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et leur système de surveillance. Paul avait pris la mission comme acquise, sans lui accorder tout le sérieux qu’elle méritait. Et par excès de confiance, Mimi leur avait filé entre les doigts.
Il se posta devant la haute baie vitrée et enfonça les poings dans ses poches tout en observant le parvis de La Défense. Il percevait les vibrations de la foule en contrebas. Il sentait l’énergie de ce quartier perpétuellement en activité monter jusqu’à lui. La ville à plusieurs mètres sous lui fourmillait, et inconsciemment, Daniel plissa les yeux dans l’espoir imbécile d’y repérer une petite silhouette fine à la chevelure rousse. Pas un roux flamboyant, mais d’une nuance qui approchait le rouge lorsque le soleil accrochait ses jolies ondulations qui lui descendaient jusqu’aux épaules. Daniel se secoua mentalement pour revenir à des réflexions plus terre à terre. Il n’avait pas eu l’occasion de mettre un mouchard dans son téléphone, et ce serait la première chose qu’il ferait quand elle se déciderait à réapparaître.
Un coup frappé à sa porte chassa ses pensées sombres, sans pour autant modifier son humeur.
— Quoi ? aboya-t-il en se retournant et se dirigeant vers la porte qui s’ouvrit quand il atteignait le milieu de son bureau.
Il stoppa net en découvrant la silhouette de cette femme qui lui faisait perdre la tête et qui représentait une trop grande menace pour son sang froid. Car, à cet instant, il hésitait entre plaquer son adorable corps contre la paroi, lui arracher ses vêtements et s’enfoncer dans sa douce moiteur, ou au contraire passer ses doigts autour de son joli cou.
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La première chose que Mimi capta fut le regard chocolat qui la dévisagea avec une intensité qui la cloua sur place. Elle referma la porte et s’y adossa. Elle avait juste besoin de quelques secondes pour calmer le tremblement de ses jambes. Les yeux de Daniel ne la quittaient pas et ce qu’elle y lut la fit frissonner et lui coupa le souffle : du désir à l’état pur. Brut, presque animal. Un désir mâtiné de colère. Elle pouvait sentir l’atmosphère de la pièce qui s’était brusquement chargée d’une tension sexuelle à la limite du supportable.
Bon sang !
Comment pourrait-elle mettre les points sur les I avec Daniel si sa seule idée était de le déshabiller sur place et lui demander de lui faire l’amour ici même sur le sol de son bureau !
Et, vu comment il la déshabillait à son tour du regard, il était évident qu’il partageait ses pensées, ses envies, ses fantasmes.
Daniel parvenait à occuper tout l’espace. Son aura, sa force tranquille se déployait à travers la pièce et comblait les espaces vides, réussissant même à s’insinuer dans les failles remplies de doutes qui habitaient Mimi.
Avec lui, elle se sentait libre.
Avec lui, elle se sentait forte.
Avec lui, elle ne s’était jamais sentie aussi femme. Il était grand et toujours aussi insolemment viril et
séduisant. Sa chemise blanche épousait parfaitement son torse large et ses épaules, qui l’étaient tout autant. Elle avait pu éprouver la fermeté de ses muscles que le tissu cachait, et ses mains se
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souvenaient encore de leur dureté. Son jean bas sur les hanches soulignait ses cuisses puissantes.
Mimi releva les yeux. Daniel ne la regardait pas. Il la dévorait littéralement. Et s’ils continuaient ainsi, il était certain que leur part animale serait celle qui aurait le dernier mot. Une mèche sombre lui tombait sur le front. Mimi se retint de faire les quelques pas qui les séparaient pour la repousser du bout des doigts. Car, Dieu savait qu’elle avait aimé passer ses mains dans son épaisse chevelure si douce au toucher qu’elle en avait encore des picotements dans les doigts.
Mimi fut la première à rompre le contact. Ses yeux se promenèrent sur cette pièce qu’elle connaissait si bien et qui pourtant lui était étrangère. Le mobilier sobre, masculin et néanmoins harmonieux. Il s’en dégageait un sentiment de bien-être qui incitait à se poser. À la confidence, ajouta- t-elle pour elle-même. Combien de doutes, combien de peur, combien de mots rassurants avaient été prononcés dans ces lieux ? La profession de garde rapprochée était peut-être assimilée à la force physique, la maîtrise de soi, l’observation, mais elle demandait aussi une grande dose de psychologie. Et Daniel possédait cette qualité qui était aussi sa force. Il savait par sa simple présence, rassurer, et par un simple mot, diriger et contrôler ses hommes ou ses clients sans les brusquer.
Elle se dirigea vers la baie vitrée, frôlant Daniel sans toutefois le toucher. Une odeur discrète d’après-rasage, de propre, lui chatouilla les narines, et comme une possédée, elle respira profondément, gravant son odeur dans sa mémoire. Le souvenir de leur baiser planait autour d’eux, comme un rappel, et Mimi pinça les lèvres et serra les poings pour s’empêcher de
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sauter au cou de Daniel.
Ses yeux se posèrent sur le panorama. La Défense, Paris au loin, enroulée aujourd’hui dans un léger voile brumeux. Une nappe vaporeuse qui la rendait presque mystérieuse, mais aussi attirante. Dieu que tout cela allait lui manquer…
Daniel n’avait pas bougé. Sans le voir, elle savait qu’il l’observait, qu’il l’étudiait plus précisément. Une chaleur se répandit dans son ventre, remonta le long de sa colonne, se déplaça sur ses joues. Mimi posa ses mains et son front contre la vitre dont la fraîcheur lui fit du bien. Ils devaient absolument parler, faire éclater cette bulle de sensations qui les retenait et les empêchait de respirer normalement. La tension qui les entourait devenait de plus en plus lourde, de plus en plus intense, à la limite du supportable.
— C’est beau, murmura Mimi d’une voix qu’elle ne reconnut pas.
— Magnifique, répliqua Daniel dont le timbre rauque la fit frissonner.
Et Daniel ne parlait aucunement de la vue…
Au ton qu’il employa, Mimi se retourna, fixant son regard à celui perçant de son hôte. Un regard qui en apparence paraissait passible, mais qui, en l’observant plus attentivement, reflétait tout autre chose.
— Vous semblez un chouia en colère
— Je ne crois pas, non. Je ne laisse jamais ce genre d’émotions m’atteindre.
— C’est triste
— Non. Raisonnable.
— Un drôle de gâchis, je dirais
— Une attitude censée, répliqua Daniel.
— Cela signifie que vous ne ressentez aucune émotion ?
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— Oh ! Si, j’en ressens, mais je ne les laisse jamais devenir un obstacle.
Jusqu’à aujourd’hui, ajouta-t-il en son for intérieur.
— C’est bien ce que je disais, marmonna Mimi. Un sacré gâchis
Mimi respira profondément. Elle était venue dans le seul but de savoir quelles informations détenait réellement Daniel… même si une petite voix lui rappelait que ce n’était pas l’unique raison. Mais elle l’ignora. Daniel l’avait fait suivre et depuis plus longtemps qu’elle ne le soupçonnait. Et cette surveillance était un problème qui l’empêchait d’agir librement et de préparer sa prochaine disparition comme elle l’entendait. À moins qu’elle ne l’utilise à son profit. Et pour cela, elle devrait la jouer serré si elle voulait convaincre Daniel. Elle se retourna tout en restant appuyer le dos contre la paroi vitrée.
Daniel l’observait dans un silence animal. Il haussa un sourcil interrogateur et lui adressa un sourire insolent qui releva un côté de ses lèvres. Un sourire qu’elle adorait autant qu’elle détestait !
Aucun des deux n’étaient dupes des actions de l’autre, mais sans que l’un d’eux ne se décide à avouer. Mimi craqua la première. À ce jeu, Daniel était indubitablement le meilleur, même si elle ne percevait aucune rivalité entre eux.
Ses yeux glissèrent sur la jolie silhouette de Mimi. Son pull crème oversize découvrait une épaule dont le grain était aussi doux que de la soie. Ses jambes étaient emprisonnées dans des leggings noirs. Il détestait ce genre de pantalon lycra qui ne pardonnait en général aucun défaut, mais là, il épousait à la
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perfection les longues jambes fines de Mimi et Daniel dut faire un effort pour contrôler la douleur soudaine qui lui enflamma les reins. Seul son bureau les séparait, mais cette barrière paraissait bien fragile comparée à l’envie qu’il avait de la toucher.
— Je sais que vous m’avez fait suivre. À ce propos, demanda Mimi avec une fausse désinvolture, comment va Paul ?
Daniel lui adressa un autre de ses sourires ironiques. Si elle comptait le déstabiliser, elle avait des efforts à fournir. Si un trait de caractère pouvait le définir, c’était bien le stoïcisme et la nonchalance. Bien que cette dernière lui ait joué parfois des tours, surtout avec la gent féminine… néanmoins, il ne pouvait sous-estimer Mimi. Il l’avait fait quelques heures auparavant, et on ne l’y reprendrait pas. Mimi était loin d’être stupide, bien au contraire. Elle avait réussi à semer Paul qui était pourtant un professionnel. Daniel avait fait une erreur en le choisissant. Il avait occulté le fait que Mimi, pour être venue dans ses bureaux quasiment tous les jours pendant quatre mois à la disparition de Mathilde, connaissait tous les agents, hommes comme femmes, qui travaillaient pour l’agence. Elle était même assez maline, ou stupide dans ce cas, pour traiter avec un faussaire, et pas des plus commodes. Et ce genre de personnage ne se trouvait pas dans les pages jaunes ! Une information qui le rembrunit aussitôt et qui le fit grogner de colère.
Mimi attendait sa réponse. Elle ne se fiait pas à l’air indolent qu’il abordait. Elle savait que derrière se cachait un esprit vif et affûté.
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— Bien. La dernière fois que je lui ai parlé, il regrettait grandement de n’avoir pu vous présenter ses hommages.
— Vous lui avez surtout soufflé dans les bronches, marmonna Mimi, agacée de voir naître à nouveau ce sourire insolent.
Elle s’avança jusqu’à poser ses mains à plat sur le bureau de Daniel avant de lever ses yeux ambre si particuliers pour les fixer sur ceux de Daniel.
— OK ! Il est temps de mettre les choses à plat.
Daniel coula un regard sur les mains de la jeune femme posées sur la surface en bois avant de le remonter sur sa poitrine, sa gorge. Il pouvait voir aux battements frénétiques de son pouls à la base de son cou que sous sa façade posée, l’agitation couvait en elle. Enfin, il posa ses yeux sur les siens, son regard alternant entre son joli visage et le plateau du bureau sur lequel il adorerait l’allonger.
— C’est une excellente idée, murmura-t-il.
Mimi se redressa vivement en saisissant son sous-entendu.
— Bon sang, Daniel ! Vous ne pouvez pas être sérieux ?
— Croyez-moi, ma belle, reprit-il d’une voix si rauque qu’elle raisonna dans la poitrine de Mimi, je suis on ne peut plus sérieux. Mais vous avez raison ! Ce n’est pas le moment. On en reparlera plus tard !
— On ne reparlera pas plus tard, marmonna Mimi, les joues en feu tout en quittant l’abri du bureau pour se placer face à Daniel, les poings sur les hanches.
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Une pose qui ramena Daniel des mois en arrière, quand elle lui avait tenu tête dans la rue où habitait Mathilde. Une vraie amazone qui l’avait littéralement ensorcelé ce jour-là et à qui il rêvait de faire subir les pires outrages. De préférence, nus, en sueur et sur n’importe quelle surface. Daniel se recula pour s’appuyer contre le plateau du bureau.
Il était temps de passer à l’offensive. Mais surtout comme l’avait si justement dit Mimi, de mettre les choses à plat. Mais pas frontalement. Mimi était fière.
— Oui, je vous ai fait suivre, commença-t-il, répondant ainsi à l’attaque de Mimi.
— Et pourquoi cela ?
— Je crois que c’est à vous de répondre à cette question, répliqua Daniel avec un calme agaçant.
— Question qui ne vous regarde pas !
Mais au moment où les mots sortaient de sa bouche, elle réalisa son erreur. En deux phrases, ce satané voyou lui avait arraché des aveux.
Daniel observa son joli visage prendre une teinte rosée. Mais il connaissait Mimi et son caractère enfiévré et s’il ne voulait pas qu’elle parte dans les tours et sorte de ce bureau comme elle y était entrée, il devait changer de tactique. Et celle-ci s’avérait des plus simple et ne tenait qu’en un mot : l’honnêteté.
Il leva les paumes en signe de rédhibition.
— OK. Si j’ai demandé à Paul de vous suivre, c’est simplement, car je me fais du souci pour vous. Mathilde également.
À l’énonciation du prénom de son amie, Mimi sentit une boule de culpabilité lui serrer la gorge. Comme elle ne faisait pas mine de parler, Daniel poursuivit. Il
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avait vu la pâleur cette fois tenir les jolis traits de Mimi, et il allait allègrement jouer avec cette faille.
— Mathilde vous voit vous refermer sur vous depuis quelque temps. Elle sait que quelque chose vous préoccupe. Vous terrifie, même. Et son impuissance à vous aider l’angoisse. Et cette inquiétude par ricochet trouble sa grossesse.
ces mots, le visage de Mimi devint cendreux. Toutes les alarmes de Daniel passèrent au rouge. Il fronça les sourcils tentant de décrypter les expressions de la jeune femme. Des expressions criantes d’émotions pures qu’il ne parvenait pour le moment pas à déchiffrer, mais qui, il en était certain, avait un lien avec ce que Mimi s’évertuait à cacher.
— Est-ce qu’elle va bien ? Le bébé ? demanda-t-elle d’une petite voix saturée d’inquiétude qui donna envie
Daniel de combler la distance qui les séparait et de la prendre dans ses bras.
— Elle va bien. Et le bébé aussi.
Mimi se mordilla les lèvres. Elle avait tellement été centrée sur ses problèmes qu’elle avait complètement fait abstraction des conséquences de ses actions. Mathilde avait toujours été une amie fidèle. De celles qui comprennent, acceptent et respectent vos silences. Même, si en l’état, ses silences l’avaient poussée à engager Daniel et se faire un sang d’encre au point de mettre sa santé et celle de son bébé en danger. Ce que Mimi ne se pardonnait pas.
— Logan insiste pour qu’elle se rende à HylandsHall et se repose. Mais elle refuse…
— Car elle se fait du souci pour moi et me fait
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passer avant sa propre santé, compléta Mimi, atterrée par sa couardise.
— En quelque sorte, oui.
Daniel planta dans les siens ses yeux bruns qui prirent une nuance plus claire, presque hypnotique. Par son regard franc, il la défiait de le contredire et l’obligeait pour la première fois depuis des mois à remettre son jugement et ses actes en question. Ces mêmes actes qui causaient des dommages collatéraux aux conséquences potentiellement désastreuses.
Son regard ne quittait pas le sien. Au contraire, il l’obligeait à s’accrocher au relief de la vérité. Même si elle ne pouvait la lui révéler. Du moins dans son intégralité.
Le visage de la jeune femme était si expressif que Daniel pouvait la voir se battre contre sa conscience. Sa façon de mordiller sa lèvre inférieure, la tension dans ses épaules, son souffle légèrement erratique qui faisait monter et descendre sa poitrine et tendait son pull sur ses appétissants petits seins. Il détourna immédiatement cette pensée. Il y avait un temps pour tout. Et définitivement, ce n’était pas l’heure de penser au plaisir qu’il pourrait offrir à cette jolie rousse. Pas encore du moins.
Il avait joué avec la culpabilité de la jeune femme par rapport à l’état de Mathilde, mais n’en ressentit aucun remords. Et il sut précisément à quel moment les premières barrières qui entouraient son silence, et ce qu’il dissimulait tomba.
— Qu’est-ce qu’il se passe, Mimi ? demanda doucement Daniel pour l’encourager.
Cette dernière baissa le regard en soupirant longuement avant de relever la tête. Ses yeux
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n’exprimaient plus le désarroi, mais avaient retrouvé cette lueur qui lui était si familière. Déterminée. Elle ne pouvait peut-être pas tout raconter à Daniel, mais pouvait se servir de ses intentions pour respirer un peu. Elle le connaissait suffisamment pour savoir qu’il ne la lâcherait pas, qu’il poursuivrait sa surveillance tant qu’il n’aurait pas la preuve que tout allait bien. Alors, autant utiliser son entêtement. Après tout, savoir qu’elle avait un allié lui permettrait de souffler et de ne plus avoir à se retourner toutes les deux minutes pour assurer ses arrières. Cette tension à l’idée d’être suivie, observée était épuisante. Aussi bien physiquement que mentalement.
Daniel retint un sourire de satisfaction. Le visage de Mimi était si expressif à ce moment qu’il pouvait aisément lire les pensées et les réflexions qui traversaient sa petite caboche. Il voyait avec exactitude les rouages qui se mettaient en place dans sa jolie tête.
Il se força à rester impassible. Ce qui lui demandait un sacré effort quand il était face à la belle rouquine. Mais visiblement, elle empruntait la voie qu’il voulait qu’elle prenne.
— Il est possible que quelqu’un cherche à m’intimider, avança Mimi à contrecœur, une moue sur les lèvres.
— Et ce quelqu’un… ?
— Un ex, répondit Mimi, une grimace cette fois déformant sa jolie bouche.
Daniel serra les poings sans pour autant exprimer son irritation. Mimi avait un passé qui amenait avec lui des hommes qui avaient traversé sa vie. Même s’ils étaient peu nombreux d’après l’enquête qu’il avait menée sur elle, il n’en restait pas moins qu’ils avaient
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existés. Et que d’autres hommes que lui se soient permis de toucher son corps l’irritait. Non, le mettait dans une colère noire qui le choqua. Et ce qui le choqua encore plus fut cette sensation de possessivité qui l’envahit et faisait circuler son sang plus vite dans ses veines.
Mimi était à lui !
— Et cet ex a un nom ? demanda Daniel d’une voix métallique.
Si le ton de sa voix lui irrita la gorge, Mimi était trop préoccupée pour s’en apercevoir. Et tant mieux. Daniel prit une lente et profonde inspiration. Il ne devait pas laisser ses émotions le dominer. C’était non seulement ridicule, mais surtout absolument pas professionnel.
Mimi se mordilla de nouveau la lèvre. Son ex. Un préfixe bien terne pour le définir. Cet homme était trop puissant, trop dangereux pour qu’elle laisse Daniel s’en approcher. Qu’il la protège, d’accord. Qu’il se mette en danger pour elle était exclu. Bizarrement, elle tenait trop à Daniel pour qu’il lui arrive quoi que ce soit. Elle s’en voulait déjà d’angoisser Mathilde, alors s’il arrivait malheur à Daniel, elle ne se le pardonnerait jamais. Elle releva la tête, un air déterminé recouvrant ses traits.
— Il a un nom, oui. Mais que je ne vous donnerai sûrement pas !
— Et pourquoi cela ? demanda maintenant Daniel d’une voix anormalement basse.
Trop pour ne pas éveiller l’attention de Mimi. Sous ses airs de bad boy insolent se trouvait un homme
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implacable. Son métier, sa carrure même étaient un rappel à ce qu’elle ne devait surtout pas oublier. Ce qui la conforta dans sa stratégie. En dire juste assez pour assouvir curiosité et garder l’essentiel pour elle.
La jeune femme émit une sorte de reniflement peu élégant, et à la grande surprise de Daniel, elle assumait totalement. Elle plissa les yeux, et les mains sur les hanches, se pencha légèrement vers l’avant. Comme si sa position donnait plus de force aux mots qu’elle s’apprêtait à déverser.
OK, pensa Daniel. Mimi n’aimait pas perdre la main, et surtout dévoilait une part importante de sa personnalité. Elle désirait contrôler la discussion, tout simplement, car elle ne maîtrisait pas les éventements qui la poussaient à se cacher, à fuir et à faire faire de faux papiers d’identité. Rien de plus rassurant que de vouloir la maîtrise, la définir comme maître mot, quand on se sentait vulnérable. Ce qu’était indéniablement Mimi.
— Parce qu’il est hors de question que vous le retrouviez pour lui flanquer une raclée !
— Ce n’est pas mon genre.
— Bah, tiens !
Daniel, toujours appuyé contre son bureau, croisa les bras. Le mouvement attira le regard de Mimi sur les muscles qui tendaient sa chemise. Elle détourna aussitôt les yeux, et déglutit difficilement devant cette vue pour le moins attirante. Avec sa stature puissante, il lui faisait penser aux guerriers de l’ancien temps. Elle ne devait pas se laisser déconcentrer. Elle sortit de sa contemplation quand la voix rauque de Daniel lui parvint.
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— Je vais reformuler dans ce cas. On sait tous les deux que vous m’intriguez. Et lorsque je suis intrigué, je deviens… comment dire… curieux. Et cette curiosité m’a poussé à chercher qui est réellement Charlie Meyer.
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Chapitre 12
Daniel vit la jeune femme pâlir légèrement, mais le voile d’incertitude qui traversa son regard fut vite balayé.
— Alors au cas où vous n’auriez pas fait vous-même les déductions, je connais les noms de vos ex et qu’il me serait facile de retrouver celui qui vous cause quelques frayeurs en ce moment.
Ce fut tout juste si Daniel ne cracha pas le mot « ex ». Décidément, il avait du mal à l’avaler.
Mimi fut parcourue par un long frisson. Il avait creusé son passé, elle le savait déjà puisqu’il avait retrouvé sa véritable identité. Ce qu’elle ignorait, c’était ce qu’il avait déterré en fouillant ainsi dans sa vie.
La liste de tous ses anciens petits amis !
C’était de la folie !
Elle était à la fois abasourdie qu’il ait pu faire cela même si elle comprenait ses motivations. Et terrifiée à l’idée de ce qu’il pourrait trouver s’il s’obstinait à fouiller encore plus loin. Et c’était hors de question qu’il poursuive ses recherches. Après un instant de panique, elle se reprit, s’évertuant à suivre son plan d’origine. À savoir lui donner ce qu’il voulait. Un ex un
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tantinet obsédé, mais pas méchant et ne possédant pas deux sous de jugeote.
— Que les choses soient claires ! Je vous interdis de fourrer votre nez dans mes affaires. Il y a effectivement un ex qui n’a, semble-t-il, pas saisi que tout était terminé entre nous. Quand il en aura assez de courir après une chimère, il rentrera gentiment chez lui.
Daniel haussa un sourcil face à la diatribe de la jeune femme.
Bien ! Elle montait sur ses ergots, cela signifiait qu’il avait touché juste. Un de ses ex, là encore rien que le mot lui donna envie de vomir, lui fichait une frousse de tous les diables. Sur ce point, ils étaient d’accord. Là où différait leur point de vue, était que l’ex en question ne faisait pas partie de la liste qu’il avait soigneusement établie lorsqu’il avait retracé son passé. Et là, c’était un véritable problème, car il naviguait à l’aveugle. Il était au moins certain d’une chose et corroborait ce que Greg et lui avaient déduit. Celui qui la harcelait, ou du moins cherchait à l’effrayer, avait fait partie de sa vie et qu’ils devaient creuser sur les deux années manquantes dans le CV de Mimi.
— C’est donc ceci votre théorie. Un type un peu gentil qui n’aurait pas compris le mot « non » ?
— Exactement ! Pas de quoi en faire toute une histoire, répondit la jeune femme.
Daniel esquissa un discret sourire devant l’attitude de walkyrie de Mimi, avec ses minuscules mains refermées en poings posées sur ses hanches, son petit menton volontaire fièrement dressé. Il ne voulait pas
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la braquer totalement. Il avait maintenant suffisamment de matières pour poursuivre sa petite enquête sur Mimi.
Il s’octroyait également le droit à une autre mission infiniment plus excitante. La protection rapprochée de Mimi. Car dorénavant, il ne comptait plus la lâcher d’une semelle. Avec son accord ou non.
— Mais puisque vous insistez, poursuivit Mimi, je vous autorise à garder un œil sur moi.
— Vous « m’autorisez » ? demanda-t-il le souffle presque coupé par autant de superbe.
Bon sang ! Cette femme avait l’art de retourner la situation !
Mais à peine avait-elle prononcé ses mots que le sourire de Daniel s’élargit. Il n’avait pas prévu de l’amener ainsi, mais peu importait !
Elle faisait exactement ce qu’il désirait qu’elle fasse. Car Mimi et sa fierté n’auraient jamais toléré qu’il lui impose sa présence et sa surveillance.
Mimi balaya sa question de la main et planta ses incroyables yeux ambre dans les siens. Daniel se sentit aussitôt aspirer par ce regard. La couleur dorée de ses yeux prit une nuance plus claire, ses iris se teintant de jaune. Une couleur qu’il n’avait jamais vue jusqu’alors, mais qui le fascinait, car elle faisait ressortir ses lèvres d’un rose framboise.
Daniel resserra les doigts sur le plateau du bureau s’il ne voulait pas la soulever et l’allonger sur sa surface plane pour explorer son corps de sa bouche, sa langue, son sexe pour lui donner du plaisir jusqu’à ce qu’elle crie grâce. Une chaleur aussi fulgurante que douloureuse se logea dans ses reins. Un voile de transpiration lui couvrit le dos, tandis que des
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picotements remontèrent jusqu’à sa nuque. Daniel dut faire appel à toute sa volonté pour éteindre le feu qui l’envahissait. Son érection était tellement douloureuse qu’il grinça des dents. Et vu la lueur dans les yeux de Mimi, elle n’était pas passée inaperçue.
Mimi le regarda avec un sourire aux lèvres, comme si elle avait quelque chose derrière la tête, pensa Daniel. Et il ne devait pas être loin de la vérité vue la façon dont les yeux de Mimi venaient de s’obscurcir, passant de ce jaune à cette couleur ambre si fascinante.
Daniel se figea lorsqu’elle avança vers lui. Si elle s’approchait trop, il ne répondait plus de rien. Il prenait désespérément sur lui pour ne pas esquisser le moindre mouvement et il était à un cheveu de perdre le contrôle. Au plus grand plaisir de Mimi qui visiblement avait compris les démons qui torturaient Daniel.
Elle s’approcha jusqu’à le toucher. Mimi sentit le corps de Daniel se raidir et son souffle s’accélérer, presque imperceptiblement, mais suffisamment pour qu’elle sente que son approche ne le laissait pas indifférent. Elle ferma les yeux quelques secondes, appréciant la chaleur que dégageait Daniel, respirant son odeur. Une fragrance qu’elle connaissait. De musc, de parfum et de cet autre élément qui n’appartenaient qu’à Daniel et qui laissaient ses sens en émoi. La sensation était grisante et propagea en elle une onde de chaleur qui la fit tressaillir par sa puissance.
Elle remonta doucement sa main, effleurant le col de chemise de Daniel, laissant son doigt glisser jusqu’au premier bouton. Elle l’entendit distinctement retenir son souffle et un sourire étira légèrement ses lèvres.
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Son beau garde du corps semblait d’un coup un peu faible, pensa-t-elle avec amusement, et un étrange sentiment de fierté l’envahit à l’idée qu’un simple effleurement pouvait perturber un homme comme Daniel.
Les mains de Daniel quittèrent le plateau du bureau pour attraper la taille de Mimi. Mais elle les repoussa doucement, l’obligeant à reprendre sa position initiale. Elle vit dans les yeux de Daniel la bataille qu’il menait pour exécuter ce simple geste. Mimi voulait qu’il s’abandonne. Non qu’il se soumette, mais qu’il accepte que ce fût elle qui détenait la main en ce moment. Elle avait besoin de ce sentiment de contrôle et Daniel avait compris, ce qui accentua le respect qu’elle éprouvait pour cet homme. Le respect et l’envie de plus. Un plus qu’elle n’était pas certaine de contrôler, mais qui pour le moment lui apportait une sorte de réconfort.
Son index reprit sa course et toucha la peau dans le creux de sa gorge, là où elle était particulièrement fine et douce. Mimi s’humecta les lèvres, la bouche soudainement sèche quand elle entreprit de défaire le premier bouton de sa chemise dévoilant le haut de son torse. Sa peau était hâlée et elle entrevit une légère toison brune.
Elle voulait le découvrir un peu plus. Toucher sa peau, la sentir sous ses doigts. La goûter.
Elle allait retirer un second bouton quand Daniel saisit son poignet d’un geste vif. Mimi s’immobilisa et reporta son attention sur le visage de Daniel. Elle retint un cri en voyant ses yeux. La belle couleur chaude de ses iris chocolat avait viré au noir, d’une intensité profonde qui n’était autre que le reflet de son désir. Un désir brut. Primaire. Elle avait devant elle un homme qui retenait sa part primitive. Il était
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comme un fauve prêt à se jeter sur sa proie.
— C’est un jeu dangereux.
Daniel reconnut difficilement sa voix. Rauque, chargée de tension sexuelle et d’un avertissement à peine voilé.
— Je sais ce que je fais, répliqua Mimi, ses extraordinaires yeux fixés sur sa bouche.
— Je n’en suis pas certain, gronda Daniel.
Mimi quitta sa bouche du regard pour planter ses yeux dans les siens. Ils restèrent un court moment, dans le silence empli de certitude de l’instant, et Daniel libéra le poignet de Mimi puis reposa sa main sur le bureau. Par son action il autorisait Mimi à reprendre le contrôle.
D’un geste, sans lâcher son regard, elle écarta vivement les pans de sa chemise, faisant voler les boutons aux quatre coins du bureau.
— J’ai toujours eu envie de faire ça, chuchota Mimi, les yeux brillant de satisfaction, avec sur le visage cet air candide qui n’appartenait qu’à elle et qui faillit avoir raison de la volonté de Daniel et la faire voler en éclat.
— Bon sang ! Mimi. Une chemise à sept cents euros, réussit à articuler Daniel pour chasser l’envie de l’allonger sur son bureau et de s’enfouir profondément en elle.
Mimi écarquilla les yeux, à la fois choquée par son geste et par les mots de Daniel, la ramenant ainsi à la réalité. En découvrant son regard torturé, elle comprit
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qu’il essayait désespérément de la faire reculer et de museler l’envie qu’il avait d’elle. Ses muscles étaient tendus à l’extrême, sa mâchoire crispée où un muscle tressautait, signe d’une intense tension. Une tension qu’elle sentait à son paroxysme et dont elle devinait aisément la force qui appuyait contre son ventre.
— C’est absolument indécent, murmura-t-elle un sourire taquin aux lèvres. Vous savez que cette chemise vaut la moitié de mon loyer !
— Chérie, articula-t-il difficilement, j’adore quand tu me parles de choses existentielles.
— Mais elles le sont, protesta Mimi pour la forme sans se formaliser de son soudain tutoiement, avant de poser ses mains sur le torse de Daniel dont les muscles frémirent sous ses doigts.
Son regard quitta les yeux de Daniel pour se poser sur ses lèvres qu’elle mourait d’envie de goûter à nouveau, puis son cou, glissant sur son corps comme une caresse.
Daniel retint un gémissement. Chaque parcelle de son corps sur lequel ses yeux passaient frémissait.
Seigneur ! Cette femme allait avoir sa peau.
Un sourire torve étira sa bouche lorsqu’il vit les jolis yeux de Mimi s’écarquiller de surprise quand il se posèrent sur son torse.
— Doux Jésus, murmura-t-elle, ça, c’est indécent.
Mimi avala difficilement sa salive, totalement prise au dépourvu. Elle savait que Daniel était tout en muscles, mais ce qu’elle avait sous les yeux n’avait rien à voir avec ce qu’elle avait à mainte reprise imaginée.
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Son corps était la perfection faite homme.
Elle suivit des yeux ses courbes et ses méplats. Ses pectoraux admirablement dessinés étaient un appel à la caresse. Des muscles puissants, mais sans avoir cette forme bodybuildée dont elle était peu adepte. Ses doigts parcoururent sa peau, s’arrêtant sur son ventre plat et dur. Du bout des doigts, elle dessina les contours de ses muscles abdominaux, s’étonnant que dureté et douceur s’allient aussi bien.
Sa main descendit encore plus bas, effleurant le sexe tendu de Daniel à travers la toile de son jean. Des gouttes de sueur commencèrent à perler sur les tempes de Daniel, mais Mimi ne s’arrêta pas. Ses doigts encerclèrent et empoignèrent fermement sa hampe. Daniel siffla entre ses dents. Son corps entier était tendu dans l’attente d’un plus, d’une délivrance. Mais il refusait d’intervenir. Il laissait Mimi aux commandes se demandant jusqu’où elle irait. Un jeu de séduction autant que de pouvoir venait de s’installer. Aucun des deux ne plierait, même s’il devait en mourir, pensa-t-il une grimace de douleur sur le visage.
Quand les lèvres douces de Mimi se posèrent sur son torse, il crut défaillir. Quand il sentit sa langue chaude effectuer une danse langoureuse sur sa peau, il cessa de respirer. Il tressaillit violemment et un gémissement rauque s’échappa de ses lèvres.
— Mimi.
Sa voix basse, presque gutturale, était une mise en garde que Mimi ignora superbement. Daniel était au bord d’un précipice duquel elle rêvait de basculer et se perdre. Elle ne jouait pas avec ses envies. Elle les
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découvrait. Et ceci, Daniel en était parfaitement conscient. Elle adorait son goût, elle adorait le toucher. Elle adorait les sensations qu’elle faisait naître chez Daniel.
Elle le voulait.
Désespérément.
Ses mains remontèrent légèrement et avec adresse débouclèrent la ceinture de Daniel dont le souffle se fit plus court, presque laborieux. Mimi poursuivit sur le chemin de la convoitise. Elle voulait le toucher, sentir sa force, sa virilité.
D’un geste sûr, elle ouvrit les boutons de son jean. Son érection n’était plus contenue que par son boxer. Doucement, pour contraster avec la rapidité avec laquelle elle l’avait dépouillé de ses vêtements, Mimi posa sa main sur son sexe, refermant les doigts autour. Daniel frissonna violemment et quand il rencontra le regard de la jeune femme, toute trace de triomphe ou d’amusement avait disparu. Les yeux qui l’observaient étaient emplis d’un besoin que lui seul était capable de lui offrir. Sans le quitter des yeux, Mimi se hissa sur la pointe des pieds. Ce seul mouvement pressa son érection plus fortement contre son ventre et involontairement Mimi resserra ses doigts, arracha un gémissement s’étirant entre la douleur et le plaisir des lèvres de Daniel.
Ces lèvres, Seigneur… Pleines, sensuelles. Cet homme était déraisonnablement attirant.
Mimi posa doucement sa bouche contre la sienne, sa langue jouant à dessiner les contours de ses lèvres. Daniel sentait ses dernières résistances l’abandonner. Mimi mordit sa lèvre inférieure au moment ou sa main se faufilait sous son boxer et emprisonnait son sexe gonflé. Daniel tressaillit violemment et ses hanches eurent un sursaut, se propulsant vers l’avant.
La peau de Daniel était extraordinairement douce et
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chaude entre ses doigts. Mimi en savoura le grain ainsi que la dureté du sexe épais de Daniel. Elle pouvait sentir la veine qui parcourait la longueur de sa hampe et en apprécia chaque centimètre. Daniel haletait. Elle savait qu’il ne résisterait plus longtemps avant de balayer l’immobilité forcée qu’elle lui avait imposée. Il luttait contre, et au vu de la force qu’il employait pour se maîtriser, lorsque le barrage céderait, la puissance du courant de désir que charriait les veines de Daniel serait incontrôlable.
Elle sentit, au moment où son pouce effleura le sommet de son gland et essuya une goutte du liquide préséminal, que les digues venaient de rompre. Elle s’écarta de Daniel à l’instant même où ses mains quittèrent le plateau du bureau et qu’il voulut lui saisir la nuque.
Mimi l’observa, beau dans toute sa virilité, la chemise déchirée, le pantalon descendu bas sur ses hanches étroites, son sexe dressé, fier, glorieux. Pas une once de gêne ne s’échappait de Daniel. Juste un désir brutal et une frustration palpable.
— Tu as raison, je ne sais pas ce que je fais, articula Mimi la gorge serrée, mais une certaine morgue dans ses paroles.
Elle le voulait.
Elle le désirait à en avoir mal.
Son ventre la torturait, le réclamait. Mais pas ici. Ce serait selon ses règles, qui, jusqu’à maintenant, étaient respectées et tenues par Daniel. Il aurait à tout moment pu se servir de sa force et du désir qu’ils ressentaient l’un pour l’autre pour la basculer sur son bureau. Mais il ne l’avait pas fait. Il l’avait autorisée à prendre, à le découvrir. À tester jusqu’où sa résistance était capable d’aller. Et elle était allée très loin.
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Maintenant, la bête qu’elle venait de réveiller se dressait devant elle, et elle vit dans la grande inspiration que prit Daniel qu’il possédait encore une once de contrôle et que cette dernière ne tenait qu’à un fil. Et il ne s’agissait plus de savoir si ce fil allait se rompre, mais quand.
Elle recula jusqu’à la porte, sans le quitter des yeux et l’ouvrit alors qu’il se rajustait et refermait son pantalon en des gestes mesurés. Des gestes beaucoup trop contrôlés pour qu’ils soient naturels. Au moment de franchir le seuil, elle l’entendit malgré sa voix basse. À peine un murmure. Et pourtant les mots de Daniel se fichèrent en elle comme des milliers de flèches, transperçant son corps d’un frisson de plaisir.
— Fuis aussi loin et aussi longtemps que tu veux, je finirais toujours par te rattraper.
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Chapitre 13
Oui, elle se sauvait, emportant avec elle un sentiment victorieux, qui lui, s’accompagnait d’un sourire satisfait sur ses lèvres. Mimi retint un cri et sursauta quand la massive silhouette de Greg se matérialisa devant ses yeux.
— Bon sang ! Comment faites-vous pour apparaître comme par miracle ? C’est exaspérant !
Au même moment des sons inarticulés provinrent de la pièce qu’elle venait de quitter.
OK, il était vraiment temps qu’elle déserte les lieux !
— Désolé, chérie, mais quand je vois votre mine réjouie et les borborygmes de frustration de notre ami commun, ajouta-t-il en désignant du menton le bureau de Daniel, je suis sur la défensive.
— Une défensive amicale j’espère, répliqua Mimi avec défiance.
Greg avait beau avoir un côté ombrageux, son instinct lui dictait qu’elle ne craignait rien. Ce que lui confirmait cette petite lueur qu’elle n’avait encore
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jamais vue briller dans son regard sombre. Il plissa les yeux et pencha la tête, comme s’il observait une créature inconnue.
— Je dirais que oui, répondit-il ses lèvres esquissant une légère courbe vers le haut.
Un sourire ? C’était ce qui s’en approchait le plus, pensa Mimi.
— Parfait ! soupira-t-elle de soulagement, pressée maintenant de sortir des bureaux. De la tour même ! Mais ne vous inquiétez pas pour notre ami commun. Il semble juste un peu… tendu, s’amusa à répondre Mimi.
Au souvenir de sa main le caressant sur toute sa longueur, elle sentit ses joues s’enflammer et une autre partie très intime de son corps s’échauffer plus encore.
Greg la fixa intensément et haussa les sourcils puis partit d’un grand éclat de rire qui, s’il la surprit, donna à Mimi le signal de départ.
Bon sang ! Ce type était dangereusement intuitif et percutait vite. À l’avenir, elle devrait modérer ses propos. Sans attendre, elle se dirigea vers l’ascenseur, et ô miracle, la porte de celui-ci s’ouvrit à peine quelques secondes après qu’elle l’eut appelé. Elle osa un regard par- dessus son épaule avant de s’engouffrer dans la cabine et de presser à plusieurs reprises sur le bouton du rez-de-chaussée. Comme si s’exciter comme un enfant ayant mangé trop de sucre pouvait accélérer le processus de descente !
Lorsque les portes se refermèrent, elle surprit le regard de Daniel qui venait de rejoindre son associé. Il avait remplacé sa chemise déchirée par un t-shirt
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blanc, simple et basique, mais qui sculptait de façon éhontée ses épaules larges et son torse. Et le message qu’elle lut dans ses yeux avait tout d’une promesse qui lui envoya des décharges du bout de ses orteils à la pointe de ses cheveux.
Et si elle était certaine d’une chose, c’est que Daniel tenait toujours ses promesses.
Doux Jésus ! Pourquoi l’avait-elle provoqué de la sorte… ?
*
— Il paraît que tu es tendu, lança Greg avec nonchalance en regardant les portes se refermer sur la jolie rouquine.
Lentement, il se tourna puis laissa traîner ses yeux ostensiblement du côté du jeans de son ami.
— Et tu l’as laissé filer sans protection, grogna Daniel, peu enclin à répondre aux propos provocants de Greg.
Ce dernier haussa un sourcil, les bras croisés sur sa poitrine, le regardant avec un étonnement qui frisait le sarcasme.
— Effectivement, tu sembles particulièrement tendu.
Daniel se passa une main nerveuse dans les cheveux, les décoiffant un peu plus. Foutu coiffeur qu’il ne prenait pas le temps d’aller voir !
— Désolé, grommela-t-il.
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— Tu es tout pardonné. Si ma femme me faisait tourner en bourrique comme la tienne s’amuse à le faire je deviendrais fou.
— Je ne le suis pas, marmonna Daniel.
Mais il n’allait pas tarder à le devenir si elle continuait ainsi.
Greg nota qu’il ne s’était pas arrêté sur les mots
ma femme ». Ce qui était suffisant pour lui.
— Probablement. Alors pourquoi sembles-tu tout droit sorti d’un combat de boxe ? Et d’après ta mine et ton allure, ta petite danseuse t’a donné une sacrée raclée, l’asticota Greg. Juste pour le plaisir.
Daniel était un électron libre lorsqu’il s’agissait des femmes.
Il les aimait.
Toutes.
Petites. Grandes. Bondes. Brunes. Métisses.
Mais depuis qu’une certaine rousse pétillante avait fait son apparition dans sa vie, il semblerait que le papillon soit irrémédiablement attiré par cette seule source lumineuse. Greg se réjouissait que Mimi capte l’attention de Daniel. Depuis combien de temps cela n’était-il pas arrivé ? Il donnait le change en alternant les partenaires rien qu’en clignant des yeux, mais cela cachait une souffrance qu’il avait en lui depuis de nombreuses années, et qui, en définitive, trahissait une grande solitude.
Depuis combien de temps une femme avait-elle réussi à capter ainsi son attention ? Des années fut la réponse qui vint spontanément à Greg. Vingt-deux précisément. Depuis Lizzie. Daniel avait évoqué cette partie sombre de sa vie. Une partie qui avait pourtant
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défini qui il était aujourd’hui.
Un homme qui était terrifié par l’idée de l’engagement, et plus encore des conséquences que cela impliquait. Un attachement et la possibilité de souffrir si tout s’arrêtait.
Et avec Mimi, Daniel perdait pied. Il faisait face à des émotions qu’il n’avait pas côtoyées, pour les avoir rejetées depuis plus de vingt ans, et le prenait à contre-pied.
Le problème était que Mimi représentait autant une forme de rédemption pour Daniel qu’un danger. Il perdait tout sens commun quand la danseuse se trouvait dans un périmètre proche, et devenait incontrôlable dès qu’il s’agissait de sa sécurité.
— Malik et Antoine ont pour consigne de ne pas la lâcher d’une semelle, reprit vivement Greg. C’était l’idée, non ? demanda-t-il sarcastiquement.
— Oui, grommela Daniel.
Il s’en voulut d’avoir douté du professionnalisme de son ami et au lieu de le remercier pour son anticipation, il l’avait rabroué. Cela n’avait pas empêché Greg de le regarder de haut, lui rappelant ainsi que des deux, c’était lui qui avait grandement besoin d’être recadré.
Daniel respira profondément.
OK. Antoine était jeune et manquait d’expérience, mais il possédait un esprit vif et surtout, il était en binôme avec Malik. Ce dernier détenait un instinct qui
plusieurs reprises les avait sauvés de situation délicate. Leur complémentarité en faisait une équipe parfaite pour la surveillance de Mimi. Daniel ressentit cette impression de soulagement à l’idée que la jeune femme ne soit pas livrée à elle-même. Une impression
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qui malheureusement ne serait jamais totalement complète à ses yeux.
— Est-ce qu’au moins cet « entretien » a abouti sur quelque chose de concret ? demanda Greg avec dans la voix cette note mi-amusée mi-sarcastique.
— Si par aboutir, tu veux dire que Mimi accepte notre aide, alors la réponse est oui.
Greg haussa un sourcil.
— Je suis surpris qu’elle ait accepté si facilement. Daniel esquissa un lent sourire.
— Disons que je ne lui ai donné d’autre choix que de me prendre comme garde du corps tout en lui faisant accepter que l’idée venait d’elle.
— Bien joué.
Greg retrouva un sérieux qui le caractérisait.
— Reste prudent et surtout vigilant. Je ne la sens pas cette histoire. On n’a rien trouvé de nouveau sur celui qui la poursuit.
— Si, c’est un ex, le coupa Daniel.
Si précédemment ils ne savaient pas exactement quoi chercher, maintenant, il savait à peu près dans quelle direction s’engager. Ce qui était un grand pas en avant et réduisait de façon drastique toutes fausses pistes possibles. Greg rencontra le regard déterminé de Daniel. Et il était évident pour les deux hommes que la réponse ne les satisfaisait pas.
— Qui ne figure pas sur la liste que l’on a établie.
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— Absolument, approuva Daniel.
— Ce qui nous ramène à cette période floue où ta jolie danseuse s’est évaporée pendant deux ans, conclut Greg. Je vais recroiser les infos que l’on a avec les événements qui se sont déroulés sur Lyon à cette période avec ceux de ces deux derniers mois.
Daniel mesurait l’ampleur de la tâche. Et rien ne garantissait un résultat. Mais tant que Mimi refusait de parler, il en serait à faire des déductions jusqu’à ce qu’il tombe sur la bonne hypothèse.
Et cela pouvait prendre des mois. Or, si leur info était à jour, le faussaire engagé par Mini aurait achevé la fabrication des papiers d’identité dans moins que cela. Ce qui leur laissait une semaine. Deux, grand maximum pour découvrir qui faisait assez peur à la jeune femme pour fuir avec de faux papiers.
Un luxe qu’il ne pouvait se permettre. Raison de plus pour aller retrouver la jolie Mimi et déployer tout son savoir pour l’obliger à lui parler. Mais dans un premier temps, il allait la rejoindre sur-le-champ et terminer ce qu’elle avait scandaleusement commencé dans son bureau.
— Parfait ! Merci pour ton aide.
Greg hocha la tête en signe d’acquiescement alors que son téléphone sonna et décrocha aussitôt.
— Monciatti. Que veux-tu, Alessandro ?
— C’est Alice.
Chaque fibre de son corps se raidit et Greg sentit l’agacement mêlé à de l’anxiété l’envahir. Alessandro ne l’appelait jamais sauf cas d’urgence.
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— Je ne fais plus d’initiation, répliqua Greg d’une voix dure.
Même s’il espérait se tromper, son instinct lui dictait que quelque chose d’important venait de se passer au Club.
Alessandro et lui avaient ouvert le Club sept ans plus tôt. Il avait découvert dans ce mode de vie, une liberté qu’il n’avait trouvée nulle part ailleurs. Un endroit où vivre et revendiquer ses orientations sexuelles sans être jugé, sans devoir se cacher avait été libérateur et lui avait permis de trouver l’élément qui manquait à sa vie. Celui qui l’équilibrait parfaitement.
L’ordre, la rigueur, le contrôle. Des éléments tangibles qu’il retrouvait dans l’armée et au club. Sa vie professionnelle s’harmonisait avec sa vie privée en général, au club en particulier.
Jusqu’à ce que l’arrêt abrupt de sa carrière dans l’armée bouleverse l’ordre des choses. Son monde, celui qu’il avait créé s’était retrouvé déséquilibré. Il s’était brutalement rendu compte que ce qui définissait sa vie reposait sur des éléments bien fragiles.
Greg ne mentait pas en disant qu’il n’initiait plus. Alice avait été sa dernière soumise. Ils avaient été ensemble pendant deux ans et s’étaient séparés d’un commun accord. Dans leur mode de fonctionnement, Alice avait senti avec une certaine sensibilité que Greg se lassait. Pas dans la domination à proprement parler, mais dans ce que cette dernière pouvait apporter à Alice. Elle désirait un lien plus fort qu’il n’était pas prêt à lui offrir. S’il avait poursuivi, seule la frustration serait ressortie de leur rapport. Alice continuait à fréquenter le Club, mais sans être avec un nouveau Dom. Tout en jouissant de cette liberté,
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Greg avait toujours gardé un œil sur Alice, s’assurant de son bien-être.
— Alice a été blessée, ajouta Alessandro.
Le corps de Greg se crispa, car il savait ce qui allait suivre. Et l’attente même des mots qu’il connaissait déjà lui donna des sueurs froides.
— Un client, ajouta Alessandro.
Les doigts de Greg se refermèrent autour de son téléphone. Le Club était censé être un lieu où les résidents pouvaient explorer leurs fantasmes et leur désir sans danger. Des caméras étaient dissimulées dans les chambres privées pour un souci de sécurité. Des hommes spécialement formés à la sécurité se mêlaient aux clients toujours denses du Club et se noyaient avec discrétion dans la foule des habitués pour éviter tout débordement et contrôler ceux qui ne parvenaient pas à gérer ou dépassaient les règles très strictes imposées par le Club. Alors, comment le comportement déviant de ce client, au point de blesser Alice, n’avait il pas été détecté ?
— J’arrive immédiatement.
Le ton était coupant, sans appel.
Daniel s’éloigna en marmonnant. Cette fille allait vraiment le rendre chèvre. Il allait passer le seuil de son bureau pour prendre les clés d’un des véhicules de l’agence quand l’intonation dans la voix de Greg l’interpella. De l’inquiétude et une incertitude qui étaient en général étrangères à Greg.
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— Tout va bien ? demanda Daniel en se retournant, les sourcils froncés.
Greg hocha la tête d’un geste sec démontrant sa tension.
— Alice a été agressée au Club par un client.
Daniel se figea. Même si Greg se montrait très discret sur sa vie privée, Alice était un élément important dans celle-ci. Alice et Greg avaient formé un couple durant deux ans, s’il pouvait ainsi nommer leur relation. Daniel avait eu l’occasion de rencontrer la jeune femme à plusieurs reprises. Et à chacune de ses visites, il pouvait voir à quel point elle reprenait goût à la vie et s’épanouissant en tant que femme.
La jeune femme à à peine vingt-quatre ans sortait d’un divorce difficile. Elle avait eu le courage de s’échapper des griffes d’un mari violent. Mais au passage, elle avait perdu toute confiance en elle et surtout en les hommes. Daniel se demandait encore aujourd’hui comment cette femme avait trouvé le courage de pousser les portes du Club dont Greg et Alessandro étaient les propriétaires et se remettre entièrement entre les mains d’un homme après les épreuves qu’elle avait traversées. Mais il avait compris la démarche en parlant avec Alice. Combattre le mal par le mal. Autoriser de nouveau un homme à l’approcher en apprenant à lui faire confiance. Et Greg avait détecté sa vulnérabilité à peine les portes du Club franchies. Il avait fallu deux années pour qu’Alice retrouve enfin un équilibre et une confiance en la vie et l’avenir.
— Tiens-moi informé, compléta Daniel. Et dis-moi si je peux faire quelque chose.
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Greg hocha la tête, les traits toujours préoccupés. Néanmoins, il apprécia les mots de son ami et savait qu’ils n’étaient pas lancés à la légère. Il se dirigea vers l’accueil et se pencha par-dessus le comptoir pour y saisir une des clés de voiture disponible.
Daniel observa la démarche de Greg et sa légère raideur. À peine perceptible, mais qui trahissait une tension extrême dans les muscles de Greg. Sa blessure à la cuisse l’avait amputé d’une partie de sa masse musculaire. Si en règle générale cette infirmité passait inaperçue, elle devenait visible dès qu’il était tendu. Les muscles de sa jambe intacte étant plus forts, cela créait un déséquilibre dans sa démarche qu’inconsciemment il ne parvenait pas à corriger.
Trente secondes plus tard, les portes de l’ascenseur se refermaient sur Greg, et un étrange pressentiment prit Daniel aux tripes.
Il n’aimait pas ça.
Pas ça du tout.
Il se secoua et retourna dans son bureau récupérer son téléphone. Il lui serait indispensable pour ce qu’il désirait faire.
Lui aussi devait rejoindre une femme. Mais pas pour les mêmes raisons.
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Chapitre 14
Son cœur battait à tout rompre. Et cela n’avait rien
voir avec les cinq étages qu’elle venait de gravir en un temps record. Malgré tous ses efforts pour dénicher les hommes que Daniel n’avait pas manqué de lui mettre aux trousses, elle n’avait pas été fichue de le débusquer. Elle pensait que le métro serait son alliée et qu’il lui serait facile de les repérer, mais elle avait fait chou blanc. C’était à la fois agaçant et réconfortant. Non que Paul fut un amateur, mais ses nouveaux gardes du corps, même s’ils n’avaient pas été présentés officiellement, étaient terriblement discrets et efficaces et n’avaient rien d’amateur.
Non, ce qui lui provoquait un début de tachycardie était le petit frisson qui lui chatouillait la nuque et qu’elle avait ressenti juste en bas de son immeuble. Des frissons qu’elles parvenaient à identifier et qui n’étaient provoqués que par une personne. Et pas n’importe laquelle.
Un sourire timide lui releva les lèvres au souvenir de l’audace dont elle avait fait preuve dans le bureau de Daniel. Elle en avait adoré chaque seconde et rêvait de toucher à nouveau la peau brûlante de cet homme qui lui faisait tourner la tête depuis trop longtemps.
Le picotement derrière sa nuque s’intensifia au
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point de devenir aussi vif qu’un flux électrique s’enroulant autour de sa colonne vertébrale. Elle inséra avec fébrilité la clé dans la serrure. Mimi n’eut même pas le temps d’ouvrir sa porte qu’un corps dur se plaqua dans son dos. Tout se déroula à une vitesse qui lui tourna la tête. L’homme passa un bras autour de son cou. Mimi sentit la panique l’envahir avec une force qui la fit suffoquer. Mais contrairement à ce qu’elle craignait, l’homme n’exerça aucune pression. Au contraire, c’était comme s’il formait une cage autour d’elle. Une cage protectrice. Immédiatement, elle reconnut l’odeur si particulière de Daniel et Mimi se détendit et le souffle qu’elle retenait s’échappa de ses poumons. Daniel ouvrit la porte et poussa Mimi à l’intérieur puis referma derrière eux et verrouilla.
Le corps souple de la jeune femme était pressé contre le sien et elle ne pouvait en aucun cas ignorer son érection qui lui sciait les reins. Il sentit le souffle de Mimi retrouver un rythme normal. Son but n’était pas de l’effrayer, mais de lui faire comprendre qu’elle ne pouvait pas le provoquer impunément sans en subir les conséquences. D’un geste il la retourna et la fit reculer jusqu’à ce que son dos cogne contre le mur de l’entrée.
Mimi entendit vaguement son sac à main heurter le sol en un bruit mat. Elle releva la tête et ses yeux percutèrent le regard sombre de Daniel. Un regard empli de désir et de rage contenue. Il était en colère et Mimi était incapable de déterminer si elle était dirigée contre elle ou contre lui. Peut-être un peu des deux.
Il s’attarda sur ses cheveux défaits, puis son regard glissa sur ses lèvres qui s’entrouvrirent d’elles-
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mêmes. Mimi vit un instant de l’amusement sur les traits de Daniel, bien vite balayé quand il continua de l’explorer du regard.
Daniel fixa la petite veine qui battait furieusement dans le cou gracile de la jeune femme. Les pulsations étaient comme un appel, et ses lèvres furent attirées par ce petit morceau de peau fine et délicate. Doucement, sa bouche s’y posa. D’abord par petites touches, à peine des effleurements. Jusqu’à ce qu’il sente Mimi trembler et pousser un léger gémissement qui mit ses sens en feu.
Aussitôt, il emprisonna sa tête entre ses mains et plaqua ses lèvres contre les siennes. Il les caressa du bout de la langue, s’attardant sur le velouté exquis de sa peau. Puis passa la barrière de ses dents et envahit sa bouche. Sa langue entama un combat à la fois doux et conquérant avec celle de Mimi dont les mains accrochèrent ses flans et glissèrent sur son dos.
Mimi enfonça ses ongles quand elle sentit la langue de Daniel prendre totalement possession de sa bouche. Son baiser devint plus dur, presque punitif. La pression des lèvres de Daniel contre les siennes était
la limite de la douleur. Étrangement, Mimi sentit que des barrières qu’elle avait longtemps tenues érigées s’effondraient sous les assauts de Daniel. Et cette prise de conscience l’effraya autant qu’elle la galvanisa.
Daniel se rapprocha et se pressa contre la jeune femme plus fermement. Son corps était tendu et il se sentait prêt à perdre la tête. Son sexe le faisait délicieusement souffrir ainsi comprimé contre le ventre de Mimi. Seules quelques fines couches de vêtements les séparaient. Si près de la délivrance. Daniel recula, essoufflé. S’il ne s’arrêtait pas, il jouirait comme un collégien à son premier rendez-vous. Et Mimi méritait mieux que des attouchements
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maladroits dans un couloir. Mais l’urgence prit le pas sur son côté chevaleresque.
Il la voulait.
Maintenant !
Mimi reprit son souffle et dévisagea Daniel. Ses traits étaient crispés, comme s’il souffrait et un étrange sourire s’imprima sur ses lèvres en comprenant qu’elle était responsable de son état.
Un éclat passa dans les prunelles de Daniel, les rendant encore plus sombres. Son sourire ne lui avait pas échappé et quelque chose disait à Mimi qu’elle allait le regretter. De la meilleure façon qu’il soit. Comme s’il lisait ses pensées, Daniel se recula légèrement, juste ce qu’il lui fallait comme espace pour faire passer le pull de Mimi par dessus sa tête. Le geste fut si rapide que Mimi en resta figée, les yeux écarquillés.
— C’est mieux comme cela. Mais ce n’est pas encore suffisant.
La voix de Daniel était rauque, chargée d’érotisme qui fit frissonner Mimi. Elle ne baissa cependant pas le regard.
— À ton tour, commença-t-elle en essayant de faire tomber de ses épaules sa veste de cuir.
Il lui attrapa d’un geste vif les poignets et les immobilisa au-dessus de sa tête. Cela le rapprocha et son torse entra en contact avec les petits seins ronds et fermes emprisonnés dans un minuscule carcan de dentelle.
Dieu ! Qu’il mourrait d’envie de la sentir nue contre lui.
— Oh, non ! Ma belle. Tu as déjà fusillé une de mes
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chemises, et je ne veux pas prendre le risque d’avoir à refaire ma garde-robe.
Ainsi, les bras au-dessus de la tête, Mimi aurait dû se sentir vulnérable. Elle s’était promis de ne plus jamais se retrouver à la merci de quiconque. Des hommes en particulier. Mais cette forme de domination n’avait rien d’effrayant. Au contraire, les entraves que lui imposait Daniel avec ses propres mains étaient une sorte de délivrance pour elle. Il la gardait à sa merci, mais il ne serrait pas ses poignets. Il lui laissait le choix. Celui de se libérer ou celui d’accepter sa domination et l’autoriser à guider leurs ébats.
Une sensation de pouvoir fit courir un frisson sous la peau de Mimi. C’était peut-être lui qui donnait des ordres, mais il était totalement à sa merci. À sa grande surprise, elle constatait qu’il était plutôt agréable de laisser quelqu’un d’autre prendre les choses en mains, par moment. Mimi n’avait jamais été aussi sensible à la présence d’un homme de toute sa vie. Une fenêtre sur tout un champ des possibles s’ouvrit d’un coup. Si violemment que sa respiration se coupa.
— Tout va bien ? demanda Daniel, les sourcils froncés.
Il voulait bien s’amuser avec Mimi, mais il s’interdisait de lui imposer quoi que ce soit. Il allait relâcher les poignets de la jeune femme quand elle reprit précipitamment la parole.
— Non ! Reste comme cela. Tout va bien.
C’était un « non » presque désespéré. Et Daniel sentit dans ce simple mot que ce que fuyait Mimi allait bien au- delà de ce qu’il pensait être une simple cabale d’un ex. Il vit de la panique dans le regard de la jeune femme et instinctivement, il resserra sa main autour
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de ses poignets. Aussitôt, il la sentit se détendre et Daniel esquissa un sourire satisfait.
OK. Il commençait à comprendre comment fonctionnait sa belle danseuse. Et finalement, le mécanisme était très simple. Cette femme avait besoin de contrôle, mais elle avait surtout besoin de retrouver la confiance dans les hommes. Et à l’instant, il décida qu’il serait celui qui la réconcilierait avec ses pairs. Et il serait le seul !
Mimi fixait Daniel pendant que lui même l’observait. Comme s’il lisait en elle. Et visiblement, vu le sourire agaçant qui s’inscrivait sur ses satanées lèvres, il y parvenait sans problème. Avec une lenteur calculée, il inclina la tête. Mimi frissonna violemment et son ventre se contracta quand le souffle de Daniel vient lui caresser le creux juste sous son oreille. Du bout de la langue, il décrivit des arabesques qui la firent haleter. Elle tenta de libérer ses mains. Elle voulait le toucher, sentir la chaleur de sa peau sous ses paumes, en éprouver la texture. Mais Daniel raffermit sa prise, toujours sans marquer ses poignets. Juste un rappel de sa position… que Mimi lui abandonna dans un soupir.
La bouche de Daniel dessina un chemin sur sa peau et vint se poser sur sa clavicule qu’il parcourut en y appliquant de légers baisers. Mimi se cambra quand elle sentit la main libre de Daniel explorer son buste. Se poser sur son cou, glisser sur l’arrondi de son sein pour courir le long de sa taille. Ses doigts étaient comme des notes de musique. Douces, caressantes, mais fortes à la fois. Imprimant un tempo et une mélodie qui raisonnaient dans le corps de Mimi et lui faisait ressentir des sensations inédites.
Daniel posa sa main en étoile sur le ventre plat de
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la jeune femme. Il pouvait sentir les frissons qui lui parcouraient la peau et la chair de poule qui la recouvrait à chaque caresse. Mimi était étonnamment réactive et le désir de Daniel se fit plus impérieux. Son sexe pulsait douloureusement, appuyant sur les boutons de son jean.
Ses mains, ses doigts, jouaient sur la peau de la jeune femme. S’attardaient ou effectuaient une pression plus appuyée en fonction du souffle de Mimi. Plus il se faisait erratique, plus il insistait. Daniel goûtait la peau de Mimi avec un plaisir évident. Il y reconnaissait une odeur d’amande et celle plus caractéristique qui définissait la jeune femme. Ses lèvres quittèrent le creux au-dessus de la clavicule de Mimi et descendirent à la naissance de son sein droit. Il abaissa le bonnet de son soutien-gorge en même temps que sa bouche happa la pointe de son sein.
Mimi sursauta et se cambra, un cri s’échappant de ses lèvres. Daniel la torturait, et Seigneur ! qu’elle aimait ça. Il jouait avec elle, découvrait son corps, ses points sensibles. Et ce misérable voyou y parvenait. Mimi se cambra un peu plus quand il mordit son téton pour ensuite passer sa langue dessus avec une lenteur diabolique.
La douleur qu’elle ressentit fut rapidement absorbée par un feu qui l’embrasa à une vitesse vertigineuse. Seigneur, jamais son corps n’avait été sollicité ainsi. Jamais ses rares partenaires n’avaient abordé le sexe avec cette pointe de douleur qui s’accordait si bien avec le désir.
Bon sang ! Que c’était bon !
Et Daniel n’avait touché qu’à un seul de ses seins. Qu’est-ce que cela serait quand il se déciderait à l’explorer entièrement !? L’impatience, l’envie de plus. Plus de ses merveilleuses morsures, plus de ses doigts sur sa peau, plus de tout ! Mimi se tortilla pour se
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dégager et libérer la tension qui pulsait dans son ventre.
Mais Daniel n’en avait pas décidé ainsi. Elle sentit son souffle sur son sein et ses légers tressautements quand il rit contre sa peau.
— Doucement, ma belle.
— Je n’en peux plus, haleta Mimi.
Il redressa la tête sans que ses lèvres quittent sa peau, puis s’en éloigna juste ce qu’il fallait pour parler.
— Tu m’as fait vivre un enfer dans mon bureau.
— Tu te venges ? demanda Mimi légèrement effarée.
— Non, ma belle. Je t’apprends la patience.
Voir Daniel à un souffle de son sein et ne rien faire était un supplice qu’elle ne pensait jamais vivre un jour. Cet homme était le Diable en personne. Même face à la tentation, il résistait. Uniquement pour la rendre folle. Et cela fonctionnait à merveille.
— C’est juste de la sémantique, réussit-elle à articuler. Parce qu’au final, ça revient au mê…
Elle ne put terminer sa phrase et hoqueta quand Daniel reprit la pointe de son sein dans sa bouche avant de l’aspirer fermement. Il alternait entre mordillements et coups de langue. Il lui lâcha enfin les poignets et instinctivement, Mimi glissa ses mains sur son crâne pour lui saisir les cheveux et l’attirer plus près encore d’elle. Daniel s’attarda quelques secondes et s’écarta, ce qui fit crier Mimi de frustration.
— Non !
Mais ce ne fut que pour replonger sur elle, écarter
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le second bonnet de son soutien-gorge et s’attaquer goulûment à son sein tandis que ses doigts torturaient délicieusement l’autre pointe sensible encore humide, en la pinçant et l’étirant. Mimi pouvait à peine respirer. Les sensations étaient décuplées et chaque mordillement, chaque pincement envoyaient directement des décharges dans son sexe.
Daniel s’arrêta brusquement et s’agenouilla devant la jeune femme. Mimi cru qu’elle allait pleurer de soulagement et de frustration mélangée tant son corps était tendu. En un tour de main, il venait de lui retirer ses chaussures. Mimi avait l’impression d’être un pantin qu’il manipulait à sa guise.
D’une main experte, il dégrafa le soutien- gorge de la jeune femme et le laissa glisser le long de ses bras. Daniel releva la tête et la vision qu’il eut lui envoya un uppercut en plein estomac. Mimi. Les yeux fermés, les joues rouges d’excitation. Ses lèvres étaient entrouvertes cherchant l’air qui s’était subitement raréfié dans l’appartement. Ses adorables seins libérés de leur dentelle se soulevaient au rythme de sa respiration. Il l’avait amenée, seulement avec sa bouche et ses mains, au bord de la jouissance. Et le spectacle était tout simplement magnifique. Comme pour la faire réagir un peut plus, il souffla doucement sur son sexe et immédiatement elle réagit en propulsant ses hanches vers l’avant, attirée par la force que lui insufflait Daniel.
Mimi ressentit le souffle chaud de Daniel à travers son leggings toucher directement sa peau, et la chaleur se répandit dans tout son corps, la faisant trembler. Un son qu’elle ne reconnut pas s’échappa de sa gorge. Pour la plus grande satisfaction de Daniel.
Doucement, il agrippa de chaque côté de ses hanches les bords de son leggings et le fit glisser lentement le long de ses jambes interminables. Il lui
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souleva un pied pour faire passer le pantalon et son minuscule slip. Puis le second et lança le tout au loin. Immédiatement, son regard fut attiré par son entre-jambes. Une fine bande rousse recouvrait son mont de Venus et s’arrêtait quelques millimètres au-dessus d’un petit bourgeon d’un délicieux rose qui s’accordait
la perfection avec celui de ses auréoles. Comme des framboises mûres à souhait qui n’attendait qu’à être cueillies.
Daniel ne put résister. Il passa sa langue dans les plis humides de la jeune femme. Il entendit distinctement sa respiration se couper avant que ses doigts se refermassent presque violemment sur son crâne, empoignant ses cheveux. Elle tenta de décoller ses hanches du mur, mais Daniel la tenait fermement.
Il la voulait à sa merci. Totalement.
Son goût était merveilleux et Daniel glissa un peu plus profondément sa langue dans ses replis humides, arrachant à la jeune femme un gémissement qui faillit avoir raison de sa retenue, pour le moment beaucoup trop fragile. Son sexe pulsait douloureusement, prêt à exploser. Il ne pourrait pas se retenir très longtemps avant de s’enfouir profondément dans la moiteur de son sexe. Avant de se relever, il aspira le petit bourgeon délicieusement gorgé de Mimi. Avec une satisfaction toute masculine, il la sentit se raidir et trembler sous sa langue. Elle était proche. Mais ce n’était pas ainsi qu’il voulait la faire jouir.
Il se releva lentement, parsemant le corps de Mimi de baisers, jusqu’à ce que ses lèvres se posent sur celles de la jeune femme et qu’il la fasse de nouveau gémir. Daniel enroula sa langue autour de la sienne, douce, chaude et terriblement réceptive. D’un geste souple, il accrocha ses mains derrière ses cuisses et la souleva. À sa plus grande satisfaction, Mimi enroula
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ses jambes autour de ses hanches et noua ses chevilles dans son dos et ses bras derrière de sa nuque, ses doigts s’enfouissant dans ses cheveux. Ainsi, elle était au plus près de Daniel.
— Je te ferais jouir avec ma bouche, mais pas aujourd’hui. Pour l’instant, je ne rêve que de m’enfouir dans ce joli corps.
Son dos était délicieusement pressé contre le mur alors que le corps de Daniel pesa sur celui de la jeune femme. Mimi adorait cette sensation. Le poids du corps de Daniel. Ce sentiment puissant de sécurité qui l’envahissait. Son intimité frotta contre le tissu rugueux de son jean. Mimi ferma les yeux et mordit sa lèvre pour ne pas gémir de plaisir.
— Regarde-moi, lui ordonna Daniel.
Mimi lui obéit et plongea ses yeux dans ceux presque noirs de Daniel.
— Je veux voir chaque nuance de ces magnifiques yeux quand je m’enfoncerais profondément en toi, ajouta-t-il en exerçant une pression de son bassin.
Le cœur de Mimi fit un bond dans sa poitrine. La voix rauque et légèrement voilée de Daniel avait un effet sur son corps qui aurait dû l’inquiéter. Celui-ci réagissait à la moindre vibration, comme s’il reconnaissait le timbre de cet homme et s’accordait à lui à la perfection. Comment son corps pouvait-il s’embraser aussi vite ? C’était comme s’il se réveillait d’une longue hibernation.
Les mains de Mimi emprisonnèrent sa mâchoire, sa barbe naissante lui picotant agréablement le bout des
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doigts. Ses lèvres fondirent sur les siennes. Elle avait désespérément besoin de sentir le goût de sa bouche, d’assouvir cette faim dévorante qui la consumait. La bouche de Daniel l’accueillit et l’aspira dans un monde dont elle ne soupçonnait pas l’existence. Elle se reput de la saveur masculine de Daniel, sa façon de l’explorer, de fouiller sa bouche, de son âme.
Mimi fit glisser ses mains sur le torse de Daniel puis son ventre dur avant de s’arrêter sur sa ceinture qu’elle déboucla. Ses doigts tremblaient quand elle s’attaqua aux boutons de son jean et qu’elle le fit légèrement glisser de ses hanches. Elle exécuta la même opération pour baisser son boxer et libérer son érection. À sa vue, Mimi retint son souffle. Il était dur, imposant. Magnifique.
Elle releva les yeux et esquissa un discret sourire. La respiration de Daniel était hachée, presque douloureuse. Ses mains se glissèrent sous son t-shirt et Mimi lui arracha un grognement quand ses ongles éraflèrent sa peau. Elle en apprécia la douceur et décrivit de petites arabesques du bout des doigts.
Elle était entièrement nue. Lui, totalement habillé. Ce qui ajoutait à l’érotisme du moment. Mais Mimi en voulait plus. Elle voulait sentir sa peau nue contre la sienne, en éprouver la dureté et les ondulations quand il bougeait. Elle attrapa le col de son cuir pour le faire glisser de ses épaules.
— On va en avoir besoin, la stoppa Daniel. Elle le regarda, incertaine.
— Préservatif. Portefeuille. Poche intérieure droite.
Chaque mot prononcé semblait l’être dans la douleur. S’il n’était pas en elle dans les secondes qui
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venaient, il allait en mourir. Avec soulagement, il observa la jeune femme fouiller dans son blouson et sortir son portefeuille.
— Compartiment de gauche, la guida-t-il.
Regarder les doigts fins de Mimi extraire la pochette argentée avec une lenteur calculée le fit grimacer de douleur. Le feu dans ses reins semblait s’étendre à l’entièreté de son corps et ses mains se refermèrent un peu plus sur les fesses douces de Mimi qui poussa un petit cri.
Elle plongea ses yeux dans ceux devenus maintenant totalement noirs de Daniel. Elle retint son souffle devant l’expression de désir qu’il affichait. Ce même désir à l’état brut qu’elle avait aperçu sur ses traits dans son bureau. Elle déchira la pochette sans le quitter des yeux et Daniel poussa un grognement quand elle pencha la tête et passa doucement la langue sur sa lèvre.
Nom de Dieu ! Elle allait le tuer.
Elle jouait volontairement avec sa résistance. Même s’il faisait preuve d’une grande retenue, il ne tiendrait pas longtemps. Mimi baissa les yeux et Daniel ressentit la brûlure de son regard sur son sexe. Il suivit le mouvement de ses mains quand l’une empoigna son sexe et l’autre le gaina de latex. Daniel esquissa un sourire carnassier. Mimi, sous ses airs de maîtriser la situation, était visiblement aussi fébrile que lui. Il était impossible d’ignorer le léger tremblement de ses mains, surtout lorsque celles-ci étaient posées sur la partie la plus sensible de son corps.
À peine eut-elle terminé qu’il la redressa. Surprise
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par la soudaineté de son geste, Mimi s’accrocha vivement à ses épaules tandis que Daniel fléchissait légèrement les genoux. Il fit glisser son sexe le long des replis soyeux de Mimi, lui arrachant un gémissement. Il répéta son geste plusieurs fois, jusqu’à ce que la jeune femme soit à bout.
— Daniel !
— Dis-moi ce que tu veux.
Mimi comprenait où il voulait en venir. Qu’elle verbalise son envie de lui. Qu’il la prenne. Immédiatement ! Mais elle refusait de le supplier.
— Non.
Aussitôt, Daniel s’immobilisa. Mimi en aurait pleuré. Les émotions que Daniel avait fait naître étaient particulièrement violentes. Elles lui faisaient comprendre que même si elle fuyait, elle restait une femme.
Avec ses envies.
Ses besoins.
Sa féminité.
— Dis-moi, répéta-t-il en reprenant son mouvement de va-et-vient contre ses chairs sensibles.
Avec une précision diabolique, son sexe vint heurter la petite crête hyper sensible de Mimi qui étouffa un sanglot. Ses doigts agrippèrent les cheveux de Daniel qui se félicita dans un moment de lucidité de ne pas les avoir coupés. Quand les ongles de Mimi lui griffèrent le cuir chevelu, un grognement sourd lui échappa et il faillit céder à la jeune femme. Mais il voulait la faire plier. Pas la soumettre. Mais lui
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prouver que le plaisir pouvait être atteint sans qu’elle dirige. Qu’elle pouvait tout autant s’épanouir lorsqu’un homme lui montrait comment la jouissance pouvait être accessible quand on lâchait prise. Et il maudit celui qui avait fait croire à Mimi que l’amour, ou du moins l’acte sexuel devait impérativement posséder deux visages.
Un qui donne.
L’autre qui ne reçoit rien.
Non. L’acte sexuel était un échange. Où l’on recevait autant que l’on donnait. Peu importe celui qui dirigeait. Quand il vit une larme rouler sur la joue de la jeune femme, il comprit qu’elle acceptait le compromis.
— Toi. C’est toi que je veux, murmura-t-elle avec une douceur qui eut raison de lui.
Son gland sensible au possible vint se poser à l’orée de son intimité et Daniel ressentit pleinement le tressaillement d’anticipation de Mimi. Son sexe était parfaitement aligné à celui de la jeune femme qui étouffa un gémissement.
D’un coup puissant et souple, il la pénétra entièrement. Mimi ferma les yeux, totalement subjuguée par la sensation du corps de Daniel dans le sien. Elle ressentit comme une délivrance, un besoin de laisser exprimer ses émotions qui la dépassa, et s’accrocha aux épaules de Daniel. Cet homme avait ce pouvoir de l’empêcher de sombrer et de rester à la surface tout en profitant des vagues de plaisirs qu’il lui faisait découvrir.
Daniel resta ancré au fond de la douceur du corps chaud de Mimi. S’il faisait le moindre mouvement, il jouirait sur-le-champ. Il ressentait avec une acuité
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affolante les chairs de Mimi pulser doucement autour de son sexe. Son visage était plongé dans le cou de la jeune femme. Il respirait sa chaleur, son odeur, se repaissait des battements frénétiques de son pouls effleurant sa gorge. Daniel redressa légèrement la tête pour suçoter la peau si fine, si douce. Assez fort pour la faire réagir, mais pas assez pour laisser une trace. Il voulait la marquer. Mais pas de cette façon. Il voulait d’elle une reddition totale. Et Mimi s’en approchait un peu plus à chacune de ses respirations.
Mimi poussa un long soupir. Les sensations allaient la terrasser. Par leur puissance. Par leur intensité. Elle en voulait plus. Daniel lui infligeait mille supplices, attisait un brasier qu’elle ne contrôlait pas. Son ventre se contracta dans l’attente de ce plus qu’elle attendait avec une force qui la fit presque sangloter.
Daniel recula la tête. Voir Mimi, la tête rejetée vers l’arrière, les joues empourprées et ses lèvres entrouvertes qui aspiraient l’air difficilement était une vision qui lui empoigna le cœur et lui envoya des milliers de flèches enflammées directement à l’entrejambe.
Il inspira calmement et longuement pour reprendre le contrôle de son corps.
— Regarde-moi.
Mimi entendait la raucité de sa voix. Comprenait ses mots. Mais elle était incapable de quitter la bulle d’extase dans laquelle Daniel l’avait plongée. Et il n’avait pas encore entamé le moindre mouvement.
Une de ses mains vint se poser sur la joue de Mimi, l’obligeant à lui faire face. Bien difficilement, elle ouvrit les yeux et les écarquilla quand ils rencontrèrent ceux féroces de Daniel. Un regard de
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fauve, prédateur, qui contrôlait ses instincts et était prêt à libérer ces derniers pour fondre sur sa proie. Elle. Être capable de provoquer ce genre de réaction chez cet homme lui envoya des décharges qui traversèrent son corps et que Daniel perçut nettement.
— Je veux voir tes yeux quand je te ferai jouir.
Seigneur ! Cet homme allait y parvenir juste avec ses mots.
Le petit son sexy qui sortit de la gorge de Mimi fut suffisant pour Daniel.
Il se retira. Mimi ressentit un vide intense quand il abandonna ses chairs gorgées et sensibles, et un gémissement lui échappa. Un son qui résonna agréablement aux oreilles de Daniel. Mais ce fut pour mieux replonger en elle. La chaleur et la douce moiteur de Mimi l’enveloppaient, le caressaient à chaque mouvement. Et les petits bruits qui s’échappaient de la bouche de la jeune femme étaient des appels à aller plus vite. Plus loin. Plus fort. Chaque poussée le rapprochait de la délivrance. Il sentit les muscles internes de Mimi se contracter. L’étau autour de son sexe se resserra à mesure qu’il amplifiait ses mouvements. Plus énergiques, plus puissants.
Mimi respirait avec difficulté, les yeux rivés sur ceux de Daniel. Elle sentait avec une précision diabolique chaque centimètre de son sexe transpercer ses chairs, les rendre vulnérables. Une boule de chaleur s’était installée dans son ventre grossissant à chaque poussée de Daniel. Une chaleur qui se concentra sur un point précis et Mimi se figea. Puis son corps se tendit et l’orgasme la balaya, faisant
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voler chacune de ses cellules, déstructurant son corps en milliers de points lumineux. Son cri fut étouffé par la bouche de Daniel. C’est comme s’il aspirait son plaisir, le buvait. Mimi sentit le sexe de Daniel s’épaissir et elle resserra ses bras autour de son cou quand elle éprouva les pulsations de sa hampe lorsque la délivrance le percuta à son tour.
Daniel accompagnait les dernières convulsions de Mimi. Ou inversement. Il ne savait plus où il commençait et où elle finissait. Ils étaient un tout. Mimi nicha la tête dans le cou de Daniel. Ils haletaient tous les deux, leurs cœurs battant dans un même ensemble. Leurs corps en sueur, mais comblés.
Mimi n’avait jamais fait l’amour à un homme avec cette intensité, partageant quelque chose de plus fort que l’acte physique. Et cette constatation l’effraya. Elle rejeta ces incertitudes pour les oublier totalement quand Daniel redressa la tête et déposa un doux baiser sur les lèvres.
Une sensation étrange envahit Daniel quand il posa ses yeux sur Mimi. La langueur, l’abandon total dans son regard et dans ses gestes alourdis après l’amour le toucha. Mimi lui avait accordé sa confiance. Plus encore, l’avait partagée avec lui. Et pour un seul de ses regards, il était prêt à tout pour protéger cette femme. Un sentiment de possessivité lui comprima les poumons. Toujours enfoncé en elle et malgré ses cuisses en feu, il les dirigea vers la chambre de Mimi. Sa tête reposait mollement contre son épaule, et son geste de confiance l’émut comme jamais auparavant.
Il entra dans la minuscule chambre et repoussa la couette pour allonger la jeune femme. Mimi gémit quand il se retira d’elle. Une sensation de vide, de manque la fit sursauter et elle attrapa le bras de
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Daniel. Il lui adressa un sourire rassurant. Il comprenait tellement ce qu’elle ressentait. Mais il devait se débarrasser du préservatif.
Entre autres.
Il grimaça à cette pensée. Mais il était venu aussi pour cela.
Il se pencha, posa doucement ses lèvres sur celles de Mimi dont les yeux papillonnaient de sommeil.
— Je reviens, ma belle.
Il rabattit la couette sur le corps tentateur de Mimi qui poussa un soupir de satisfaction, et quitta la pièce.
Une fois rajusté, il osa un regard vers la chambre. Mimi semblait dormir. Ses joues étaient toujours teintées de roses, reliefs de leurs ébats. Les traits de la jeune femme étaient détendus, apaisés, son souffle régulier. Et Daniel eut la certitude que cela faisait des mois qu’elle n’avait pas profité d’une telle sérénité du corps et de l’esprit. Il repoussa doucement la porte, la laissant se reposer.
Il ramassa son porte-feuille échoué sur le parquet, puis avisa le sac à main de Mimi et en sortit son téléphone. Il connecta le Bluetooth à son propre téléphone et après quelques manipulations installa un programme de traçage dans l’appareil de la jeune femme. Il serait indétectable. Sauf pour quelqu’un qui savait quoi chercher. Il n’aimait pas entrer dans l’intimité de Mimi de cette façon. Mais le fait qu’elle refuse de parler l’empêchait de prendre les mesures nécessaires à sa sécurité. Il était conscient qu’il existait un schéma sous-jacent, mais ne parvenait pas
le définir. Et s’il ne comprenait pas ce qui se passait véritablement, il ne pourrait protéger Mimi.
Il envoya les codes d’accès à Greg pour qu’il puisse
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également tracer Mimi. Deux personnes ne seraient pas de trop, mieux valait être prudent quand cela concernait la sécurité de sa fougueuse danseuse.
Mimi sentit la présence de Daniel dans la pièce plus qu’elle ne l’entendit. Cet homme était d’une discrétion effrayante. Un sourire paresseux s’étira sur ses lèvres
cette pensée. Daniel, avec son mètre quatre-vingt-cinq et sa silhouette athlétique, était plus discret qu’une petite souris. Et s’il savait à quoi elle le comparait en ce moment même, son ego en prendrait un coup.
Elle sursauta quand le souffle de Daniel lui caressa le petit creux derrière l’oreille. Oui, il était effectivement terriblement discret.
— Je peux savoir ce qui t’amuse ?
— Non, répondit Mimi dans un sourire.
Daniel s’assit au bord du lit, les bras de chaque côté de la tête de Mimi.
— Et pourquoi, je te prie.
Mimi ouvrit les yeux et les plongea dans ceux de Daniel.
— Parce que.
— Ce n’est pas une réponse
La voix de Daniel était trop douce, trop posée, trop sensuelle pour être honnête. Ce voyou se servait de son charme pour la faire parler. Et visiblement, cela fonctionnait quand elle s’apprêta à lui répondre sincèrement. Mais elle se reprit à temps et s’entendit
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dire d’une façon tellement lascive qu’elle en frissonna.
— C’est la mienne.
La couleur chocolat qu’elle aimait tant luisait d’un éclat amusé qui se modifia en quelque chose de plus intime. Mimi déglutit difficilement. Un seul regard de cet homme et elle sombrait dans la débauche. Elle se concentra sur le petit triangle de peau qu’offrait l’encolure de son t-shirt.
Mauvaise idée ! s’admonesta-t-elle immédiatement.
Il était le diable incarné. Il avait abandonné son cuir et le t-shirt blanc qui moulait à la perfection son torse musclé tranchait de façon indécente avec sa peau hâlée.
Comme s’il avait perçu son trouble, Daniel se pencha vers la jeune femme. Mimi reçut de plein fouet la chaleur de son corps et son odeur, subtil mélange d’eau de toilette et de cette essence qui lui appartenait. Elle retint son souffle quand ses lèvres se pressèrent contre la peau fine de son cou. Daniel rit doucement et les vibrations traversèrent le corps de Mimi lui rappelant qu’elle était entièrement nue sous les draps.
Seigneur ! Son corps réagissait à une vitesse vertigineuse au point que Mimi sentit sourdre entre ses cuisses le résultat de son attirance pour Daniel.
— Je sais de quoi tu as envie, ma belle.
— Et de quoi ? haleta-t-elle.
— De repos, répliqua Daniel en se levant si brusquement que Mimi resta étourdie.
Bien sûr que non elle n’avait pas besoin de repos !
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C’est lui qu’elle réclamait. Son corps, plutôt. Elle se redressa vivement et la couette glissa, révélant sa poitrine. Avec satisfaction, elle vit les yeux de Daniel s’y accrocher et prendre une teinte plus sombre.
— Je viens te chercher ce soir et te déposerai au cabaret.
— Pas question ! se rebella Mimi.
Hors de question de se laisser mener par le bout du nez ! Les yeux de Mimi lui lancèrent des éclairs, mais Daniel reconnut distinctement la frustration dans son regard ambre. Elle releva le menton dans un geste de défi.
— De toute façon, je n’ai plus besoin de toi, ajouta-t-elle.
— Tu veux dire que tu es comblée ? Sexuellement comblée ? précisa Daniel, une lueur moqueuse dans le regard.
— Absolument, répliqua-t-elle frondeuse. Tu peux disposer, maintenant.
Le rire grave de Daniel accueillit sa remarque.
— Je ne crois pas, non.
— Que tu peux disposer ? Je te certifie que je n’hésiterais pas à te jeter moi-même dehors de mon appartement.
Daniel s’était rapproché et surplombait Mimi. Il se baissa vers la jeune femme qui fut obligée de s’étendre si elle ne voulait pas entrer en contact avec la poitrine de Daniel. Il posa, comme la minute précédente, ses mains de chaque côté de sa tête et plongea avec délectation dans son regard pour dériver
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vers ses lèvres puis sa poitrine indécemment exposée. Daniel dut faire un effort de volonté extrême pour ne pas prendre dans sa bouche un de ses insolents tétons roses et faire vivre mille tourments à sa jolie tentatrice.
— Je ne te parlais pas de m’expulser de chez toi, ma belle, murmura Daniel. Accorde-moi deux minutes et je te fais jouir comme jamais.
Mimi le regarda incrédule, le souffle coupé.
Comment un homme pouvait être aussi arrogant ?
Aussi sûr de lui ?
Daniel dut voir les étincelles de stupeur dans son regard muer en colère, car il se releva avec une souplesse diabolique pour atteindre la porte de la chambre.
— Sois prête à vingt heures, conclut-il avant de sortir et de refermer derrière lui.
— Espèce de démon ! L’invectiva Mimi.
Daniel rit en entendant un bruit sourd frapper contre la porte et tomber sur le sol. Probablement un magazine au vu du son.
Il sortit de l’appartement avant que sa furie rousse ne l’écharpe sur place et y trouve un plaisir certain. Cela ne l’empêcha pas de la verrouiller et s’assurer que les deux hommes en faction prennent le relais.
*
Mimi se laissa retomber lourdement sur le lit, emprisonnant un coussin qu’elle plaqua sur sa poitrine. Un sourire idiot lui barrait le visage. Elle se sentait bien, presque… complète. Comme si Daniel
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était parvenu à combler les manques en lui apportant cette étincelle qui réchauffait son corps, son cœur et son âme.
Et si Daniel avait le réel pouvoir de l’aider ?
De la sortir de ce maelstrom qui régissait sa vie ? Un infime espoir prit racine, quelque part caché
sous les couches successives de peurs, de doutes. Un espoir qui commençait à grandir, s’épanouir, même s’il restait tapi, encore effrayé des conséquences que cela provoquerait dans sa vie si Mimi s’y accrochait.
Mimi regarda la porte imaginant sans peine l’homme qui se trouvait derrière, un sourire agaçant aux lèvres. Elle resserra un peu plus le coussin.
Comme c’était facile de se laisser emporter par Daniel.
Trop facile, peut-être…
Elle ne devait surtout pas tomber amoureuse de cet homme.
Ce serait une erreur.
Une monumentale erreur.
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Chapitre 15
Greg arriva devant une porte discrète d’un immeuble haussmannien du 1er arrondissement. Rien n’indiquait que derrière cette porte cochère se trouvait un hôtel particulier qui abritait le Club. En tapant le code, il constata avec amertume que sa main tremblait. Il la referma en poing et s’exhorta au calme.
Alice était blessée, mais ce n’était pas en se montrant agité qu’il parviendrait à la rassurer. Alessandro l’avait rappelé quand il conduisait. La jeune femme le réclamait. Elle ne voulait pas être transportée à l’hôpital. Alessandro avait fait venir un médecin qui connaissait les activés du Club. Il se déplaçait quelquefois pour des petits bobos, le dernier en date étant une entorse qu’une cliente s’était faite en voulant sauter d’une plate forme alors qu’elle était chaussée de talons de douze centimètres. Il venait et jamais ne posait de question ni ne jugeait.
mesure qu’il s’était approché du Club, Greg avait senti cette colère sourde prendre possession de son corps. Une colère mâtinée de culpabilité. Il avait promis à Alice que plus un homme s’en prendrait à elle. Et il avait failli.
Il entra dans la petite cour pavée et se dirigea vers
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la droite pour s’engouffrer dans l’espace dédié au personnel et la direction. Il salua la jeune femme qui s’occupait du secrétariat et de la comptabilité installée dans un bureau qui donnait sur l’entrée. Greg avait émis quelque réserve lors de l’entretien d’embauche. Stéphanie était une jeune femme à la timidité exacerbée qui n’appartenait absolument pas au milieu dans lequel elle avait postulé. Il craignait qu’à la première commande de lubrifiant ou d’accessoires elle se sauve en courant. Elle avait réagi avec rigueur et professionnalisme, à l’opposé de ce qu’il soupçonnait. Il avait dû se rendre à l’évidence. Stéphanie était d’une grande efficacité et faisait preuve d’un sérieux exemplaire. Qu’elle ignore tout du milieu n’affectait en rien ses capacités, et il devait s’avouer qu’il n’était aucunement nécessaire pour y travailler.
— Bonjour, Monsieur.
— Bonjour, Stéphanie.
— Alessandro a installé Alice dans ses appartements. Le docteur Maurice est avec elle actuellement.
Greg remercia la jeune femme d’un signe de tête et se précipita à l’étage. Il grimaça en sentant sa jambe se raidir, mais ne s’arrêta pas.
Les appartements d’Alessandro se résumaient à un bureau, un salon et une chambre avec salle de bain dans l’aile ouest du bâtiment. Greg, lui, n’utilisait qu’un bureau et rentrait toujours chez lui. Il aimait cette coupure franche entre le club, ce qu’il y faisait, et la paix relative qu’il trouvait lorsqu’il regagnait la maison de Boulogne.
Il pénétra dans le bureau d’Alessandro sans frapper.
Ce dernier se leva de son fauteuil, les traits tendus.
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Abattus plus précisément. La colère de Greg était toujours vive. Jamais Alessandro n’aurait pris le moindre risque avec la sécurité des utilisateurs du Club. Avec Alice encore moins.
Bon Dieu ! Où avaient-ils merdé ?
Il ignora Alessandro et pénétra dans la chambre attenante. Il le fit cependant avec retenue. Il ne voulait pas effrayer Alice avec son emportement et ses manières brusques, même s’il mourait d’envie de frapper quelque chose. Et le salaud qui s’en était pris à elle en particulier.
Le docteur Maurice se retourna en l’entendant entrer et lui adressa un signe de tête que Greg interpréta comme une invitation à s’approcher. Même sans elle, il se sentait prêt à charger quiconque se mettrait en travers son chemin. Néanmoins, il apprécia l’attitude posée du praticien qui contrebalançait l’agitation qui l’habitait.
Greg posa son regard sur la silhouette étendue sur le lit et ses poings se crispèrent. Alice reposait sur le ventre, un simple drap blanc recouvrait la partie inférieure de son corps, laissant son dos nu.
Exposé.
Lacéré.
De longues lignes rouges zébraient la surface de son dos offrant un contraste effrayant avec le blanc de sa peau. Par endroit, celle-ci était à vif, déchirée. Celui qui avait fait ça, c’était littéralement acharné sur la jeune femme. L’expérience de Greg à gérer ses émotions l’empêcha de faire sortir de sa poitrine ce cri qui lui brûlait les poumons et attaquait ses chairs. Il inspira longuement et vint se mettre à genoux sur le
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sol, le visage au niveau de celui d’Alice.
Un triste sourire étira ses lèvres quand elle le reconnut et le cœur de Greg se déchira.
— Monsieur.
La voix d’Alice était un croassement et Greg saisit le verre d’eau posé sur la table de nuit. Il remercia silencieusement le docteur qui avait l’ingénieuse idée de fournir une paille.
— Chut. Ne parle pas, lui dit-il en approchant la paille de sa bouche.
Une grimace de douleur froissa son joli visage quand elle redressa la tête. Il laissa le temps à la jeune femme de boire une gorgée, puis reposa le verre. Elle le remercia en clignant lentement des paupières. Doucement, la grande main de Greg vint caresser ses cheveux d’un noir intense. Même coupés court à la garçonne, ils restaient incroyablement doux et lui donnaient par contraste cet air très féminin, soulignant la finesse de son visage. Le geste amena des larmes à Alice, et du pouce, Greg en recueillit une, puis se baissa et embrassa le front de la jeune femme. Il ne souhaitait pas la brusquer, et même si ce n’était pas le bon moment, il devait savoir. Pour agir en conséquence.
— Alice, murmura-t-il. Tu dois tout me dire, ma puce. Greg avala difficilement sa salive, mais ne laissa rien voir de son trouble. Il ne devait montrer aucune faiblesse. Alice ne devait s’accrocher qu’à sa force. Est-ce que tu as été violée… ?
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Il vit la jeune femme se tendre avant de poser ses grands yeux clairs, emplis d’une confiance presque aveugle, dans les siens. Elle secoua la tête. Il n’y avait aucune hésitation dans son mouvement. Un faible non, mais qui par la puissance de sa signification, retira un poids des épaules et de la conscience de Greg.
Grazie a Dio !
— Tu dois porter plainte.
La jeune femme ouvrit brusquement les yeux et Greg y décela de la peur. Il serra les mâchoires. S’il retrouvait ce fils de pute, il le tuerait !
— Non !
Comme un cri du cœur qui déchira celui de Greg.
— Je ne le laisserai pas t’approcher, Alice. Je te jure que je le retrouverai et qu’il ne te fera plus jamais de mal. À personne.
— Ce n’est pas ça, articula-t-elle avec peine. Je ne veux pas que le Club ait des problèmes si je porte plainte.
Greg retint un geste de colère.
Dannazione !
— Chérie, le Club passe en second lieu. Tu ne dois pas t’inquiéter pour cela. Tu es plus importante que sa réputation.
Alice secoua doucement la tête. Chaque geste était
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un supplice et Greg posa une main sur sa nuque pour l’empêcher de bouger.
— Le Club m’a aidé à revivre. Il n’est pas question que l’on me retire le seul endroit qui m’a permis de me reconstruire et que cela détruise les personnes qui m’ont aidée. Vous et Alessandro.
La diatribe d’Alice le toucha. Plus qu’il ne l’aurait imaginé. Il comprenait. Ce besoin de se ressourcer. Celui de trouver un endroit qui serait un refuge. Et le Club représentait ce tout pour Alice.
— D’accord, acquiesça-t-il en soupirant face au besoin d’Alice, tout en embrassant doucement ses cheveux.
— Merci d’être là, murmura la jeune femme avant de sombrer dans le sommeil.
Greg sentit cette gangue de culpabilité lui enserrer les entrailles. Comment pouvait-elle le remercier alors qu’elle avait le dos lacéré, qu’elle avait été à la merci d’un malade et qu’elle avait affronté ça alors qu’il aurait dû l’empêcher ?!
Il resta un moment, le temps de s’assurer qu’elle ne se réveillerait pas, puis quitta discrètement la chambre.
Alessandro et le docteur Maurice discutaient à voix basse. Ils s’interrompirent à l’entrée de Greg. La tension dans la pièce augmenta d’un cran. Les accusations n’avaient pas besoin d’être citées pour être entendues. Greg regarda Alessandro, une lueur meurtrière dans les yeux. Greg fut reconnaissant au docteur de détourner son attention en prenant la parole.
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— Alice s’en remettra. Ses blessures sont impressionnantes, mais elle se rétablira. Je lui ai appliqué un onguent antiseptique qui favorisera la cicatrisation, ainsi qu’un calmant et un décontractant musculaire.
— Merci docteur, articula péniblement Greg. En gardera-t-elle des séquelles ?
Le docteur prit le temps de refermer sa sacoche avant de plonger dans le regard sombre de Greg.
— Physiquement, il ne devrait résulter que d’infimes marques qui s’estomperont avec le temps. Mais psychologiquement, Alice aura besoin d’un soutien. Il soupira longuement. Avec son passif, cette agression pourrait faire resurgir des réminiscences. Alice est une jeune femme forte, mais elle aura besoin d’être entourée.
Greg hocha la tête. Il comprenait mieux que quiconque. Lorsqu’il avait rencontré Alice, sa confiance en elle était inexistante, totalement enfouie sous les coups et les insultes de son mari. Elle avait surmonté ses peurs avec une force peu commune et Greg refusait de la voir sombrer. Il était responsable d’elle.
— Merci Docteur. Est-elle transportable ?
— Elle refuse d’aller à l’hôpital, intervint Alessandro.
Greg le fusilla du regard, mais Alessandro ne se laissa pas rabrouer pour autant.
— Alice a besoin de repos, Greg. Et même si tu me 200
tiens pour responsable, mets tes griefs de côté. Ce n’est pas le moment de s’entre-tuer. Alice a également besoin de nous. De soutien, mais surtout de calme.
Le docteur Maurice tempéra la colère de Greg en prenant la parole.
— Votre ami a raison, monsieur Monciatti. La priorité reste avant tout le bien-être d’Alice. Et cela passe tout d’abord par une ambiance saine. Elle n’a pas besoin de se sentir en plus responsable de vos désaccords et d’être jetée au centre de vos disputes.
Greg marmonna un bref acquiescement.
— Que veux-tu faire ? poursuivit Alessandro.
— Je la ramène à la maison. Alice la connaît, elle s’y sent à l’aise et se remettra probablement mieux que si elle reste au Club. Docteur ? interrogea-t-il en portant son attention sur le médecin.
— Ma foi, cela me semble une bonne idée. Je ne suis pas psychologue, mais en séjournant dans un milieu familier où elle se sent à l’abri, elle surmontera plus facilement le traumatisme. En prenant les précautions nécessaires, je ne vois pas de contre indications. Vous devrez cependant être vigilant. Ses blessures doivent rester propres.
— Bien, capitula Alessandro. Je veux ce qu’il y a de mieux pour Alice.
— Alors tout est réglé ! trancha Greg.
Le médecin les salua et se retira. Greg profita de ce court répit pour se reprendre et canaliser sa colère. Alessandro se sentait suffisamment coupable. Et même si Greg ne décolérait pas, il devait toutefois mettre ses ressentiments de côté et comprendre
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comment l’agression d’Alice avait pu arriver et faire en sorte que cela ne se reproduise jamais.
Alessandro revint vers son bureau. Il s’assit lourdement, en se passant une main lasse dans les cheveux. Un geste qui trahissait chez lui une profonde culpabilité et surtout une impuissance. Son ami souffrait. Et bien que la colère parcoure encore ses veines, il ne pouvait pas reporter toute la faute sur Alessandro. L’agression dont avait été victime Alice lui laissait comme une désagréable impression. Son instinct lui dictait qu’elle n’avait pas eu lieu par hasard.
— Comment cela a-t-il pu arriver ? grogna Greg une fois seuls. Le Club est équipé du système de vidéosurveillance de pointe. Les entrées se font sur invitation ou sur inscription. Ne me dis pas que c’est un de nos clients qui a fait « ça ».
Le dégoût supplanta la colère.
Alessandro poussa un long soupir. Il connaissait Greg depuis des années. Ce dernier avait changé. Il n’était plus celui avec lequel il avait traversé une adolescence insouciante. Greg avait toujours eu ce côté sombre. Pas réservé, mais qui préférait rester en retrait pour observer et analyser son environnement avant de s’engager. Mais lorsqu’il était revenu blessé de sa mission à l’étranger, quelque chose s’était fêlé chez Greg. Il n’avait jamais raconté ce qu’il s’était passé sur le terrain, ce qu’Alessandro avait compris puisque Greg était contraint au silence. Par contre, tout ce qui se cachait derrière sa blessure, celle qui l’avait obligée à renoncer à sa carrière dans l’armée, ce silence derrière lequel il se murait racontait une histoire qui bouffait son ami. Et Alessandro reconnaissait les mêmes signes qu’à cette époque-là.
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Une impuissance face à ce qu’il venait de se passer au sein de son Club. Aussi avait-il anticipé.
Il ouvrit un tiroir dans son bureau et s’empara d’une clé USB qu’il lança à Greg. Ce dernier la saisit au vol avec une précision qui trahissait toute l’agilité et la rapidité de mouvement dont Greg était capable.
— J’ai demandé à la sécurité de collecter toutes les images. Depuis le moment où le type est entré jusqu’à ce qu’il quitte le Club, énonça-t-il en tournant son ordinateur portable vers Greg.
Celui- ci hocha la tête. Un mouvement brusque et sec. Il inséra la clé et lança les vidéos. Son pressentiment s’accentua quand les premières images envahirent l’écran. On y apercevait Paula, à l’accueil du Club, occupée à saisir des informations sur un clavier. Un homme, grand, légèrement voûté, comme s’il souffrait du dos apparu à l’image. Une casquette noire, sans signes distinctifs, profondément enfoncée sur son crâne cachait une bonne partie de son visage, mais surtout ses yeux. Impossible de la moindre reconnaissance faciale sans cet élément. Le couvre-chef vulgaire tranchait avec l’élégance du costume. Greg reconnut la coupe parfaite d’un grand couturier et une montre de prix au poignet au moment ou l’homme tendait sa carte à Paula. Ça ne collait pas. Un frisson glacé descendit le long de sa colonne et involontairement, il crispa les poings.
En même temps, Alessandro lui faisait un résumé succinct des informations qu’il avait recueillies.
— Le type s’est fait passer pour Claude Gentil, un client habituel. Sous la casquette, il était difficile à Paula de voir qu’il ne s’agissait pas de la bonne personne. Rien n’a éveillé les soupçons lorsqu’il a
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demandé après Alice, compléta Alessandro dont la voix était devenue plus dure.
Évidemment ragea Greg intérieurement. Gentil était un habitué qui aimait faire des séances avec Alice. Comment aurait-elle pu refuser alors qu’il faisait partie des rares hommes qu’elle autorisait à l’approcher ?
— Et Marcus à l’entrée ? Il est là pour filtrer. Il est physionomiste. C’est son boulot, avança Greg d’une voix tranchée.
Une lueur de colère traversa les yeux d’Alessandro.
— Cet enfoiré a accepté quelques billets. Celui qui s’est fait passer pour Gentil n’a pas eu besoin d’insister beaucoup.
— Nom de Dieu ! marmonna Greg.
Une chape de culpabilité lui pesa soudainement sur les épaules. Il mettait toute sa confiance sur son chef de la sécurité, Yvan. Celui- ci avait recruté Marcus, et par ricochet, Greg lui avait fait entièrement confiance. Il était évident que les deux hommes étaient passés à côté de la fidélité de Marcus.
— Où est cet enfoiré ?
— Marcus est avec Yvan en ce moment même.
Ce qui signifiait qu’il ne devait pas passer un agréable moment.
— Bien ! approuva Greg sans la moindre trace de culpabilité cette fois-ci.
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Il prit quelques secondes, le temps de rassembler ses idées et de focaliser à nouveau son attention sur la vidéo.
— Comment s’est-il procuré la carte du Club de Gentil, demanda Greg alors qu’il avait bien une petite idée.
Et si elle se confirmait, cela signifiait qu’Alice n’avait pas été choisie au hasard. Les cartes d’accès ne possédaient aucun signe distinctif. Un badge, blanc cassé. Seule une puce dissimulée dans l’épaisseur de la carte permettait à son détenteur d’entrer au Club. La carte était passée dans un appareil de reconnaissance, permettant à l’hôtesse et au garde de confirmer l’identité de son détenteur. Si le badge était perdu, il pouvait être désactivé. Et de toute façon, il fallait le matériel nécessaire et bien spécifique pour en lire les données.
— Il a été cambriolé il y a quelques jours. Lorsque je l’ai appelé tout à l’heure, il m’a expliqué que son bureau avait été forcé. D’après lui, rien n’avait été dérobé. Jusqu’à ce que je lui demande de chercher sa carte de membre… qui elle, a bien disparu.
Greg se figea et un grognement s’échappa de ses lèvres. Les mots d’Alessandro confirmaient ses doutes. Celui qui avait fait cela savait exactement ce qu’il cherchait. Il changea de vidéo et bascula sur celle de l’entrée dans la rue.
Avec une certaine fébrilité, il passa rapidement en revue toutes celles où apparaissait l’homme tout en sachant pertinemment ce qu’il allait découvrir.
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— Il évite toutes les caméras, murmura-t-il, plus pour lui-même que pour Alessandro. Il sait précisément où elles sont placées, et comment opérer pour que son visage ne soit pas capturé.
Gesù Cristo !
Alessandro contourna le bureau se positionnant aux côtés de Greg. Ce dernier repassa les vidéos. Gentil, ou celui qui avait subtilisé son identité, semblait étrangement à l’aise. Comme s’il connaissait les lieux. Greg l’observa se diriger dans les couloirs et pénétrer dans la pièce où Alice l’attendait.
Plus il observait l’homme, plus il lui rappelait quelqu’un. Il y avait quelque chose de familier dans sa démarche, sa posture, même s’il s’évertuait à la maquiller, qui le glaça.
Il changea de vidéo et bascula sur celle où se trouvait Alice. L’homme ouvrait la porte et la refermait. Il hésita une demi-fraction de seconde, et Greg comprit que l’absence de clé sur la porte l’avait légèrement déstabilisé. Cela faisait partie d’un protocole de sécurité. L’accès ne devait en aucun cas être entravé de façon à pouvoir intervenir en cas de problème ou lorsque les règles strictes du Club n’étaient pas respectées. La violence, les actes de cruautés ou de sadisme en étaient honnis. Sous toutes ses formes. Même si certains participants en étaient adeptes, ces actes étaient interdits au Club. Et tous les participants le savaient.
Mais, cela n’avait pas été suffisant pour éviter à Alice de se faire agresser !
Greg se passa nerveusement les mains dans les cheveux. Il ne devait pas permettre à ses émotions de
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prendre le contrôle. Il réglerait le compte de ce type, mais avant, il devait l’identifier !
Il reporta son attention sur Alice, agenouillée sur le sol en position de soumission, totalement nue, tête baissée, dos droit, mains reposants paumes vers le haut sur ses cuisses elles-mêmes écartées. Greg pouvait voir à travers l’image la respiration calme de la jeune femme, jusqu’à ce qu’elle s’altère et que son dos se raidisse légèrement lorsque l’homme s’était approché. Greg compris qu’Alice avait elle aussi saisit que quelque chose n’allait pas.
Bon sang ! Pourquoi n’avait-elle pas réagi à ce moment-là ?
Pourquoi n’avait elle pas écouté son instinct ?
Mais ce n’était ni l’heure ni constructif de faire ce genre de réflexion. Ce qu’il voyait, c’était un homme qui savait précisément ce qu’il faisait. Et plus Greg l’observait, plus ce sentiment de familiarité s’ancrait en lui, au point où il fut certain de connaître cet homme. Le doute qui l’envahissait quant à l’identité de cet enfoiré se transformait en une désagréable certitude. Greg dut refréner une colère sourde qui commençait à se déverser dans ses veines et reporta sa concentration sur l’écran.
L’homme se dirigea vers une armoire dans le fond de la pièce et Greg le vit en sortir un bandeau ainsi qu’un bâillon et une cloche. Il regretta à l’instant que les caméras ne soient pas équipées de micros et se promit de procéder aux modifications.
Cette négligence, Alice la payait à l’heure actuelle ! Il ne pouvait entendre ce qu’il disait à Alice, mais les micros n’étaient pas nécessaires pour saisir le sens. Il vit Alice hocher la tête sans pour autant la
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relever. Puis l’homme passa dans son dos et posa le bandeau sur ses yeux et le bâillon sur ses lèvres. Au sursaut d’Alice, il comprit que cette ordure avait serré le bâillon plus fort que nécessaire. D’une tape sur l’épaule, il lui ordonna de se relever et guida Alice jusqu’à un cheval d’arçon. Avec des gestes précis, l’homme l’immobilisa en lui attachant les poignets et les chevilles, la laissant totalement ouverte et vulnérable.
Greg serra les dents. Elle n’avait eu aucune chance ! Mais il ne laissa rien voir. Il ignora le regard interrogatif d’Alessandro. Son visage froid, dénué d’expression eut raison de son associé qui soupira et reporta son attention sur l’écran.
— Que cherches-tu précisément, Greg ? demanda-t-il cependant.
— Une certitude, avança Greg avec une telle froideur qu’Alessandro eut l’impression que la température de la pièce baissait de plusieurs degrés.
— Tu veux dire que tu connais ce type ?
Alessandro tourna la tête vers Greg devant son silence, et ce qu’il lut sur les traits de son ami le glaça. Sa cicatrice sur la joue semblait plus blanche, plus profonde aussi, accentuant l’aura de danger qui entourait toujours Greg.
— Nom de Dieu, marmonna-t-il en reportant son attention sur l’écran se demandant ce que Greg pouvait voir et qui était totalement invisible pour lui.
Juste un sadique qui se dirigeait de nouveau vers l’armoire pour en sortir une badine et en tester la flexibilité. Puis, se positionner sur la droite d’Alice et abattre sur son dos le premier coup. Suivi d’un second
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tout aussi violent.
Greg suivait des yeux les mêmes mouvements et se figea.
— Il est gaucher.
— Et alors ?
Greg ne répondit pas. Une sueur froide coula le long de sa colonne. Depuis le début du visionnage, Greg avait cette impression de familiarité qui s’enroulait autour de sa cage thoracique. Il l’avait repoussée, espérant ainsi défier l’innommable. À mesure que les images défilaient, la pression se resserrait. Il faisait des efforts pour chasser l’inconfort et la douleur que provoquait ce que signifiaient ces images.
L’homme était gaucher, se répéta-t-il.
Le dernier élément qui confirmait ses doutes. Et s’il y avait une chose à laquelle il ne croyait pas, c’était bien aux coïncidences. Il stoppa la vidéo et repassa la scène.
— Tu es obligé de revenir là-dessus ? s’agaça Alessandro.
Ce qu’allait faire l’homme avec cette badine, il le savait déjà, et il n’avait pas particulièrement envie de revivre l’agonie d’Alice une fois de plus. Mais Greg ne l’écoutait pas. Il visionna la scène, s’exhortant au calme quand il voyait Alice se tordre de douleur. Non, ce qu’il observa lui confirma ce qu’il redoutait. Non seulement l’homme savait exactement quel instrument utiliser pour faire souffrir, et également blesser.
Mais aussi la dextérité avec laquelle il exécutait chaque mouvement.
Il n’y avait eu aucune hésitation dans le choix de la
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badine et dans les coups appliqués avec une précision diabolique. Il connaissait la main de celui qui frappait. Il reconnaissait la façon dont cette même main maniait l’instrument, la force infligée dans chacun des coups, les endroits où elle frappait.
Et il se maudit de ne pas avoir reconnu la marque de cet homme lorsqu’il avait vu le dos d’Alice un quart d’heure plus tôt. La signature était claire, et il sentit son corps entier se raidir quand le nom de l’homme s’imposa à son esprit.
Greg se redressa et coupa la vidéo, tout un panel d’émotion entrait en collision dans son crâne. Il ignorait totalement ce que cela signifiait. Pourquoi était-il revenu ? Dans son Club. Choisissant précisément Alice. Avec une arrogance et une confiance en soi qui le caractérisait tant au point d’agir en plein après-midi. Se cachant à peine. Juste ce qu’il fallait pour que Greg le reconnaisse.
— Greg ? interrogea Alessandro, un pli soucieux barrant son front.
Celui- ci se tourna vers lui. La tension qui l’animait alarma Alessandro qui aussitôt fut en alerte. Il connaissait suffisamment Greg pour comprendre que ce qu’il venait de visionner n’était pas une simple agression.
— Vois avec la sécurité et renforce-là. Je ne sais pas exactement ce que tout ce bordel signifie, mais je te tiens informé. Je t’envoie deux hommes qui compléteront l’équipe de sécurité.
Alessandro ne posa aucune question, elles viendraient plus tard, et prit son téléphone, ordonnant
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une réunion de crise avec la sécurité. Greg respectait la confiance que lui témoignait Alessandro. Il quitta le bureau pour rejoindre le sien et une fois la porte refermée sortit son téléphone à son tour pour composer le numéro de Daniel qui décrocha immédiatement. Il ne serait pas assez de deux pour comprendre ce qui lui échappait totalement.
— Comment va Alice ?
— Bien. Dans la mesure où elle a été agressée par l’un des nôtres.
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Chapitre 16
— Jusqu’à ce que cette ordure nous trahisse, compléta Greg d’une voix quasi sépulcrale.
L’un des nôtres ». Les mots résonnaient dans la tête de Daniel. Tranchants, douloureux, ravivant cette haine vivace. Car au moment où Greg les avait prononcés, Daniel avait immédiatement identifié celui qui s’en était pris à Alice.
Greg laissa le temps à Daniel d’intégrer ses paroles. Seul son silence lui répondit. Il pouvait sentir la tension de son ami et tout ce que ses mots venaient de déclencher. Au-delà d’une avalanche d’emmerdes, ils étaient directement visés.
Giraud n’attaquait jamais par hasard. Sauf s’il avait une raison précise. Greg le savait pour avoir été son binôme sur le terrain lorsqu’il était actif. Ce même binôme qui avait trahi la troupe, provoquant ainsi la mort de plusieurs de leurs compagnons d’armes. Giraud avait toujours été un être froid et calculateur, flirtant avec la violence. Qu’elle soit dirigée contre des civiles ou les cibles qu’ils combattaient. Mais là, il avait atteint un degré de sadisme qui envoya une décharge de colère et de haine pure dans le corps de
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Greg.
*
Daniel sortait à peine de l’immeuble de Mimi lorsqu’il reçut l’appel de Greg. Immédiatement, toutes ses alertes se mirent au rouge, et il pouvait aisément sentir la modification qui s’opérait en lui, aussi mentalement que physiquement. Tous les bienfaits et la légèreté de la dernière heure venaient d’être balayés. Daniel raccrocha et se dirigea d’un pas rapide vers sa voiture.
Si la circulation le lui permettait, il serait chez Greg en vingt minutes.
*
Un temps qu’il avait utilisé à bon escient. Daniel en avait profité pour passer quelques appels ciblés, dont un qui avait retenu toute son attention. Il en débattrait avec Greg d’ici peu. Il avait dû de son côté utiliser également son temps pour regrouper le maximum d’informations sur Giraud, et Daniel était quasiment certain qu’ils en viendraient à la même conclusion. Les méthodes de Giraud se rapprochaient des leurs. À la différence qu’ils œuvraient du bon côté de la justice… même s’il devait reconnaître que pour y parvenir ils usaient parfois de méthodes peu orthodoxes qui flirtaient allègrement avec les lois.
Le calme du quartier Prince – Marmottant, proche du bois de Boulogne contrastait avec le tumulte qui régnait dans son crâne. Daniel s’engagea dans la rue bordée d’arbres. La quiétude du lieu pavé d’édifices haussmanniens et des résidences de haut standing
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avaient quelque chose de presque mystique en comparaison avec le 18ème où vivait Mimi. C’était étrange d’assimiler cet endroit avec Greg. L’atmosphère et l’aura du lieu étaient à l’opposé du personnage, et curieusement, cette dichotomie se mariait à la perfection.
La voiture passa la haute grille en fer encadré des murs qui ceignaient la villa bourgeoise. Daniel esquissa un sourire. En apparence, il entrait dans une magnifique propriété haussmannienne de trois étages, plantée au milieu d’un parc qui aurait fait rougir les jardins de Versailles.
En apparence.
Car ce que les profanes ignoraient, c’était que chaque millimètre du terrain était sous contrôle vidéo permanent. Des détecteurs de mouvements et infra rouge prenaient le relais en cas de défaillance. L’endroit était un véritable bunker et quiconque y pénétrait se retrouvait, soit dans un lieu sécurisé, soit pris au piège. Tout était déterminé en fonction des intentions de celui qui y entrait. Et aujourd’hui, Alice y serait en sécurité. Greg était un solitaire, ce qui ne voulait pas dire qu’il aimait la solitude pour autant. Mais il préservait sa vie privée comme une maman tigre protégeait ses petits.
Il passa devant une maison, beaucoup plus modeste que la demeure principale. Celle-ci accueillait le couple qui s’occupait de l’entretien de la bâtisse et du parc. Plus qu’un couple. Ils faisaient partie de la famille depuis plus de trente ans. Des Italiens qui avaient suivi la mère de Greg lors de son installation en France, et qui n’en étaient jamais repartis.
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Daniel remontait doucement l’allée. Seul le bruit des pneus sur le gravier brisait le silence du parc.
L’imposante bâtisse se dressa devant lui. Fière. Altière. Avec un côté sombre. À l’image de celui qui l’habitait. Daniel ne prit pas la peine de s’annoncer, Greg savait pertinemment qu’il était sur place. Il rejoint sans hésitation le bureau de son ami qui se situait au rez-de-chaussée et le trouva assis devant un écran, si concentré que Daniel se demanda s’il l’avait entendu.
Question stupide !
Greg était un homme difficile à lire. Tout en mesure ou en contrôle. Jamais un mot de trop ou un regard inutile. Alors, le retrouver les sourcils froncés, l’air si préoccupé, dénotait une profonde tension.
Immédiatement, Daniel sentit ce processus familier se déployer. Il s’installa sur un fauteuil face au bureau et étendit ses longues jambes. Malgré son apparence détendue, tous ses sens étaient en alerte.
— Où est Alice ? demanda-t-il d’une voix calme.
— À l’étage. Elle s’en sortira, compléta Greg devant la question silencieuse de Daniel. Elle est choquée, mais elle est forte.
Oui, elle l’était. Indéniablement. Et il était clair que Greg ne faisait pas seulement référence à son agression. Daniel hocha la tête. Malgré les mots posés de Greg, il ressentait cette fureur latente qu’il contenait. Et tous deux, même sans se concerter, préféraient utiliser cette énergie pour comprendre ce que cherchait exactement Giraud.
Daniel se redressa légèrement de son fauteuil. Un
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mouvement à peine perceptible, mais qui à lui seul montrait qu’il était prêt pour la suite. Pas la peine de perdre de temps. Greg n’était pas un débutant. Ils possédaient les mêmes informations, donc, autant aller à l’essentiel.
— Giraud n’est pas réapparu sur le territoire Français par hasard.
— Il prend de grands risques, c’est certain. Cela signifie que son commanditaire a dû grassement le payer. Un nom ? demanda Daniel.
— Négatif. Seulement un lieu.
— État de New York, compléta Daniel.
Greg ne réagit pas, confirmant ainsi à Daniel que leurs informations, reçues de sources différentes coïncidaient… et cela asseyait un peu plus l’intime conviction de Daniel.
— Alice n’est qu’un amuse-gueule.
Ce qui dans leur jargon signifiait que ce n’était qu’un amusement. Une mise en bouche avant que Giraud ne s’attaque réellement à sa cible.
Greg poussa un soupir et passa nerveusement ses doigts dans ses cheveux. Pour un homme tout en contrôle, le geste de barbarie de Giraud l’avait profondément affecté.
— Bon Dieu ! Je ne le sais que trop bien. Cet enfoiré a simplement profité de son passage sur Paris pour se rappeler à mon bon souvenir. Bon sang ! Il s’en est pris à Alice par pur plaisir !
— Ce qui confirme ce que ma source m’a appris. Qu’il reste sur Paris. Cela réduit considérablement notre périmètre de recherche.
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— Si on remonte jusqu’à la cible de Giraud, on a une chance de le coincer.
— Sauf s’il l’élimine avant, conclut Daniel sombrement.
— Je me fous de la cible. C’est la tête de Giraud au bout d’une pique que je veux.
Daniel se rembrunit. Il n’était pas forcement d’accord avec son assertion.
La voix de Greg était calme et posée, mais le timbre sinistre aurait fait trembler un régiment fantassins. Daniel comprenait ce besoin de vengeance, mais il s’inquiétait que Greg tombe dans une course à la vendetta et en oublie l’essentiel au point de négliger sa propre sécurité. Giraud était loin d’être un enfant de chœur. Ses gestes étaient calculés. Souvent avec plusieurs coups d’avance sur ses adversaires. Et aujourd’hui, ils se retrouvaient dans ce rôle. Et c’était loin d’être le plus enviable.
Mais comme tout milieu, celui dans lequel évoluait Giraud faisait partie d’un microcosme. Le monde sous-terrain, celui des crimes, des contrats et des assassins étaient aussi régis par des règles. Daniel n’aimait pas frayer dans ces souterrains de la débauche. Il avait toujours cette impression lorsqu’il remontait des limbes du mal, que la noirceur des âmes de ceux qui y erraient restait collée à sa peau et s’imprégnait dans chacune de ses cellules, le contaminant par une nébulosité qu’il ne possédait pas.
Daniel resta un moment silencieux, se demandant si transmettre l’information à Greg était une bonne idée. Mais il savait mieux que quiconque à quel point l’obsession pouvait pervertir non seulement l’esprit, mais aussi le corps. Greg était son ami, mais également son associé. Il était un élément indispensable dans le bon fonctionnement de la
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société. Il avait besoin de le savoir toujours en course et non qu’il se fasse bouffer de l’intérieur.
— J’ai peut-être une piste.
Rien chez Greg ne révéla que l’information de Daniel venait d’ouvrir une porte sur une quelconque piste. Infime, au vu du ton prudent de Daniel. Mais réelle.
— Quelqu’un est entré en contact avec Joachim.
la mention du pseudonyme, Greg frémit légèrement. Joachim n’était ni plus ni moins qu’un tueur à gages dont la spécialité restait les lames, quelles qu’elles soient. Du moment qu’elles étaient létales. Vu que Giraud avait accepté le contrat, il n’était pas difficile de deviner que Joachim était déjà
occupé ». Ce qui voulait dire une chose.
— Combien veut-il ?
— Cent mille.
Une somme que Greg était prêt à doubler si ce malade lui révélait le nom du commanditaire. Il n’existait pas de petit profit. Si le commanditaire n’avait pas assuré ses arrières, tant pis pour lui. Quelqu’un comme Joachim ne possédait aucune morale. Sa vie était régie par le profit. Et Greg était prêt à le payer pour obtenir l’information. Ce que Joachim savait parfaitement. Peu lui importait qui demandait l’information à partir du moment où elle avait de la valeur. Et Joachim avait fixé cette valeur à cent mille euros.
— Je te laisse régler les détails, conclut Daniel tout
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en se relevant. Reste prudent. Ce type est instable et versatile. Il est capable de te faire payer sans te donner l’info.
— Il me la donnera.
— Et comment peux-tu en être si sûr ?
Greg le regarda avec un sourire qui n’atteignit pas ses yeux.
— Je peux me montrer particulièrement convaincant.
Daniel n’en doutait pas un seul instant.
*
Il lui restait juste assez de temps pour rentrer chez lui, prendre une douche et rejoindre Mimi à son appartement avec un bon quarante minutes d’avance, et ses raisons s’avéreraient exactes sans aucun doute possible, pour la déposer au cabaret.
Daniel resta sous le jet brûlant, l’eau lui martelant les épaules dans un vain espoir de chasser la tension qui lui raidissait la nuque. Le retour de Giraud, la cabale de Greg lui laissait un goût amer dans la bouche et son instinct lui dictait que ce qui allait suivre ne lui plairait pas. Il avait un mauvais pressentiment. Et s’il était encore en vie aujourd’hui, c’est parce qu’il avait toujours écouté son instinct.
*
Mimi attrapa son sac, ses clés, vérifia que son portable était chargé et ouvrit la porte à la volée. Elle poussa un cri de surprise lorsqu’elle buta contre une masse dure, chaude et qui sentait diablement bon.
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Un Daniel tout sourire la saisit par les bras pour la stabiliser. Aussitôt, Mimi redressa le menton, vindicative et un chouia agacée.
— Je peux savoir ce que tu fais là ? Tu es en avance !
Le culot de cette femme l’étonnerait toujours, et son sourire s’accentua.
— Précisément, ma belle. Tu pensais aller où comme ça ?
— Tu sais que quand tu prends tes grands airs, tu ressembles à un griffon ? Biaisa-t-elle.
Avec un plaisir pervers, elle regarda le sourire satisfait sur les lèvres de Daniel. Mimi arqua les sourcils, un air de triomphe sur son visage innocent. Presque innocent.
— Je ne parlais pas de la magnifique bête mythologique, mais du chien de chasse un peu miteux certes, mais affectueux tout de même.
Le sourire de Daniel s’évanouit et il prit un air faussement vexé.
— Bien joué, ma belle, mais la flatterie ne me fera pas oublier que tu allais te rendre au travail en métro alors que je t’avais pourtant dit clairement que je venais te chercher.
— Et alors ? Le défia-t-elle.
Il se contenta de s’approcher d’elle. Trop près ! Son corps se mit en alerte, ses sens vacillèrent.
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— Et alors ? Répéta-t-il en avançant, se plaquant contre Mimi et retrouvant un sérieux qui le rendait inquiétant. Je ne peux pas te protéger correctement si tu agis de cette façon.
— Je ne t’ai jamais demandé de me protéger, se rebella Mimi.
Daniel retint un soupir d’exaspération.
— Bien au contraire, ma belle. Tu as la mémoire courte, me semble-t-il. Souviens-toi. Qui m’a dit mot pour mot « je t’autorise à garder un œil sur moi » ? Tu es venue dans mon bureau avec une idée bien précise. Et j’applique celle-ci à la lettre.
Il eut le plaisir de voir la jeune femme se renfrogner et relever crânement le menton. Mais un plaisir vite balayé par une inquiétude réelle. Leur joute verbale l’amusait, certes, mais elle n’en supprimait pas moins les problèmes que fuyait Mimi. Elle remarqua presque immédiatement que la lueur espiègle qui rendait le visage de Daniel si lumineux en temps ordinaire s’était éteinte, remplacée par quelque chose de plus sombre qui l’alarma aussitôt.
— Qu’est-ce qui se passe ? demanda-t-elle doucement.
— Des problèmes au bureau.
Daniel préféra botter en touche. Il ne voulait pas l’inquiéter inutilement avec ses propres soucis.
— Graves ? insista-t-elle les sourcils froncés.
— Non, répondit-il avec une légère hésitation sur laquelle la jeune femme rebondit immédiatement.
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— Tu mens !
Bon sang ! Elle était pire qu’un vilain rhume.
Tenace et persistant.
— Peut-être.
— Ah ! Tu vois que j’ai raison. Bon, maintenant, tu vas me dire ce qui ne va pas.
Daniel la regarda, haussant exagérément un sourcil. Cette femme ne lâchait rien. Et il devait avouer qu’il aimait ce côté pugnace, même s’il pouvait se révéler agaçant par moment.
Un nœud se forma dans son estomac. Il reporta son attention sur Mimi, pleine de vie et de défi. La gêne dans son estomac s’intensifia. Des images du passé vinrent se superposer à celles du présent. Du sang, des cris, cette terreur qui l’avait cloué sur place en découvrant les yeux sans vie de Lizzie. L’affolement des personnes autour de lui. Le bruit assourdissant de son cœur tambourinant contre ses tempes, obscurcissant sa vision d’un voile de douleur et de fureur. Cet enfoiré qu’il avait poursuivi dans les coursives de la gare, qu’il avait traqué, attrapé puis frappé jusqu’à ce qu’il sente la vie s’échapper de lui.
Lizzie qu’il n’avait pas pu sauver.
Mathilde qui avait failli mourir.
Alice agressée.
Mimi traquée.
Daniel s’obligea à respirer profondément. Est-ce que toutes les femmes auxquelles il tenait allaient subir un destin tragique ?
Il reposa son regard sur les yeux ambre de Mimi. Des yeux félins, rusés à qui il se promit d’offrir ses sept vies et plus encore. Personne ne s’en prendrait à elle. Pas cette fois. Même s’il ignorait toujours qui la
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traquait. Il ne pouvait pas la protéger correctement contre ce premier prédateur, mais il pouvait agir contre une attaque probable de Giraud. Il était la définition même du prédateur sadique. L’odeur du sang l’excitait. Il avait agressé Alice pour le simple plaisir de blesser. Il avait voulu atteindre Greg en se servant de la jeune femme. Et il y était parfaitement arrivé. Daniel faisait partie de son groupe quand il avait trahi l’unité en pleine opération. Rien ne certifiait qu’il ne s’en prendrait pas maintenant à Mimi juste pour l’atteindre lui. C’était une hypothèse qu’il ne voulait pas voir se réaliser. Il en allait de même pour les conjointes des autres membres de son unité qui avaient partagé les missions avec Giraud. Il les avait joints un à un, les informant des actes de Giraud.
— Daniel ? L’interrogea-t-elle prudemment en le voyant contracter la mâchoire.
— Alice, une amie de Greg a été agressée aujourd’hui.
Mimi se figea, portant une main contre sa bouche pour retenir le petit cri qui s’en échappa. Même si elle ne connaissait pas cette femme, son agression la touchait profondément. Elle était trop consciente des dégâts que la folie de certains hommes pouvait infliger aux femmes.
— Oh, je suis désolée. Est-ce qu’elle va bien ?
Daniel hocha la tête en guise de réponse. Le geste était sec et son regard avait pris cette teinte orageuse. Son visage, d’habitude joueur, se transforma en masque dur, ne reflétant plus aucune émotion. La métamorphose était incroyable et
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terrifiante. Mimi ne connaissait pas cette facette de sa personnalité.
— Prends des vêtements de rechange. Tu dors chez moi ce soir.
Elle comprit qu’il n’en dirait pas plus. Elle ne pouvait guère l’obliger à parler quand elle-même lui dissimulait un pan entier de sa vie.
Mimi hocha la tête et se précipita vers sa chambre. Le ton directif et métallique de Daniel lui dicta que ce n’était pas le moment de se rebeller. En plus de l’inquiétude, une sorte d’urgence perçait dans son ordre. Et Mimi était assez intuitive pour comprendre que l’agression d’Alice avait des implications bien plus graves que ce qu’il lui avait révélé. Des mots qu’elle lui avait arrachés de la bouche et qu’il avait distribués au compte-gouttes. Sa réticence à parler était pour Mimi un élément suffisamment grave et important pour que Daniel se mette en mode ultra protecteur et c’était un signe qu’elle ne prendrait sûrement pas à la légère.
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Chapitre 17
Pour lui.
Elle avait dansé pour lui.
Chacun de ses tableaux avait été réalisé en ne pensant qu’à cet homme. Elle ressentait encore sa tension dans l’habitacle de la voiture. Mimi aurait voulu être indifférente aux émotions de Daniel. Y être imperméable et les laisser glisser sur sa peau et sa conscience.
Mais ce satané voyou avec ses yeux assombris par des préoccupations dont elle ne parvenait pas à prendre réellement la mesure.
Son attitude qui ressemblait à celle d’un fauve, un regard méfiant sur son environnement.
Son corps massif, tendu et aux aguets, magnifique. Tout cela l’atteignait plus vivement et profondément qu’elle ne l’aurait imaginé. Et elle avait beau lutter, chasser ses propres troubles, ils revenaient l’habiter
et la secouaient intimement.
En dansant, elle avait souhaité apaiser Daniel. Elle avait senti son regard sur elle, et à mesure que les notes s’égrainaient, que ses pas racontaient une histoire, une connexion s’était établie. De plus en plus forte au point d’avoir eu ce sentiment de n’être qu’avec Daniel sur scène. Elle percevait encore cette
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chaleur agréable qui avait pris naissance dans son ventre et s’était étendue à l’ensemble de son corps.
Le cabaret se trouvait à moins de dix minutes de l’immeuble particulier de Logan dans lequel Daniel possédait son propre appartement. La tension nerveuse du début de soirée s’était peu à peu transformée pour muer quelque chose de plus charnel. Et le regard que lui renvoyait Daniel était le reflet de ses propres désirs. Une faim dévorante qui les avait saisis de façon aussi fulgurante qu’obsessionnelle. Même si elle sentait que Daniel luttait contre.
Il engagea la voiture dans la rampe d’accès au parking souterrain. Un luxe proche du miracle dans cette partie de la capitale. Une porte sécurisée s’ouvrit sur un garage d’une propreté chirurgicale où des voitures représentant probablement plus d’une dizaine d’années de son salaire attendaient patiemment que l’on vienne les dompter.
Daniel escorta Mimi jusqu’aux portes de l’ascenseur. Sa main se pressa sur ses reins pour l’accompagner et il tenta de ne pas réagir au frisson qui parcourut le corps de la jeune femme.
Mimi retint son souffle. La large paume de Daniel propagea une chaleur dans le bas de son dos qui se répandait dans son corps à mesure que l’ascenseur progressait. La tension de Daniel était palpable. Elle emplissait la cabine de l’ascenseur d’une aura sexuelle presque étouffante tant elle était puissante. Daniel s’était déplacé de sorte que son dos frôlait son torse musculeux. Elle pouvait percevoir la tension de son corps, sa chaleur. Son ventre se crispa et une moiteur sourdra entre ses cuisses. Ses nerfs étaient tendus à se rompre et Mimi se mordit la lèvre pour
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retenir un gémissement.
Elle devait sortir.
Maintenant !
Sa prière s’exauça et elle respira l’air frais, ou du moins il lui parut moins étouffant, quand les portes s’ouvrirent sur le hall de la résidence. Une pression dans son dos l’obligea à avancer et Daniel la conduisit jusqu’à une imposante porte. Elle n’aurait su dire en quels matériaux elle était constituée. Ce qui était sûr, c’est que Daniel ne lésinait pas avec les systèmes de sécurité. Il aurait fallu un bélier, ou même une dose d’explosif pour la défoncer. Et encore…
Daniel observa la jeune femme pénétrer son univers. Il croisa les bras, appuyé contre le chambranle. Mimi déambulait dans le salon. Il pouvait voir ses yeux englober la pièce puis la détailler, et se poser sur certains objets. La regarder ainsi se promener dans son environnement, avait quelque chose de très intime et il sentit une chaleur bien trop familière lui réchauffer les reins dès que Mimi se trouvait dans un périmètre proche. Il réprima un grognement quand son sexe se comprima contre la fermeture de son pantalon et tenta de se rajuster. Avec le contrôle que des années d’expérience avaient façonné, il précéda la jeune femme, et marmonna :
— Suis-moi !
Son ton était plus sec qu’il ne l’avait voulu et il grimaça. Il fut cependant surpris lorsque la jeune femme obéit docilement et le suivit silencieusement.
Mimi ne pouvait que constater la tension qui émanait de Daniel à ses épaules contractées et la
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crispation de sa mâchoire. Elle n’avait en rien diminuée depuis qu’il était venue la chercher chez elle.
Bien au contraire.
Daniel précéda la jeune femme. La présence de Mimi dans son dos ne pouvait que lui rappeler les événements récents. Coucher avec elle avait été merveilleux. Un moment de fusion parfait. Mais l’agression d’Alice lui avait rappelé pourquoi il ne devait pas recommencer. Mimi lui faisait perdre de vue ses objectifs. Son attirance pour elle la mettait directement en danger. Et Alice avait été un rappel cruel de ce qui pourrait arriver à Mimi s’il ne se concentrait pas sur l’essentiel. Sa sécurité. Et non ce besoin obsessionnel de la mettre dans son lit et de la faire sienne.
Ils traversèrent le salon, dont les hautes fenêtres devaient apporter une luminosité exceptionnelle à la pièce dans la journée. Les plafonds haussmanniens étaient magnifiques dans leur détail. Au centre, une rosace où s’accrochait un lustre en cuivre, s’assortissait au style classique de la pièce. Les creux des moulures et de la rosace étaient discrètement rehaussés de gris pâle pour les harmoniser aux murs. L’ameublement était à l’avenant. Un subtil mélange élégant d’objets contemporains et classiques. Un canapé en cuir faisait face à la cheminée dont des éléments en chrome cassaient l’austérité du marbre. Un tapis d’Aubusson recouvrait un parquet clair absolument magnifique qui vu son aspect devait être d’époque.
Mimi avait été surprise. Elle s’attendait à un univers beaucoup plus moderne, fait d’acier et de cuir. Masculin. Mais l’atmosphère qui se dégageait des
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lieux possédait une aura de force tranquille, de douceur et d’un côté brut. Une atmosphère qui définissait parfaitement Daniel.
Il entraîna la jeune femme dans un autre couloir. Le coin nuit, supposa-t-elle. Ce que lui confirma Daniel lorsqu’il ouvrit une porte donnant sur une chambre magnifique et indéniablement féminine. Un lit à baldaquin y trônait surplombé d’un dais en voilage blanc.
— Oh ! murmura Mimi, avec un pincement au cœur. C’est donc ici que tu amènes tes maîtresses.
Le silence de Daniel l’intrigua et elle se tourna vers lui. Son visage n’était qu’un masque figé. Mimi se fustigea pour sa remarque idiote. Il avait parfaitement le droit d’emmener des femmes chez lui. Mais savoir qu’elle était un numéro de plus sur la longue liste de Daniel la blessait plus qu’elle ne voulait se l’avouer.
— Pas n’importe quelle femme, répliqua Daniel après un long moment sans quitter Mimi des yeux.
Elle sentit sa poitrine se contracter un peu plus sous les paroles et le regard perçant de Daniel.
— Je n’aurais pas du faire ce genre de remarque, s’excusa Mimi qui déglutit difficilement. Tu es chez toi. Mais ce n’est peut-être pas une bonne idée que je reste, conclut-elle en esquissant un pas vers la porte.
Daniel se décala pour bloquer le passage.
— Dommage, répondit-il, une raucité dans la voix qui fit relever les yeux de la jeune femme. Ma mère trouve que l’on dort plutôt bien dans cette chambre.
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— Ta mère… ? répéta Mimi décontenancée.
— Oui, confirma Daniel avec un hochement de tête sec. Elle a toujours aimé le genre « princesse ». Alors je lui ai décoré cette pièce pour qu’elle se sente bien.
— Oh…, ne put que répondre Mimi dont les joues prirent une teinte rose vif.
Adorable, pensa Daniel.
Il se pencha légèrement vers Mimi, son souffle lui caressant la joue.
— Sache que je n’amène ni femmes dans cette chambre, encore moins mes maîtresses, murmura-t-il.
De rose, Mimi sentit ses joues passer au rouge. Elle se sentait idiote et d’une jalousie totalement déplacée. Aussi, se détourna-t-elle.
De jolis meubles délicats occupaient le reste de l’espace. La chambre respirait une atmosphère indéniablement féminine. Mimi se sentit rougir en admirant les draperies d’un blanc virginal sur lesquels elle se voyait commettre les pires outrages avec un Daniel encore plus sombre et taciturne que jamais depuis qu’il l’avait fait entrer dans la chambre.
croire que ses pensées rejoignaient les siennes lorsqu’en plus de son air renfrogné, Daniel resta au seuil de la pièce. Comme si entrer dans la chambre allait le conduire à sa perte. Et la sienne également. Elle se tourna face à lui et le vit distinctement se raidir. Sa pose nonchalante, mains dans les poches, appuyé contre le chambranle, les jambes croisées, n’était qu’une façade dont le vernis s’écaillait dangereusement. Ses yeux d’habitude couleur chocolat s’étaient sensiblement obscurcis et malgré
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ses efforts, Mimi avait conscience qu’une fine barrière de résistance l’empêchait de lui sauter dessus. Elle sentit ses joues s’enflammer quand elle réalisa que c’était exactement ce qu’elle désirait.
Daniel dut faire un effort surhumain pour détacher ses yeux de la silhouette tentatrice de sa jolie rousse. Sa posture, l’éclat de ses yeux, sa façon de mordiller sa lèvre inférieure étaient des signes qu’il lui fallait ignorer. S’il s’écoutait, il n’hésiterait pas une seule seconde avant de fondre sur Mimi, lui arracher ce pull trop grand, son jean qui était comme une seconde peau pour l’allonger et se repaître de son corps avec ses mains, sa bouche. D’en explorer la moindre parcelle avant de s’enfoncer au plus profond de sa féminité. Au souvenir de sa chaleur, son sexe se tendit douloureusement.
Bon sang ! Y avait-il au moins un moment dans la journée où il n’était pas en érection ? s’agaça-t-il.
D’un mouvement de menton, il montra une porte au fond de la pièce et fut soulagé quand Mimi le quitta des yeux pour suivre son regard.
— La salle de bain.
Il pensait lâchement qu’elle s’y hâterait. N’était-ce pas ce que faisaient toutes les femmes ? Se précipiter dans la salle de bain, ouvrir et sentir tous les flacons de produits de beauté qui s’y trouvait ?
Mimi détourna rapidement le regard pour revenir le poser sur Daniel qui émit un grognement étouffé.
Visiblement, Mimi ne faisait pas partie de cette catégorie de femmes…
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Il marmonna un vague bonne nuit et tourna les talons comme s’il avait le diable aux trousses. Une fuite vitale qui tendait toutes les fibres de son corps.
— Daniel ?
Un grognement lui répondit, sur lequel elle préféra ne pas s’arrêter.
— Aurais-tu un pyjama à me passer pour la nuit ? J’ai oublié le mien et je n’ai pas l’habitude de dormir nue.
Une phrase qui figea chaque fibre de son être, mais il parvint par un effort qui lui prit toute son énergie à tourner la tête vers Mimi. Aussitôt, il visualisa le corps chaud, doux et surtout nu de la jeune femme allongé sur les draps. Il ferma les yeux un instant, mais le geste n’échappa pas à la Mimi dont le coin des lèvres se releva subtilement. Il ne fallait pas être très imaginatif pour comprendre que la lutte que Daniel avait engagée contre lui-même était pour le moins… virulente.
Daniel serra les poings.
Bon Dieu !
Cette femme jouait avec ses nerfs et sa résistance et s’il demeurait dans la pièce une seconde de plus il n’était pas certain de pouvoir conserver son reste de self-control très longtemps.
Il devait s’éloigner de Mimi. Maintenant ! Même s’il souffrait comme un damné. Il rejeta l’image de Mimi, debout au milieu de ce décor plus que féminin. Il la fuyait, plus précisément. Mais s’il était resté une
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seconde de plus, il se serait jeté sur la jeune femme comme un mort de faim pour s’adonner au plus primitif et ancestral des actes le reste de la nuit. Imaginer rien que sa chaleur autour de son sexe lui faisait perdre tout sens commun.
Alors, comment réussir à assurer sa protection quand son cerveau était déconnecté et incapable de penser à autre chose que donner du plaisir à sa jolie rousse ?
En s’éloignant. Tout simplement.
Il pénétra au pas de charge dans sa chambre, ouvrit brusquement un tiroir pour en sortir un t-shirt et revint vers celle qu’occupait Mimi. Il frappa, entra et déposa le t-shirt sur le lit. Sa partie reptilienne agissait de façon automatique, sans se préoccuper du parfum subtil de Mimi qui flottait dans la pièce, mais sa partie humaine et émotionnelle ne pouvait en aucun cas ignorer la jeune femme qui n’avait pas bougé. Tout aussi vite qu’il était entré, il quitta la chambre et tout ce qu’elle représentait comme tentation.
Il poussa la porte de son bureau qu’il referma trop brusquement. Un geste qui trahissait sa tension et sa frustration.
Bordel !
Daniel saisit son ordinateur. Il repoussa rageusement une mèche de cheveux qui retombait sur son front et imagina immédiatement les doigts fins de Mimi le faire à sa place. Il grogna et se concentra sur son écran. Rien de tel qu’une immersion dans le monde malsain du darknet pour calmer toute libido.
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*
Mimi se retourna dans le lit et soupira. La douche l’avait apaisée après le départ précipité de Daniel. Mais elle n’arrêtait pas de se repasser la scène des dernières heures dans sa tête.
Daniel la désirait. Son corps l’avait trahi. Impossible pour elle d’ignorer la déformation de son pantalon. Ni ses yeux assombris et sa voix rendue rauque par le désir. Néanmoins, il avait quitté sa chambre sans un regard en arrière. Comme ci ce qu’ils avaient partagé dans son propre appartement n’avait jamais existé. Et pourtant, son corps s’en souvenait encore. Un délicieux tiraillement agaçait encore une partie bien spécifique entre ses cuisses. Une chaleur douce et lénifiante y pulsait sans discontinuer au point que cela en devenait une torture. Mimi tenta de faire abstraction de son corps pour se concentrer sur Daniel. Cet homme qui ne quittait pas ses pensées. Et ceci depuis qu’elle l’avait défié au milieu d’une rue du dix-huitième arrondissement de Paris près d’un an plus tôt.
Bon sang !
Cet homme allait la rendre folle. Il lui avait fait l’amour comme personne, s’était montré exigeant, dominateur, mais tout en lui lassant une part de contrôle. Il avait su la décrypter avec une facilité déconcertante, tout en instillant une dose de tendresse qui l’avait totalement charmée et désarmée. Rien ne laissait supposer Mimi qu’il regrettait de lui avoir fait l’amour. Au contraire. Il s’était montré autoritaire et ferme dans sa décision de revenir la chercher pour la déposer au cabaret. C’est elle qui
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avait tout fait pour le fuir en décidant de le court-circuiter et de partir en avance sans l’attendre.
Mimi soupira encore, vidant ses poumons d’air en même temps que toutes les pensées contradictoires concernant Daniel qui envahissaient sa tête. Ce soir, il avait envoyé tous les signaux d’un homme désirant une femme, et pourtant, il l’avait laissée en plan. D’habitude, c’est elle qui prenait la poudre d’escampette quand un homme s’approchait de trop près.
Mimi se redressa d’un coup dans le lit, le cœur tambourinant contre sa poitrine. Daniel avait érigé les mêmes systèmes de défense qu’elle : la fuite.
Bon sang !
Comment n’avait-elle pas saisi avant ?
Daniel la fuyait.
Non !
Il fuyait l’attirance qu’il ressentait pour elle et qui égalait par la force celle que Mimi ressentait pour lui. Et l’agression de cette fameuse Alice en était le déclencheur. Mimi en était certaine.
Sauf qu’elle n’était pas Alice !
Et elle était bien déterminée à le faire comprendre à cet entêté de Daniel.
*
Daniel sortit de la salle de bain attenante à sa chambre et referma la porte un peu brutalement. L’heure a essayer de travailler avait tourné au désastre. Incapable de trouver une once de concentration, il avait refermé son ordinateur, agacé et bourré d’une frustration qui faisait circuler son sang dans ses veines un peu trop vite à son goût.
Mimi occupait toutes ses pensées, et un instant il
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avait envisagé de confier sa sécurité à quelqu’un d’autre.
Un instant seulement.
l’idée qu’un autre homme que lui colle aux fesses de sa jolie rouquine, une colère sourde l’avait envahi.
Nom de Dieu !
Toute cette frustration, cette colère bouillaient en lui. Il les lui fallait évacuer avant qu’elles ne le rendent complètement dingue. Une séance dans le dojo lui ferait probablement du bien. À défaut de lui vider la tête des images plus séductrices les unes que les autres de Mimi, il se viderait au moins de son énergie.
Daniel se frictionna énergiquement la tête qu’il releva vivement quand la porte de sa chambre s’ouvrit sur une Mimi plus appétissante que jamais. Il laissa son geste en suspens pour observer cette femme qui lui faisait vivre un enfer. Sexy dans un simple t-shirt en coton blanc, le sien en l’occurrence, qui la recouvrait à mi- cuisses et qu’il mourait d’envie de lui arracher pour contempler ses formes douces et délicieusement féminines.
Il sentit avec une sorte de désespoir les bienfaits de la douche réduits à néant quand son sexe frémit sous la serviette qu’il avait négligemment ceinte autour de sa taille.
Un frémissement qui n’échappa pas à Mimi. Comment l’aurait- elle pu face à cette vision. De larges épaules, un torse puissant, des hanches minces, une peau lisse constellée de gouttelettes.
Elle regarda avec fascination les pans de la serviette s’écarter à mesure que l’érection de Daniel grandissait.
— Qu’est-ce que tu fais ici ? demanda-t-il d’une voix
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rude.
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Chapitre 18
La voix caverneuse de Daniel, presque animale, la sortit de sa transe et Mimi releva la tête. Grave erreur ! Comprit-elle quand ses yeux rencontrèrent ceux de Daniel. Noirs, d’une intensité qui lui coupa le souffle. Elle s’obligea à détourner les yeux avant d’être totalement absorbée par la force de son regard. Les gouttelettes d’eau captèrent son attention. Elle en suivit une qui dévalait le torse de Daniel, caressait sa peau, se perdant un instant dans la toison entre ses pectoraux indécemment dessinés pour suivre la ligne de poil qui se perdait sous la serviette. Inconsciemment, elle passa sa langue sur ses lèvres.
Un geste qui arracha un gémissement à Daniel. Mimi releva la tête. Tous les muscles de Daniel étaient tendus, sa respiration trop parfaite pour être naturelle. Mimi sentit cette traîtresse de chaleur prendre vie au creux de son ventre pour se diffuser avec une rapidité qui la déconcerta à l’ensemble de son corps. Elle ressentit l’urgence de le toucher. Elle avait besoin de le sentir. De se réapproprier la texture de sa peau, sa douceur, sa fermeté, sa chaleur.
Lentement, elle approcha de Daniel, qui comme un animal pris au piège, n’esquissa pas le moindre geste. Seule la contraction des muscles de ses épaules trahissait sa tension.
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Mimi était fascinée.
Par le contrôle qu’il parvenait à exercer sur son corps.
Par cette volonté farouche de vouloir à tout prix garder ses instincts sous cloche, les apprivoiser.
Mais Mimi savait que sous ses apparences civilisées, se cachait une nature sauvage qu’elle avait eu l’occasion de rencontrer la veille… et qu’il lui tardait de réveiller complètement.
Elle s’approcha, ses yeux rivés à ceux de Daniel. La tension sexuelle était si forte entre eux qu’elle imprégnait l’air. La connexion qu’ils établirent était comme un fil solide qui ne pouvait que les attirer et les rapprocher. Un souffle de soulagement s’échappa des lèvres de Daniel lorsqu’elle caressa d’une main légère son visage, passant sur sa barbe naissante, puis le long de ses épaules pour descendre sur sa poitrine. Un souffle qui signait sa reddition.
Daniel sentait ses défenses s’amenuiser à mesure que la caresse délicate des doigts de Mimi s’imprimait sur sa peau. Un dernier sursaut de sagesse s’égara à la surface de sa volonté.
— Pourquoi es-tu là ? redemanda Daniel d’une voix écorchée.
— Parce que tu me fuis, répondit la jeune femme dans un murmure.
Mimi sentit distinctement la respiration de Daniel se couper. Comme si ses mots venaient de le percuter. Lentement, elle vit sa poitrine se mettre en mouvement, en même temps que son assertion pénétrait les certitudes de Daniel et les mettait à mal.
Oui, il la fuyait.
Clairement !
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Mais là. Cette nuit. Devant lui. À peine vêtue. Si belle. Désirable et vulnérable, il avait envie, juste un instant, d’oublier pourquoi il ne devait pas s’attacher
Mimi. Pourquoi ne devait-il en aucun cas entretenir cette attirance qui allait les mener tous les deux à leur perte ? Parce qu’il serait incapable de la protéger correctement s’il ne gardait pas un minimum d’objectivité. Parce que son passé lui avait tristement appris que c’était lorsque l’on était le plus proche des personnes que l’on aimait que celles-ci mourraient.
Et les doigts de Mimi serpentant sur sa peau, sa chaleur, son odeur, l’empêchaient de réfléchir correctement !
Mimi se rapprocha jusqu’à ce que sa poitrine vienne caresser son torse. Elle respira profondément, laissant l’odeur de la peau de Daniel s’insinuer dans chaque cellule de son corps pour finalement la prendre en otage. Aucuns de deux ne fit le moindre mouvement, se laissant simplement guider par le moment.
Un instant en suspens.
Un instant où tout était possible.
Puis Mimi avança ses lèvres au point que Daniel sentit son souffle chaud caresser sa peau.
— Ne fais pas ça, réussit-il à articuler.
Mais la jeune femme ignora ses mots. Doucement, elle embrassa son épaule. Un effleurement, mais qui eut pour effet de se répercuter dans tout le corps de Daniel.
Ses poings se serrèrent et se relâchèrent. Un mouvement qu’il répéta plusieurs fois sans en avoir conscience. Il fallait qu’il s’empêche de la toucher. Car s’il le faisait, il ne pourrait plus rien arrêter.
Mimi suivit des yeux une gouttelette qui dévalait le
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long de son torse, passer sur les courbes dures de ses pectoraux, contournant les muscles abdominaux et poursuivre sa route, se dissimulant sous la ligne de poils sombres, pour terminer sa course sous la serviette, repaire de tous les plaisirs. Elle releva la tête et son regard capta une autre gouttelette en mouvement. Avant qu’elle s’échappe elle aussi, Mimi posa ses lèvres et la captura du bout de la langue. Avec, elle traça un sillon brûlant sur la peau de Daniel, éprouva la tension de ses muscles. Daniel siffla quand la langue de Mimi vint titiller son téton et l’érafla de ses dents. Il lui attrapa la tête entre ses mains et l’éloigna.
— Nom de Dieu !
Son souffle était haché et ses yeux avaient pris cette teinte sombre. Mimi se lécha les lèvres pour ne pas perdre le goût de Daniel qui y était toujours accroché. Un geste qui signa la perte de Daniel. Sans attendre, il attira Mimi à lui et plaqua ses lèvres aux siennes. Sa langue força la barrière de ses dents et une fois passée, il investit sa bouche. La dévora, savourant sa douceur, son goût si féminin, avalant ses gémissements si sexy. Il resserra une main sur la nuque de Mimi pour l’obliger à incliner la tête. Ainsi, il avait un accès total à sa bouche. Il la revendiquait. Il ressentait une pulsion animale et primaire tout au fond de lui. Mimi était à lui. Rien qu’à lui.
Mimi s’arracha à son baiser, aussi essoufflée que l’était Daniel. Il entama un mouvement vers Mimi, mais elle le stoppa, une main sur son torse et Daniel s’immobilisa aussitôt. Il laissa retomber ses mains sur le côté, même si tout son être lui hurlait de la faire sienne.
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Maintenant !
Mais il ne s’agissait pas de n’importe quelle femme. Il ne pouvait pas se servir de son charme et l’amener
faire ce que lui désirait. Il avait compris avec Mimi que les attaques frontales étaient inutiles et surtout la faisaient fuir. Alors, si elle voulait tout arrêter, il l’accepterait. Même s’il en mourait tellement son sexe était tendu et douloureux, à peine caché par une serviette qui mettait toute pudeur aux oubliettes.
Daniel se méprenait sur ses intentions. Elle le comprit immédiatement au retrait qu’il effectua. Pour le détromper, elle colla sa poitrine contre son torse et passa les bras autour de son cou. Il ne pouvait pas ignorer le désir qu’il lui inspirait. Ses seins étaient tendus, leurs pointes douloureusement dures, en attente d’une délivrance que seul Daniel pouvait lui offrir. Mimi poussa un soupir de soulagement lorsqu’elles frottèrent contre les pectoraux contractés de Daniel qui réagit immédiatement. Une de ses mains saisit sa nuque, tandis que l’autre se faufila sous le t- shirt de Mimi, glissant sur sa cuisse et empauma un des globes doux et délicieusement musclé.
Daniel retint un gémissement quand ses doigts rencontrèrent la peau nue de Mimi. Cette femme lui faisait perdre la tête à se promener dans son appartement les fesses à l’air.
Son gémissement s’intensifia lorsqu’il la colla contre lui, comprimant son sexe contre la chair tendre de la jeune femme.
Mimi écarquilla les yeux en sentant l’étendue de son désir contre son ventre. Elle l’avait vu nu. L’avait touché, l’avait senti au plus profond d’elle. Elle le savait généreusement doté, mais jamais elle ne l’avait
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senti si fort, si dur au point que la pression contre son ventre était presque douloureuse.
Comme elle le désirait !
Mimi se hissa sur la pointe des pieds. Le mouvement accentua la pression sur son estomac et Daniel grimaça de plaisir mêlé de douleur. Ses pupilles étaient totalement noires, cachant complètement la couleur de ses iris. Mimi esquissa un léger sourire. Elle aimait le pouvoir qu’elle détenait sur Daniel. Il l’entravait peut-être de ses mains, mais c’est elle qui le tenait dans le creux des siennes. Un pouvoir qui n’avait rien d’une bataille de force. Il possédait la puissance physique, elle, celle de la persuasion. Un équilibre dans les forces que tous les deux avaient parfaitement évalué.
Elle suivit sa mâchoire du bout des lèvres, donnant des petits coups de langue sur sa peau que les prémices de sa barbe naissante rendaient légèrement rugueuse. Le souffle de Daniel s’accéléra quand elle lécha le lobe de son oreille et suivit du bout le la langue le délicat contour.
Sa main se resserra sur sa nuque et Mimi haleta. La pression était merveilleusement douloureuse. Daniel l’obligea à reculer la tête pour mieux plonger sur ses lèvres qu’elle écarta pour laisser passer sa langue chaude et douce. Elle s’abandonna à son baiser avec un petit soupir, et plus rien au monde ne compta pour lui que sa bouche explorant la sienne et ses mains sur son corps.
Elle gémit quand Daniel aspira sa langue, la caressa pour imiter le mouvement de va- et-vient. Il sentit les doigts de Mimi relâcher son cou pour glisser sur son torse, son ventre, jusqu’à atteindre cette foutue
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serviette qui ne tenait que par la pression entre leurs deux corps. Mimi recula légèrement le bassin et une main joueuse vint dénouer la serviette qui tomba en un lourd drapé à leurs pieds.
La jeune femme attrapa les mains de Daniel pour les lui positionner le long de son corps. Daniel comprit immédiatement le message silencieux. Mimi voulait diriger, contrôler. Il lui accordait volontiers ce droit, dans la mesure de ses moyens. Il n’était pas certain de pouvoir rester inactif très longtemps. Mais il saisissait le besoin de liberté de Mimi. Aussi, lui fit-il ce que visiblement elle considéra comme le plus merveilleux des cadeaux.
Elle regarda son visage magnifique. Ce soir, il lui appartenait. Elle se pencha et lécha un chemin le long du muscle fort et bien défini de son épaule. Chaque frisson qui s’échappait du corps de Daniel était un appel à poursuivre. La bouche de Mimi continua son chemin de torture jusqu’à ce qu’elle tombe à genoux.
Les yeux de Mimi se posèrent sur sa hampe, glorieusement tendue. Elle le désirait avec une force qui lui coupa le souffle. Son ventre se noua sous la tension et Mimi releva les yeux. Elle le voulait, mais ce qu’elle désirait plus que tout, c’était voir cette même envie dans le regard de Daniel. Et ce qu’elle découvrit quand elle planta son regard dans le sien valait toutes les paroles du monde. La passion entre eux était d’une telle intensité qu’elle faisait comme un arc électrique.
Il grogna son assentiment lorsqu’elle saisit son sexe et le caressa. Sa peau était brûlante, d’une douceur inégalée. Mimi fit glisser sa main avec une lenteur délibérée. Elle l’abaissa jusqu’à la base épaisse de son sexe pour remonter doucement en exerçant une
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pression régulière, s’immobilisa sur la large couronne, pour englober dans sa paume son gland rendu ultra sensible d’où perlait une goutte translucide. Elle entendit à peine Daniel émettre un juron tant la vision de son plaisir la fascinait. Elle répéta le mouvement, pressant la couronne avant de glisser jusqu’à la base de son sexe. Elle sentait toute la tension du corps de Daniel se concentrer en ce seul point. Mimi releva la tête.
Encouragée par son expression d’intense satisfaction, elle laissa courir sa langue sur toute sa longueur de son sexe pour mieux le goûter, apprécier sa douceur, son goût légèrement musqué.
Si masculin.
Si lui.
Daniel n’avait pas été pris par surprise. Il avait vu le bout de langue rose sortir d’entre les lèvres de Mimi, avait arrimé ses pieds fermement au sol, s’attendant à une explosion de plaisir. Mais pas de cette force, réalisa-t-il quand ses hanches ruèrent vers l’avant. Mimi s’agrippa à sa taille pour se stabiliser et le regarda, un sourcil haussé, l’air on ne pouvait plus satisfait. Ce qui fit grogner Daniel de dépit. Cette femme allait avoir sa peau, ce n’était qu’une question de temps.
Quand enfin, elle inclina la tête pour le prendre entre ses lèvres, son grognement s’intensifia et résonna dans sa poitrine… pour soupirer de contentement en sentant la chaleur de sa bouche, la douceur de sa langue qui le caressait. Puis, soudainement, elle l’aspira profondément au fond de sa gorge. Un arc électrique dévala de ses reins pour se loger directement dans ses bourses qui se contractèrent dangereusement. À deux doigts de jouir,
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il plaqua ses mains contre la nuque de Mimi pour l’immobiliser. Au moindre mouvement, il exploserait.
Il captura le regard de Mimi qui lui renvoyait l’image même de la décadence ainsi agenouillée devant lui, sa jolie bouche autour de sa queue. Le brasier qui faisait rage dans ses reins s’intensifia, et il sentit une langue de feu se propager le long de sa hampe. Il resserra un peu plus les doigts autour de la nuque de Mimi alors qu’un peu de sperme s’échappait de son méat.
Pas encore ! Il ne voulait pas jouir dans sa bouche. Une autre fois. Mais le chant de cette sirène était tellement tentant qu’il dut faire appel à toute sa volonté pour rester immobile le temps que le feu se calme, qu’il reflue enfin et remporte au moins cette manche.
Après ce qui lui parut une éternité, il desserra ses mains et Mimi entama un mouvement pour l’avaler complètement. Voir sa queue disparaître entre les lèvres rouges et gonflées de Mimi faillit causer sa perte une fois de plus. Il captura son regard, et à la lueur qui le traversa, il comprit que la jeune femme avait saisi sans peine la lutte qu’il menait. Il la sentit sourire autour de son sexe et grimaça.
Sorcière !
— Mimi, gronda-t-il en raffermissement ses mains autour de sa tête.
Un avertissement qu’elle ignora en le torturant de la plus traite des façons. Elle était peut- être immobilisée par les mains de Daniel posées sur son crâne, mais elle était libre de tous ses autres mouvements. Elle obligea sa gorge à effectuer un mouvement de déglutition. Ce simple effleurement eut
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presque raison de Daniel qui sentit son sexe se faire comprimer dans la gorge de Mimi, et instinctivement, il rua vers l’avant, son sexe s’enfonçant encore plus profondément.
Elle respira longuement par le nez, le temps que sa gorge s’habitue. Mais Daniel la saisit sous les bras et la releva. Ses lèvres couvrirent les siennes si furieusement qu’elle aurait probablement des marques le lendemain. Elle ne voulait pas de douceur. Elle désirait un baiser qui correspondait aux émotions qui faisaient rage en elle. Elle avait besoin de lui. Mimi émit un gémissement, une sorte de douce supplique de soumission et se pressa contre lui. Il faillit perdre la raison, perdre ce contrôle qui lui était si précieux.
Daniel s’écarta le temps de lui retirer, arracher, plutôt son t-shirt et porta la jeune femme sur le lit sur lequel il l’allongea avant de recouvrir son corps du sien. Les cuisses de Mimi s’ouvrirent d’elles-mêmes pour l’accueillir.
Il dévora sa bouche et Mimi émit des petits bruits de gorge sexy, et quand son sexe entra en contact avec les chairs tendres et trempées de Mimi, il faillit, pour la troisième fois en moins de deux minutes, perdre tout contrôle.
Il se détacha de Mimi le temps d’attraper un préservatif dans le tiroir de la table de nuit, de s’en gainer et de reprendre aussitôt sa place. Il lui écarta largement les cuisses, son regard errant vers le sexe de la jeune femme. De jolis plis d’un rose tendre luisaient de son désir pour lui. Des lèvres douces et charnues, qu’il mourait d’envie de lécher, mordre. Mais pas maintenant. Il ne désirait qu’une seule chose : sentir la chaleur de Mimi se refermer autour
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de sa queue. Il réfléchirait demain aux conséquences. Pour le moment, il avait perdu une grosse poignée de neurones et ne parvenait plus à faire preuve de la moindre lucidité.
Il aligna son sexe à celui de la jeune femme et poussa jusqu’à ce qu’il soit enfoui au plus profond de ce corps si chaud.
Et là, enfin il se sentit complet. En prendre conscience le bouleversa d’une façon qui ébranla toutes ses certitudes.
Daniel avait niché son visage dans le creux de son cou, sa barbe lui griffant délicieusement la peau, particulièrement fine à cet endroit. Il respirait difficilement, sans esquisser le moindre mouvement. Mimi comprit qu’il venait de cesser de lutter, même si elle ignorait si c’était contre elle ou bien contre lui et ses émotions. Elle sentit qu’il avait besoin d’un moment pour reprendre ses esprits et se retrouver enfin en phase avec lui-même.
Du bout des doigts, elle caressa sa nuque humide de transpiration. Des gestes d’une douceur telle qu’ils sortirent Daniel de sa torpeur.
Il releva la tête et ses yeux happèrent cette belle couleur ambre qu’il aimait tant. Des pouces, il caressa les pommettes hautes de Mimi. Un geste empreint d’une intimité qui ébranla la jeune femme. Il la sentit vibrer autour de lui. Il avait une conscience aiguë du corps de Mimi. Le moindre mouvement envoyait des vibrations dans son sexe. Ses parois chaudes et glissantes enveloppées autour de sa hampe. Les jambes de Mimi sauvagement agrippées à taille. Ses mains qui se promenaient sur ses épaules, son cou. Et son souffle. Chaud, sucré, en suspens au-dessous de ses propres lèvres. Ce tout qui l’amena à bouger
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légèrement les hanches, s’enfonçant un peu plus dans le corps de Mimi qui réagit en poussant un petit gémissement.
C’était trop, il ne durerait pas.
— Je ne pourrais pas tenir très longtemps, haleta-t-
il.
— Alors, ne te retiens pas, murmura Mimi sans quitter son visage crispé par l’effort qu’il déployait pour ne pas que son plaisir, et celui de Mimi, réalisa-t-elle, lui échappent totalement et rapidement.
Daniel donna un coup de rein, court et puissant, et Mimi gémit, la tête rejetée vers l’arrière.
Dieu ! Qu’elle était belle, ainsi perdue dans ses sensations !
Daniel ne voulait voir que ceci sur son visage. Le plaisir, l’abandon. Il voulait les lui offrir sur un plateau. Déposer aux creux de ses mains tout ce que son cœur, son corps et son âme pouvaient offrir. Cette femme possédait un pouvoir sur lui d’une force exceptionnelle, et elle n’en avait pas la moindre conscience, ce qui était plus sage.
Il entama de puissants mouvements de va-et-vient. Chaque fois qu’il s’enfonçait dans son corps chaud et accueillant, il se perdait un peu lui-même, tout en retrouvant foi en des sentiments et des émotions qu’il avait bannis depuis vingt ans. Il les chassa de son esprit, se concentrant uniquement sur le plaisir de Mimi. Il sentait son orgasme prendre vie, se canalisant en une boule de feu au creux de ses reins. Tout comme il sentait la naissance de celui de Mimi. À chaque mouvement, il sentait ses parois internes se
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contracter. La sensation était merveilleuse. Il était pris en étau dans le corps divin de cette femme. Les contractions étaient presque douloureuses autour de sa hampe, mais il voulait la faire jouir.
Maintenant !
Il glissa sa main sous le genou de Mimi et d’un geste lui releva la jambe pour la poser sur son épaule, changeant l’angle de sa pénétration. Mimi poussa un cri alors qu’il s’enfonçait profondément en elle, la base de son sexe appuyant contre son clitoris. La réaction de Mimi fut immédiate. Son sexe se contracta dans un puissant orgasme.
— Daniel ! cria-t-elle, la tête rejetée vers l’arrière.
Les contractions de Mimi signèrent sa propre libération. Les muscles de la jeune femme comprimèrent son sexe. Il se sentait aspiré dans la chaleur de son corps tentateur alors qu’il se déversait longuement en elle, accompagnant chaque pulsation d’un mouvement de hanche. Il voulait sentir chaque onde, apprécier la violence de son orgasme et le plaisir incommensurable qu’il ressentait, qu’il vivait, avant de retomber sur la jeune femme.
Il se retint sur les coudes pour ne pas l’écraser par son poids. Tous les deux haletaient. Le visage de Mimi était délicieusement rouge, ses lèvres gonflées alors qu’un sourire dont elle n’avait même pas conscience étirait ses lèvres magnifiques. Ses yeux ambre qui avaient viré à cette teinte plus claire, presque jaune, trahissaient une langueur qu’il adorait voir. Une satisfaction toute masculine d’être celui qui lui procurait cet état de bien-être absolu.
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Chapitre 19
Mimi grogna quand Daniel se leva. Il déposa un baiser sur ses lèvres. Doux, sans envahir sa bouche. Se détacher d’elle fut plus difficile qu’il ne l’imaginait, mais il s’y força pour rejoindre la salle de bain et se débarrasser du préservatif. Quand il revint dans la chambre, la jeune femme n’avait pas bougé. Étendue entre les draps, alanguie, les joues roses, les lèvres gonflées, le corps recouvert d’une fine couche de transpiration.
Une vision parfaitement impudique, absolument divine qui le stoppa un instant sur le seuil avant de reprendre sa course et s’allonger aux côtés de la jeune femme.
Mimi s’étira avant de se pelotonner contre Daniel. Un sentiment étrange le saisit. Un mélange d’étonnement qu’elle se perde si facilement dans ses bras, de fierté d’être celui à qui elle accordait sa confiance et surtout cette puissante émotion de vouloir à tout prix protéger cette femme.
D’elle même s’il le fallait.
Aussi resserra-t-il ses bras, sa main caressant paresseusement la peau douce de Mimi. Il baissa les yeux et ses lèvres se retroussèrent légèrement, amusé de voir comment elle faisait son nid au creux de ses bras. Comme un chat se frottant et cherchant la
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meilleure position avant de s’abandonner au sommeil.
D’une voix traînante, presque éraillée, repue de sexe, le corps comblé que Mimi parlât.
— Tu comprends pourquoi je ne pouvais pas rester dans le lit. Cela aurait été indécent de faire tout ce que l’on vient de faire dans le lit qui accueille ta maman.
Il rit légèrement et ses soubresauts envoyèrent comme de délicieuses décharges dans le corps de Mimi.
— Parce que ce que nous avons fait ne correspond pas à ta définition de l’indécence peut-être ?
— C’était absolument indécent, confirma-t-elle. Au moins, le spectre de ta maman ne nous hantait pas.
Daniel grimaça cette fois. Autant il adorait sa mère, autant la voir s’insinuer dans son intimité ne lui plaisait pas du tout, même s’il comprenait et partageait la théorie de Mimi.
— Ma mère serait choquée, c’est certain.
Mimi gloussa et le mouvement fit tressauter sa jolie petite poitrine contre son torse. Pour son plus grand plaisir.
— Parle-moi de toi, Daniel Clément. Ta jeunesse, ta vie, demanda la jeune femme en effectuant des cercles du bout du doigt sur le torse de Daniel.
Il s’obligea à se concentrer sur les paroles de Mimi et non sur ce que sa main sur lui provoquait comme
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chaos. Surtout dans la partie sud de son corps.
— Que veux-tu savoir ?
— Tout, répondit spontanément Mimi.
Un enthousiasme qui fit rire doucement Daniel. Même dans sa recherche de connaissance, Mimi était sincère, fraîche, d’une curiosité bouleversante.
— Comme tu dois le savoir, j’ai passé une grande partie de ma jeunesse dans le Sussex en Angleterre.
— Hum, hum, confirma Mimi paresseusement. Mathilde m’a expliqué que ta mère s’était mariée avec Harold, qui travaillait pour le père de Logan.
— Exact. Ma mère l’a rencontré lors d’un voyage à Londres. Ils sont tombés amoureux, se sont mariés, et ma mère s’est installée dans la propriété des Matthews. Et j’étais dans les bagages.
Mimi releva légèrement la tête. Elle ne parvenait pas à identifier avec précision l’inflexion qu’avait prise sa voix. Entre reconnaissance, rage et respect. Un cocktail d’émotion pour le moins atypique.
— On dirait que cela ne te rend pas heureux. Daniel soupira longuement.
— Non, ce n’est pas ça. Je suis plus que reconnaissant au père de Logan de nous avoir accueillis.
— Mais… ?
— Mais trouver ma place dans cette nouvelle vie a été difficile au début.
— J’imagine que pour un enfant, se retrouver dans un pays étranger, vivre avec des étrangers ne devait
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pas être facile.
— Surtout quand le fils de famille ne semble pas ravi. Nos débuts ont été… mouvementés.
Mimi ricana, se représentant un Logan enfant et boudeur. Loin de l’homme sûr de lui, à la limite de l’arrogance qu’il était devenu.
— Vous vous êtes battus avant de devenir les meilleurs amis du monde.
Daniel haussa un sourcil, amusé par la perspicacité de la jeune femme.
— En effet. Je crois que la pire humiliation a été de nous retrouver les deux dans le bureau de son père. Il n’a pas élevé une seule fois la voix, mais nous a demandé de nous expliquer. Avec des mots cette fois, et non nos poings. Lui et Harold étaient mes figures paternelles.
Mimi décela aussitôt le respect qui perçait en évoquant le père de Logan ainsi que son beau-père. Visiblement, les deux hommes avaient eu une influence positive sur l’enfant qu’il était.
— Et ton père ? Tu le voyais souvent.
Mimi sentit aussitôt Daniel se figer. Manifestement, elle s’attaquait à une partie sensible de sa vie.
— Mon père a abandonné ma mère quand elle s’est retrouvée enceinte. D’ailleurs, cet homme ne mérite pas qu’on l’appelle ainsi.
La virulence de ses propos choqua Mimi, mais pas
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comme les profanes pourraient le croire. Ce qu’elle avait vécu avec son propre père était peut-être différent, mais se rapprochait pourtant de façon similaire à ce que Daniel avait vécu. Instinctivement, elle posa ses lèvres sur son torse, en un baiser qui semblait comprendre, panser et ses blessures.
— C’est Harold que je considère comme mon père. Il m’a élevé, apporté une éducation, conseillé, punit par moment. Et surtout, il a toujours été un soutien et un homme formidable pour ma mère. Et je lui en suis reconnaissant. Contrairement à mon géniteur.
Mimi sentit une vague de tendresse l’envahir. Et se pelotonna un peu plus. Cet homme, fort, fier, l’était devenu, car il avait pu compter sur le soutien de personnes aussi aimantes que fiables.
— Et qu’as-tu fait après ta jeunesse dorée, poursuit-elle sur le ton de la plaisanterie pour apporter un peu de légèreté à leur discussion.
— Pas grand-chose
— Quand même ! se récria-t-elle. Tu es tout de même à la tête d’une entreprise aux reins solides implantée dans plusieurs pays, me semble-t-il.
— Et toi, tu me sembles bien renseignée, ajouta-t-il un sourire aux lèvres
— N’est-ce pas la meilleure des approches ? La connaissance.
Daniel lui lança un regard interrogateur. Cette fille était incroyable. Du moins sa façon de fonctionner. Ce qu’il savait déjà. Depuis douze ans Mimi s’était employée à survivre dans un environnement qui n’était pas le sien. Et le meilleur moyen pour le faire était de connaître justement cet environnement et les
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personnages qui le composent. Pour éviter d’être pris au dépourvu.
— C’est exact, acquiesça-t-il lentement.
— Alors, le pressa-t-elle.
— J’ai intégré l’armée.
— Pourquoi ce choix ? demanda Mimi sincèrement intéressée, sa main se promenant paresseusement sur son torse qu’elle sentit immédiatement se raidir.
Il garda le silence si longtemps que Mimi crut qu’il n’allait pas répondre.
— Parce que c’était ma dernière chance de retrouver la paix, répondit-il cependant.
Mimi comprit que le sujet était sensible et Daniel pas encore prêt à lui révéler son passé. Aussi, détourna-t-elle la conversation sur un sujet beaucoup plus léger et frivole.
— Et à quel âge as-tu coupé cette incroyable tignasse ? demanda-t-elle tout en passant ses doigts dans les cheveux de Daniel.
Elle adorait. La douceur qui filait entre ses doigts. Pouvoir les saisir quand il lui faisait l’amour. Mimi en ronronna presque.
— Dix-sept répondit-il abruptement.
Mimi rejeta la tête vers l’arrière pour observer Daniel. Quelque chose en elle se réveilla, déclenchant des alarmes qui rappelaient étrangement son propre parcours. Dix-sept ans. Elle aussi avait fait un choix. Il avait de façon totalement drastique bouleversé sa vie
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ainsi que l’approche qu’elle s’en faisait à un âge ou l’insouciance devrait avoir le pas sur les décisions importantes. De celles qui changent jusqu’au fondement de l’homme.
— Que t’est-il arrivé à dix-sept ans pour que cela t’oblige à rejoindre les rangs de l’armée ? demanda-t-elle doucement, interrogeant aussi bien Daniel qu’elle-même.
Aussitôt, le malaise envahit Daniel. L’année de ses dix-sept ans était sans aucun doute la pire de son existence. Elle avait forgé son caractère, définit l’homme qu’il était aujourd’hui. Incapable de se poser, préférant une vie d’errance. Il revoyait avec une précision effrayante les yeux sans vie de Lizzie, ressentait les vibrations du rire de son assassin. Sentait l’odeur de la mort, celle plus prononcée de la vengeance qui se déplaçait si vite dans ses veines qu’il en avait perdu l’esprit. Et tué un homme.
Mimi releva la tête, les sourcils froncés. Son interrogation était flagrante, mais Daniel se refusait d’aborder cette partie de sa vie avec Mimi. Quitte à être dur et tranchant avec elle.
— Rien qui ne mérite d’être relevé, articula-t-il difficilement.
Mimi obligea Daniel à croiser son regard. Elle pouvait voir la tension sur son visage. Les petites rides joyeuses qui s’étiraient et s’animaient autour des yeux quand il était lui-même étaient maintenant plus prononcées, douloureuses. Avoir à dissimuler ses propres secrets en permanence la rendait particulièrement sensible à ceux des autres. Et elle
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savait précisément à quel moment renoncer dans sa quête de vérité.
— Et toi. Parle-moi de tes parents, demanda Daniel d’une voix aux inflexions pressées comme pour confirmer les impressions de la jeune femme.
L’approche n’était pas des plus fine, mais, au-delà d’en connaître plus sur Mimi, il s’intéressait réellement à elle. À son histoire. Son passé.
Il la sentit se raidir et un long silence s’ensuivit. Si long qu’il était quasiment certain qu’elle ne parlerait pas. Mais comme tout ce que faisait cette femme, elle le surprit en prenant la parole d’une voix étonnamment calme, éloignée même. Comme ci ce qu’elle s’apprêtait à dire ne la concernait pas directement.
— Ma mère est morte quand j’avais douze ans. Ma sœur était déjà montée sur Paris pour ses études et mon père savait à peine que j’existais, murmura-t-elle.
— Comment cela ? demanda Daniel avec prudence.
Il abordait un sujet sensible chez Mimi. Son passé. Et une approche trop directe pouvait le renvoyer dans les barres… et au point de départ.
— J’étais ce qu’il appelait son « accident ». Sa pire erreur, se confia Mimi. Une enfant non désirée.
Daniel resserra ses bras autour de la jeune femme. En plus de la tristesse, il y avait dans sa voix une douleur, qui même des années plus tard était toujours présente. Une blessure qui avait façonné la carapace de Mimi, comprit-il.
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— Mais comme les apparences étaient tout ce qui importait à mon père, en public, il faisait figure d’un père aimant et dévoué, ajouta-t-elle une raucité dans la voix qui cette fois le toucha encore plus profondément.
Les dires de Mimi, même distribués au compte-gouttes, confirmait l’enquête qu’ils avaient entreprise avec Greg. Que Mimi avait été livrée à elle même depuis la naissance, et que cela avait empiré après la mort de sa mère. Elle avait été élevée dans une famille riche et bourgeoise. Elle n’avait peut-être manqué de rien sur le plan matériel, mais on l’avait privée de l’essentiel et sans aucun doute avait elle traversé le plus aride des déserts émotionnels. Ce qui avait obligé la jeune femme à se construire elle-même, sans figures paternelle et maternelle pour la guider. Ce qui expliquait le caractère prudent et indépendant de Mimi.
— Mais tout cela, c’est du passé, ajouta-t-elle avec un entrain qui ne pouvait dissimuler une fragilité mise
nue.
Il comprenait aussi que ce manque de repère l’avait conduite à fréquenter les mauvaises personnes. Ce que son intuition lui hurlait quand le trou de deux ans dans sa vie vient se superposer aux confidences de Mimi.
Elle se redressa, releva la tête et sourit doucement
Daniel. L’éclat de désir qui traversa ses prunelles ambre ralluma aussitôt la vie dans le corps de Daniel.
OK, elle n’en dirait pas plus !
Sa jolie rousse se servait de ses atours pour détourner son attention.
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Il était un soldat. À la retraite ou non, son métier faisait partie de son ADN. Il savait d’instinct quand il devait attaquer et surtout, quand il était préférable de se replier et d’attendre une nouvelle ouverture.
Alors, il s’inclina.
Et lorsqu’il glissa ses doigts sur l’intimité de la belle Mimi pour la découvrir indécemment mouillée et prête pour lui, un sourire de satisfaction étira sa lèvre… qui se transforma en grognement quand il sentit le souffle erratique de la jeune femme muer en un gémissement on ne peu plus explicite à mesure que ses doigts devenaient aussi curieux que précis.
L’instant auparavant son esprit était parfaitement clair et l’instant suivant, il sombrait dans le plus pur et sensuel embrasement.
*
Une douce chaleur le réveilla. Il ouvrit les yeux et un sourire incurva ses lèvres quand il sentit le corps souple de Mimi blotti contre le sien. Il baissa les yeux et observa la jeune femme, dont la tête reposait sur son torse. Il se laissa aller à la contempler, admirant la ligne de ses pommettes, la plénitude de ses lèvres.
Dans son sommeil, ses traits fins paraissaient plus délicats, presque fragiles. Deux fois au cours de la nuit, ou de ce qui en restait, ils s’étaient éveillés pour faire l’amour. Une fois avec une passion dévorante, la seconde avec une tendresse, une lenteur qui l’avait ému avec violence.
la lumière crue du matin, il prit conscience d’une évidence qui le figea.
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Ce qu’ils venaient de vivre ne s’arrêtait pas simplement à du sexe. C’était plus que cela. Et ce plus, Mimi l’avait senti, tout comme elle le lui avait offert.
Et ce même plus, Daniel n’était pas encore prêt à l’assumer. Au contraire. Il le rejetterait de toutes ses forces.
Elle menaçait les défenses qui l’avaient si bien protégé jusqu’ici.
Faux ! se reprit-il. Elle ne les menaçait pas. Elle les avait traversées avec une facilité qu’il avait du mal à accepter.
Doucement, il repoussa la tête de la jeune femme pour la reposer sur l’oreiller et commença à se lever. Le mouvement, pourtant à peine perceptible, réveilla Mimi qui papillonna des yeux. Quand ils s’ouvrirent et se posèrent sur Daniel, un sourire d’une sincérité désarmante étira ses lèvres. Un sourire qui pinça le cœur de Daniel et lui cria un peu plus fort de fuir.
Au plus vite.
— Il est à peine dix heures, rendors-toi !
Daniel grimaça en entendant la sécheresse de son ton. Et si Mimi le regarda avec des yeux pleins de sommeil, ils ne parvinrent pas à cacher sa surprise. Aussi reprit- il avec ce qu’il lui semblait plus de chaleur dans la voix.
— Tu n’as dormi que cinq heures et tu travailles cette nuit.
Mimi ne put qu’acquiescer alors que Daniel lui tournait le dos pour s’engouffrer dans son dressing…
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sans même l’avoir embrassée ou adressé un mot gentil. Et il ne pouvait oublier ce qu’il venait de voir. Les yeux de la jeune femme qui reflétaient une réelle incompréhension quand il avait tourné les talons.
Mimi regarda le dos musclé de Daniel disparaître. Un malaise l’envahit. Le sentiment de sécurité qu’elle avait éprouvé avec lui était-il une illusion ? Elle préféra chasser ses pensées parasites de son esprit. Mais un doute persistait tout de même.
Regrettait-il leur nuit ?
Lui accordait-elle plus d’importance que Daniel à ce qu’ils avaient vécu ?
Elle avait l’esprit trop embrouillé de sommeil et le corps encore repus des excès de leur nuit pour réfléchir correctement à une situation qui, une fois tout engourdissement passé, se relèverait sans doute normale.
Aussi, se rendormit-elle avant même que Daniel ne ressorte du dressing.
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Chapitre 20
Le coup fut rapide. Puissant. D’une précision chirurgicale.
Recentrer ses pensées.
Voilà ce qu’il aurait dû faire au lieu de vivre une de ses plus belles nuits depuis des années.
— Tu sens le sexe et la frustration à plein nez.
Daniel releva la tête en entendant la voix grave et sombre de Logan. Isolé dans ses pensées, il avait baissé sa garde et n’avait pas entendu son ami pénétrer dans le dojo.
— Et toi, tu sembles trop heureux pour être honnête, marmonna Daniel en lui jetant un regard par-dessus son épaule.
Un sourire incurva légèrement les lèvres de Logan, pourtant avare dans le domaine. Sauf quand il les adressait à Mathilde. Dans ce cas, la terre pouvait bien s’arrêter de tourner, il n’avait d’yeux que pour sa beauté blonde.
— Est-ce ta harpie rousse qui te met dans des états pareils ?
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Seul un grognement étouffé par le bruit mat d’un poing s’écrasant sur le cuir du sac de sable lui parvint. Logan se positionna derrière et immobilisa le sac pour que Daniel ait une visée plus forte sans être déséquilibré par le mouvement de balancier. Il fronça les sourcils quand il vit le visage renfrogné de Daniel. Une expression de souffrance mêlée de regret qu’il n’avait pas vue sur les traits de son ami depuis longtemps.
— Il serait temps qu’elle quitte tes pensées, dit-il d’une voix rude.
Daniel relava la tête, l’air encore un peu plus revêche.
— Qu’est-ce que tu crois que j’essaie de faire, à ton avis !?
— Je parlais de Lizzie, répondit Logan avec calme pour contrebalancer la tempête qui ne manquerait pas de faire rage dans l’esprit et les gestes de Daniel.
Daniel reçut le message avec une violence qui le figea sur place. Il releva les yeux vers Logan, qui le regardait avec une compréhension qui lui vrilla l’estomac. Parler du passé n’apportait jamais rien de bon, aussi se servit-il de l’agressivité qui courrait dans ses veines et l’empoisonnait pour répondre avec brusquerie.
— C’est ridicule !
— Alors pourquoi t’acharnes-tu sur ce sac ?
— Nom de Dieu ! Lâche-moi, Logan ! s’emporta Daniel.
— Non.
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Un mot qui trancha l’air comme une lame. Daniel s’éloigna de quelques pas du sac pour donner de l’amplitude et de la force dans sa jambe qui vient frapper durement le sac. Logan recula sous l’impact, mais ne lâcha ni le sac ni Daniel des yeux.
— Frappe autant que tu veux, tant que ta putain de culpabilité te pourrira l’esprit, tu seras toujours en colère.
— Évidemment que je suis en colère, rugit Daniel en se redressant, les poings serrés. Je suis fou de rage même, si tu veux savoir. Heureux ? demanda-t-il avec morgue.
Bon sang, comment un simple entraînement sportif avait-il pu déboucher sur une séance de psychothérapie ? Logan possédait de nombreuses qualités, mais deux principales se détachaient du lot. L’honnêteté et le pragmatisme. Et aujourd’hui, Daniel aurait bien aimé lui faire ravaler ses qualités qui venaient de se transformer en ses pires défauts. Car, elles le mettait face à son passé. Face à lui même.
Et il détestait ça !
— As-tu oublié que j’ai tué un homme ? As-tu oublié que c’est toi qui t’es dénoncé pour un crime que j’ai moi-même commis ?3 As-tu oublié que si Lizzie est morte, c’est parce que je n’ai pas été foutu d’arriver à l’heure. Cinq putains de minuscules minutes qui lui ont coûté la vie !
— Et toi, as-tu oublié que tu as assez expié ta peine ? Cela fait vingt ans, Daniel. Il est temps de lâcher l’affaire.
Crazy Girl. Logan se dénonce à la place de son ami auprès des autorités après qu’il ait tué l’assassin de Lizzie.
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— Nom de Dieu ! Tu m’emmerdes Logan !
— Et j’en suis satisfait. Ce qui s’est passé dans cette gare a défini qui tu es aujourd’hui. Alors arrête de te victimiser et mets-toi en garde, lui assena durement Logan qui prenait position sur le tatami en s’inclinait en un salut.
Victimiser ». Le mot résonna désagréablement contre les parois de sa conscience.
Daniel imita Logan et lui rendit son salut, les yeux emplis de fureur, de frustration, de peine, de regret. Mais aussi d’une volonté farouche de mettre une branlée à cet emmerdeur de Logan.
Aussi, attaqua-t-il de la plus perverse des façons. Logan voulait la bataille ? Il allait l’avoir. Et Daniel allait se servir de ses faiblesses pour le mettre à terre.
— J’ai l’impression d’entendre ta femme, maugréa-t-il. À croire que vous vous êtes concertés. Mathilde m’a sorti la même psychologie de comptoir.
l’énonciation de Mathilde, un sourire discret s’inscrivit sur les lèvres de Logan. Daniel vit précisément le moment où la garde de Logan se fendilla. D’un geste vif et d’une rapidité surprenante, il prit appui sur sa jambe forte pour positionner son poids, fléchir les genoux et percer la défense de Logan. Le plat de sa paume toucha avec force le flanc droit de Logan qui émit un grognement de douleur.
Daniel se redressa tout en se reculant souplement avant de reprendre une position d’attaque.
— Tu vois ! C’est exactement ça que je veux éviter de nouveau, argua-t-il tout en tournant autour de Logan tout en lui lançant un regard féroce.
— Quoi donc, grogna Logan en reprenant son
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souffle et en imitant la position de Daniel.
— Ta femme est ta faiblesse. Une allusion à Mathilde, et tu baisses ta garde. Résultat : tu te prends des coups. Si j’avais été armé, tu serais mort.
— Que tu crois, répondit Logan avec la même lueur de férocité dans les yeux que son ami.
Il ne laissa pas le temps à Daniel de parer son attaque. Elle survint avec rapidité et précision. Daniel encaissa le coup, mais la détermination de Logan le dépassait. Pas dans sa force, mais dans sa volonté à vouloir percer ses défenses. Et ce con y parvenait.
Daniel encaissait plus de coups qu’il n’en rendait. Pourtant de force et de niveau égal, le déséquilibre était évident. Respirant lourdement, luisant de transpiration l’un comme l’autre, Daniel préféra jeter le gant. Il aurait beau mettre toute sa volonté, toute sa rage dans ce combat, il ne le menait et ne le gagnerait pas.
Logan s’inclina pour le saluer. Son souffle était court, laborieux. Des marques rouges, reliefs de la férocité de leur combat lui recouvrait le corps. S’il s’était imposé face à Daniel, il n’était pas en meilleure forme pour autant. Mais il voulait faire passer un message à Daniel. Et si ce dernier l’avait parfaitement compris sous les coups qu’ils s’étaient mutuellement infligés, il était évident qu’il devait verbaliser pour que Daniel entende vraiment son message.
Logan observa son ami. Oui, la mort de Lizzie avait été un coup rude, un traumatisme qu’aucun adolescent de dix-sept ans ne devrait jamais subir. Et Daniel s’était interdit de vivre complètement suite à sa mort. Logan le voyait comme une façon inconsciente de se punir. Vingt ans étaient un temps largement suffisant pour se repentir.
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Logan reprit la parole une fois son souffle retrouvé.
— Ma femme est peut-être ma plus grande faiblesse, mais elle reste ma plus grande force. Si je ne t’ai pas mis en charpie, c’est parce qu’elle t’aime bien, toi et ta belle gueule et elle aurait été peinée de te voir défiguré.
Daniel planta son regard dans celui éclatant de fierté de Logan. Une fierté qui n’avait rien à voir avec la finalité de leur combat, mais qui prenait la forme d’une jolie blonde enceinte jusqu’aux yeux. Pour elle, il serait prêt à se battre jusqu’à ce que mort s’ensuive.
— Message reçu, marmonna Daniel.
— Bien !
Logan lui lança un sourire d’une franchise rare.
— Je l’aime bien ta Mimi. Même si elle est un nid à emmerdes à elle toute seule.
Daniel ne put empêcher son corps de sursauter, ce qui n’échappa pas à Logan dont le sourire s’élargit un peu plus si cela était possible.
Nom de Dieu !
Il devenait comme son ami. À l’énonciation du prénom de Mimi, il se mettait au garde-à-vous, les sens en alerte, à l’affût du moindre signe qui pourrait insinuer qu’elle était en danger.
— Et pourquoi cela ? demanda-t-il sans vraiment avoir envie d’entendre la réponse.
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— Parce qu’elle te sort de ta zone de confort, répondit Logan le plus sérieusement du monde.
— Je suis loin d’être performant quand elle parasite mes pensées, répliqua Daniel, une note sarcastique dans la voix. Elle est dangereuse pour sa propre sécurité.
— Conneries ! assena Logan. La raclée que tu viens de recevoir ne t’a donc pas servi de leçon ? Elle t’oblige simplement à te centrer sur quelqu’un d’autre que toi-même. Tu te sens responsable de la mort de Lizzie et tu te caches derrière. Tu refuses de t’attacher. Tu passes d’une femme à l’autre, car tu penses lâchement qu’ainsi tu ne ressentiras rien s’il quelque chose survient. Cela t’apporte un faux sentiment de sécurité. Et tu en as parfaitement conscience !
Les paroles de son ami se fichèrent droit dans son cœur et un terrible sentiment de gâchis l’envahit. Lizzie était morte, car il avait été incapable de la protéger. Et s’il reproduisait le même schéma avec Mimi, jamais il ne se le pardonnerait. Comme s’il saisissait ses doutes, Logan reprit :
— Tu es bon dans ce que tu fais. Le meilleur, même. Si cela n’avait pas été le cas, jamais je ne t’aurais confié la protection de Mathilde. Du nouveau ?
Sans préciser, Daniel saisit le sens de sa question.
— Non, soupira-t-il.
Il remercia silencieusement son ami de dévier ainsi la conversation. Il n’était pas d’humeur à faire une introspection sur sa vie privée. Elle était parfaite telle qu’il la vivait et l’avait façonnée de sorte qu’elle cadre
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impeccablement avec son métier.
— Cette femme me rend dingue, ajouta-t-il. Greg creuse de son côté, mais on ne sait toujours pas ce qu’elle fuit.
— Et toi ?
Daniel haussa un sourcil suggestif.
— Elle résiste à toute forme de torture.
— Tiens ! Comme c’est inhabituel, ironisa Logan. Aurait-on trouvé la seule femme insensible à ton sex appeal ?
— Il faut croire, marmonna Daniel.
Même si c’était plus que du sexe. Beaucoup plus. Et Logan était suffisamment intuitif pour avoir
compris entre les lignes ce que son ami taisait.
*
Mathilde s’étira et ses yeux papillonnèrent lorsqu’elle sentit un souffle caressant se promener sur son ventre. Elle ouvrit les yeux et sourit en voyant les lèvres de Logan parcourir l’arrondi de son ventre.
— Salut, sweetheart, murmura-t-il en imprimant plus fermement ses lèvres sur la peau de Mathilde.
— Salut, répondit-elle, la voix encore enrouée par le sommeil. Quelle heure est-il ?
— Un peu plus de onze heures.
— Déjà ! dit-elle, affolée. Mon Dieu ! En plus de devenir une baleine, je ressemble à une marmotte.
Mathilde voulut se relever, mais Logan posa une main sur sa poitrine et exerça une légère pression,
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l’obligeant doucement à se rallonger.
— J’aime les baleines, répliqua-t-il en couvrant son ventre de baisers, son souffle laissant une traînée de frissons sur sa peau.
— Tu dis n’importe quoi, répondit Mathilde, un sourire dans la voix.
— Et j’adore la douceur des marmottes, insista-t-il en accompagnant ses mots d’une main légère qui remplaça ses lèvres.
Un mouvement interrompit son geste, et Logan immobilisa immédiatement sa main. Il releva les yeux pour rencontrer ceux merveilleusement lumineux de sa femme. Les coups se répétèrent, illuminant tout le visage de sa jolie bohème.
God ! Qu’il aimait cette femme !
— Il y en a un qui s’impatiente de te rencontrer, murmura Mathilde d’une voix douce tout en posant sa main sur la joue rugueuse de Logan.
Elle fronça les sourcils quand elle le vit légèrement grimacer. Mathilde plissa les yeux et se releva d’un bond dans le lit sans s’occuper une seconde de ses protestations.
— Mon Dieu ! Logan, que s’est-il passé ? lui demanda-t-elle, inquiète, tandis que ses doigts effleuraient délicatement la rougeur sur la pommette de Logan.
— Rien, seewthaert. Juste un entraînement un peu plus intense avec Daniel.
Elle le regarda, les sourcils froncés
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— Et il est ressorti comment de cet
entraînement » ?
— Pas en meilleur état en tous les cas, ricana Logan en se remémorant leur combat.
— Et tu es fier de toi ? s’indigna Mathilde.
Logan esquissa un sourire qui la fit fondre et oublier son inquiétude.
— Dans la mesure où je lui ai ouvert les yeux, je dirais que oui.
— Sur quel sujet ?
— Mimi
— Oh !…
— Oui, « oh !… ». Mais je lui ai surtout parlé de Lizzie. Il sait qu’il n’aurait rien pu faire pour la sauver de ce malade, mais il est encore incapable de l’accepter.
— Et que vient faire Mimi là-dedans ? questionna prudemment Mathilde.
Elle savait que Logan était contrarié par Mimi. Même si elle s’escrimait à lui marteler le crâne que Mimi n’était pas responsable de ses contractions, il ne voulait pas en démordre. Pour lui, les problèmes de Mimi avaient un impact direct sur son état de santé. Elle avait demandé à Daniel de garder un œil sur son amie. Et il semblait que la surveillance de Mimi avait réveillé quelque chose chez Daniel. Ce qui était une bonne chose. À condition qu’il décide d’ouvrir les yeux. Elle ne pouvait nier que son inquiétude n’était pas bonne pour le bébé. Aussi, fut-elle surprise quand il ajouta :
— Même si cela me tue de le dire, je suis sûr qu’elle 272
est celle qui lui ouvrira enfin ses foutus yeux !
Et Mathilde rejoignait totalement son mari sur ce point.
Daniel avait ses démons. Lizzie. Son meurtre, et les conséquences qui en avaient découlées.
Un destin tragiquement stoppé en plein envol qui avait changé l’adolescent qu’il était ainsi que l’homme en devenir. Ce meurtre avait complètement défini l’homme qu’il était devenu. Elle ignorait ce qui faisait si peur à Mimi. Mais si quelqu’un pouvait lui apporter une quelconque aide, c’était bien Daniel.
Car, qu’ils le veuillent l’un et l’autre, leur passé avait un point commun qui les unissait aujourd’hui.
Même si dans cette équation, personne n’aurait pu dire de quoi il s’agissait exactement.
Mathilde posa une main sur son ventre rond tout en plongeant ses yeux dans ceux incroyablement verts et passionnés de Logan. Elle faisait confiance à son instinct. Et celui-ci ne l’avait pas trompé une seule seconde depuis qu’elle avait rencontré cet homme qui avait changé radicalement sa vie.
Pour le pire parfois.
Mais principalement pour le meilleur.
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Chapitre 21
Daniel rejoignit son appartement, l’humeur sombre. Il traversa d’un pas rapide le salon et stoppa en entendant du bruit provenant de la cuisine. Son instinct lui hurlait de retrouver Mimi quand sa raison, et cet autre sentiment plus insidieux qui flottait à la surface de sa conscience, lui dictaient de fuir.
Pourrait-il réellement s’autoriser une histoire avec Mimi ? Logan en était certain. Les contusions qui recouvraient son corps en étaient les témoins les plus parlants.
Daniel secoua la tête. Il était plus prudent de garder la même ligne de conduite. Depuis vingt ans il la suivait, et jusqu’à aujourd’hui, il n’avait jamais eu de raison de la remettre en question et donc d’en changer. Il allait poursuivre comme il en avait l’habitude. Prendre ce que Mimi lui donnait, mais sans en demander trop.
Car ce trop, Daniel était incapable de le gérer.
Aussi reprit-il sa marche jusqu’à sa chambre qu’il traversa sans jeter un regard sur le lit défait. Le faire serait une erreur. Il s’engouffra dans la salle de bain tout en prenant soin de refermer doucement la porte derrière lui. Cinq minutes plus tard, il en ressortait, une serviette ceinte autour de la taille. Le souvenir de la veille le percuta de plein fouet et un son proche du
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grognement s’échappa de sa gorge quand il revit Mimi. À genoux. Devant lui. Ses lèvres roses se refermant autour de…
Stop ! s’ordonna-t-il.
Il s’habilla en un tour de main. Il devait quitter cette chambre. L’appartement. Au plus vite. Cette femme court-circuitait tout son bon sens et une seconde de trop le mènerait à l’implosion.
Mimi tartina généreusement sa troisième tartine. Le pain était excellent, et les confitures maison, encore plus. Elle ricana bêtement en imaginant Daniel repartir de chez sa mère les mains pleines de réserves pour passer l’hiver.
l’instant, elle se sentait bien. Reposée.
Un sentiment qui l’avait désertée depuis bien
longtemps. Même si le comportement étrange de Daniel lorsqu’il avait quitté la chambre quelques heures plus tôt amenait une ombre à son état de liesse.
Peut-être était-ce elle qui avait mal interprété le comportement distant de Daniel ?
Elle était encore dans les limbes du plaisir et n’avait pas totalement réintégré son corps. Un instant, elle s’autorisa à se demander à quoi pouvait ressembler la vie en compagnie d’un homme comme lui. Cette pensée la figea, et Mimi secoua la tête, préférant l’éloigner avant qu’elle ne s’ancre véritablement dans sa conscience. Déployer de tels espoirs était dangereux… mais tellement attirant.
Le sourire lumineux de Mimi accueillit Daniel quand il franchit le seuil de la cuisine. Avec ses cheveux
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négligemment attachés en un chignon bas, ses joues roses, simplement vêtue d’un t- shirt blanc. Celui-là même qu’il lui avait rageusement retiré la veille, nota-t-il et qui le troubla outre mesure. La jeune femme était penchée au-dessus d’un bol rempli de café, une tartine dangereusement couverte de confiture à distance égale entre le bol et sa bouche. Une bouche qu’il préféra quitter des yeux avant de fondre sur elle et lui faire subir les pires outrages.
Il vit la jeune femme se redresser sur sa chaise, poser précipitamment sa tartine sur le plan de travail, et se lever, visiblement prête à le rejoindre. Aussitôt, ses sens, son corps, se mirent en alerte. Il ne pouvait pas la laisser s’approcher. Aussi se composa-t-il une expression dure et distante qu’il n’eut pas de mal à prendre.
— Je dois y aller.
Mimi le regarda avec des yeux incertains. Pas de bonjour, encore moins de rappel de ce qu’ils avaient vécu cette nuit qui lui serra douloureusement le cœur. Daniel n’était pas mal à l’aise, se rendit-elle compte, il l’ignorait. Ce qui était beaucoup plus douloureux.
— O.K., acquiesça-t-elle en hochant doucement la tête, stoppée dans son élan, et déstabilisée par l’attitude de Daniel.
— Je viendrais te chercher pour te déposer au cabaret, ajouta-t-il en détournant les yeux avant de faire demi-tour et s’éloigner.
Mimi resta les bras ballants à observer l’endroit où quelques secondes plus tôt se trouvaient Daniel, dangereusement beau dans son costume anthracite.
Totalement inaccessible.
Absolument distant.
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Elle sursauta malgré elle quand elle entendit la porte de l’appartement claquer. Comme si Daniel refermait aussi la porte sur ce qu’ils avaient vécu cette nuit. Et toutes celles d’avant. Mimi refoula la boule qui lui obstruait la gorge et se secoua mentalement. Elle n’allait pas poser un jugement simplement parce que Daniel était pressé ce matin, même si depuis qu’elle le connaissait, c’était bien la première fois qu’il évitait son regard.
*
Daniel se maudit en sortant de chez lui. Mais c’était la meilleure chose à faire. Aussi son humeur s’assombrit un peu plus lorsque son portable sonna.
Greg.
Il devait depuis la veille avoir eu des renseignements sur le commanditaire. Il doutait fortement que Joaquim lui ait lâché l’information. Ce type était aussi malveillant et sournois que le Diable. Ce que lui confirma Greg. Malgré la voix posée de son associé, Daniel avait parfaitement identifié la rage qui l’habitait. Joaquim avait gracieusement accepté les cent mille euros, mais sans lâcher le nom du commanditaire. Uniquement sa position géographique au moment où il l’avait contacté.
Les États-Unis.
Bordel !
*
Mimi frappa trois petits coups contre le panneau de bois, espérant secrètement que personne ne vienne lui ouvrir. Elle se sentait anormalement nerveuse et essuya ses paumes moites sur le tissu de son jean.
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Depuis plus de deux mois, Mimi faisait tout pour ne pas croiser le chemin de Mathilde. Non parce qu’elle ne souhaitait pas la voir, mais pour éviter de lui attirer des ennuis.
Même si pour le moment Ghislain ne s’était pas manifesté, cela ne signifiait pas qu’il se reposait sur ses lauriers. Ce n’était pas son genre. Pour arriver là où il était, il n’avait pas attendu sagement que le succès, la fortune et la notoriété lui tombent dessus. Non. Il avait provoqué chaque action, chaque pas pour atteindre le sommet aujourd’hui. Et elle, elle faisait son possible pour ne pas apparaître dans ses radars. Elle sursauta cependant lorsque la porte s’ouvrit. Deux fois en moins d’une heure, se morigéna-t-elle.
Mathilde ne lui laissa même pas le temps d’entrer. Elle prit Mimi dans ses bras et la serra avec une force qui dénotait avec sa fragilité apparente. Mimi ne pouvait pas ignorer le ventre rond de Mathilde et la sensation contre son corps réveilla des souvenirs douloureux qu’elle chassa en enlaçant son amie à son tour.
Dieu ! Qu’elle lui avait manqué…
Mathilde se détacha pour attraper les bras de Mimi, l’éloignant légèrement et l’observant attentivement. Mimi soutint son regard rempli d’interrogations, et plus encore de compassion et de cette générosité qui la caractérisaient. Mathilde sourit et ce fut comme si tous ses problèmes prenaient une dimension particulière. Moins lourds, moins difficiles à gérer. Un sourire qui valait mille mots et Mimi sentit la tension et la culpabilité de cacher sa vie à son amie, se dissiper quelque peu sans toutefois disparaître totalement.
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Mathilde entraîna Mimi jusqu’au salon où les deux jeunes femmes s’échouèrent dans un même ensemble sur le canapé. Un geste tellement spontané qu’elles rirent, effaçant ainsi toutes les choses qu’elles taisaient.
— Je suis heureuse de te voir, murmura Mathilde
— Moi, aussi, répliqua Mimi, la gorge étonnamment nouée. Je ne voulais pas que tu te fasses du souci pour moi.
— Ça va mieux maintenant que je te vois, répondit-elle en caressant doucement son ventre.
Un geste totalement inconscient de la part de Mathilde, mais qui attira l’œil de Mimi sur cet arrondi si parfait. Ce sentiment dérangeant vient de nouveau se rappeler à elle. Mimi baissa les yeux, incapable de soutenir le regard de son amie.
— Je suis désolée que mon attitude de ces derniers mois t’ait inquiétée.
Mathilde lui adressa un autre de ses sourires lumineux, sa main caressant de nouveau son ventre en un mouvement léger.
— Je n’ai plus de contractions depuis plusieurs jours. Mon médecin n’est plus inquiet.
— Mais ton mari oui, j’imagine, ajouta Mimi en grimaçant.
Elle imaginait plus que bien à quel point Logan devait la maudire et la vouer aux gémonies pour avoir provoqué tant d’angoisse chez Mathilde.
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— Logan s’inquiète dès que je pose un pied sur le sol.
— Il a de quoi, marmonna Mimi, ne pouvant s’empêcher de penser à la fusillade de Varsovie.
Mathilde balaya sa remarque d’un geste désinvolte.
— C’est du passé tout cela. Aujourd’hui, je suis en forme.
— De jolies formes, même ajouta Mimi en souriant.
— Je m’inquiétais réellement pour toi, reprit Mathilde avec sérieux.
Mimi sentit sa culpabilité refaire surface. Une grossesse n’était pas anodine. Cela se passait bien pour la plupart des femmes, mais le stress était l’amie des contractions, des tensions hautes et la bête noires des futures mamans, mais surtout des médecins.
Elle prit les mains de Mathilde en une étreinte rassurante. Son amie méritait, à défaut de connaître la vérité, d’en effleurer au moins une partie. Aussi pouvait-elle travestir cette vérité sans mentir ni la mettre en danger.
— Je te dois des excuses. Un… ex n’a visiblement pas compris que notre rupture était définitive et il s’est amusé à me faire un peu peur.
Mathilde poussa un petit cri étranglé et Mimi se précipita pour la rassurer.
— Daniel s’en est chargé.
Ce n’était pas tout à fait exact, mais pas complètement faux non plus. Mimi retint une grimace face à ce demi-mensonge et poursuivit :
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— Il peut être convainquant quand il fait des efforts, ironisa-t-elle en pensant à cette façon qu’il avait eu de s’imposer dans le cabaret, la rue, pour ensuite investir sa vie, son corps et un gros morceau de son cœur, réalisa-t-elle.
Une pensée qui la perturba. Une pensée récurrente. N’avait-elle pas envahi ses réflexions quelques heures auparavant ? Mimi secoua discrètement la tête et se concentra sur son amie. Tout allait bien maintenant.
— Tu es certaine ?
— Absolument ! répliqua Mimi avec aplomb.
— J’en suis heureuse. Et soulagée. Je ne savais pas vers qui me tourner. Tu m’en veux ? demanda Mathilde d’une voix contrite.
— Pourquoi ? répondit Mimi réellement étonnée.
— De t’avoir mis Daniel entre les pattes.
Nom d’un petit bonhomme !
Mimi faillit s’étouffer en entendant les mots de son amie en repensant que Daniel se trouvait effectivement entre ses jambes il y avait à peine quelques heures. Elle sentit ses joues chauffer anormalement. Elle qui ne rougissait jamais ! Au moins, cela brisa la tension qui s’était installée.
Mathilde la sauva en éclatant de rire.
— OK. Je crois que je saisis le tableau, pouffa -t-elle.
Elle se redressa non sans effort, son ventre l’empêchant de se mouvoir avec fluidité, puis planta les yeux dans ceux ambre de Mimi, un sourire mutin aux lèvres.
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— Maintenant, tu vas tout me dire. Depuis combien de temps êtes-vous amants ?
— Qu’est-ce qui pourrait bien te faire croire que nous le sommes ?
— Ta question elle-même est un aveu, s’amusa à répondre Mathilde en voyant l’air faussement outré de Mimi.
Il y avait tant de candeur, d’ingénuité dans sa voix que Mimi ne put faire autrement que de céder sans pour autant y mettre du cœur. Parler de Daniel avait ce petit côté… agaçant. Autant que le personnage à vrai dire.
— Il n’y a pas grand-chose à raconter, marmonna-t-elle.
Ce qui n’était pas loin de la vérité. Si elle avait des secrets, Daniel était aussi hermétique qu’une huître quand il s’agissait de parler de lui. Il n’y avait qu’hier soir où ils s’étaient livrés. Mais il avait fallu que leur vigilance soit péjorée par une séance de sexe mémorable pour cela.
— Il y a toujours quelque chose à raconter sur Daniel, la contredit Mathilde. Cela fait un an qu’il te tourne autour, alors cela m’étonnerait que tu n’aies rien à dire. Alors ? la pressa-t-elle.
Mimi soupira lourdement.
— Il est autoritaire, intransigeant, exigeant.
Mathilde sourit face à tant de mauvaise foi. Ces deux- là étaient attirés l’un par l’autre depuis des mois, mais ils étaient les seuls à ne pas s’en apercevoir.
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C’était autant désolant que pathétique lorsqu’il s’agissait de deux êtres si intelligents.
— Certes, répondit-elle en hochant la tête, mais… ? questionna-t-elle sachant qu’il y en avait un écrit en majuscule dans les mots tus de Mimi.
— Ça me rend folle ! admit Mimi en levant les mains en l’air, excédée.
Non par la question de son amie, mais par l’attitude de Daniel. Quand le côté despotique de Daniel s’imposait et entrait en collision avec ses attentions. Des intentions, toujours distribuées avec une tendresse qui lui nouait la gorge à chaque fois. Elle aimait autant qu’elle détestait ses voltes-faces. Simplement parce qu’elle ne les comprenait pas.
— Comment cela ?
Mimi soupira longuement. Mathilde avait toujours fait preuve de bon sens. Elle avait l’avantage de connaître Daniel mieux qu’elle et pouvait peut-être lui apporter certaines réponses. Même si vouloir en savoir plus sur cet homme agaçant était une façon d’entrer un peu plus dans sa vie, et par ricochet de laisser une ouverture dans la sienne.
— Pour résumer, un jour il me fait l’amour comme un Dieu et le lendemain, c’est comme s’il regrettait en me fuyant. Bon sang ! J’ai dû le poursuivre jusque dans sa chambre et me mettre à genoux…
— OK la coupa Mathilde, je crois que j’ai saisi l’idée. Daniel est comme un frère pour moi et je ne veux pas entendre plus, grimaça -t-elle.
Mimi lui lança un regard en coin tout en désignant
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son ventre du doigt.
— Parce que Junior est arrivé là par miracle ?
Mathilde regarda son ventre à son tour et un sourire rayonnant illumina son visage. Ce fut au tour de Mimi de grimacer en voyant l’expression béate de son amie et la lueur loin d’être ingénue qui traversa son regard.
— OK, marmonna-t-elle, je ne veux pas savoir non plus.
Les deux amies éclatèrent de rire et cette parenthèse leur fit un bien fou. Mimi apprécia réellement ce moment hors du temps. Comme avant, pensa-t-elle en posant un regard attendri vers Mathilde qui le lui rendit.
— Je ne le comprends pas, reprit Mimi. J’ai l’impression qu’il a tout fait pour m’approcher et quand il y est parvenu, il a totalement changé d’attitude. Il ne me repousse pas, mais il est devenu distant. En fait, il a complètement changé après qu’une amie de Greg, Alice, ait été agressée. Apparemment, elle va bien, s’empressa d’ajouter Mimi pour ne pas inquiéter inutilement Mathilde.
Mimi fut surprise en observant son amie. Ce n’était pas de l’inquiétude qui trahissait son expression, mais une intense réflexion.
— Tu dis qu’il a changé après l’agression de son amie ?
— Oui. Pourquoi ? Tu sais quelque chose sur cette Alice ?
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Mathilde leva les yeux sur Mimi. Ses révélations sur l’attitude de Daniel envers Mimi avaient pris sens dès qu’elle avait mentionné l’agression d’Alice. Comment lui expliquer que le problème n’était pas Alice, mais ce que son agression avait réveillé chez Daniel sans trahir la confiance de celui-ci.
— Qu’est-ce que j’ignore ? insista Mimi, tendue.
Mathilde soupira. Elle ne pouvait pas parler du passé de Daniel si celui-ci ne l’avait pas abordé avec Mimi. Elle ignorait ce qu’il avait révélé à son amie. Et comme le disait si justement Daniel, elle ne pouvait pas lâcher un os sur lequel Mimi se ferait les dents. Ce n’était pas à elle de le dire. Ce qu’elle pouvait faire en revanche, c’était la mettre sur une piste. Connaissant Mimi elle la suivrait et ne lâcherait pas Daniel jusqu’à ce qu’il parle et crache le morceau.
— Daniel t’a-t-il parlé de Lizzie ?
— Qui est-ce ?
— Ce n’est pas à moi de t’en parler, mais à Daniel.
Et si elle pensait correctement, si Daniel s’empêchait de vivre ce qu’il ressentait avec Mimi à cause de ce qui était arrivé à Lizzie, alors cet homme était un idiot.
Un idiot amoureux et mort de trouille, mais un idiot tout de même.
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Chapitre 22
Mimi était ressortie de chez Mathilde heureuse de son après-midi, mais terriblement frustrée. Elle avait aimé obtenir des réponses sur Daniel et elle se retrouvait avec derrière elle un wagon d’interrogations en plus à se traîner.
Elle ne parvenait pas à assembler le puzzle qui constituait la vie de Daniel. Elle était certaine d’avoir tous les morceaux, mais le sens lui échappait. Elle était cependant convaincue d’une chose. La pièce centrale était cette Lizzie. Elle avait bien une théorie, mais comme toute théorie, celle-ci était faite pour être démontrée avant d’être confirmée. Et à part poser directement la question à Daniel, elle ne voyait pas d’autre moyen pour comprendre. Le tout était de savoir quel serait le bon moment pour l’interroger. En espérant qu’elle ne se ferait pas renvoyer dans les barres.
*
Journée de merde.
Une définition on ne pouvait plus appropriée, pensa Daniel en traversant le hall d’entrée pour atteindre la porte de son appartement. Rien n’avait fonctionné comme il le souhaitait. Ses recherches n’avaient
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abouti à rien, car une danseuse un peu trop entreprenante avait valsé avec ses pensées et sa libido toute la journée.
Résultat, il se sentait sur les nerfs, agacé par son propre manque de performance au travail.
Il avait retardé le plus possible le moment de rentrer pour accompagner Mimi au cabaret. Mais là, il ne pouvait plus reculer.
— Une vraie poule mouillée, marmonna-t-il. Effrayé par une petite rouquine.
Rouquine qu’il trouva dans le salon à faire les cent pas en mordillant l’ongle de son pouce.
— On y va ?
Il la vit sursauter. Apparemment tellement plongée dans ses pensées qu’elle ne l’avait même pas entendu.
Bravo l’instinct de survie ! s’agaça-t-il, en sentant une colère l’envahir. Sentiment beaucoup plus facile à gérer que l’attirance qu’il éprouvait pour cette femme.
— Pardon ? demanda Mimi en essayant de reprendre ses esprits.
Elle le regarda dans l’embrasure de la porte. Tendu, le visage fermé. Bon sang ! Où était passé l’homme sensible, chaleureux et rieur qu’elle connaissait ?
— J’ai dit « on y va ? »
Mimi se raidit face à son ton indiscutablement condescendant. Il ne la prenait pas pour une débile, mais presque.
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Daniel l’abruti était de retour. Sexy, mais abruti quand même.
— Tu es un connard !
— Probablement, acquiesça-t-il en haussant les épaules.
— Non, pas probablement s’énerva-t-elle devant tant de nonchalance. Sûrement !
— Range tes griffes, chaton.
Cette fois, la moutarde lui monta vraiment au nez.
— Qui est Lizzie ? demanda-t-elle à brûle-pourpoint.
Elle n’avait pas l’intention d’aborder le sujet de cette façon, mais quand on se trouvait devant une porte de prison dont on ne détenait pas les clés, pour Mimi la plus logique des façons de l’ouvrir était de l’attaquer de front. Une méthode discutable et dangereuse, certes, mais la seule qu’elle avait envie d’utiliser face à Daniel.
Aussitôt, elle vit son visage se fermer, s’il ne pouvait l’être plus. Elle vit distinctement son corps entier se raidir, et se voûter légèrement. Comme s’il prenait une position d’attaque et se préparait à se jeter sur elle.
OK. Ce n’était clairement pas la bonne méthode d’approche. Mais elle n’avait pas l’intention de se faire marcher sur les pieds et encore moins plier l’échine devant un homme. Elle l’avait fait une fois.
Et aujourd’hui, elle le payait cher.
Très cher.
Mimi ne quittait pas Daniel des yeux. Il jouait au con depuis la veille alors il ne fallait pas qu’il s’étonne
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si elle sortait les griffes. La colère se jouait à la frustration sur les traits de Daniel et Mimi aurait donné dix ans de sa vie rien que pour lire les pensées qui devaient faire rage dans sa tête de mule.
— Alors ? insista-t-elle avec défiance.
Daniel se rembrunit un peu plus. Cette fois, la colère prédomina. Il observa sa belle amazone dont les yeux lançaient des éclairs. Elle était aussi désirable qu’obstinée. Mais sur ce coup, il était hors de question de la laisser gagner la manche. Il maudit également Mathilde pour avoir, même effleuré, le sujet de Lizzie. Elle était assez fine pour savoir que Mimi ne lâcherait pas le morceau. Car il était évident qu’elle avait lâché l’information. Et Mimi était assez maline pour comprendre que Lizzie avait un rapport avec son attitude détestable envers elle.
Bon sang ! Ce qui devait être simple était devenu compliqué… et dérangeant.
— Alors, rien, répliqua-t-il cependant les dents serrées.
— Rien, n’est pas une réponse.
La remarque de Mimi alluma tous les signaux dangereux chez Daniel. Il était même surprenant que la jolie rousse ne les ait pas détectés. Il s’approcha doucement de Mimi, d’une démarche aussi souple que menaçante. Il la surplombait entièrement. Petite chose fragile au corps de déesse. Il vit enfin dans les yeux de la jeune femme une inquiétude apparaître. Mais c’était un peu trop tard. Aussi prit-il la parole d’une voix anormalement basse. Cette fois, il vit clairement Mimi se figer. Il ne voulait pas l’effrayer.
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Seulement lui faire comprendre qu’elle ne pouvait pas se montrer intrusive et forcer ses barrières sans en subir les conséquences.
Mimi ne put empêcher son corps de frissonner. Le visage de Daniel affichait une expression menaçante, mais lorsqu’il parla, sa voix dénotait un calme glacial.
— On couche peut-être ensemble, mais rien ne m’oblige à partager mon intimité avec toi. Maintenant, et je ne me répéterai pas, on y va.
Mimi se figea un peu plus. L’homme qui lui faisait face n’avait plus rien à voir avec celui qu’elle connaissait. Elle avait devant elle une version sombre et inquiétante de Daniel. Et pour la première fois, elle comprenait que cet homme pouvait réellement être dangereux. Un concept qu’elle avait oublié et qu’il lui rappelait d’une façon tranchante. Mais surtout blessante.
Il la repositionnait sur son échelle des priorités. Sa sécurité passait bien avant ses états d’âme et sa sensibilité. Tout cela parce qu’elle avait touché celle de Daniel, comprit-elle. Mais cela ne retirait en rien ses propos blessants.
Quand Daniel se sentait agressé, il répliquait brutalement. Et en cet instant, la cible de son attaque était sa petite personne.
Et on pouvait dire que le coup avait porté.
*
Daniel se fustigeait.
Il avait été con.
Avait agi comme un con.
Avait blessé Mimi en insinuant que ce qu’ils avaient
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vécu ne représentait rien. Il avait tenu des propos offensants et il ne parvenait pas à chasser l’expression de douleur qui avait aussitôt marqué le doux visage de la jeune femme.
OK ! Elle avait abordé le sujet de Lizzie. Il devait bien s’avouer qu’elle viendrait à connaître son existence. Mathilde et Mimi avaient probablement passé l’après- midi à papoter comme des commères, et vu comment il se comportait en ce moment, il ne devait pas être surpris que Mimi aille creuser du côté de Mathilde pour déterrer quelques éléments le concernant. Seulement, l’attaque de Mimi était survenue si brutalement qu’il s’était défendu avec la même force. Quitte à piétiner la jeune femme.
Le chemin jusqu’au cabaret s’était effectué dans un silence aussi lourd qu’inconfortable. Mimi n’avait pas desserré les lèvres et au fur et à mesure du trajet, un sentiment avec lequel il évoluait depuis vingt ans avait pris un peu plus de force : la culpabilité. Il en voulait autant à Mimi qu’à lui même. Mais la différence est qu’il pardonnait plus facilement à la jeune femme sa curiosité que lui sa méchanceté.
Il soupira tout en se passant une main dans les cheveux. Il avait renoncé à les couper. Plus par intérêt que par négligence. Il adorait tout simplement quand Mimi y glissait ses doigts et les accrochait fermement lorsque l’orgasme la terrassait.
Bon Dieu !
Qu’il adorait la voir ainsi. Tout comme il prenait le même plaisir à l’observer évoluer sur la scène. Cette fille était la tentation incarnée, même si aujourd’hui, il trouvait ses mouvements moins fluides. Des détails
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quasiment invisibles pour les profanes, mais pour lui. La tension de Mimi était comme un phare au milieu de l’océan. Et il était suffisamment lucide pour comprendre qu’il était responsable de sa prestation médiocre ce soir. D’ailleurs, la directrice artistique du cabaret s’en était aperçue également, car le prochain tableau, d’habitude exécuté par Mimi, l’était par une autre danseuse. Celyne. La belle brune à la voix rauque.
Aussitôt, Daniel se leva pour rejoindre les coulisses. Il n’y avait pas accès, mais il se savait suffisamment inventif et persuasif pour s’en faire autoriser l’entrée. Un petit quelque chose lui murmurait qu’il ne pouvait pas entièrement faire confiance à Mimi. Qu’elle serait tout à fait capable de lui fausser compagnie et de rentrer chez elle seule par pure provocation.
Daniel profita du chaos qui régnait autour et dans les coulisses pour s’y faufiler. Il se positionna en retrait, se dissimulant de la vue des danseuses tout en ayant un aperçu quasi absolu de la pièce.
L’endroit lui fit penser à une véritable fourmilière. Les filles couraient en tous sens. Les bruits, les couleurs étaient étourdissants. Si l’impression globale donnait ce sentiment d’être au centre d’un ensemble déstructuré, il n’en était rien. Même dans les coulisses, les danseuses interprétaient une chorégraphie bien précise. Chacune savait exactement où aller, changeant de costumes avec une rapidité qui forçait le respect.
Il repéra sans mal Mimi. Elle avait quitté costume de scène et perruque. Seul le maquillage presque outrancier recouvrait ses traits. Un maquillage qui n’occultait en rien l’expression de son visage. Il ne
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parvenait pas à dissimuler ses émotions. Et surtout, aucun artifice ne pouvait camoufler la tristesse dans son regard.
Daniel ressentit cette étrange oppression dans sa poitrine. Un sentiment dérangeant qu’il ne préférait pas analyser. Aussi, reprit- il le rôle pour lequel il était doué. La surveillance et la protection. Il quitta la jeune femme du regard pour le poser sur son environnement. Il connaissait la configuration des lieux, mais une analyse en visuel ne remplaçait jamais des plans. Aussi bons et précis furent-ils.
Et ce qu’il vit ne lui plaisait pas. Plusieurs accès menaient aux loges. Deux vers la scène, deux autres menaient à des bureaux et une réserve. Mais un en particulier lui faisait grincer les dents. Celui menant à l’extérieur. Cet endroit était une véritable passoire. Pour preuve, il était un homme au milieu de danseuses, pour la plupart, à moitié nue, et personne jusqu’à maintenant n’avait relevé sa présence. Il pouvait être n’importe qui avec en tête n’importe quelles intentions.
Mimi se démaquillait. Ses gestes étaient mécaniques, appliqués. Sa prestation avait failli tourner à la catastrophe. Toutes ses pensées, sa concentration, avaient été détournées. Ce qui ne lui était jamais arrivé et la déstabilisait plus que jamais.
Sa liaison avec Daniel, si elle pouvait la nommer ainsi, la détournait de ses priorités et de sa capacité à gérer son quotidien. Si Ghislain par le passé lui avait inspiré une terreur sans nom, celle-ci avait été également un moteur et lui avait permis de s’échapper et de se reconstruire dans la danse. Créer son personnage sur scène avait été la plus douce de ses fiertés.
Et il avait suffi que Daniel entre dans sa vie pour
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déstructurer tout ce qu’elle avait bâti. Elle ne savait pas si elle lui en voulait pour ça, ou si elle devait le remercier d’avoir ainsi mis à jour sa propre fragilité. Ce derrière quoi elle se cachait était finalement bien mince. Et elle avait eu l’outrecuidance de penser qu’elle pouvait échapper à son passé.
Mimi observa la femme qui lui faisait face. Elle avait beau se dissimiler derrière des plumes et du maquillage. Revêtir un costume de scène et se transformer dès qu’elle posait un pied sur les planches. Elle restait Charlie. Cette jeune fille de dix-sept ans terrifiée par un homme qu’elle avait cru aimer. Ce maquillage qui restait accroché sur le coton était un signe que son masque était en train de se craqueler. Et qu’il était temps pour elle d’en changer. Elle avait amorcé le processus en anticipant sa fuite.
Elle cilla plusieurs fois pour retenir ses larmes.
Elle devait fuir.
Cet endroit qu’elle adorait.
Sa vie qu’elle s’était reconstruite.
Ses amis. Mathilde.
Et Daniel qui venait d’entrer dans l’équation et qui rendait son départ encore plus difficile.
— Ça va, ma chérie ?
Mimi ravala ses larmes et plaqua sur ses lèvres un sourire forcé. Celyne qui venait de terminer le tableau qu’elle avait été incapable d’exécuter la regardait, le visage soucieux.
— Oui, ça va. Merci d’avoir pris le relais, ajouta Mimi, la gorge serrée, mais reconnaissante.
— Ce n’est rien. On a tous des moments sans. Demain, ça ira mieux.
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Mimi lui adressa un sourire tremblant avant de se ressaisir.
— Oui, sans aucun doute, acquiesça-t-elle avec une conviction qu’elle était loin de ressentir.
— Tu es sûre que tout va bien ? insista Celyne, les sourcils froncés.
— Tout est OK, affirma Mimi, touchée par l’inquiétude de son amie.
Cette dernière l’observa pendant un court instant avant de hocher la tête.
— Si tu le dis…, ajouta-t-elle avant de s’éloigner puis marquer un arrêt et indiquer d’un mouvement de menton un renfoncement à l’arrière de la pièce. Au fait, ton beau brun t’attend depuis un moment. Ne le fais pas patienter trop longtemps si tu ne veux pas créer une émeute dans les coulisses.
Mimi se retourna vivement pour tomber directement sur une paire d’yeux braqués sur elle. Son ventre se noua devant la force de son regard. Même à cette distance, elle pouvait voir la puissance tranquille qui émanait de cet homme. Sa virilité troublante qui provoquait des frissons dans tout son corps. Elle lui en voulait autant qu’elle le désirait. Et cette combinaison ne pouvait rien apporter de bon.
*
Mimi précéda Daniel qui referma la porte de l’appartement derrière lui. Avant qu’elle n’ait pu se diriger vers sa chambre, elle sentit une poigne ferme, mais douce s’enrouler autour de son poignet.
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— Attends, murmura Daniel.
Mimi se figea aussitôt sous l’inflexion tendre de Daniel. Presque douloureuse. Elle se retourna vers lui alors qu’il lui tenait toujours le poignet. La chaleur qui traversait sa peau n’avait d’égale que celle qui avait percé dans l’intonation de Daniel. Une chaleur que Mimi sentit se diffuser au creux de son ventre. Un mot, et elle était capable de lui pardonner sa brutalité verbale des heures précédentes. Et pendant un instant fugace, elle vit clairement les défenses de Daniel s’effriter pour le mettre à nu. Une vulnérabilité qui la toucha et lui fit oublier toute velléité revancharde.
— Je suis désolé. Pour tout à l’heure, crut bon d’ajouter Daniel face au silence de Mimi.
Il se sentait si peu sur de lui que Mimi ne pouvait que voir sa tension qui avait envahi ses épaules, ses mâchoires.
Daniel retint un mouvement de surprise quand il vit la jeune femme lui sourire doucement. Un écrin de lumière au cœur de son obscurité. Et il s’en voulut encore plus de l’avoir traitée aussi durement.
Il observa avec intérêt les traits si parfaits de Mimi. Ses pommettes hautes, ses lèvres pleines qu’il mourait d’envie de dévorer. Mais ce qui le fascinait le plus était ce regard ambre, presque mystique. Si profond, si parlant, témoins de secret qu’elle ne souhaitait pas encore lui révéler.
Bientôt, espérait-il.
Bientôt, il espérait qu’elle lui ferait suffisamment confiance pour lui parler.
Mais ce soir, ce regard troublant aspirait à la même chose que lui. Des attentes identiques pour deux personnes si différentes.
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Comme si elle lisait ses pensées, Mimi se rapprocha, puis se hissa sur la pointe des pieds. Elle lui arrivait à peine à l’épaule et ce sentiment puissant de protection le prit aux tripes. Il lâcha son poignet pour saisir sa nuque et l’obliger à lever le visage vers lui, alors que son autre main se posait dans le bas de son dos, la plaquant contre son bassin. Aussitôt, son corps se réveilla. Une satisfaction entièrement masculine le saisit quand il vit les jolies lèvres de Mimi former un O parfait en sentant son érection contre son ventre. Malgré leur désaccord, leur conflit et leurs mots, aucun des deux ne pouvaient feindre le désir et l’attraction qui s’exerçait entre eux.
Mimi plaqua ses deux mains autour de la nuque de Daniel et agrippa presque durement ses cheveux. Elle attira Daniel à elle, l’obligeant à parcourir la fine distance qui les séparait. Le souffle tiède, et cette fragrance si masculine qui caractérisait Daniel, caressèrent les lèvres de Mimi. Elle se surprit à fermer un court instant les yeux pour s’enivrer de son odeur.
— Parle-moi, Daniel, demanda doucement Mimi.
Une supplique devant laquelle Daniel faillit abdiquer. Faillit, seulement, remarqua Mimi quand elle constata que ses traits qui s’étaient détendus venaient de se durcir brusquement. Elle recula légèrement la tête et ce qu’elle vit lui serra le cœur. Daniel luttait. Contre lui ou elle, Mimi l’ignorait. Mais une bataille sans nom se lisait dans ses yeux.
— Que s’est-il passé ? poursuivit-elle.
Elle le sentit aussitôt se raidir. Son corps, son regard. La question pourtant insignifiante ne pouvait
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pas être plus précise. Lizzie avait beau ne pas être présente, elle flottait entre eux. Daniel prit une longue inspiration pour calmer les battements de son cœur. Lui, si à même de contrôler ses émotions et ne rien laisser transparaître se retrouvait complément à nu devant Mimi. Et cette sorcière en avait parfaitement conscience. Mais il ne voulait pas entrer dans son jeu. Même si à cet instant, il aurait parié sa fortune que Mimi ne jouait pas.
— Lizzie est morte. Dossier classé, chérie, répondit Daniel d’une voix sourde, souhaitant mettre fin à cette conversation.
— Mais…
Mimi n’eut pas le temps de terminer sa phrase qu’elle resta bloquée dans sa gorge quand la bouche de Daniel s’empara de la sienne. Elle voulut protester, le repousser.
C’était trop facile !
Il ne pouvait pas lâcher une bombe pareille sans en dire plus !
Et elle ne se laisserait pas manipuler par une séance de sexe. Aussi bonne soit-elle.
Mais quand la langue de Daniel passa la barrière de ses dents, ses résolutions en prirent un sacré coup dans l’aile. Et quand cette même langue vint caresser la sienne et l’amena quasiment au bord de l’orgasme, elle capitula complètement.
Daniel perçut immédiatement la reddition de sa jolie rousse. OK, c’était un coup bas. Mais il n’avait aucunement envie que la jeune femme décortique son passé. Ce qui comptait pour le moment était les courbes affriolantes que ses mains prenaient plaisir à parcourir. Il faisait une erreur. Il ne pouvait pas jouer
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comme cela avec Mimi. Il le savait, mais ne parvenait pas à s’arrêter. Il penserait demain aux conséquences.
Le baiser se transforma vite en exigence. Mimi était aussi demandeuse que Daniel. Sa main se referma un peu plus fermement sur sa nuque et il imprima encore plus fortement sa bouche contre celle de la jeune femme.
Il la voulait entièrement.
Totalement.
Sans effort, il la souleva et sourit quand un petit cri de surprise qu’il avala avec gourmandise s’échappa de la gorge de la jeune femme. L’urgence le rattrapa à une vitesse vertigineuse. Et la chambre se trouvait beaucoup trop loin à son goût.
Aussi, se dirigea-t-il vers le canapé. Sans quitter les lèvres de Mimi, il l’allongea avant de se repaître de son corps, son souffle, ses cris de plaisirs.
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Chapitre 23
Avec attention, il observa la jeune femme blonde. Enceinte. Qui constituait pour lui une porte d’entrée pour un face à face avec Charlie Meyer. Il était un opportuniste et se servait allégrement de tous les moyens dont il disposait pour parvenir à ses fins. Et si les moyens se résumaient à une femme enceinte, il ne possédait pas suffisamment de conscience morale pour écarter la possibilité de se servir de la blonde.
Un rictus se dessina sur ses lèvres. Il avait mis du temps à la retrouver. Il saluait son habileté. Cette faculté à se dissimuler dans une ville comme Paris était pour le moins surprenant pour quelqu’un qui n’avait pas reçu l’entraînement adéquat. Car se cacher requérait une grande discipline, un savoir-faire et des ressources d’ingéniosité que visiblement Charlie Meyer possédait. Elle s’était forgée sur le terrain non sans commettre quelques erreurs. Minimes, mais qui lui avait permis de remonter jusqu’à elle.
Il reporta son attention sur la jeune femme blonde. Il avait tout prévu. Utiliser cette femme pour approcher Charlie Meyer. Un plan qui malheureusement devait être revu. Connaître l’identité de la blonde avait donné une perspective
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encore plus attirante. Il connaissait la réputation de son mari, Logan Matthews, ses liens avec les autorités, avouables, et d’autres plus obscures. Et cet homme représentait un défi supplémentaire qui l’avait ravi. Approcher sa femme ne serait pas aussi simple. Matthews la surveillait comme un lion, mais cela ne mettait que plus de piment. Il avait dû cependant revoir sa stratégie d’approche en apprenant qu’ils quittaient Paris pour rejoindre sa forteresse en Angleterre. Ce qui rendait maintenant l’approche impossible. Il était intrépide, mais savait renoncer quand le rapport risques/résultats était trop élevé.
Un autre défi encore plus intéressant était survenu. Daniel Clément. Qui surveillait la rouquine comme du lait sur le feu. Il connaissait Clément. Sa formation, ses états de services, sa façon de travailler. La tâche pour approcher Meyer serait difficile. Mais pas impossible. Car si Charlie Meyer était sous la garde de Clément cela signifiait qu’elle était sous pression. Et lorsque l’on est sous pression, on fait des erreurs.
Il attendait juste le bon moment.
Car il viendrait. Il le savait. Les hommes faisaient des erreurs. Tout le temps.
Il possédait un avantage de taille.
La patience.
*
Troisième jour de suite qu’il se comportait ainsi.
Le schéma qui régissait « leur vie » était répétitif.
Mimi se réveillait dans le lit de Daniel tous les
matins.
Seule.
Elle ignorait où il passait la journée. Elle savait une chose : il fuyait sa présence. Dès qu’elle mettait un
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pied à l’extérieur, deux malabars lui collaient le train. Malik et Antoine étaient heureusement sympathiques. Ils n’avaient pas cherché à se montrer discrets, ordre de Daniel avait elle compris après les avoir interrogés sans cesse. Même si les deux hommes n’étaient pas de grands bavards, elle était parvenue à créer un lien. Autant joindre l’utile à l’agréable. Quoiqu’être surveillée lui pesait et la rongeait. D’une part, elle sentait sa liberté et son libre arbitre se déliter et d’autre part, récupérer ses faux papiers chez Marty serait plus problématique. Pas impossible, mais compliqué.
Mais c’était surtout l’attitude de Daniel qui la blessait le plus. Tous les soirs, sauf aujourd’hui, exceptionnellement, où Malik et Antoine l’avaient remplacé et l’escortaient jusqu’au cabaret, Daniel l’emmenait à son travail et au retour, à peine la porte franchie, ils faisaient l’amour comme si c’était la dernière fois.
Les moments partagés étaient peut-être ce qu’il y avait de plus intime entre un homme et une femme, mais Daniel n’aurait pas pu la tenir plus à distance. Il ne lui parlait pas. Ne lui faisait pas suffisamment confiance pour lui livrer son histoire. Celle de Lizzie. De quoi était-elle morte ? Un accident ? Une maladie ? Quel âge devait-elle avoir ? Pas plus âgée que Daniel, supposa-t-elle. Mourir si jeune n’était pas dans l’ordre des choses.
Mimi sentit son cœur se serrer. Elle n’avait pas connu Lizzie, mais sa mort était injuste. Elle avait bien saisi que cette femme avait marqué la vie de Daniel, qu’elle avait été celle qui l’avait poussé à s’engager dans l’armée à dix-sept ans. Elle était suffisamment intuitive pour comprendre que Daniel l’avait aimée profondément et que sa mort avait irrémédiablement
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brisé quelque chose de précieux et d’essentiel chez Daniel pour que vingt ans après, il la tienne aussi éloignée.
Et elle comprenait qu’elle n’était pas de taille à se mesurer contre cette Lizzie. Qui qu’elle soit. Même morte. Car s’il était plus facile de lutter contre les vivants, se battre contre un fantôme était une partie perdue d’avance.
Et cela, Mimi ne le supportait plus. Car si elle n’avait pu percer les défenses de Daniel, lui avait percé les siennes.
Et ce matin, en se réveillant à côté de draps froids, elle avait pris une décision.
Irréversible.
Elle avait bêtement espéré que Daniel serait capable de l’aider. Oh, bien sûr, il le faisait. Techniquement, il était l’homme parfait. Elle se sentait en sécurité et tous ses besoins étaient comblés et satisfaits. Mais elle avait compris qu’elle voulait plus. Même s’ils étaient sexuellement compatibles, ils n’avaient pas d’avenir ensemble. La fuite qu’elle menait depuis douze ans lui pesait terriblement sur les épaules et elle avait cru que Daniel serait celui qui l’aiderait. Qu’il résoudrait son problème et qu’elle pourrait enfin se poser. Avec lui. Car là aussi, bêtement, elle avait compris qu’elle tombait amoureuse de cet homme. Un homme qui refusait de la laisser entrer dans sa vie.
Alors, elle avait décidé d’en sortir.
Ce soir même.
Une douleur vive, comme si une main lui avait empoigné l’intérieur des entrailles et lui tournait le ventre. Elle ne pensait pas avoir mal comme cela. Physiquement mal également. Au point de sentir son estomac se contracter douloureusement. Les larmes
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vinrent. L’attaque fut si soudaine que Mimi stoppa sa marche et plia sous la force de l’impact, la respiration coupée. Elle sentit la douleur se propager à l’ensemble de son corps et la paralyser totalement. Elle chercha difficilement son souffle et un voile noir lui obstrua un instant la vue.
— Tout va bien ? demanda Malik.
Mimi redressa la tête pour l’observer, et hocha du chef, incapable de parler.
Elle se força également à redresser son corps et se détendre. Elle inspira longuement et obligea son visage à revêtir un masque de sérénité. Ce qu’elle était loin de ressentir. Les beaux yeux bruns de Malik, soulignés par de longs cils, rendaient son visage très expressif et Mimi lui adressa un sourire rassurant. Des deux hommes, Malik était celui avec qui elle se sentait le plus à l’aise. Il possédait une douceur dans sa voix qui contrebalançait sa carrure de rugbyman.
— Oui, merci.
Il fronça les sourcils, peu convaincu, mais n’insista pas. Ce fut lorsqu’il lui pressa doucement le bas du dos pour la faire avancer qu’elle réalisa qu’elle s’était arrêtée en plein milieu du trottoir. Et elle comprenait que Malik se soit posé des questions sur son attitude.
— Où est Daniel ? demanda Mimi pour orienter l’attention sur une autre personne qu’elle-même.
— Réunion avec Greg, répondit-il laconique.
Mimi lui lança un regard en biais espérant d’autres explications. Qui ne vinrent pas. Elle haussa mentalement les épaules.
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Si Daniel voulait jouer à ce jeu, qu’il le fasse. Même si le fait qu’il l’évite la blessait un peu plus encore.
Ses pensées furent interrompues quand Malik ouvrit la porte de service du cabaret. Mimi allait entrer, mais il la retint et Antoine les précéda.
Mimi souffla d’exaspération.
— Est-ce vraiment nécessaire tout ça, demanda-t-elle avec une pointe d’agacement dans la voix. Que voulez-vous qu’il m’arrive à l’intérieur ?
— Indispensable, répondit Antoine qui était revenu et les autorisa à entrer dans le cabaret.
Le cabaret avait toujours été un endroit où elle se sentait libre et en sécurité. Et depuis que Daniel était entré dans sa vie, cette liberté était corrompue et sérieusement écorchée. Cette liberté qui lui était si chère s’était peu à peu resserrée. Une situation qui s’était installée progressivement, subtilement. Daniel avait pris de plus en plus de place. Au début, sa surveillance s’arrêtait aux portes de cabaret. Elle s’était propagée à ses mouvements dans la rue. Puis jusqu’à chez elle. Pour finir par se faire convaincre de vivre avec Daniel. Chez lui. Avec ses propres décisions. Ses propres règles. Au détriment des siennes.
Elle se sentait prise au piège dans un carcan qu’elle avait elle-même instigué. Sécuritaire, certes, mais étouffant et qui, si elle ne réagissait pas rapidement la ferait disparaître et devenir entièrement transparente. Et cette situation était peut-être beaucoup plus toxique que sa fuite perpétuelle pour échapper à Ghislain. Ce qui la conforta dans sa décision de disparaître. Ce soir.
Elle précéda Antoine, Malik fermant la marche.
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Emprisonnée. Ces hommes voulaient la protéger d’un danger qu’il ne connaissait même pas. Mais voilà comment elle se sentait. Plus les jours passaient, plus elle sentait cette main se refermer autour de sa poitrine et l’empêchait de respirer normalement.
Même l’odeur particulière du cabaret, un mélange de parfum, de nourriture, de sueur, ne parvenait pas à clamer l’agitation qui s’était emparée de son corps et son esprit depuis plusieurs jours. D’habitude, le pied à peine posé sur les planches, elle oubliait tout. Tout sauf la danse. Mais depuis peu, elle ne parvenait plus
compartimenter. Sa vie privée se mélangeait à sa vie professionnelle. Les deux étaient intiment liés, mais elle avait toujours réussi à faire la part des choses. Sauf depuis que Daniel avait débarqué. Il s’imposait. Même sur la scène. Ses dernières prestations avaient été parasitées par Daniel au point de se faire remplacer sur plusieurs tableaux par Celyne.
Mimi redressa la tête et regarda cet environnement qui l’avait accueilli à bras ouverts. Un endroit où elle avait trouvé un équilibre. Une famille. Une raison de vivre.
Elle s’imprégna des odeurs, des couleurs, de l’atmosphère si particulière que dégageait le cabaret. Tout était encore silencieux, il n’ouvrirait ses portes que dans quatre heures. Pourtant, elle entendait le murmure de la foule dès que les danseuses apparaissaient. Elle sentait l’électricité, l’onde d’impatience qui traversait les corps dans l’attente des premières notes. Elle ferma les yeux pour emprisonner plus facilement ses souvenirs et les transformer plus tard en havre de paix et non quelque chose qu’elle avait définitivement perdu.
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Elle laissa les deux hommes pour se diriger vers les loges. Elle ignorait comment s’y était pris Daniel pour obtenir l’autorisation de la direction à accepter la présence de ses hommes dans le cabaret. Mais ils pouvaient se balader dans l’ensemble du complexe, excepté les loges des filles. La direction avait brandi son veto.
Mimi se changea pour revêtir un leggings et un simple t-shirt. Elle exécutait les gestes avec un automatisme rassurant. Des gestes qu’elle avait répétés un nombre incalculable de fois sans réaliser qu’un jour, elle ne les ferait plus. Pour s’échapper, elle devrait déjouer l’attention de Malik et Antoine. Et pour cela, elle savait exactement comment procéder. C’était pour cette raison qu’elle ne voulait pas changer ses habitudes. Elle s’entraînerait avec les filles avant l’ouverture du cabaret et le début des tableaux qui jalonneraient la soirée.
Sauf qu’elle ne ferait pas partie du spectacle ce soir.
Mimi fit le vide dans sa tête. Elle ignorait si c’était dû au fait que ce soir serait le dernier, qu’elle avait autant profité des filles durant les répétitions. Elle avait absorbé autant que son corps et son esprit le pouvaient toute l’atmosphère, les rires, les engueulades de ce qui avait constitué son univers pendant dix ans.
Mimi respira lentement.
Profondément.
Elle mit l’affect de côté pour se concentrer sur le seul impératif de la soirée. Quitter le cabaret à la barbe des deux hommes assurant sa sécurité. Elle ne put s’empêcher de grimacer au remontage de bretelle qui les attendait quand Daniel apprendrait qu’elle avait échappé à leur vigilance. Elle avait prévu de
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sortir du cabaret au moment du premier tableau. C’était toujours un peu le chaos dans les loges à ce moment, et Mimi voulait profiter de cette frénésie et s’en servir. Et elle savait aussi exactement à quel endroit elle pourrait quitter les lieux sans être vue. Cela aurait pu relever de la gageure, mais elle avait mis le doigt sur la faille dans la sécurité mise en place.
Disons que Daniel ne pensait pas que l’attaque surviendrait à l’intérieur même de ses troupes, si elle osait la comparaison. Daniel avait tout prévu. Sauf une hypothèse. Il était impossible d’entrer dans le cabaret sans montrer patte blanche.
Mais pas d’en sortir.
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Chapitre 24
Après avoir refermé la porte des toilettes derrière elle, Mimi observa la lucarne. Seul point d’entrée, en l’occurrence de sortie, qui n’avait pas été mis sous surveillance. Pour la simple raison que l’ouverture était a priori impossible à franchir. Sauf pour une personne menue et souple. Très souple. Deux conditions qu’elle remplissait.
Mimi rabattit le couvercle des toilettes avant de monter dessus. Ses mains tremblaient tellement qu’elle mit un temps infini à débloquer le loquet et ouvrir le minuscule vasistas. Une bouffée d’être frais l’atteignit au visage quand elle y parvint. Elle entendait le bruit sourd de la musique de l’autre côté de la porte. Elle pouvait même d’ici sentir le pouls du cabaret, maintenant en pleine effervescence.
Dans deux minutes, Malik et Antoine s’apercevraient qu’elle n’était pas sur scène. Deux minutes. Le temps qu’il lui restait. Ses mains tremblaient et les battements de son cœur étaient si puissants qu’ils lui faisaient presque mal à la poitrine. Mimi s’obligea pendant quelques secondes à respirer calmement et parvint à juguler la panique qu’elle sentait monter. Elle pensait naïvement que fuir serait simple. Qu’il lui suffirait d’enjamber une fenêtre et de tourner le dos à une vie construite avec patience. Une
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hérésie. Pure et simple.
Fuir était comme un poids qui pesait lourdement sur son cœur et sa conscience.
Fuir était douloureux.
Fuir la blessait un peu plus.
Mais fuir était aussi le seul moyen d’éloigner le danger.
Mimi fit passer son sac par l’étroite ouverture. Elle dut pousser pour le faire basculer. Un sac qui contenait toute sa vie. Quelques vêtements, des photos, et c’était tout. Elle n’incluait pas l’argent qu’elle avait amassé et mis précieusement de côté depuis plusieurs années. En prévision. Sept mille euros en espèce qu’elle avait caché.
Elle jeta un œil à sa montre. Vingt-deux heures. Si tout se déroulait normalement, elle serait chez Marty dans moins d’une heure pour récupérer ses faux papiers. Et après… Après, elle aviserait.
Mimi ignora la boule qui obstruait sa gorge et celle qui pesait sur son estomac, pour se concentrer sur le vasistas. Elle se contorsionna pour passer ses jambes dans l’ouverture. La gymnastique pour y parvenir fut plutôt acrobatique, mais elle réussit, non sans s’écorcher les mains, à se glisser à l’extérieur, l’estomac sur le rebord, les pieds dans le vide à passer la moitié de son corps. Elle se retint à la force des bras, puis se laissa tomber et se réceptionna souplement sur ses pieds, trente centimètres en contrebas.
Mimi se baissa, d’une part pour reprendre son souffle, et d’autre part pour récupérer son sac qu’elle passa en bandoulière. Elle observa la petite cour dans laquelle elle se trouvait. Une porte métallique, simple, la séparait de la rue. Ce serait l’endroit où elle serait
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le plus vulnérable. Elle savait que les hommes de Daniel se trouvaient à quelques pas de là. Devant la porte d’issue de secours du cabaret en amont de la rue. Elle rabattit sur sa tête la capuche de son sweet et ouvrit doucement la porte.
Elle prit deux secondes avant de s’engager dans la rue. Le seul moyen de passer sans se faire trop remarquer était d’adopter une attitude normale. Une option qui s’avérait compliquée. Le martèlement de son cœur résonnait dans son corps, la faisant trembler. Les pulsations frappaient ses tempes, les rendant douloureuses. Rageusement, elle essuya les larmes qui lui obstruaient la vue.
Dans quelques secondes, elle sortirait définitivement de la vie de Daniel. Et ce constat la paralysa. Sa poitrine se serra si fort qu’elle en eut le souffle coupé. Elle réprima un sanglot et se força à redresser la tête et avancer dans la rue faiblement éclairée d’un pas sûr, mais qui lui bouffa toute son énergie.
Elle aperçut la silhouette massive d’un homme de Daniel et sentit son regard posé sur elle. Mimi retint sa respiration, certaine qu’il allait se retourner et se mettre à courir vers elle. À son grand étonnement, elle parvint au coin de la rue et tourna à l’angle. Alors, seulement elle relâcha son souffle.
Mimi dut s’appuyer contre un mur. Sa tête tournait, sa respiration était hachée. Chaque bouffée d’air, douloureuse. Son corps, son âme, son cœur étaient à l’agonie et Mimi plaqua une main devant sa bouche pour étouffer un sanglot. Un coup de klaxon plus haut dans la rue la sortit de sa torpeur. Elle devait se reprendre. Et vite.
Mimi se redressa, même si son corps protesta, et s’obligea à marcher. Elle devait s’éloigner du cabaret. Aussi, prit-elle une rue transversale, moins
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fréquentée. Elle rattraperait l’artère principale un peu plus bas et prendrait le métro pour se rendre dans le 18ème.
La jeune femme marchait, tête baissée. Non pas par souci de discrétion, mais parce que si elle la relevait, elle serait capable d’abandonner son projet de fuite, faire demi-tour et se précipiter dans les bras de Daniel. Son cœur se déchira un peu plus et de maudites larmes vinrent envahir ses yeux. Elle n’essaya même pas de les essuyer. Elle connaissait le quartier par cœur et ses pas la menaient sans que ses yeux aient besoin de diriger. Daniel lui manquait déjà. Sa force, son énergie, sa capacité à lire en elle. Celle de pouvoir d’un simple regard, seulement avec sa présence, la rassurer. À lui dire par ses silences qu’il la protégerait.
Seigneur ! Qu’elle aimait cet homme ! Le découvrir au moment où elle le quittait la ravagea et les larmes qui lui embuaient les yeux redoublèrent. Comment allait-il vivre son départ ?
Un échec probablement.
Elle n’était qu’une mission qu’il devait effectuer. Rien d’autre. Si cela avait été le contraire, il ne l’aurait pas tenue à distance comme il l’avait fait. Jamais, il ne lui avait permis d’entrer dans sa vie. Dans son lit, mais jamais dans son cœur.
Le choc lui coupa le souffle. Une douleur vive lui brûla la joue, tandis qu’une autre, plus vive encore, lui traversa le crâne. Étourdie, Mimi mit quelques secondes pour comprendre ce qui arrivait… avant que la panique ne la submerge. Et en même temps, son esprit analysa la situation avec une rapidité qui accrut sa peur.
D’instinct, elle sut que l’homme qui la maintenait de
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force, une main plaquée contre sa nuque, son corps la recouvrant et empêchant le moindre mouvement, n’était pas Ghislain. L’homme était plus massif, plus lourd. Même après des années, son corps aurait reconnu avec dégoût s’il s’était agi de Ghislain.
Un frisson de terreur la secoua néanmoins. Elle se retrouvait seule dans une rue déserte de la capitale alors que les deux personnes qui devaient assurer sa protection se situaient à moins de cent mètres. Elle aurait pu rire de la situation si celle-ci ne l’effrayait pas tant.
Les attaques violentes dans ce genre n’étaient pas si fréquentes dans ces quartiers de Paris. Elle avait affaire à une agression d’opportunité en se retrouvant au mauvais endroit au mauvais moment. Son agresseur était à la recherche d’espèces, de bijoux, n’importe quoi qui pourrait se revendre au prochain coin de rue pour lui payer Dieu seul savait quel genre de substance illégale. Ce qui rendait cet agresseur probablement instable.
— J’ai de l’argent, réussit-elle à articuler.
Un ricanement lui répondit lui hérissant tous les cheveux de sa nuque. Son cœur manqua un battement quand elle sentit l’homme se rapprocher. Instinctivement, quelque chose dans sa posture lui dicta que cet homme avait un « profil » différent. Une aura malsaine émanait de lui, comme s’il ne s’agissait que d’un jeu.
— Dans mon sac, précisa-t-elle cependant, la voix tremblant de plus en plus.
Mimi réprima un violent frisson quand le souffle de l’homme lui effleura la nuque puis se déplaça sous son
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oreille.
— Tu possèdes quelque chose qui m’intéresse, mais qui ne se trouve pas dans ton sac.
La voix basse et sombre la tétanisa un peu plus.
— J’ai aussi un téléphone. Prenez tout.
Mimi ne reconnut pas sa voix. Un simple filet étranglé empli de supplication. Son pouls lui martelait le crâne, intensifiant la douleur. Elle sentait la nausée remonter et lui tordre l’estomac quand la langue de l’homme se promener sur sa joue.
— Je n’ai rien d’autre. Je vous en supplie…
— Tss, tss, murmura l’homme. Un petit effort, ajouta-t-il en imprimant un coup de reins contre les fesses de Mimi.
Mimi ne put retenir un sanglot de détresse et une terreur la paralysa quand elle sentit son érection s’enfoncer dans le bas de son dos. Ses jambes vacillèrent dangereusement. Cet homme jouait avec elle. Avec ses peurs, sa vulnérabilité. Avec horreur, Mimi réalisa qu’il aimait faire souffrir. Aimait voir la souffrance. Encore plus lorsqu’il l’infligeait lui-même.
— S’il vous plaît, implora-t-elle la voix douloureuse tant sa gorge était serrée.
Elle ne peut retenir une larme et émettre un gémissement terrifié quand la main de son agresseur se faufila sous son pull. Instinctivement, Mimi rua, mais l’homme referma plus fermement son autre main toujours autour de sa nuque. La douleur faillit lui faire
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perdre connaissance.
— Pas de ça avec moi, ma belle.
Sa voix s’était faite plus tranchante, et la note funèbre qui s’en échappa tétanisa Mimi.
— Une connaissance commune veut quelque chose que tu caches.
Tout le corps de Mimi se raidit. Ce qui n’échappa pas à l’homme qui se pencha de nouveau pour frotter son nez contre la nuque de Mimi et se mit à rire doucement.
— Tu vois, quand tu veux, murmura-t-il avec une complaisance qui figea toutes les cellules de Mimi.
L’horreur de ce qu’elle venait de faire lui coupa le souffle. L’expression de son corps l’avait trahie. Les paroles de l’homme avaient fait se dresser toutes ses défenses. Celles qu’elles érigeaient depuis dix ans. Et il les avait passées quand elle s’était figée. Son esprit se bloqua, incapable de réagir. Sa respiration se fit hachée, erratique. Son cœur battait si fort qu’il risquait de lâcher à tout instant. Le rire dans son dos s’amplifia. L’homme se nourrissait de sa peur, elle l’excitait. La pression dans le dos de Mimi en était la preuve.
— Maintenant, tu vas me dire ce que je veux.
Sa voix pourtant basse claqua comme une menace que Mimi ne pouvait ignorer. Tout comme sa main qui se resserrait un peu plus sur sa nuque, la paralysant totalement tandis que l’autre remontait le long de ses
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flans pour bientôt atteindre sa poitrine. Mimi réprima un haut-le-corps qui réjouit l’homme.
— On pourrait tellement s’amuser tous les deux, ajouta-t-il avec un timbre lascif dans la voix qui arracha un autre gémissement étouffé à Mimi.
Il s’amusait. Pleinement. La petite danseuse était bandante à souhait. Il se pencha et respira longuement l’odeur délicieusement âcre que sa peau dégageait. Un mélange d’amandes, de transpiration et de cette frayeur à l’état pure qu’il reconnaissait dès qu’elle apparaissait.
Des bruits de pas l’alertèrent et il poussa un grognement de frustration. La petite danseuse lui était quasiment tombée dans les bras. Il pensait que la traque serait plus difficile. Il la suivait depuis quelques jours, mais elle était constamment accompagnée par ses deux sbires.
Il ricana en pensant à la façon dont elle leur avait faussé compagnie. Quelle n’avait pas été sa surprise de la voir longer les murs en essayant de passer inaperçue. Ce qu’elle avait réussi haut la main puisque les deux imbéciles ne s’étaient même pas rendu compte qu’elle avait filé.
Sauf lui. Il l’avait cueillie comme un fruit mûr. Il devait reconnaître qu’elle avait réussi une prouesse là ou beaucoup avaient échoué : le surprendre.
Il avait dû s’adapter, et agir dans l’urgence. Ce qui n’était jamais bon. Mais la faire parler contre un mur n’était pas la manière la plus efficace de réussir. La traîner à travers les rues de Paris était exclue. Car il sentait que dès qu’elle en aurait la possibilité, elle tenterait de fuir. La jolie danseuse n’était pas de celle qui laissait la vie décider pour elle. Pour preuve, cela
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faisait douze ans qu’elle se planquait. Et lui même avait eu un mal de chien à la retrouver. Il grinça des dents. Elle l’avait pris au dépourvu et une autre occasion comme celle-ci ne se représenterait jamais.
Sauf s’il la provoquait.
regret, il relâcha la jeune femme. Il put distinctement l’entendre retenir son souffle.
Mimi s’obligea au calme, une gerbe d’espoir jaillissant d’un coup. Seigneur, je vous en supplie… psalmodia-t-elle. Elle entendait vaguement des passants qui les interpellaient derrière eux. Puis, des pas précipités. Son cœur eut un raté quand elle reconnut la cadence. Des pas lourds, mais rapides. Des pas qui ne pouvaient appartenir qu’aux deux hommes qu’elle avait semés. Des pas qui se rapprochèrent. Pas assez vite quand elle sentit l’homme lui souffler à l’oreille.
— Tu vas transmettre un message.
Mimi acquiesce, terrifiée. Tout, pourvu qu’il parte.
— Brave fille, ricana-t-il. Un son qui fit frémir Mimi de terreur. Tu adresseras à Alice toute mon affection.
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Chapitre 25
Mimi enregistra les paroles sans analyser. Seul son instinct de survie la maintenait debout. Combien de temps resta-t-elle ainsi, sans esquisser le moindre geste ? Le temps lui parut une éternité, mais elle comprit qu’il ne s’était écoulé que quelques secondes, car avant qu’elle ne tombe au sol, des mains la soutinrent et deux hommes l’encadrèrent. Malik s’accroupit, retenant Mimi contre lui. Elle entendait vaguement des pas qui s’éloignaient et la voix de Malik qui essayait de percer sa conscience. Elle fut secouée légèrement et s’obligea à poser ses yeux sur ceux sombres et durs de Malik.
— Est-ce que vous êtes blessée ?
Apparemment, ce n’était pas la première fois qu’il lui posait la question. Mimi ne put que secouer la tête. Les mots refusant de franchir ses lèvres. Elle parvint néanmoins à lire le soulagement sur les traits de Malik tandis qu’un fort sentiment de culpabilité la rattrapa et la frappa de plein fouet.
— Je suis désolée, croassa-t-elle.
Mimi lui fut reconnaissante de ne pas répondre une
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platitude du genre « ce n’est pas grave ». Si c’était grave ! Elle s’était délibérément mise en danger, entraînant avec elle deux hommes qui n’avaient rien demandé. Si celui qui l’avait agressée ne s’était pas enfui ? S’il avait sorti une arme ? Blessé Malik et Antoine ? C’était peut-être leur métier, mais jamais elle ne se pardonnerait d’entraîner quelqu’un d’autre qu’elle-même dans ses ennuis.
Des voix percèrent sa conscience. Des voix de personnes qu’elle ne parvenait pas à identifier, mais qui selon toute vraisemblance appartenaient à des passants témoins de son agression.
— Je viens d’appeler la police.
La voix était précipitée et emprunte de panique.
— Ils vont arriver dans quelques minutes, ajouta la voix.
Elle entendit Malik grogner. La venue de la police ne l’emballait visiblement pas. Et elle non plus. Elle ne pouvait pas leur raconter ce qu’il s’était réellement passé dans cette rue. Mimi sentit un froid l’envahir à cette pensée. Il ne fallait pas que la police s’en mêle. Au moins rejoignait-elle l’avis de Malik. Même s’il ne l’avait pas énoncé clairement, elle ne pouvait qu’être d’accord avec lui.
— Qu’ils nous rejoignent à l’intérieur du cabaret, marmonna-t-il.
— Mais, vous ne pouvez pas partir, bredouilla la voix. Ils vont arriver.
Mimi sentit clairement Malik se raidir
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— Dans le cabaret, articula-t-il avec une lenteur qu’elle trouva effrayante. Dites-leur de passer par la porte de service, ajouta-t-il avant de reprendre sa route, en soutenant toujours Mimi.
Elle lui fut reconnaissante, une fois encore, d’avoir pensé à la réputation du cabaret en dirigeant les forces de police vers l’entrée de service. La grande porte ne ferait pas une bonne publicité au cabaret et c’était la dernière chose qu’elle souhaitait.
Avec soulagement, ils entrèrent enfin au chaud. Laurent, le responsable de la sécurité du cabaret, leur tenait la porte avant de la refermer rapidement. Malik le suivit dans le dédale des couloirs et précéda Laurent dans un bureau. Celui de la direction. Mimi y était entrée un nombre incalculable de fois, et elle fut soulagée de se retrouver dans un environnement calme et confortable, loin du brouhaha des loges.
Un des responsables du cabaret l’attendait visiblement. Laurent avait dû faire passer le message de son agression.
— J’ai appelé le médecin de la troupe. Il sera bientôt là. Comment te sens-tu, ma belle ?
— Mal, geignit Mimi.
Elle était au bord de la nausée et pas une cellule de son corps n’était pas douloureuse.
Elle s’assit avec reconnaissance dans un des fauteuils devant le bureau. Sa tête la lançait et sa joue la brûlait toujours. Elle effleura sa pommette du bout des doigts et grimaça.
Quelques secondes plus tard, Malik posa délicatement une poche de glace contre sa joue tuméfiée. Mimi se laissa aller dans le fauteuil, les
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muscles douloureux d’être restés tétanisés. Elle remercia Malik pour sa douceur et sa délicatesse. Et l’en apprécia d’autant plus.
Elle entendait vaguement les hommes parler. Quelques mots lui parvinrent — renforcement sécurité, danseuses —, mais tout restait relativement confus. La seule image claire était celle de cet homme dont elle n’avait pourtant pas pu distinguer les traits, mais qui la connaissait. Ou plutôt qui connaissait son passé. Et cet homme était capable du pire pour lui arracher ses secrets.
Mimi releva la tête quand elle sentit qu’on lui touchait l’épaule. Un pâle sourire lui étira les lèvres à la vue de Celyne, un shot à la main.
— Bois !
Mimi prit le verre. Ses mains tremblaient tellement qu’un peu de liquide ambre à l’odeur de tourbe, du scotch visiblement, se répandit sur le sol.
Elle sirota sa boisson à petites gorgées. L’alcool lui brûlait la gorge, mais lui permettait aussi de retrouver ses esprits.
Elle avait l’impression que le temps prenait une dimension spéciale. Comme s’il s’écoulait avec lenteur sans qu’elle soit réellement actrice de ce qui se passait autour d’elle. Mais quand ses yeux se posèrent sur l’horloge murale, elle fut surprise de constater qu’à peine dix minutes s’étaient écoulées depuis qu’elle était entrée dans le bureau.
La porte s’ouvrit à la volée et s’écrasa contre le mur la faisant sursauter. Ses doigts se crispèrent involontairement autour du verre. La poussée fut si
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violente que la poignée laissa une empreinte dans le mur. Un Daniel hors de lui apparut, pétrifiant Mimi par l’aura animale qu’il dégageait. Il ressemblait à un fauve, les traits crispés, presque déformés par une rage qui ne faisait pas que sourdre, mais qui s’échappait littéralement de son corps. Une furie, prête à tout saccager sur son passage. Mimi lut quelque chose de plus profond qui marquait ses traits. Une expression qu’elle ne lui avait jamais vue jusqu’à aujourd’hui et qui la figea : l’angoisse. Une terreur à l’état pur au point que son visage paraissait même… hanté.
Daniel posa les yeux sur la petite silhouette recroquevillée sur un fauteuil. Elle serrait si fort un verre entre ses doigts que ceux- ci étaient devenus blancs. Sans faire cas des hommes qui l’interpellaient, il se précipita vers Mimi, s’agenouillant à sa hauteur, la débarrassa du verre qu’il balança sur le sol pour la prendre dans ses bras. C’était à son corps qu’il voulait la voir s’agripper. Lui, qui devait lui apporter du réconfort. Et non un quelconque verre rempli d’alcool.
Sentir le corps chaud de Mimi contre lui ouvrit la porte à des souvenirs qu’il chassait depuis trop longtemps, et instinctivement, il resserra ses bras autour de la jeune femme.
Une étreinte sauvage dans laquelle elle accusa toute la force, toute la frayeur que Daniel avait ressentie. Une étreinte qui rassura autant qu’elle déclencha un sentiment de culpabilité chez Mimi. Elle avait été imprudente. Stupide. Elle enfouit son nez dans le cou de Daniel, respirant cette odeur si virile, si masculine, si réconfortante. Elle s’abreuva de sa chaleur et reçut tout ce que son étreinte lui disait. À défaut de ses mots.
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Daniel relâcha lentement Mimi, puis ses grandes mains vinrent encadrer le visage meurtri de la jeune femme. Une douleur lui transperça la poitrine lorsque ses yeux se posèrent sur sa pommette tuméfiée. Doucement, du bout des doigts, il lui tourna le visage
la recherche d’autres blessures.
— Je le tuerai, gronda-t-il les yeux toujours fixés sur le visage abîmé de Mimi.
Il releva les yeux sur ceux écarquilles et plein d’angoisse de Mimi. Toute la détresse qu’il lut dans son regard le mit un peu plus à terre. C’était sa faute si elle était blessée aujourd’hui. Il n’avait pas été à la hauteur. Il avait laissé se produire ce qu’il redoutait le plus.
Quand il avait reçu l’appel de Malik, il avait su d’instinct qu’il était arrivé quelque chose à la jeune femme. Une frayeur sans nom l’avait alors complètement tétanisé. Il avait oublié tout ce que son métier lui avait appris. Il avait été incapable de compartimenter et de laisser son côté analytique et professionnel faire la part des choses. Non. Tout s’était amalgamé et il avait cru que sa poitrine allait exploser quand l’impact des mots de Malik l’avait atteint. Il avait finalement repris ses esprits et roulé à tombeau ouvert dans les rues de la capitale, l’attention seulement focalisée sur cette femme qui avait pris une place importante dans sa vie.
Mimi posa sa paume sur la joue de Daniel. Elle espérait que le contact de sa main le ramène vers elle. Il semblait si torturé qu’une partie d’elle-même souffrait. Elle allait ouvrir la bouche pour parler, le rassurer, mais la porte s’ouvrit de nouveau pour
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laisser passer deux officiers de police judiciaire. Elle vit aussitôt le visage de Daniel se transformer pour revêtir une expression impassible. Un masque recouvrait ses traits et il lui semblait d’un coup imperméable aux émotions, insensible à son environnement. Et Mimi comprit qu’elle assistait au seul moyen de protection qu’utilisait Daniel pour se protéger… même si elle ignorait encore de quoi.
Daniel se leva avec réticence, laissant les policiers faire leur boulot. Écouter les détails de l’agression de Mimi était comme s’il la vivait réellement. Chaque mot que prononçait la jeune femme le renvoyait à son passé. À Lizzie. Son corps sans vie. Sa responsabilité dans la mort de la jeune femme. Daniel se retint d’écraser son poing contre le mur tant la culpabilité et le dégoût de lui-même l’écœuraient. Il écoutait cependant avec attention et comprit que Mimi ne leur fournissait qu’une version édulcorée lorsqu’elle orienta volontairement la police vers une agression d’opportunité.
Daniel se raidit. S’il avait une certitude, c’était que cela n’avait rien d’un hasard. Il se força à rester calme et combattre son agressivité. S’il voulait aider Mimi, il devait déjà reprendre le contrôle de ses émotions. Ce qu’il réussit non sans difficulté.
Pendant que Mimi terminait sa déposition, il envoya un bref message à Greg.
Mimi agressée. Rdv chez moi dans trente minutes »
Un message laconique, mais il savait que Greg lirait entre les lignes. Que comme lui, il comprendrait tout de suite que Mimi avait beaucoup à raconter et que son agression n’avait rien à voir avec un crime
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d’opportunité.
Celui qu’elle cherchait à fuir depuis douze ans venait visiblement de la rattraper.
*
Mimi regardait sans vraiment les voir les numéros des étages qui défilaient devant ses yeux bien que son attention soit entièrement fixée sur Daniel à ses côtés. Après sa déposition auprès des forces de l’ordre dans le bureau du cabaret, le médecin était arrivé. Rien de cassé, hormis les contusions sur son visage et une légère raideur dans la nuque, il lui avait fait une ordonnance pour des relaxants que Mimi ne prendrait certainement pas, ainsi qu’un arrêt de travail de quinze jours. Ceux-là, elle comptait bien les mettre à profit. Puis Daniel l’avait escortée jusqu’à sa voiture, la couvrant de mille attentions, mais avec distance. Celle qu’il déployait depuis plusieurs jours.
Elle se tourna vers les portes quand l’ascenseur s’immobilisa. Elle supposait que Greg les attendait au bureau pour une espèce de débriefing. Des termes que Malik avait employés à plusieurs reprises. Le trajet jusqu’à La Défense s’était effectué dans un silence étrange. Ni lourd ni complice. Simplement empli de non-dits qu’elle ne parvenait pas à déchiffrer. La réaction de Daniel avait été brutale dans le bureau du cabaret. Toute la violence retenue aurait pu lui faire peur, mais Mimi savait qu’elle n’était pas dirigée contre elle. Elle avait simplement pris la mesure des efforts que déployait Daniel pour se retenir. Elle le respectait et l’aimait un peu plus.
Elle risqua un regard vers Daniel. Son profil était magnifique dans sa fixité, si bien qu’elle aurait pu le
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confondre avec une statut de marbre. Taillé dans un matériau noble et résistant au temps, aux épreuves. Mais quelque chose la glaça dans cette expression de maîtrise et de contrôle extrême. Daniel avait érigé une barrière entre eux, et à mesure que l’ascenseur avalait les étages, celle-ci s’élevait au point de le rendre totalement inaccessible.
Elle posa une main tremblante sur le bras de Daniel qui se raidit aussitôt.
— Daniel…
Mais ses mots moururent lorsque les portes s’ouvrirent dans un chuintement discret, coupés par le ton froid de Daniel.
— Nous sommes arrivés
— Où sommes-nous ? demanda-t-elle la voix un peu cassée.
— Chez moi.
Daniel l’invita à sortir, ou plutôt entrer dans l’appartement. Mimi fit un pas, mais stoppa net, totalement prise au dépourvu par ce qu’elle découvrait. Un appartement en terrasse absolument magnifique qui dominait La Défense et Paris derrière ses hautes baies vitrées. L’ameublement était un mélange éclectique de moderne et d’élément ancien qui conférait à l’ensemble une atmosphère chaleureuse qui ressemblait tellement à Daniel.
— J’ignorais que cet appartement t’appartenait, murmura-t-elle impressionnée.
— Seuls mes proches le savent, répondit Daniel d’un ton froid.
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Une remarque qui la blessa. L’inflexion de Daniel n’avait rien d’hostile. Elle confirma ce qu’elle avait déduit dans l’ascenseur. Daniel prendrait soin d’elle, mais c’était comme s’il s’interdisait toute intimité. Il dressait une barrière entre eux. Il compartimentait, verrouillait tous les accès qu’il lui avait pourtant offerts les semaines précédentes. Et cette constatation lui serra le cœur et lui donna un sentiment de gâchis qui lui fit venir les larmes aux yeux. Elle les essuya discrètement. Pas assez visiblement. Quand elle releva la tête, elle tomba sur les yeux sombres de Greg. Son expression était indéchiffrable, mais il était évident qu’il avait embrassé la situation d’un seul regard.
Mimi baissa la tête, un sentiment de honte lui pesant sur les épaules.
— Comment allez-vous ?
La voix pleine de sollicitude de Greg lui fit relever la tête et Mimi sentit ses yeux devenir de nouveau humides face à la sincérité qu’elle perçut dans sa voix. Ces hommes s’inquiétaient réellement pour elle. Et elle ne trouvait rien de mieux à faire que de la jouer solo en sabotant tout le travail qu’ils avaient effectué jusqu’à présent pour sa sécurité.
Daniel lui prit doucement le coude, comme s’il percevait sa fragilité. Il l’entraîna vers un canapé qui aurait pu accueillir dix personnes et l’obligea à s’asseoir. Ce qu’elle fit avec peu d’élégance, ses jambes ne la soutenant plus.
Greg prit place dans un fauteuil, face à elle tandis que Daniel restait debout. Mimi fixa son regard sur la table basse, alliance parfaite de moderne et d’ancien,
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reflet de l’ensemble du mobilier de l’appartement.
— J’aimerais que vous me racontiez ce qu’il s’est passé, commença Greg d’une voix qu’elle ne lui connaissait pas.
Douce. Rassurante. En totale contradiction avec l’expression sauvage qui le définissait.
Mimi releva la tête pour plonger dans le regard sombre de Greg. Si quelques jours auparavant elle en avait tressailli de peur, aujourd’hui, la force qui s’échappait de cet homme insaisissable lui laissait un sentiment de sécurité qui libéra légèrement la pression qu’elle ressentait dans la poitrine. Elle avait conscience de la présence de Daniel, mais il s’était mis volontairement à l’écart, laissant le soin à Greg de diriger le moment de vulnérabilité que Mimi vivait.
La jeune femme se concentra sur les magnifiques yeux noirs de Greg, respira profondément, plus pour se donner du courage que pour se lancer dans une longue diatribe. Les mots eurent du mal à sortir, mais sous les encouragements silencieux de Greg, elle parvint à raconter son agression. À mesure qu’elle parlait, elle sentait cette pression diminuer, sans pour autant être totalement libérée.
Le silence accueillit la fin de son récit. Elle n’osait se retourner, mais percevait dans l’air un étrange crépitement. Les deux hommes analysaient, recoupaient les informations qu’elle venait de leur livrer. Rien à son sens qui pourrait les orienter vers Ghislain. Elle ne pouvait tout simplement pas leur révéler cette part de son passé. Alors elle s’en tenait aux faits. Son agression.
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— Y a-t-il un détail, une sensation, même une impression, n’importe quoi qui vous revient à l’esprit ?
Mimi plissa les yeux, se concentrant, aussi bien pour leur donner des éléments que pour lui en apporter à elle. Mais rien, sauf…
— Si… L’homme a dit une phrase bizarre. Il voulait que je répète, je suppose aux forces de police, un message : tu transmettras à Alice toute mon affection.
Elle vit aussitôt Greg se raidir et sa physionomie se modifier au point de lui faire peur. Daniel dans son dos poussa un grognement si sombre qu’elle sentit son corps se tétaniser. Jusqu’à ce qu’elle percute et comprenne.
Alice.
Un prénom et un message qui n’avaient pas été donnés au hasard. Un filet de transpiration lui glissa le long de la colonne même si elle se sentait glacée à l’intérieur.
Greg se pencha vivement vers l’avant. Mimi se recula lorsqu’il envahit son espace. Le regard attentionné avait disparu pour faire place à quelque chose de mauvais. De dangereux.
Elle se tourna vers Daniel qui observa ses yeux écarquillés par la peur. Sa jolie danseuse avait mis les pieds dans un guêpier dont elle ne mesurait pas les conséquences. Greg et lui, oui.
— Quoi d’autre ? aboya Greg.
Mimi tressaillit devant l’agressivité de Greg. Son regard alternait entre les deux hommes. Daniel toujours debout arpentait la pièce, téléphone en main.
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Greg l’avait imité et s’était rapproché de Mimi. Il la surplombait, l’air si menaçant que Mimi sursauta quand il répéta sa question.
— Quoi d’autre ?
L’inflexion de sa voix n’avait plus rien d’agressif, ce qui inquiéta et terrifia d’autant plus Mimi.
— Je ne comprends pas, bredouilla-t-elle.
Elle sursauta à nouveau quand Daniel fit claquer une enveloppe sur la table basse devant elle.
— Tes papiers. Marty s’est surpassé.
Il vit clairement les couleurs quitter les joues de Mimi. Elle ne semblait maintenant plus terrifiée. Elle l’était réellement.
Bon sang !
Il aurait pu étrangler la jeune femme quand il avait compris qu’elle avait profité de son absence ce soir pour s’échapper. L’ironie de la situation était qu’il se rendait au même endroit. Dans le nord de Paris, récupérer des faux papiers chez un faussaire qui n’avait rien à voir avec un enfant de chœur.
Mimi regarda l’enveloppe. Elle renfermait bien plus que des nouveaux papiers. Elle contenait un avenir qui maintenant était parti en fumée. Et entourée par deux hommes dont le self-control ne tenait plus qu’à un fil lui faisait perdre le peu de moyens qu’il lui restait. Elle avait l’impression que tout s’effondrait autour d’elle, et impuissante, elle assistait au désastre
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de sa vie.
Sans qu’elle puisse les retenir, des larmes s’échappèrent de ses yeux. Elle ne fit même pas l’effort de les essuyer. Elle se sentait fatiguée. Vidée. De toute envie. De toute substance.
Daniel prit sur lui et respira profondément. Mimi était plus que bouleversée. Elle se débattait avec ses propres démons ainsi qu’avec la colère et la haine que Greg et lui dégageaient. Elle était au beau milieu d’une guerre qu’elle ne comprenait même pas. Lui non plus, d’ailleurs. Aussi, s’obligea- t-il à mesurer l’attitude et les propos de Greg. Même s’il comprenait l’urgence qui rendait son ami agressif.
Il lui adressa un regard que Greg interpréta immédiatement. Il le soutint cependant un instant avant de lâcher prise et autoriser Daniel à prendre la main.
— OK. Maintenant, on arrête les conneries.
Il prit place à côté de Mimi, gommant ainsi l’impression de dominance qu’il exerçait en restant debout.
— La personne qui t’a agressée s’appelle Romain Giraud.
— Je ne connais personne de ce nom-là, bredouilla Mimi en jetant un regard apeuré vers Greg avant de le diriger vers Daniel.
Et c’était une bonne chose, pensa Daniel. Il lança un coup d’œil rapide vers Greg qui acquiesça. Ils se
connaissaient suffisamment pour pouvoir communiquer sans prononcer le moindre mot. Giraud n’avait pas agressé Mimi par hasard. Ils avaient pensé à tort qu’il menait une vendetta contre les anciens
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membres de leur groupe d’intervention. Alice étant une victime toute désignée pour atteindre Greg. Et c’est là qu’ils avaient fait l’erreur de croire que Giraud avait attaqué par vengeance. Alice n’était qu’un amusement. Tout se mettait en place dans la tête de Daniel. Et le tableau qui en ressortait l’inquiétait.
À juste titre.
Giraud avait pris pour cible Mimi. Une conclusion qui lui fit froid dans le dos. Il regarda la jeune femme qui lui semblait si fragile à l’instant. Elle n’avait aucune chance d’échapper à Giraud. C’était un miracle qu’il ne soit rien arrivé de plus dans cette rue. Elle avait dû le surprendre en tentant de s’enfuir et il avait été pris au dépourvu. Sans s’en rendre compte, elle avait déjoué le plan initial de Giraud. Car, sa fuite, même avortée, lui avait probablement sauvé la vie.
— Giraud est un ancien membre de notre unité. Il a été renvoyé pour insubordination.
— Et trahison, gronda Greg d’une façon si sinistre que Mimi se rencogna dans le canapé.
— Je… je ne sais pas ce qu’il me veut, bégaya Mimi en plein désarroi.
Elle connaissait le passé professionnel de Daniel. Il avait servi avec Greg dans l’armée, même si leur spécialisation restait un peu floue. Tout cela la dépassait. Elle sursauta quand Daniel fit claquer sa paume sur la table basse.
— Giraud est un mercenaire. Un tueur. Et tant qu’il n’a pas éliminé sa cible, il ne s’arrête pas.
— Je ne comprends pas, réussit à articuler Mimi. Tu viens de dire que vous aviez servi ensemble…
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Son cerveau refusait d’admettre une vérité qui la dépassait. Mais Daniel, intransigeant, n’allait pas la laisser se défiler.
— Ce que je veux dire, ajouta-t-il d’une voix dure tout en se penchant vers Mimi, c’est que tu es la cible.
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Chapitre 26
Plus aucune émotion ne trahissait la voix de Daniel. Il énonçait des faits de façon analytique, froide, sans compassion.
— Giraud a été engagé dans un but bien précis. Au mieux, obtenir quelque chose de toi. Au pire, t’exécuter.
Et comme elle était toujours en vie, c’était l’hypothèse numéro un que Daniel retenait. Un regard vers Greg lui confirma qu’ils étaient d’accord sur ce point. Giraud était un professionnel. Jamais il n’aurait laissé passer l’occasion d’exécuter un contrat. Mimi lui était tombée dans les bras et pourtant elle était encore en vie.
Mimi reçut l’information comme un coup violent porté en plein estomac, lui coupant le souffle et toute réflexion, ses pensées totalement engourdies. Elle comprenait seulement qu’elle ne pouvait plus fuir ni dissimuler la vérité. Du moins une partie. Et vu comment les deux hommes la dévisageaient, elle ne pouvait plus se cacher. Elle se sentait acculée. Quel que soit le chemin qu’elle emprunterait, elle était piégée.
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Mon Dieu !
Ghislain avait mis un tueur à ses trousses. C’était complètement surréaliste. Rien ne pouvait être vrai. C’était un cauchemar d’où elle allait se réveiller. Ghislain ne pouvait pas être obsédé à ce point ? Et pourtant, la tension qui émanait des deux hommes, la dureté de leurs traits étaient des signes évidents, traduisant une chose : qu’elle se trouvait dans une situation qui la dépassait complètement. Mimi baissa la tête, comme si le simple poids du présent était trop lourd à porter.
— Ghislain De Ribaupierre, murmura-t-elle.
— L’industriel ? la brusqua Greg.
Il venait de faire le lien entre De Ribaupierre et l’information qu’avait lâchée Joaquim concernant le commanditaire. Les deux venaient des États-Unis. Si c’était une coïncidence, elle était de mauvais goût.
Mimi hocha la tête en guise de réponse avant de la relever. Les yeux noirs de Greg étaient incendiaires, torturés même, et Mimi sentit son estomac se nouer. Elle voyait l’homme dangereux qu’il était, et cette constatation lui fit froid dans le dos. Il était aussi sa meilleure chance de survie, comprit-elle.
Alors elle fit le récit de ce qu’elle cachait depuis plus de douze ans en commençant par le début. Sa naissance « accidentelle », ses relations conflictuelles avec son père. Le fait qu’il la rende responsable de la dépression de sa mère, mais surtout de son suicide. Son besoin de trouver quelqu’un qui la comprenne. Quelqu’un qui l’aime. Pour elle. Pas pour son nom et ce que la notoriété de son père pouvait apporter.
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Daniel observa la jeune femme qui se confiait. Il connaissait son histoire, connaissait les moments sombres qui avaient jalonné sa vie et orienté ses choix. Il se crispa cependant quand elle poursuivit.
Elle avait rencontré pour la première fois Ghislain De Ribaupierre lorsqu’elle avait seize ans.
Daniel vit rouge.
Seize ans !
Si ses calculs étaient exacts, De Ribaupierre avait quarante-quatre ans à l’époque ! Mimi perçut sa crispation.
— Ce n’était pas ce que tu penses, ajouta-t-elle doucement.
Une phrase juste pour lui. Même dans son récit, elle voulait le rassurer.
Nom de Dieu !
— Ce type est un pédophile !
— J’avais seize ans, Daniel.
— Tu avais peut-être atteint ta maturité sexuelle, mais tu restais une gamine paumée, et cet enfoiré ne s’est pas gêné pour profiter de ta vulnérabilité, argua-t-il d’une voix dure dans laquelle Mimi put ressentir toute la colère que Daniel éprouvait contre Ghislain.
Mimi s’était longuement interrogée sur ce fait. Oui, elle était jeune, mais elle s’était toujours persuadée qu’elle savait aussi ce qu’elle faisait. Quoiqu’en dise Daniel. Mais avec le recul, peut-être que les mots de son amant commençaient à faire écho avec une
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morale et une conduite qui lui avait échappé à l’époque. Car ce qu’elle vivait aujourd’hui avec Daniel n’était en rien comparable à ce qu’elle avait traversé avec Ghislain. Le fait que Daniel ne l’accuse pas pour ses actes passés libéra quelque chose en elle, même si elle ignorait quoi. Le pardon peut-être ? Peut-être aussi n’était-ce finalement pas de sa faute si elle avait dû fuir… ?
Elle releva les yeux et croisa ceux de Greg. Toute trace d’hostilité avait déserté son regard. Elle crut y déceler de la compréhension. Ni de la pitié ou de la honte, mais un sentiment salvateur que quelqu’un la comprenait et ne la jugeait pas. Elle se tourna vers Daniel et y lut une émotion semblable qui lui donna la force de poursuivre son récit.
L’emprise de Ghislain sur ses gestes, ses repas, ses émotions, qu’il contrôlait et dont elle lui avait lâchement abandonné les rênes. Là encore, aucun jugement de la part des deux hommes. Daniel s’était approché. Elle ne s’était même pas rendu compte qu’il la touchait, l’encourageait par sa simple main emprisonnant la sienne. La chaleur qu’elle perçut lui fit monter les larmes aux yeux. Jamais elle ne s’était autorisée durant sa cavale à se laisser aller de la sorte. Et pouvoir extérioriser ses émotions avait un pouvoir libérateur qui lui apporta de façon surprenante, une sérénité et un apaisement qu’elle n’avait pas ressenti depuis des années.
Elle leur parla de cette emprise sur sa vie et du moment où il l’avait frappée pour la première fois. Daniel lui pressa doucement la main. Un appel à poursuivre si elle s’en sentait capable. Et Mimi savait que Daniel ne la prenait pas pour une faible. Aussi, continua-t-elle. Les coups suivaient toujours
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d’excuses, puis de reproches. S’il la frappait, c’était parce qu’elle avait forcément fait quelque chose de mal. C’était sa faute.
Un schéma classique, pensa Daniel avec amertume. Cet enfoiré l’avait isolée de tous ses amis, son environnement, faisant de lui son seul repère. Sa sœur avait quitté Lyon pour Paris, sa mère était morte et son père se désintéressait totalement de sa fille. Et ce fils de pute avait eu toute latitude pour agir. Il sentit ses poings se crisper. Il se ferait un plaisir de les tester sur la tronche de cet enfoiré. Mais pour l’instant, l’important c’était cette jeune femme qui se livrait entièrement. Qui laissait ses démons sortir enfin. Verbaliser son passé était déjà un premier pas vers la guérison. Car quoi qu’elle dise, même si plus de douze ans avaient passé, cet homme, s’il pouvait le nommer ainsi, avait, de façon absolue, défini la vie de Mimi. Au point de changer d’identité pour lui échapper.
Et puis le coup de trop. Daniel sentit Mimi se crisper et sa respiration s’altérer, en proie à une forte émotion. Il s’obligea à rester immobile pour ne pas la perturber. Il la devinait proche de la rupture, prête à s’enfermer dans une bulle de silence. Il voyait clairement qu’elle prenait sur elle. Il était persuadé de la véracité de son récit, mais il sentait qu’il devait lire entre les lignes. Mimi dissimulait des blessures certaines, et son instinct lui dictait qu’il y avait plus encore derrière, même s’il ne parvenait pas à définir quoi exactement.
Alors, elle avait fui et s’était cachée.
— Pendant deux années, compléta Daniel.
— Chez ma sœur, confirma Mimi, la tête baissée.
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Greg qui n’avait pas quitté la jeune femme des yeux l’observa avec une acuité qui aurait fait frémir quiconque. Il scrutait cette jeune femme que la vie n’avait pas épargnée. Ses doigts jouaient nerveusement avec l’ourlet de son sweet, déformant le tissu. Il lança un regard à Daniel qui partageait vraisemblablement son avis. La jolie rouquine était terrifiée.
Ils ne s’étaient pas posé la bonne question.
Celle qu’ils auraient dû formuler n’était pas de savoir par qui elle était terrifiée, mais pour qui.
— Deux ans, c’est long, intervint pour la première fois Greg.
Le ton sceptique qu’il employa volontairement fit réagir Mimi comme il le pensait. Elle releva vivement la tête, les yeux lançant des éclairs.
— Une vie entière ne le serait pas non plus ! Une assertion qui confirma les doutes de Greg.
Que nous caches-tu, ma belle ? s’interrogea Daniel.
Une question à laquelle lui et Greg devaient trouver la réponse. Car vu comment Mimi s’était renfermée sur elle, le corps tendu, prête à bondir, il était évident qu’elle n’était pas prête à partager tous ses secrets. Et il la connaissait suffisamment pour savoir qu’une attaque frontale n’aboutirait à rien. Pire. Elle serait capable de s’enfuir, et cette fois, il n’était pas certain de pouvoir remonter sa trace. Et il était impensable que sa jolie rousse se fasse la belle et le quitte.
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Une pensée qui le choqua par sa brutale évidence. Il se sentait incapable de ne plus voir Mimi, de ne plus partager aussi bien des moments d’intimité que leur prise de bec. Même s’il se refusait tout engagement émotionnel avec la jeune femme et s’interdisait dorénavant tout rapprochement, plus encore s’ils se déroulaient dans un lit.
— Pourquoi une telle obsession ? poursuivit Greg.
Mimi haussa les épaules avec une nonchalance qui ne trompa pas les deux hommes.
— Je l’ignore.
Faux ! pensa aussitôt Daniel.
Bien ! Puisqu’elle refusait de parler, ils devraient agir autrement. Daniel ne lui en voulait même pas de ne pas leur faire entièrement confiance. Il savait mieux que personne que lorsque l’on déterrait des secrets, ils pouvaient se retourner contre vous. Et vu comment Mimi réagissait, elle était prête à mourir pour conserver ce fameux secret.
— Daniel ? interrogea Greg.
Il se leva, lâchant à regret la main de Mimi qui le regarda avec de grands yeux effrayés et remplis de questions. La petite fille traquée était de retour et sa vulnérabilité lui pinça le cœur. La jeune femme pleine de morgue et de fougue avait totalement disparu. Elle n’était pas loin, mais Daniel savait aussi qu’il pouvait la faire revenir très vite. Pour l’instant, Mimi était encore trop choquée et sur la défensive. Dans quelques jours, elle aurait récupéré et fait la part de
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chose. Alors, il la retrouverait. Une certitude qui l’encouragea à s’éloigner pour creuser du côté de De Ribaupierre.
Et le meilleur moyen d’obtenir des informations et de stopper le contrat qu’il avait passé sur la tête de Mimi était d’aller directement à la source.
— Tu ne la quittes pas une seconde des yeux.
Mimi reconnaissait à peine la voix de Daniel. Sure, forte. Déterminée. Elle se releva vivement du canapé pour se camper devant Daniel et lui saisir le bras.
— Où vas-tu ?
La panique faisait vibrer sa voix. Daniel se radoucit et posa ses mains en coupe sur les joues de la jeune femme, appuyant son front contre le sien.
— Je vais provoquer un tête-à-tête avec De Ribaupierre.
— Non ! C’est beaucoup trop dangereux.
Un cri du cœur qui déchira celui de Daniel.
Nom de Dieu !
Ce type avait fait plus de dégâts qu’il ne l’imaginait. La Mimi qui était dans ses bras tremblait et il se promit que plus jamais un homme ne lui ferait subir un tel supplice.
— De Ribaupierre n’est pas dangereux. Giraud l’est. Mais je sais l’affronter et saurais dévier ses attaques le cas échéant.
— Sûr ? demanda Mimi d’une voix tremblante.
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— Je te fais la promesse qu’il ne m’arrivera rien.
Du coin de l’œil, il vit Greg se raidir. Faire de pareille assertion était tout sauf professionnel. Jamais ils ne pouvaient prédire que leur mission se déroulerait sans incident. Mais Mimi n’était pas une cliente. Mimi était une jeune femme qui avait besoin d’être rassurée. Et lui, un homme qui ne pouvait supporter de voir autant de frayeur et de souffrance sur un si joli visage.
Mimi hocha la tête. Elle se sentait épuisée, vidée. Si elle tenait encore debout, c’était grâce à la force de Daniel.
— Tout va bien se passer, reprit Daniel d’une voix posée. J’ai deux trois choses à voir avec Greg, et en attendant, tu vas aller te reposer.
Il sentit clairement Mimi se raidir, mais il maintint ses propos en posant délicatement ses lèvres sur celles de la jeune femme.
— Fais-moi confiance, ajouta-t-il doucement.
Des mots qui s’infiltrèrent dans la conscience de Mimi. Elle sentit cette fois toute la tension quitter son corps.
Confiance.
Quelque chose qu’elle n’avait jamais accordé à quiconque. Sauf aujourd’hui. Sauf ce soir
— D’accord, lâcha-t-elle.
Daniel observa Mimi. Elle était d’accord. Non qu’il ait besoin de son aval, mais elle lui accordait son
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crédit et il sentit dans sa poitrine quelque chose s’ouvrir. Il ignorait quoi exactement. Mais il savait seulement que cela déversait une chaleur lénifiante dans tout son corps.
— Viens, murmura-t-il en l’entraînant, un bras solide entourant son épaule.
Ainsi, elle ne s’effondrerait pas compris Mimi. Il ne la laisserait pas tomber. Il la porterait. À bout de bras s’il le fallait. Et elle se laissa complètement aller contre Daniel.
Il l’installa dans sa chambre, l’obligeant à s’allonger avant de la recouvrir d’un plaid. Il l’observa un moment. Mimi avait fermé les yeux, il regarda son visage se détendre progressivement et son corps se délier. En moins de deux minutes, sa respiration devint plus profonde. Elle venait de s’endormir. Il posa lentement ses lèvres contre les siennes, appréciant la douceur de sa bouche, puis quitta la pièce sans un bruit et rejoignit Greg dans le salon qui se tourna immédiatement vers lui.
— Elle ment.
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Chapitre 27
Daniel se passa une main dans les cheveux et soupira longuement.
— Je sais. Du moins, elle ne nous dit pas tout.
— Et c’est ce tout qu’il faut découvrir.
— Ça aussi, je le sais, grogna Daniel.
— Il ne la lâchera pas, insista Greg.
— Nom de Dieu ! J’en suis conscient, putain !
Giraud ne s’arrêtait pas tant que sa cible ne serait pas éliminée. Et pour cela il n’y avait que deux options. Que la cible meure. Ou que le contrat soit levé. Et pour y parvenir, il ne voyait qu’un moyen d’agir. Sans un regard pour Greg, il se dirigea vers son ordinateur. Il eut à peine le temps d’ouvrir l’application qui l’intéressait, que Greg l’interpella.
— J’ai déjà les infos.
Daniel le regarda, reconnaissant, et hocha la tête.
— Adresse de De Ribeaupière, plan du cadastre ainsi que ceux de la maison. Leur hôtel particulier a totalement été rénové, ajouta-t-il devant la question silencieuse de Daniel. Ils ont fait appel à un cabinet
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d’architecte. J’ai seulement forcé leur système pour avoir les plans de la maison.
Simple. Rapide. Efficace. Tout ce qui définissait Greg… et qui faisait gagner beaucoup de temps à Daniel.
— Malik et Antoine t’attendent au parking avec une deuxième équipe en soutien, compléta-t-il.
Daniel hocha la tête, reconnaissant que Greg ait préparé une équipe si rapidement. Il se dirigea vers son bureau. Une pièce qu’il aimait particulièrement. La vue plongeante sur la Défense, comme le reste du loft, possédait ici une âme unique. Peut-être parce qu’il y avait passé des heures à préparer des missions. Ce soir, celle qui l’attendait avait un caractère particulier. Il ne pouvait pas la foirer. Il pressa un bouton qui déverrouilla une cloison dissimulée dans le mur, révélant un coffre. Seuls Greg et Logan en connaissaient l’existence. Après l’avoir ouvert, il prit une arme. Il vérifia l’objet froid et impersonnel, le chargea. Ses gestes trahissaient une grande expérience. Il ne tremblait pas ni se posait de question. Cette arme était une extension de lui même et pouvait lui sauver la vie… même s’il espérait secrètement ne pas avoir à s’en servir.
Daniel avait profité du trajet jusqu’à un quartier huppé de la capitale pour prendre connaissance des informations que Greg lui avait envoyées. Il comprenait pourquoi cet homme était rentré en France il y a deux mois. Période qui correspondait au changement de comportement radical de Mimi. Et pour cause. Cet enfoiré avait engagé un tueur. Et pas n’importe qui.
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Une haine sans nom le saisit et Daniel s’obligea à respirer profondément et se concentrer sur la silhouette malingre étendue dans le lit. Entrer dans l’hôtel particulier avait été un jeu d’enfant. Le système de sécurité d’une simplicité enfantine à paralyser. Grâce aux plans que Greg lui avait fournis, il s’était rapidement orienté dans la bâtisse. Un tour discret lui avait appris où logeait sa cible. Le rez- de-chaussée était allumé. Daniel s’était faufilé dans les couloirs, attentif à ne pas se faire repérer par la femme, probablement celle de De Ribaupierre et ses deux fils, de jeunes adolescents. Une scène du quotidien presque banale, mais qui portait une atmosphère étouffante et dérangeante qui avait allumé ses signaux d’alarme. Il avait atteint discrètement l’étage et ce qu’il avait découvert ne l’avait pas laissé complètement indifférent. Pas par pure compassion, mais par surprise.
L’odeur de la mort qui pesait dans la chambre lui permit de se ressaisir très vite.
Il se pencha sur le corps décharné, le visage cendreux et émacié. À n’en pas douter, il ne restait que peu de temps à vivre. Cela aurait pu être une bonne nouvelle. En mourant, le contrat sur Mimi s’éteignait avec lui. Mais Giraud était connu pour exécuter sa mission jusqu’au bout. Commanditaire en vie ou non. Ce qui arracha un grognement de colère à Daniel.
D’un geste sur l’épaule, il secoua De Ribaupierre, sans réaction. Il accentua la pression et il vit les paupières de l’homme frémir puis s’ouvrir. Daniel eut un choc. Il avait déjà vu des morts. Leurs yeux ressemblaient de façon effrayante à ceux qui le
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fixaient en ce moment. Vitreux, dénués de toute émotion.
— Qui êtes-vous ? articula difficilement l’homme. L’air lui manquait, et chaque geste l’affaiblissait.
— La dernière personne que tu verras si tu ne réponds pas correctement
— Je crains que votre menace ne me laisse indifférent, croassa De Ribaupierre avant de se mettre
tousser.
Aussitôt, Daniel lui recouvrit le nez et la bouche avec le masque à oxygène. Il pouvait crever, Daniel n’en avait cure. Mais après avoir obtenu les informations et la confirmation qu’il levait le contrat sur Mimi. L’homme inspira plusieurs courtes et laborieuses bouffées de cet air qui lui manquait. De Ribaupierre sembla se détendre et sa tête reposa contre l’oreiller. Daniel écarta le masque sous l’œil étrangement reconnaissant de l’homme.
— Effectivement, lança Daniel d’un ton froid. Le temps est compté, c’est pour cela que je vais aller à l’essentiel. Charlie Meyer.
Il vit distinctement la physionomie de De Ribaupierre se modifier et ses yeux retrouvèrent très brièvement une lueur qui leur redonna vie.
OK ! Il avait visé juste.
— Comment va-t-elle ?
La question était posée avec une sorte de sincérité franche qui déstabilisa momentanément Daniel.
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— Mieux depuis qu’elle vous a quitté.
— J’ai fait des erreurs, soupira l’homme.
— Frapper une femme et la terroriser n’est pas ce que j’appelle une erreur. Rien que pour ça, je devrais vous tuer sur place.
— Et ce serait mérité, avoua l’homme faiblement.
Daniel comprit qu’il était réellement sincère et ne jouait pas la comédie. Cet homme était bourrelé de remords au crépuscule de sa vie. Et Daniel n’allait certainement pas alléger sa conscience.
— Je l’ai recherchée. Pas pour les raisons que vous pensez, ajouta-t-il précipitamment quand il vit Daniel se crisper.
— Et pour quelle raison ? insista Daniel, la voix tendue.
Un ricanement qui se transforma en toux fut sa réponse, mais cette fois, Daniel n’intervint pas avec l’oxygène. Au bout d’une interminable minute, l’homme réussit à reprendre un souffle.
— Ce serait trop simple de vous donner la réponse.
— Vous jouez la montre.
Daniel se pencha dangereusement vers l’homme. Sa voix basse baissa encore d’une octave, la rendant particulièrement menaçante. Il vit De Ribaupierre se recroqueviller sur son lit si cela était possible.
— Vous pouvez vous pavaner autant que vous le voulez, je suis venu chercher des réponses, et je vous promets qu’en sortant de ce mouroir, je les aurais obtenues.
— Je ne lui veux aucun mal, croassa l’homme.
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Daniel se figea. D’un geste vif, sa grande main entoura le cou malingre de De Ribaupierre. Une simple pression suffirait à lui briser la nuque. Daniel pouvait sentir sous ses doigts la peau fragile et le peu de chair qui restait ne protégeait même pas la trachée de l’homme.
— Alors, pourquoi lui avoir collé un tueur aux trousses ?
L’homme écarquilla les yeux. Non de peur, interpréta Daniel, mais de surprise. Une expression qui ne pouvait mentir.
— Je n’ai jamais engagé quelqu’un pour la tuer, même si j’en ai largement les moyens.
Daniel relâcha sa prise et l’homme prit une profonde inspiration, qui une fois de plus se transforma en toux. Cette fois, Daniel lui posa l’oxygène. Il avait besoin de réponses et l’homme était maintenant tout disposé à parler. Mais l’émotion ou le choc de ses mots l’avait vraisemblablement marqué. Son teint cendreux était devenu encore plus transparent et des tremblements étaient venus se greffer secouant sa carcasse affaiblie.
— J’ai bien engagé un privé il y a quelques mois, mais il n’a jamais réussi à retrouver Charlie.
L’homme semblait aspirer un air épais. Chaque mot était une souffrance, chaque inspiration le rapprochait un peu plus de la mort. Comme s’il livrait ses dernières forces.
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— Pourquoi ? insista Daniel. Pourquoi l’avoir recherchée après plus de dix ans ?
— Elle possède quelque chose qui m’appartient.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-il brusquement.
Mais l’homme avait sombré dans l’inconscience et Daniel retint sa rage, car il avait la certitude que même s’il était resté conscient, De Ribaupierre n’aurait jamais parlé. Juste pour avoir le plaisir une dernière fois, pensa Daniel avec une satisfaction macabre, qu’il dominait et avait le contrôle sur une vie qui lui échappait.
Daniel serra les poings de frustration, de colère. Une rage sans nom circulait dans ses veines. Elle transportait son sang trop rapidement, battant contre ses tempes, emportant avec elle sa lucidité, sa capacité de réflexion. Il était habité d’une haine sauvage et d’un besoin impérieux de la chasser en frappant et détruisant tout sur son passage. Mais il avait beau être aveuglé, il parvint à se ressaisir. L’effort lui en coûtait, mais perdre les pédales maintenant n’aiderait pas Mimi.
Car ils avaient un problème.
Un gros problème.
Mimi avait un tueur à ses trousses et le commanditaire n’était pas celui qu’il croyait. Pire, il repartait à zéro et il n’avait aucune idée où chercher.
Il rejoignit la voiture où l’attendaient Malik et Antoine. La seconde équipe était garée un peu plus loin. Les deux véhicules démarrèrent à l’unisson, se perdant dans les rues de la capitale aussi furtivement que Daniel était entré dans l’hôtel particulier de De Ribaupierre.
Malik ne posa aucune question, mais sentit à la tension de son patron que les choses ne s’étaient pas
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déroulées comme il le souhaitait.
Daniel sortit son portable et envoya un message à Greg.
« Exfiltration »
Car il était impossible maintenant que Mimi reste sur Paris. Sa tête avait été mise à prix, et tant qu’elle ne se serait pas brandie au bout d’une pique, Giraud n’abandonnerait jamais.
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Chapitre 28
Greg releva la tête et plongea son regard dans celui aussi sombre que l’humeur de son ami. Daniel lui avait relaté sa visite auprès de De Ribaupierre. Ce qu’il avait découvert avait contrarié leur hypothèse. Si ce n’était pas De Ribaupierre le commanditaire, ils avaient effectivement un gros problème. Mimi avait un gros problème. Et il était plus qu’évident qu’elle devait maintenant rester sous les radars le temps qu’ils découvrent qui lui avait posé une cible dans le dos.
Greg sortit une enveloppe épaisse, un trousseau de clés de maison et un de voiture. Daniel saisi l’enveloppe, les sourcils arqués.
— J’ignore combien de temps tu vas disparaître. On a toujours besoin d’un peu d’espèces sur soi, ajouta-t-il quand Daniel ouvrit l’enveloppe.
— Trois ?
— Cinq, rectifia Greg.
Daniel le remercia d’un hochement de tête. Cinq mille euros pour traverser la France et rester invisibles devraient être largement suffisants. Il le faudrait, car ce serait de toute façon leur seul moyen
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de paiement. Aucune chance que l’on remonte leur piste ainsi. Les cartes bancaires étaient bannies et son téléphone était sécurisé. Seul objet, avec son arme, qui l’accompagnerait.
Il ne lui restait plus qu’à réveiller Mimi et lui apprendre la nouvelle. Même s’il supposait qu’elle se rebellerait. Mimi était une femme solaire qui détestait vivre dans l’ombre. Non qu’elle aimait être au centre des projecteurs, mais pour elle la définition de la vie ne pouvait se résumer à une planque quelconque. Mais elle aurait beau se rebeller, il était prêt à l’assommer pour la faire taire et l’entraîner à sa suite. Car il refusait de la voir mourir. Pas elle.
— Véhicules ? interrogea Daniel.
— En place.
Ils quitteraient la tour à six voitures, qui quelques kilomètres plus loin se diviserait en trois groupes de deux véhicules, rendant une filature difficile, voire impossible. Si Giraud s’amusait à les suivre, ce que lui ferait s’il était à sa place. Et si par le plus grand des hasards, Giraud parvenait à les pister, cela permettrait de le repérer immédiatement… et donc de le neutraliser. Pour cela, la seconde voiture que formait leur binôme qui le suivrait à distance le temps de quitter la région parisienne interviendrait. Soit en le ralentissant, soit en le bloquant. Ils gagneraient ainsi quelques minutes qui pourraient se révéler précieuses.
Daniel s’assit doucement au bord du lit pour observer la jeune femme qui y était étendue. Dans le sommeil, ses traits étaient reposés. Il ne voyait plus cette tension qui l’habitait constamment. Il s’en voulut de devoir la réveiller et chasser cette sérénité.
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Doucement, il passa le dos de ses doigts sur le visage de Mimi. Son menton, ses joues d’une douceur de pêche, ses pommettes. Il promena ses doigts sur la ligne délicate de ses sourcils, glissa sur la fine arête de son nez, pour venir caresser ses lèvres qu’il adorait embrasser, mordiller, aspirer.
Bon Dieu !
Cette femme le rendait fou. Il était prêt à tout pour elle.
Se battre.
Mourir.
Quand Daniel releva les yeux, ce fut pour tomber sur ceux de la jeune femme, parfaitement éveillée. Son beau regard ambre était empli de tant de confiance qu’il sentit à nouveau cette gêne dans la poitrine. La même qu’il avait à plusieurs reprises ressentie… et ignorée.
— On doit partir.
Sa voix était étonnamment calme. En totale contradiction avec les émotions qui faisaient rage en lui. Il fut néanmoins surpris de voir Mimi se relever sans protester ou poser la moindre question. Daniel lui tendit la main, l’aidant à se lever du lit.
Oui, la confiance qu’elle lui accordait était totale. Surprenante, même. Et lui donna une furieuse envie de mordre dans ses lèvres tentantes, la rallonger sur ce lit pour se repaître de son corps jusqu’à ce qu’elle crie son nom.
Il chassa les images de sa tête. Il devait la garder froide, avoir des pensées réfléchies et non bourrées de scènes érotiques.
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Quand Mimi sortit de la chambre pour rejoindre le salon, elle eut un mouvement de recul face à l’activité qui régnait dans la pièce. Une douzaine d’hommes envahissaient l’espace rendant la scène quasiment irréaliste. Elle reconnut Malik et Antoine, ainsi que Paul. Greg discutait avec trois autres hommes qu’elle n’avait jamais vus. Devant son immobilité, Daniel exerça une légère pression dans le bas de son dos. Comme un signal, Mimi y puisa une force qui l’encouragea à avancer. Les hommes se retournèrent d’un même ensemble vers elle pour la saluer, pour la plupart, d’un hochement de tête, et Mimi sentit sa respiration se couper d’un coup, totalement intimidée.
Le souffle de Daniel dans son cou la rassura, surtout lorsqu’il murmura contre sa nuque :
— Ces hommes sont là pour sécuriser notre départ.
— Je te fais confiance, répliqua-t-elle dans un murmure impressionné, mais où perçait une sincérité qui toucha Daniel.
Même si Mimi ignorait complètement le plan de Daniel, elle lui fut infiniment reconnaissante de prendre sa sécurité si à cœur. Elle se laissa conduire vers le canapé sur lequel Daniel l’obligea à s’asseoir.
— Reste là. On termine puis on part.
Mimi, docile, acquiesça de la tête, ne songeant même pas une seconde à lui demander pour où. Elle regardait ces hommes, qui, elle n’en doutait pas un instant, semblaient entraînés à ce genre de « mission ».
Daniel la rejoignit quelques minutes plus tard et Mimi ancra son regard au sien. La chaude couleur chocolat avait disparu pour un regard plus froid, mais
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surtout déterminé. Il avait complètement abandonné son masque de nonchalance qu’il prenait si souvent plaisir à entretenir, pour revêtir un aspect professionnel qu’elle admirait autant qu’elle craignait. Car dans ces moments, le Daniel qu’elle connaissait, drôle et facétieux, n’existait plus.
— À partir de maintenant, je veux que tu suives mes consignes à la lettre.
Sa voix était posée, mais ferme, dans laquelle toute son autorité transparaissait. Il n’y avait plus de oui, de non ou de peut-être, comprit-elle. Daniel prenait en main sa moindre faculté de penser et d’agir. Et elle réalisa aussi très vite qu’il n’accepterait aucun compromis… que Mimi ne se permettrait de toute façon pas de transgresser. Elle n’était pas seule. Des hommes allaient prendre des risques pour elle et elle acquiesça plusieurs fois de la tête pour montrer à Daniel qu’elle avait parfaitement saisi.
— Verbalise, Mimi, lui ordonna-t-il cependant.
— D’accord, bredouilla -t-elle d’un coup, impressionnée par Daniel et son autoritarisme.
— Bien. On va t’exfiltrer en passant par les sous-sols et prendre les véhicules. Tant que je ne te dis pas de te relever, tu restes couchée sur la banquette.
—OK!
— Tu vas envoyer un message à tes contacts leur annonçant que tu prends quelques semaines de congés et tu seras difficilement joignable. Inclus ton responsable au cabaret, même s’il a déjà ton arrêt de travail entre les mains.
Mimi, un peu groggy, s’exécuta. Sa liste de contacts étant plutôt réduite, ce fut rapide.
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— Maintenant, donne-moi ton portable. Mimi obéit et le tendit à Daniel.
— Tu ne peux pas le prendre, expliqua-t-il en le posant sur une console après l’avoir éteint. Giraud peut le tracer et nous retrouver. Il faut limiter au maximum les interactions avec l’extérieur. Tu pourras utiliser le mien si tu veux joindre Mathilde. Il est sécurisé, ajouta-t-il en voyant Mimi ouvrir la bouche.
Daniel saisit le menton de la jeune femme, l’obligeant à le regarder. Elle avait beau garder un visage impassible, il lui était impossible de dissimuler la panique dans ses jolis yeux. Cette marque de vulnérabilité toucha Daniel. Sa guerrière était courageuse, mais terrifiée. Il pouvait s’enorgueillir de maîtriser la situation, mais il était aussi de son devoir de la rassurer.
— Tout va bien se passer. Je veux juste que tu me fasses confiance.
— C’est le cas, répliqua-t-elle doucement.
Aucune hésitation dans sa réponse. Une phrase dite avec le cœur à laquelle Daniel accorda tout son crédit. Sans qu’il puisse s’en empêcher, il posa ses lèvres sur celles douces et chaudes de Mimi qui immédiatement répondit à son baiser. Un échange tendre dans lequel il lui transmettait une chaleur, une dévotion et une appartenance qui le fit reculer… au plus grand désarroi de Mimi.
Il ne pouvait plus s’égarer de la sorte ! La vie de Mimi était en jeu et sa concentration devait être maximum. Mais voyant l’égarement sur le visage de la
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jeune femme, Daniel passa doucement son pouce sur ses lèvres. Aussitôt, il la vit se détendre et fermer les yeux en un geste de totale reddition et de confiance absolue.
*
Cinq minutes plus tard, les portières de six véhicules, tous parfaitement identiques, carrosserie noire, vitres teintées, claquèrent dans un même ensemble dans les sous-sols de la tour. La résonance se répercuta contre les murs en béton et fit frissonner Mimi. Un écho vite étouffé par le bruit de moteur. Les hommes, Daniel compris, avaient tous revêtu une tenue identique. Pantalon noir, veste noire et casquette. Dans un véhicule en mouvement possédant des vitres fumées, il était quasiment impossible de les reconnaître. Et cela avait été seulement à ce moment que Mimi avait pris conscience, du moins dans les grandes lignes, de la stratégie d’extraction.
Mimi était couchée sur la banquette arrière et osait
peine cligner des yeux. Si jusqu’à maintenant tout lui était apparu trouble, presque inconsistant, ce qu’elle vivait actuellement possédait un goût de concret qui la paralysait. Pendant douze ans elle avait fui un doute, une ombre au point que par moment elle avait eu l’impression qu’elle fuyait une chimère. Mais le souvenir de l’homme, Giraud, menaçant et agressif, l’avait fait tomber dans une réalité bien plus abrupte et dangereuse qu’elle ne l’aurait jamais imaginé.
Le danger était réel. Concret.
Et elle en prenait toute la mesure en cet instant. Elle ferma les yeux et étouffa un sanglot. Aussitôt, la main de Daniel passa entre les sièges avant pour venir
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effleurer ses cheveux. Un geste en apparence anodin, mais qui lui apporta un réconfort qu’elle n’espérait pas. Dans l’instant, elle se détendit.
Daniel sentit que Mimi se relâchait. La tension qu’il avait sentie rien qu’en effleurant ses cheveux lui avait donné une envie furieuse de tuer Giraud. Et plus encore celui qui avait engagé cette ordure.
Il serra les dents. Mimi lui faisait confiance, mais pas entièrement. Car, comme il l’avait deviné avec Greg, ils avaient cherché dans la mauvaise direction.
Charlie Meyer fuyait non pas parce qu’elle craignait pour sa vie, mais pour la personne qu’elle protégeait. Et c’était sur cette personne qu’ils auraient dû concentrer leurs recherches.
Qui protèges-tu, ma belle ?
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Chapitre 29
Daniel se concentra sur sa conduite, mais plus encore sur son environnement. Les voitures s’étaient déjà scindées une fois en groupe de deux quelques centaines de mètres après leur sortie de la tour.
Un premier binôme roulait vers le sud de Paris, un second vers l’ouest et un troisième, le sien vers l’est.
Il regardait fréquemment son rétroviseur, et était maintenant certain que Giraud ne le filait pas. Le contact radio lui apprit que le binôme se dirigeant vers le sud semblait suivi. Entre les trois possibilités, Daniel aurait également choisi le sud pour sortir de Paris et sa région, rejoignant ainsi les autoroutes soit A6, A5 ou encore l’A10 et rouler vers le sud pour mettre un maximum de distance entre paris et eux en un minimum de temps. En théorie.
Daniel sortit du périphérique et après plusieurs kilomètres s’engagea dans une rampe menant à un parking souterrain. Il avait délibérément choisi ce parking qui offrait plusieurs sorties. Il entrait par la sud et sortirait par l’est, lui laissant dans l’hypothèse où Giraud les avait suivis, de quitter le parking et gagner de précieuses minutes.
Il manœuvra le véhicule avec une dextérité et une fluidité prouvant son habitude à ce genre d’exercice, puis stoppa le moteur. Aussitôt, il sortit de la voiture
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pour ouvrir la portière arrière. Il eut un pincement au cœur lorsqu’il vit Mimi sursauter avant de se recroqueviller un peu plus sur la banquette. Immédiatement, un sentiment de protection l’envahit et le besoin de prendre soin de Mimi le saisit aux tripes avec une force qui le fit gronder. Il se ressaisit. Elle était assez terrifiée comme cela et il était inutile qu’il rajoute à son état de stress son incapacité à gérer ses propres émotions. Aussi se pencha-t-il lentement, et caressa l’épaule de la jeune femme.
— Mimi, il faut sortir, interpella-t-il doucement, mais fermement tout en lui tendant la main.
Qu’elle agrippa comme on s’accrochait à une bouée. Il surprit son regard inquiet quand elle émergea de la voiture pour scruter les alentours.
— Tout va bien, la rassura-t-il. On change simplement de véhicule.
— D’accord.
La fêlure et l’incertitude dans la voix de Mimi firent monter la colère en lui. Il détestait la voir ainsi. Fragile, vulnérable. Il se retint d’encadrer le doux visage de la jeune femme. S’il la touchait, il savait que sa concentration foutrait le camp et il ne pouvait pas se permettre de baisser sa garde. Giraud était peut-être à l’opposé de leur position actuelle, mais il ne pouvait en aucun cas prendre le moindre risque.
Malik, qui les avait accompagnés, tendit à Daniel une clé de voiture. Daniel appuya sur la télécommande et déclencha le déverrouillage d’un véhicule garé juste à côté. Il ouvrit la portière arrière, et Mimi grimpa pour se coucher aussitôt sur la
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banquette, avant que Daniel ne la referme. Elle entendit les deux hommes parler sans comprendre leur propos, les devinant seulement.
Quand la portière conducteur s’ouvrit et que le véhicule tangua légèrement sous le poids de Daniel, Mimi sentit un soulagement vif l’envahir. Puis, l’odeur maintenant familière de Daniel la rattrapa. Alors seulement, elle s’autorisa à respirer pour la première fois depuis qu’ils avaient quitté l’appartement de Daniel. Avec lui, elle se sentait en sécurité. Libre. Apaisée.
Quand ils furent suffisamment éloignés de la région parisienne, Daniel s’arrêta dans un petit village et se gara. Mimi put enfin quitter la banquette arrière pour prendre place à ses côtés. Aussitôt, il remit le moteur en marche et emprunter les routes départementales.
Mimi avait beau se concentrer sur les panneaux, elle ne connaissait absolument pas les villages qu’ils traversaient et n’aurait su dire dans quel département elle se trouvait.
Ce qu’elle pouvait certifier, par contre, était que Daniel semblait se détendre à mesure que la voiture avalait les kilomètres. Prise d’une impulsion, elle se souleva au-dessus de l’accoudoir central pour poser un baiser léger sur la joue de Daniel. Elle apprécia le chaume qui griffa ses lèvres, la chaleur de sa peau, son odeur qui la réconfortait.
— Merci, murmura-t-elle.
Elle vit Daniel esquisser un sourire discret, et ce simple mouvement fut pour elle une victoire. Minime, mais une victoire tout de même. À part le baiser léger qu’il avait posé sur ses lèvres avant de quitter
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l’appartement, cette ébauche de sourire était la seule marque de tendresse qu’il lui avait accordée depuis plusieurs jours. Il était attentionné avec elle, certes, mais tellement distant que Mimi ignorait si elle pourrait combler ce vide qui les séparait. Daniel la protégeait, mais la rejetait. Et ne pas connaître la cause de ce rejet la blessait et était particulièrement douloureux. Même si elle le remerciait sincèrement des risques et des efforts qu’il venait de prendre pour qu’elle échappe à Giraud.
Le silence dans l’habitacle s’intensifia. C’était comme si à chaque kilomètre parcouru l’air de la voiture devenait plus dense. Plus difficile à percer.
— Où va-t-on ? demanda-t-elle avec hésitation.
— Italie.
Mimi inspira longuement. Ne pas se laisser atteindre par la réponse laconique de Daniel. Aussi reprit-elle avec l’espoir de briser la glace.
— Où exactement ?
— Toscane.
OK ! Les chances d’avoir une conversation avec Daniel approchaient du zéro absolu. Il semblait aussi inaccessible que la face nord de l’Everest. Mimi s’obstina néanmoins.
— Où sommes-nous actuellement ?
— Dans la Marne.
— Ouah ! Trois mots d’affilé. On progresse, marmonna-t-elle.
Elle vit distinctement les jointures des doigts de
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Daniel blanchir lorsqu’il serra le volant. Mimi se tourna vers Daniel et son profil aussi sombre que figé.
— Je ne suis peut-être pas douée en géographie, mais je sais que ce n’est pas franchement le chemin le plus court pour se rendre en Italie. Pourquoi ne pas rattraper l’autoroute ?
— Pour brouiller les pistes, grogna Daniel.
— Et ? insista Mimi.
— Et l’autoroute laisse des traces. N’importe qui peut nous suivre à la trace entre les péages et les caméras de surveillance, s’impatienta Daniel.
Mimi recula sur son siège, décontenancée par l’attitude de Daniel. OK. Elle comprenait ses explications. Elle se trouvait même un peu bête de ne pas y avoir songé. Mais l’impatience de Daniel, sa distance, devenait de plus en plus insupportable et Mimi sentit son sang chauffer.
— Ce n’est pas une raison pour te comporter comme un con, s’énerva-t-elle.
Daniel mit son clignotant et s’arrêta brusquement sur le bas -côté. Surprise, Mimi dut s’accrocher au tableau de bord pour ne pas s’encastrer dedans. Elle tourna la tête vers Daniel prête à l’invectiver, mais ses mots restèrent bloqués dans sa gorge quand elle vit le visage froid et crispé de Daniel.
— Je me fous complètement de la façon dont tu perçois mon « comportement ». Mon but est de te sauver la vie, alors si pour cela je dois te bâillonner et t’enfermer dans le coffre, crois-moi, je le ferais sans aucune hésitation.
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Et à la détermination qu’elle lut sur son visage, Mimi le crut sans problème. Mais c’était sans compter sur son côté rebelle.
Mimi se retourna et attrapa son sac. Elle regarda Daniel une dernière fois, espérant qu’il revienne à de meilleurs sentiments. Mais l’œil noir qu’il lui lança lui ôta tout espoir. D’un geste déterminé elle détacha sa ceinture et ouvrit la portière. Avec des mouvements vifs et précis, Daniel se pencha pour refermer la portière, lui attrapa le poignet et plaqua Mimi contre son siège, sa main crochetée à sa mâchoire, exerçant une pression ferme, mais sans être douloureuse. Cette fois son regard n’était pas noir, mais presque meurtrier et Mimi eut un geste de recul si tant est que cela fût possible. Elle savait que Daniel ne lui ferait jamais de mal, mais elle réalisa avec un temps de retard qu’elle venait de réveiller le côté le plus sombre et dangereux de Daniel. Ce qu’elle avait vu jusqu’à aujourd’hui n’était en rien comparable à l’état de rage que Daniel semblait pour le moment maîtriser.
— À quoi joues-tu, Mimi ? demanda-t-il d’une voix sombre.
Presque un grognement qui tétanisa Mimi.
— À ton avis ? Le défia-t-elle avec une assurance qu’elle ne ressentait absolument pas.
Mimi put voir les tendons de son cou se contracter et la prise autour de son poignet et de sa mâchoire se resserrer. Il ne lui faisait pas mal, mais ainsi il lui montrait qu’elle n’était pas en position de force.
— Deux jours.
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Mimi cilla sans saisir où il voulait en venir.
— Si tu quittes cette voiture. Je te laisse deux jours avant que Giraud ne te retrouve et te tranche la gorge. Les lames sont ses armes de prédilection, ajouta-t-il avec une affectation calculée.
L’analyse froide de Daniel la paralysa. Mais ce qui fit le plus peur à Mimi était le sérieux et la conviction de ses propos. Daniel perçut immédiatement la détresse de Mimi. Mais pas question de la rassurer. Sa vie était en danger et elle n’en avait encore aucunement conscience. Et vu la terreur qu’il put lire dans ses yeux, il semblerait enfin que ses mots commençaient à se frayer un chemin dans sa jolie petite caboche.
— Tu vas m’écouter attentivement.
Daniel n’avait pas élevé la voix, n’avait pas menacé Mimi, mais le simple timbre aussi calme et posé que sombre alluma toutes les alarmes de Mimi.
— Giraud a été recruté via le Darknet. C’est un tueur à gages qui jusqu’à aujourd’hui détient le triste score de 100 % de réussite. Tu saisis ?
Mimi hocha la tête, simplement car les mots refusaient de franchir la barrière de ses lèvres. Elle réalisait de façon assez brutale que ses états d’âme étaient la dernière chose dont Daniel voulait s’occuper et reçut comme un coup en plein plexus qu’il s’était investi pour mission de lui sauver la vie. Aux dépens de la sienne. Cette révélation lui coupa momentanément la respiration. Elle plongea ses yeux dans ceux devenus presque noirs de Daniel. Fini la
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caresse du chocolat, elle avait devant elle la version terrifiante de Daniel.
— Alors, tes problèmes d’ego, de fierté et de midinette, je m’en fous royalement. Maintenant, tu vas te rasseoir correctement dans ce putain de siège, attacher ta ceinture et me laisser faire. Compris ?
Mimi hocha la tête et sursauta quand Daniel aboya :
— Verbalise !
— Oui, acquiesça-t-elle d’une voix tremblante.
Daniel l’épingla du regard quelques secondes supplémentaires avant de se redresser lentement, remettre le moteur en marche et s’insérer sur la route avec une application qui aurait pu être presque risible tant elle dénotait avec la fureur qui circulait dans ses veines.
Presque.
Daniel s’invectiva et se morigéna. Mimi l’avait plus qu’agacé. Il aurait avec plaisir serré ses doigts autour de son joli cou. Ou non. Il l’aurait volontiers assommée et ficelée pour qu’elle se tienne tranquille et ne le provoque pas. Mais elle était allée trop loin. Et il avait dû lui assener la vérité, qu’elle connaissait pourtant, avec la force et la délicatesse d’un bulldozer. Giraud était un tueur. Elle était la cible et le restera tant qu’un souffle de vie passerait la barrière de ses jolies lèvres. Et elle avait enfin compris que sa vie était en sursis. De façon brutale, mais le message était en définitive passé et surtout compris et pris au sérieux.
Daniel s’en voulait, car, en agissant ainsi, il avait amplifié la terreur de Mimi. Mais si c’était la seule
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façon de la tenir en vie, il ne regretterait jamais. Il pouvait seulement dire adieu à l’interrogatoire qu’il voulait effectuer. Il désirait mettre à profit le long trajet jusqu’en Italie pour interroger Mimi et savoir qui elle protégeait ainsi.
Mais maintenant, il était certain que s’il lui posait des questions, au pire elle se terrerait dans le silence, au mieux elle lui dirait d’aller se faire foutre. Et probablement de façon moins élégante. Daniel grimaça.
Bon sang !
Faire parler cette femme s’apparentait à un exercice d’équilibriste sans aucun filet de secours. Et comme il était certain de ne pas pouvoir lui extorquer le moindre mot, il ferait parler ses secrets en utilisant d’autres méthodes.
Greg était sur une piste qui lui semblait à lui aussi prometteuse.
Ils avaient pour le moment un peu d’avance sur Giraud, mais celle-ci s’amenuiserait au fur et à mesure que les jours passeraient. Alors il espérait sincèrement que les recherches de Greg aboutiraient bientôt.
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Chapitre 30
Le soir, après que Daniel lui ait ordonné de passer un foulard ainsi que des lunettes de soleil, à la mode des années cinquante, pour dissimuler sa joue encore marquée par son agression, ils firent une halte dans un petit hôtel de campagne en se faisant passer pour un couple en vacances.
Ce qui aurait pu être idyllique. Le cadre était charmant, les propriétaires adorables… mais Daniel aussi froid qu’un bloc de glace dès qu’ils se retrouvèrent seuls dans la chambre. Au grand désespoir de Mimi, qui ne pouvait qu’assister, impuissante, au déclin de leur relation. Si elle pouvait appeler ainsi l’embryon de rapprochement qu’ils avaient vécu.
Même si cela ne faisait que quelques jours, elle avait cette impression que le temps s’était distordu et que cela faisait des semaines qu’elle n’avait plus ri, profité des mots tendres et souvent délicieusement indécents ainsi que des caresses de Daniel.
Elle avait face à elle la version robotisée d’un Dieu vivant qui inspectait, probablement par habitude, ce qui leur servirait de « nid douillet » pour la nuit.
Et la dureté de Daniel lui faisait mal. Physiquement mal. La douleur lui enserrait la poitrine et Mimi devait faire un effort pour respirer correctement, s’efforçant de cacher son état de détresse à Daniel. Il lui avait
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pris trop de choses. Son cœur en l’occurrence. Pas question de lui laisser sa dignité en versant des larmes, qui, elle en était certaine, ne l’atteindraient même pas.
Pendant que Mimi était sous la douche, il commanda au gérant un plateau-repas, indiquant que sa « femme » était épuisée par le voyage. Il avait ensuite fait le point avec Greg via leur ligne sécurisée, puis avait attendu que la jeune femme sorte de la salle de bain pour dîner. Le repas s’était déroulé dans une ambiance tendue et Mimi avait à peine avalé trois bouchées. La tension sur son joli visage accentuait les cernes sombres sous ses yeux et la pâleur de sa peau. Ce qui avait agacé Daniel. Non contre elle, mais contre lui.
— Va te coucher, lui ordonna-t-il.
Il grimaça en entendant l’âpreté de sa voix, mais étrangement, Mimi s’exécuta. Il aurait de loin préféré qu’elle lui renvoie son humeur de dogue plutôt que ce silence résigné et cette douleur qui obscurcissait ses sublimes yeux ambre. Un état qui mit les nerfs de Daniel un peu plus à rude épreuve.
Installé dans un confortable fauteuil, Daniel observait la jeune femme couchée dans le lit, repliée sur elle et lui tournant le dos. Au mouvement qui soulevait les draps, il savait qu’elle ne dormait pas. Il aurait donné tout ce qu’il possédait pour la rejoindre dans ce lit, la prendre dans ses bras et lui murmurer que tout se passerait bien.
Même s’il savait que ce n’était pas les mots que Mimi attendrait. Elle voulait qu’il s’ouvre à elle, qu’il lui parle et exorcise ses démons. Mais il s’en sentait
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incapable. Non par pudeur, mais par peur de la perdre s’il lui avouait que Lizzie était morte par sa faute. Comment pourrait-elle lui faire confiance, lui remettre sa propre vie si elle détenait cette information ? Lui-même se faisait à peine confiance et il devait faire un effort considérable, prendre sur lui pour se maintenir
niveau et rester professionnel dès que Mimi se trouvait dans un périmètre proche.
Peu à peu, la respiration de la jeune femme se modifia et Daniel sut précisément à quel moment elle s’endormit. Il en profita pour caler son propre sommeil à celui de Mimi. Ses années dans l’armée lui avaient appris à utiliser la moindre minute de répit pour récupérer. Dormir quand c’était possible et tirer parti de ces micro-moments de sommeil. Il avait une conscience aiguë de son entourage. Analysant le moindre bruit, le plus petite modification dans la respiration de Mimi. Son état de tension le laissant toujours en semi éveil.
Le soleil n’était pas encore levé que Daniel était douché et habillé. Il avait accordé à Mimi quelques minutes de sommeil supplémentaire, mais il était maintenant temps de quitter l’hôtel pour reprendre la route avant le réveil des tenanciers et des premiers clients.
L’après -midi touchait à sa fin. En cours de route, ils s’étaient arrêtés dans un supermarché, achetant des vêtements pour Mimi et quelques produits de base. Daniel était exempté de cette tâche, un sac de ses vêtements toujours prêts dans un des coffres de leurs véhicules pour parer à n’importe quelle mission.
Plus ils avalaient les kilomètres, plus le ciel se dégageait. Un ciel d’un bleu pur. Bien qu’en octobre, il régnait dans le nord de l’Italie une douce chaleur qui
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parvenait à réchauffer légèrement Mimi. Mais le froid qui régnait dans son corps n’avait rien à voir avec le climat.
Le trajet s’était déroulé dans un silence pesant, l’habitacle empli de non-dits, de colère et de vérité refoulée. Mimi avait passé son temps à réfléchir sur l’attitude despotique et froide de Daniel, et une petite lueur d’espoir s’était échappée de ses réflexions.
Daniel était obsédé par sa sécurité. Et cette obsession prenait sa source dans son passé. Plus précisément à ce qui était arrivé à Lizzie. Mimi s’était longuement demandé s’il se reprochait sa mort. Et la conclusion à laquelle elle était parvenue ne pouvait être plus criante.
Évidemment qu’il se sentait coupable !
C’était dans la nature de Daniel de prendre soin des autres, d’elle en particulier, même si sa façon de faire laissait à désirer. Mais ces dernières semaines avaient prouvé à Mimi que Daniel possédait une grandeur d’âme et une générosité sans nom. Quitte à être d’une froideur blessante avec elle et particulièrement dure dans ses propos.
Tout cela, comprit Mimi, pour ne pas répéter l’histoire.
Seigneur !
L’évidence frappa la jeune femme, la laissant étourdie au moment même où Daniel stoppa le véhicule devant une propriété à faire pâlir un prince. Daniel se montrait froid, car il avait peur pour elle. Et cette peur le paralysait. Aussi, réalisa Mimi, il prenait délibérément ses distances pour ne pas, ou plus, s’impliquer dans sa relation avec elle.
Sauf qu’il était trop tard. Si Daniel ne voulait pas
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ouvrir les yeux, elle se devait de le faire.
Mimi sursauta quand il lui ouvrit la portière. Elle resta quelques secondes à observer cette silhouette massive, ces traits d’une arrogante beauté, mais figés, au point qu’un muscle tressautait sur sa mâchoire.
Que Mimi rêvait de caresser.
De sentir sous ses doigts la rugosité de sa barbe naissante, de les passer dans la douceur de ses épais cheveux bruns. Mais surtout de voir dans ses yeux si tendres, cette lueur bienveillante et chaleureuse qui lui faisait battre le cœur si vite.
Qu’elle aimait cet homme ! Une autre évidence qui la figea et la fit ciller, la laissant quelques secondes hébétée. L’attitude impatiente et la main tendue de Daniel la sortirent de sa léthargie. Il l’aida à s’extraire de la voiture et Mimi le suivit comme un automate, complètement insensible à la beauté des lieux.
Ils furent accueillis par une femme d’une cinquantaine d’années, souriante et au visage avenant qui se présenta sous le prénom d’Antonella. Mimi la trouva d’emblée sympathique et apprécia la chaleur que dégageait cette femme contrairement au froid polaire que Daniel lui distribuait depuis plusieurs jours.
Visiblement, il n’en était pas à sa première visite dans les lieux. Antonella se montra chaleureuse avec Mimi, et d’une touchante familiarité avec Daniel. Elle le prit dans ses bras, telle une madone. Ses yeux brillants indiquèrent à Mimi qu’elle était non seulement heureuse de revoir Daniel, mais qu’elle le considérait comme un membre de sa famille. Mimi sentit ce petit quelque chose qui flétrissait son cœur et le racornissait. La sensation douloureuse de ne pas appartenir elle aussi à une famille, et le constat
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douloureux qu’elle était au final totalement seule. Elle se força à plaquer un sourire sur son visage quand Antonnella lui adressa la parole dans un français parfait et cet accent italien si chantant.
— Si vous désirez manger quelque chose, un en-cas vous attend dans la cuisine.
— Merci, c’est très aimable à vous.
— Merci Antonnella, ajouta Daniel.
Il se tourna vers Mimi, un sourcil levé et interrogateur. Elle secoua la tête. Son estomac était bien trop noué pour avaler quoi que ce soit,
Daniel porta son attention vers Antonnella et tous deux se lancèrent dans une discussion en italien qu’il était impossible pour Mimi de comprendre. Le débit était tellement rapide qu’elle en avait le tournis. Mais vu le sourire qui ourlait les lèvres d’Antonnella et de Daniel, elle ne pouvait qu’imaginer qu’ils échangeaient plus que des banalités.
Ils traversèrent un hall spacieux où une fraîcheur bienvenue les accueillit. Daniel devait connaître les lieux, car il se dirigeait dans la maison comme s’il se trouvait en terrain conquis. Ils passèrent dans un salon magnifiquement meublé, puis s’arrêtèrent devant la cuisine. Mimi jeta un regard circulaire rapide. Elle retint un camaïeu de couleur ocre chaleureuse, une longue table en bois claire et des ustensiles de cuisine dernier cri. Son esprit analysa que le tout se mariait étonnamment bien, même si elle était incapable de décrire correctement la pièce tant son attention était portée sur cet homme sombre qui occupait toutes ses pensées.
Et si Daniel perçut son trouble, il l’ignora
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totalement. Ce qui serra un peu plus le cœur de Mimi. Toujours dans un silence oppressant, ils traversèrent un corridor pour rejoindre l’escalier principal menant à l’étage qui abritait la partie nuit.
Mimi grimpait derrière Daniel et distingua sans mal la raideur de sa démarche, la tension qui habitait ses épaules. Et cet état de fait devenait de plus en plus insupportable et faisait souffrir Mimi plus qu’elle ne voulait se l’avouer. L’hostilité de Daniel la blessait. Meurtrissait son cœur au point que son corps en souffrait également. Daniel s’arrêta devant une porte en chêne et l’ouvrit avant d’y pénétrer, suivi par la jeune femme.
— Ta chambre, énonça-t-il d’une voix neutre.
Mimi lui lança un regard désespéré que Daniel ignora. Elle sentit comme une pression appuyer contre sa poitrine. Elle n’en pouvait plus de son indifférence. Comme si ce qu’ils avaient vécu ces dernières semaines n’avait même pas existé. Et cette constatation était pire que tout.
Elle se tourna vers Daniel, accrochant son regard. Ses yeux avaient perdu cette chaleur qu’elle aimait tant, et elle aurait donné sa vie s’il le fallait pour la revoir au moins une fois.
— Parle-moi, supplia-t-elle dans un murmure.
Daniel se figea. Par le ton meurtri de la jeune femme. Par ses grands yeux remplis d’interrogations, de douleur. Des larmes à peine retenues ternissant ses jolis yeux.
— S’il te plaît, ajouta-t-elle d’une petite voix.
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Daniel ne pouvait ignorer sa supplique. Il savait qu’elle désirait parler de son passé. De Lizzie. Mais il ne s’en sentait pas capable. Pas comme ça, alors qu’il lui battait froid depuis plusieurs jours. Elle ne comprendrait pas pourquoi il la rejetait. Il sentit cette lame de culpabilité lui transpercer la conscience en même temps qu’il avançait cette assertion. Comment le pourrait-elle s’il ne lui laissait pas une chance de comprendre ? Toute cette contradiction lui mettait les nerfs à fleur de peau, exacerbant une colère latente et que la question de Mimi venait de faire ressurgir.
Il s’avança vers Mimi, les mâchoires crispées, la faisant reculer contre le mur du couloir. Ses yeux s’écarquillèrent et Daniel put aisément y lire une forme de peur. Sentiment qu’il détestait faire naître chez Mimi. Mais elle le poussait à bout avec ses provocations, ses grands yeux interrogateurs, ses incertitudes et la douleur inscrite sur son visage d’ange.
Le dos collé contre le mur, Mimi ne put que relever les yeux vers Daniel. Elle tressaillit quand il approcha son visage du sien. Toute sa physionomie s’était transformée en un masque de douleur, de rage et d’une forme de culpabilité qui toucha Mimi au plus profond d’elle.
— Pourquoi es-tu si en colère après moi ?
peine eut-elle prononcé ces mots qu’elle les regretta. Les traits de Daniel se figèrent un peu plus, si cela était possible.
— Pourquoi ? répéta-t-il les mâchoires serrées. Tu me demandes pourquoi ?
Une question purement rhétorique qui paralysa
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Mimi. Elle trouva néanmoins le courage de hocher la tête.
— Tu t’es mise en danger, articula-t-il avec difficulté.
Mimi comprit immédiatement qu’il faisait référence
sa désastreuse rencontre avec Giraud lorsqu’elle s’était enfuie.
— Il ne m’est rien arrivé, répondit-elle dans une tentative de désamorcer la colère de Daniel.
Là encore, ce n’était pas la bonne phrase à dire quand elle vit la fureur traverser le doux regard de Daniel pour devenir glacial.
— Tu aurais pu mourir ! tempêta-t-il, toujours penché sur elle.
Un courant froid qui lui donna la force de redresser les épaules. Elle aimait Daniel. À en mourir. Une prise de conscience récente, mais qui en aucun cas ne l’autorisait à décider de sa vie. Fût- elle en sursis. Et la colère de Daniel n’eut à cet instant plus rien d’anodin, réalisa-t-elle.
— Et je ne suis pas Lizzie ! répliqua Mimi avec force. Je ne suis pas morte. Je suis vivante, Daniel !
ses mots, Daniel se recula comme s’il venait de prendre un coup. Ce que les paroles de Mimi avaient sans aucun doute fait.
— Ne mêle pas Lizzie à ça. Elle n’a rien à voir dans cette histoire, articula-t-il d’une voix blanche.
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— Au contraire ! rétorqua Mimi qui sentait toute la colère des derniers jours remonter en une boule d’énergie destructrice. Elle a tout à voir.
Daniel avait pâli. Une réaction bien plus révélatrice que des mots. Mimi avait mis exactement le doigt là où se situait le problème. Le blocage pour être plus précise.
— Tu me rejettes et tu t’empêches toute forme d’attachement par peur de voir la personne aimée mourir.
Daniel serra les dents.
Bon sang !
Cette fille était beaucoup trop perspicace pour son propre salut.
Mimi vit quelque chose se modifier chez Daniel. À peine perceptible, une émotion fugace traversa ses traits tendus qui lui donna la force de poursuivre. Elle n’avait plus rien à perdre, sauf la reddition de Daniel. Si elle ne tentait rien, elle s’en voudrait toute sa vie.
— Je t’aime, Daniel. Je suis tombée amoureuse de toi et je viens de comprendre seulement maintenant comme l’idiote que je suis que je prends plus de risque à te l’avouer qu’à fuir ce fou de Giraud. Je t’en pris, laisse-moi t’approcher. Laisse-moi une chance de t’aimer.
Mimi retint son souffle, le cœur battant beaucoup trop vite. Elle observa avec appréhension le beau visage de Daniel, statufié. Soit il acceptait ses mots, soit il les rejetait, comme il le faisait avec elle. Avec ce
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qu’ils pourraient vivre si elle parvenait à percer ses défenses. Tout dépendrait de lui. Soit il leur donnait une chance. Soit il se renfermait et restait imperméable à toute forme de sentiments. Elle venait de déposer son cœur entre ses mains. Il avait le pouvoir de le chérir. Ou de le broyer.
Avec une stupeur mêlée de douleur, elle regarda Daniel se diriger vers sa porte, sans un mot ni un regard. Avant qu’il ne franchisse le seuil, Mimi reprit, le désespoir transparaissant dans chaque mot :
— Contrairement à toi, je prends le risque de vivre. Tu t’es enfermé dans ton passé, Daniel. Tu crois que c’est plus facile d’aimer un fantôme qu’un être vivant. Cela te donne le faux sentiment de ne prendre aucun risque. Je ne vais pas me battre pour gagner quelque chose que je suis sûre de ne jamais obtenir.
Elle vit ses épaules tressaillir, et l’espace de quelques secondes, elle eut l’espoir ridicule qu’il allait se retourner. Il saisit la poignée et commença à refermer, laissant la jeune femme seule et complètement anéantie dans la chambre.
— Tu n’es qu’un lâche, Daniel.
Il n’y avait ni accusation ni colère dans la voix de Mimi. Et c’était peut-être cela qui toucha le plus Daniel. Il interrompit son geste… avant de le reprendre et de refermer la porte sur Mimi.
*
Mimi ne parvint pas à détacher ses yeux de la porte close, le cœur douloureusement meurtri, réussissant tout juste à faire entrer l’air dans ses poumons. Elle
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lui avait avoué ses sentiments et il les avait rejetés. Sans un mot. Sans même un regard.
Le peu d’énergie lui restant quitta son corps. Elle eut juste la présence d’esprit de s’avancer vers le lit avant de s’écrouler. Le silence de Daniel était pire que les mots qu’il n’avait pas prononcés. Elle aurait accepté quelques phrases bien senties plutôt que ce silence qu’elle ressentait comme un coup puissant en plein cœur, dont la douleur irradia sa poitrine pour se répandre comme un poison à l’ensemble de son corps, l’empêchant de respirer.
Une douleur qui la saisit.
Qui réduisait ses sentiments à quelque chose d’insignifiant qu’il avait piétiné sans aucun état d’âme.
Elle se sentait vide de toute substance. Une situation étrange. Elle avait l’impression désagréable de flotter, d’être dissociée de son corps. Elle se sentait engourdie, privée de toute envie, de vie. Perdue dans une pièce immense. Démesurée. Vide. Démesurément immense, démesurément vide. Vide d’envies, vide de désirs, vide de curiosités, vide de fantaisies, vide de sens. Uniquement, emplie de douleur. Une douleur qui la submergea, noyant son cœur et son corps, les ballottant au gré de ses larmes qui avaient coulé sans qu’elle s’en aperçoive.
Mimi posa son poing contre sa bouche pour étouffer le bruit de ses sanglots. Et à cet instant, elle regretta que Giraud n’ait pas accompli la mission pour laquelle il avait visiblement été engagé.
Mourir.
Mourir pour oublier.
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Chapitre 31
Un lion en cage.
Voilà à quoi il ressemblait !
Daniel retira rageusement son blouson de cuir qu’il lança sur un fauteuil. Il jeta un regard agacé sur son environnement. Beau, indéniablement raffiné, terriblement vide. Une chambre qui se trouvait la plus éloignée de celle de Mimi.
Il revint sur ses pas, ouvrit la fenêtre. Une brise tiède et bienvenue vint lui frapper le visage ainsi qu’une odeur douce de chèvrefeuille. Daniel passa une main lasse sur son visage.
Les deux jours avaient été difficiles psychologiquement. Entre s’assurer que Giraud ne les suivait pas, rester en contact avec Greg qui avait perdu sa trace de ce fou furieux, et la présence de Mimi dans le minuscule habitacle de la voiture, les nerfs de Daniel avaient été mis à rude épreuve.
Et là, la jeune femme venait de lui donner l’estocade finale.
Mimi avait fissuré son armure. Elle avait trouvé sa faille et s’était insinuée à l’intérieur. Elle s’y était glissée avec une telle subtilité qu’il ne l’avait même pas vue faire. Et pourtant, avec ses mots, elle venait de remplir les vides qu’il s’efforçait de colmater de toute invasion de sentiments susceptibles de l’affaiblir.
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L’amour.
Nom de Dieu !
Comment pouvait- elle le lui balancer en pleine face et penser un instant à leur réciprocité. Il l’appréciait, oui. Adorait parler avec elle, riait de son humour, de son intrépidité, son côté audacieux, admirait sa sensibilité qu’elle s’efforçait de cacher derrière ses éternels sourires. Et pourtant, Dieu, et lui aussi savaient à quel point ils dissimulaient une souffrance qu’elle gardait en elle depuis des années.
Néanmoins, cela ne la ternissait pas. Elle restait cette femme solaire, lumineuse pour qui il avait envie de déposer le monde à ses pieds.
Mais l’aimer ?
Daniel s’en sentait incapable. À cette pensée, il éprouva de nouveau cette gêne dans la poitrine. Il la repoussa comme il repoussait le sentiment qui en était
l’origine. Pourtant, il sentait ce poids dans sa poitrine s’installer. Pour comprendre quand il se dirigea vers la salle de bain que ce foutu poids ne venait pas de s’installer, mais qu’il était là, bien présent dans son corps et sa conscience depuis un petit moment. Et que ses propres mensonges, son déni, le réveillait, jusqu’à lui brûler les entrailles.
Daniel ouvrit les robinets de la douche et enleva ses vêtements avec rage. Il se glissa sous le jet brûlant. Aimer Mimi signifiait prendre un risque. Un risque qu’il était incapable d’assumer. Car la seule femme qu’il ait jamais aimée dans sa vie était morte par sa faute. Lizzie lui avait fait confiance, et il l’avait bafouée.
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L’éventualité d’éprouver de nouveaux sentiments amoureux lui filait la nausée. Alors il avait enchaîné les conquêtes. Il était plus facile de se perdre dans le sexe avec une multitude de femmes que de s’attacher à une seule.
Et son amazone avait débarqué dans sa vie et y avait foutu un bordel monstre.
Le cadeau que venait de lui offrir Mimi était trop précieux, trop pur pour qu’il le salisse. Daniel plaqua sa main contre son cœur qui s’emballait et battait la chamade. Cette lourdeur dans sa poitrine prenait de plus en plus de place.
Il s’obligea à respirer lentement. Profondément.
Et si ? Et s’ils se laissaient une chance. Avec Mimi, Daniel se sentait étrangement plus libre, comme si les griffes de la culpabilité se relâchaient et lui permettaient de respirer plus facilement. Mimi, avec son sourire, sa sincérité quand elle lui faisait l’amour, lui donnait ce vertigineux sentiment d’avoir de nouveau le droit d’aimer. Et comme un con il avait préféré rejeter en bloc tout ce que la jeune femme lui faisait ressentir parce que, comme elle lui avait si bien balancé en pleine tronche, il n’était qu’un lâche. Et elle, sa guerrière n’avait pas hésité un instant à se mettre totalement à nu devant lui.
— Nom de Dieu ! marmonna-t-il.
L’eau ruisselait sur son corps en même temps que les émotions l’enveloppaient. Des sentiments qui réchauffèrent son être et son cœur. Des sentiments, qui, en les acceptant, repoussaient ce putain de poids qui lui comprimait la poitrine.
Il en aurait ri. Ou pleuré quand il se rendit compte au bout d’une dizaine de minutes sous le jet de la douche que ses sentiments semblaient maintenant
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complètement en phase avec lui-même, lui apportant ce sentiment de justesse après lequel il courrait sans jamais en avoir réellement conscience.
Il s’était persuadé que plus jamais il ne consentirait
se sentir responsable de la sécurité affective d’une femme, de Mimi en particulier. Jusqu’à ce qu’il ouvre enfin les yeux. Il lui avait fallu plus d’une année pour comprendre, accepter plutôt, que Mimi était différente. Et qu’il était temps qu’il se comporte et agisse comme un homme.
Mimi releva la tête en entendant frapper contre sa porte. Son cœur manqua un battement, mais elle se reprit aussitôt. Les probabilités que ce soit Daniel étaient si minces qu’elle en aurait pleuré de dépit. Elle trouva effectivement Antonnella derrière le panneau de bois qui souhaitait s’assurer qu’elle ne manquait de rien avant de rentrer chez elle pour retrouver son mari.
Mimi la remercia chaleureusement avant de la regarder s’éloigner avec envie. Au moins avait- elle une personne à rejoindre, contrairement au désert qui peuplait la vie de Mimi. Une vie remplie de vide pour le moment. Elle se rassit dans le fauteuil dans lequel elle s’était réfugiée après la douche et eut à peine le temps de s’y réinstaller qu’Antonnella frappa de nouveau.
— Entrez.
Mimi ne put s’empêcher de sourire. Elle connaissait
peine cette femme, mais la bonté qui s’affichait sur son joli visage légèrement marqué par les prémices de la cinquantaine avait quelque chose de reposant. Elle s’était sentie immédiatement à l’aise, même si Daniel n’avait fait les présentations qu’en coup de vent, visiblement pressé de se débarrasser de la présence de Mimi en l’expédiant dans sa chambre.
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Aussi se statufia-t-elle lorsque la large carrure de Daniel se profila dans l’embrasure de la porte. Il marqua un temps d’arrêt avant de franchir le seuil pour refermer derrière lui. Mimi se figea un peu plus quand sa grande silhouette se rapprocha d’elle. Une démarche qu’elle ne put s’empêcher d’admirer. Fluide, qui se déplaçait avec une assurance frisant l’arrogance, mais qu’elle adorait plus que tout. Il avait dû enfiler à la hâte ses vêtements après la douche, car son t-shirt était humide et collait à son large torse, épousant de façon indécente la beauté et la force de ce corps qui ne lui appartenait plus. Qui ne lui avait jamais appartenu, rectifia-t-elle en grimaçant.
Daniel s’arrêta devant Mimi. Elle semblait minuscule dans cet immense fauteuil. Il pouvait lire de la méfiance sur son visage et ne pouvait le lui reprocher. Il soupira tout en mettant les mains dans ses poches, le menton baissé.
Bon sang !
Tout se mélangeait dans sa tête. Ses pensées semblaient s’être prises dans un alambic impossible à démêler alors que la finalité de ce qu’il voulait dire à Mimi était si simple.
Il était fou d’elle. Et cette folie le terrifiait plus que tout.
— Daniel ?
La voix de Mimi était incertaine. Son silence et son immobilisme avaient eu raison de la méfiance de sa jolie rouquine. L’inquiétude perçait dans son interrogation. Quand il releva les yeux, il s’aperçut
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qu’elle s’était redressée, visiblement en alerte.
— Est-ce que tout va bien ? demanda-t-elle, les sourcils froncés. Des nouvelles inquiétantes depuis Paris ?
— Non, la rassura-t-il en soupirant. Rien de nouveau.
Daniel n’ajouta rien. Il resta comme prostré, les yeux braqués sur le visage de Mimi. Elle sentit tout son corps se contracter face à l’attitude incompréhensible de Daniel. Il semblait totalement ronger par ses démons et Mimi pouvait assister impuissante à la guerre qu’il menait contre lui même et qui s’imprimait sur ses traits. Les petites rides autour de ses yeux semblaient plus creusées, ajoutant
la beauté ténébreuse de Daniel. Mais c’était son expression torturée qui la toucha en plein cœur. Comme elle aimerait se lever, le prendre dans ses bras, lui dire que tout irait bien. Quoique cela fut.
Après un long silence, il reprit la parole.
— Lizzie avait seize ans lorsqu’elle a été assassinée. J’en avais dix-sept.
Mimi se figea un peu plus. Elle eut l’impression douloureuse que son cœur s’était arrêté pour reprendre vie de plus belle. La confession de Daniel, celle qu’elle avait si longtemps attendue la percuta de plein fouet. Ce qu’il faisait demandait un grand courage, et elle l’en aima que plus. Car au-delà de son histoire, il déposait au creux de ses mains la confiance qu’il avait en elle. Et ce cadeau était probablement le plus précieux qu’elle n’avait jamais reçu d’un homme jusqu’à aujourd’hui.
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— J’étais un ado… difficile. Je me rebellais contre tout et tout le monde. Et puis Lizzie a déboulé dans ma vie. Sa douceur, sa gentillesse m’ont permis de retrouver un équilibre. Avec elle je me sentais quelqu’un de bien. Elle était la bonté incarnée. Je suis tombé amoureux de cette jeune femme, et elle aussi, ajouta-t-il comme si encore aujourd’hui, il n’y croyait pas. Ce jour-là, on devait se rejoindre à la gare de Chelmsford4.
Mimi retint son souffle, comprenant immédiatement quelle serait la suite.
— Je suis arrivé cinq minutes après l’arrivée du train de Lizzie. Cinq minutes seulement…
Tant de douleur et de culpabilité transpiraient dans cette petite phrase que Mimi sentit les larmes lui monter aux yeux. Elle laissa Daniel poursuivre, sans l’interrompre.
— Il y avait un attroupement dans un des couloirs sous-terrain, et j’ai tout de suite eu un mauvais pressentiment. Je me suis mis à courir pour rejoindre le groupe de personnes agglutinées. Quand je suis arrivé à leur hauteur, j’ai reconnu le blouson de Lizzie. Au sol. Couvert de sang.
Mimi ne quitta pas Daniel du regard. Ses yeux étaient comme hantés. Il n’était plus avec elle, en Italie, dans ce magnifique Pallazzo. Il était perdu dans un passé douloureux, vingt ans en arrière, dans les couloirs sombres d’une gare anglaise. De la main, il fourragea dans ses cheveux, les décoiffant un peu
chef-lieu du comté d’Essex
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plus.
— Bon sang ! Sa peau était encore chaude et je me refusais à croire qu’elle ne respirait plus. C’était juste… impensable. Et puis, je l’ai entendu avant de le voir, poursuivit-il les mâchoires serrées en marquant une longue pause dans son récit.
Qui ? Faillit demander Mimi. Mais Daniel reprit, la voix anormalement posée. D’une dureté tranchante. Froide. Qui envoya mille frissons dans le corps de Mimi.
— Il riait. Cet enfoiré riait.
Mimi retint un cri et posa sa main devant sa bouche tant l’horreur de ce qu’avait vécu Daniel la percuta.
— Il riait, totalement défoncé, et fier d’avoir tabassé Lizzie à mort. Je n’ai pas réfléchi. C’était comme si j’étais possédé, articula difficilement Daniel. Je l’ai poursuivi. Exactement comme il l’avait fait avec Lizzie. Je l’ai attrapé et frappé. Encore et encore jusqu’à ce qu’aucun souffle de vie ne s’échappe de ses lèvres.
Mimi regardait les poings de Daniel se serrer et se desserrer convulsivement, en des mouvements nerveux. Elle savait quelle force de frappe détenait cet homme, même si au moment des faits il n’était qu’un adolescent, elle se représenta, avec une clarté étonnante, comment pouvait être Daniel à cette époque. Associé à la colère, la souffrance, sa haine contre l’individu qui avait pris la vie de Lizzie, avait été destructrice. Mortelle. La loi du talion qu’étrangement Mimi ne parvenait pas à lui
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reprocher.
— Ce sont les cris des autres voyageurs qui m’ont ramené à la raison. Et là, j’ai réalisé ce que je venais de faire. Curieusement, aucune culpabilité ne m’a étreint. Je me suis enfui et suis directement rentré à HylandsHall. Sur place, j’ai tout expliqué à Logan. Je me sentais complètement largué, et j’étais mort de frousse. Il m’a obligé à quitter mes vêtements pour prendre une douche. Et pendant que je le faisais, il m’a piqué mes fringues pour les passer et se rendre au poste de police pour s’accuser d’un meurtre qu’il n’avait même pas commis. Logan était un fils de bonne famille à la réputation infaillible. Moi, un délinquant en devenir. Logan a tout de suite compris que si j’allais me dénoncer, je n’avais aucune chance de m’en sortir. Contrairement à lui. Il a pris tous les risques et je n’ai pas levé le petit doigt.
Daniel était essoufflé, comme s’il avait parcouru des kilomètres. Revivre le passé était une épreuve à laquelle il ne s’attendait pas.
— Cela fait-il de moi un monstre ? Probablement, répondit-il la voix légèrement chevrotante.
Mimi sentit son cœur se serrer de douleur pour ces deux adolescents que la vie avait pour l’un fauché, pour l’autre formé une carapace si épaisse autour de son cœur qu’il en avait oublié ce qu’était le bonheur. Car malgré la vie pleine et remplie de Daniel, Mimi réalisa à l’instant qu’elle était désespérément vide.
Elle se leva face à Daniel et doucement posa sa main contre sa joue en un geste d’une légèreté et d’une tendresse qui le fit ciller. Elle comprenait aussi le lien fort qui unissait Daniel à Logan et la vision
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qu’elle eut de ce dernier se modifia pour devenir, en écoutant les confidences de Daniel, qu’un profond respect.
— Non, Daniel. Ça ne fait pas de toi un monstre.
— J’ai tué un homme de mes poings, s’emporta-t-il face à la douceur de Mimi qu’il estimait ne pas mériter.
Comme si elle sentait son combat intérieur, Mimi appliqua une pression plus forte sur le visage de Daniel, qu’elle prit en coupe entre ses mains, l’obligeant à plonger soin regard dans le sien.
— Non ! répéta-t-elle avec fermeté. Ça ne fait pas de toi un monstre, mais un homme. Avec ses forces, mais surtout avec ses faiblesses. Logan savait exactement ce qu’il faisait en se dénonçant à ta place. Il savait aussi que s’il ne le faisait pas, tu ne deviendrais jamais l’homme que tu es aujourd’hui. Il te faisait suffisamment confiance pour croire en toi et aux secondes chances. Chance que tu as saisie. Tu ne pouvais pas lui faire plus précieux présent, Daniel.
— J’ai tué un homme, répéta-t-il néanmoins. J’ai retiré la vie alors que je n’en avais pas le droit. Mais j’ai surtout laissé Lizzie mourir.
Daniel sentait son cœur battre la chamade. Il se sentait terrifié. Non par ses confidences, mais que Mimi le prenne pour un être hideux et plus que tout, il redoutait de voir dans ses jolis yeux le dégoût qu’elle aurait de lui. Mais le regard qu’elle posa sur lui n’avait rien d’horrifié, au contraire. Il y lisait une compassion qui lui allégea instantanément le cœur ainsi et sa putain de conscience qui lui pesait depuis
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de trop nombreuses années, ainsi que cette autre émotion qu’il avait repoussée jusqu’à ce que Mimi lui ouvre les yeux. Enfin.
— Et tu le payes depuis vingt ans. Je crois que tu as largement purgé ta peine.
Les mots de Mimi lui envoyèrent des décharges dans tout le corps. Il poussa un soupir qui détenait tout l’amour qu’il portait à cette femme. D’un geste, il enlaça la jeune femme, l’enfermant dans ses bras. Il entendit le petit cri de Mimi face à la soudaineté de son geste et sentit un petit sourire s’inscrire sur ses lèvres quand les bras de Mimi s’enroulèrent autour de son torse.
Alors seulement, un sentiment de plénitude, celui plus fort d’être à sa place envahit chaque cellule de son corps, la moindre parcelle de conscience et celle plus intime de son cœur. Un pur sentiment de justesse.
Le nez dans les cheveux de Mimi, Daniel inspira longuement. Il lui avait raconté le principal, mais pas l’essentiel.
— Depuis vingt ans, je me suis toujours interdit tout sentiment amoureux.
Il sentit Mimi se tendre dans ses bras. Aussi relâcha-t-il son étreinte et prit son doux visage en coupe entre ses grandes mains, l’immobilisant.
— Jusqu’à toi, ajouta-t-il d’une voix rauque.
Mimi plongea son regard dans celui de Daniel. Elle pouvait voir les ombres qui dansaient dans ses yeux se
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dissiper, pour ne laisser qu’une immensité claire dans ses prunelles. Et là, en voyant qu’enfin Daniel s’ouvrait à elle qu’elle sentit ses yeux s’embuer.
Du pouce, il essuya une larme qui coulait sur sa joue. Il pouvait lire dans son regard ambre ce que ces trois petits mots avaient provoqué chez Mimi. Un soulagement brut, qui lui envoya des ondes de bien-être à travers tout le corps.
— Tu es arrivé dans ma vie comme une furie. Une furie adorable qui n’a pas hésité à défendre son amie en plein milieu d’une rue du dix-huitième arrondissement. Tu m’as tenu tête, tu m’as menacé, et je crois pouvoir dire avec certitude que c’est à ce moment où je suis tombé fou amoureux de toi. Même si comme un abruti, j’ai mis plus d’un an pour le réaliser, le comprendre et l’accepter. Tu avais raison. Je n’étais qu’un lâche.
Mimi ne put retenir un sanglot. Tout un panel d’émotion vive lui arrivait dessus et elle ne parvenait pas à les gérer… et n’en avait aucune envie.
— Ne pleure pas, murmura Daniel, ses lèvres parcourant ses joues, ses yeux, ses lèvres. S’il te plaît…
— C’est ta faute, réussit-elle à articuler entre deux sanglots, mais parce que tu me rends heureuse. Et les hommes lâches ne font pas ça. Les hommes lâches disparaissent des vies. Et tu es tout sauf lâche.
Quelque chose dans la poitrine de Daniel s’épanouit, prenant de plus en plus de place. Ce n’était pas désagréable ni dérangeant. Juste nouveau… et il adorait cette sensation. Un sourire canaille s’étira sur ses lèvres et il recula légèrement
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la tête pour pouvoir regarder Mimi.
— Tu m’aimes vraiment alors ?
Une question qui ressemblait plus à une affirmation et qui gonfla encore cette impression de chaleur dans la poitrine et agrandit son sourire.
Mimi renifla et haussa les épaules.
— Non. Je te déteste pour tout ça. Je devrais m’enfuir pour tout ce que tu m’as fait subir.
— Mais bien sûr, ma chérie. J’adore quand tu me détestes.
Mimi voulut répliquer, lui faire ravaler son petit air supérieur, mais Daniel écrasa ses lèvres sur les siennes. Sa langue s’immisça avec une sorte d’urgence entre les lèvres de la jeune femme et envahit sa bouche. Mimi répondit au baiser vorace de Daniel. Il y déversait de l’empressement, de l’impatience et cet élément plus subtil qu’était son amour qui complétait si parfaitement celui de Mimi.
Il se détacha sans relâcher Mimi et posa son front contre le sien.
— Et ne t’avise pas une seconde de me fausser compagnie. Aucune chance que je te laisse m’échapper maintenant, gronda-t-il d’une voix sourde.
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Chapitre 32
Mimi sentit tout son corps vibrer sous ses paroles… ainsi que la force de son désir qui appuyait contre son ventre.
Elle le voulait.
Elle voulait sa bouche, son sexe, son amour. Maintenant !
Comme s’il lisait dans ses pensées, Daniel les guida vers le lit sur lequel ils basculèrent. Il reprit ses lèvres et avec la même urgence qu’il l’embrassait, la débarrassa de ses vêtements. Il entendit un bruit de tissus se déchirer et s’obligea à ralentir la cadence. Il ne voulait pas blesser Mimi dans sa précipitation d’homme des cavernes. Mais s’il ne se retrouvait pas bientôt en elle, il n’était pas sûr de pouvoir museler bien longtemps la bête en lui qui s’était réveillée d’un long sommeil. D’un très long sommeil.
Il se redressa le temps d’ôter tous ses vêtements et rejoignit Mimi sur le lit, la surplombant en appui sur ses bras. Instinctivement, elle écarta les jambes et Daniel vint se nicher entre. Son sexe ne la touchait pas, mais elle le devinait, sentait sa force, sa chaleur. La jeune femme poussa un soupir de soulagement. Même séparés quelque instant était une souffrance.
Elle voulait le toucher, le goûter. Chaque seconde
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loin de lui était une seconde où elle ne respirait pas. Elle encadra le visage de Daniel et l’attira à elle. Sa langue vint dessiner les lèvres de Daniel qui poussa un gémissement rauque. Elle fit glisser ses mains sur son cou, caressa ses larges épaules, appréciant la douceur de sa peau, sa force, sa chaleur.
Dans ses bras, elle ne craignait rien.
Dans ses bras, elle était femme.
Dans ses bras, elle était exactement à sa place.
Ses mains continuèrent leur exploration sur les flans de Daniel. Comme s’il comprenait Mimi, il ne bougea pas. Son corps était tendu au-dessus du sien, ses muscles bandés. L’effort lui coûtait visiblement. Pas l’effort physique, mais celui qui requérait une force mentale éprouvante. Ne pas dévorer Mimi était une torture, mais il la laissait se réapproprier son corps. Les mots n’étaient pas nécessaires, il lui suffisait de plonger dans ses grands yeux ambre pour comprendre qu’elle avait besoin de le dessiner, de se le représenter pour qu’il soit à elle. Corps et âme.
Mimi fit descendre ses mains plus bas et empoigna les fesses musclées de Daniel. Il eut un léger sursaut, mais résista à l’envie de lui écarter les jambes et d’enfouir son sexe en elle jusqu’à la garde. Au lieu de ça, il respira profondément… et reconnut son erreur quand la fragrance intime de Mimi le percuta. Une odeur sucrée. De femme. D’elle. Il serra les dents et s’obligea à respirer plus lentement. Lorsqu’il il releva les yeux ce fut pour tomber sur ceux espiègles de Mimi, un sourcil arqué, le défiant de lâcher sa position.
— Un souci ? demanda-t-elle innocemment. Trop innocemment pour être honnête.
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Sorcière !
— Aucun, répliqua-t-il, un lent sourire s’inscrivant sur ses lèvres.
Pour la punir, il bougea légèrement le bassin et le bout de son sexe vint buter contre la petite crête sensible de la jeune femme qui ferma les yeux et poussa un gémissement qui faillit avoir raison de la détermination de Daniel.
— Oh…, gémit-elle en faisant un effort pour garder les yeux ouverts tant c’était bon.
Un effleurement, et elle se trouvait au bord de l’orgasme.
En représailles, elle faufila sa main entre leur corps et elle saisit vivement sexe de Daniel qui gronda et stoppa tout mouvement, le souffle court. Mimi sourit de satisfaction, mais en aurait hurlé de frustration. Si elle maîtrisait le jeu depuis qu’ils étaient allongés sur ce lit, Daniel inversait subtilement la situation.
Comme s’il lisait ses pensées, son visage retrouva tout son sérieux. La pause jeu semblait terminée. Ce qu’il lui prouva en la saisissant par la taille et en la retournant sur le lit, la positionnant à quatre pattes, Daniel agenouillé entre ses jambes qu’il écarta au maximum. Mimi hoqueta de surprise, qui se transforma en plainte de plaisir quand les doigts de Daniel glissèrent le long de son sexe trempé. Ainsi, elle était totalement exposée, à la merci de Daniel. Sa position aurait pu la rendre vulnérable si elle n’avait pas autant confiance en Daniel.
Daniel se pencha sur son dos, le parsemant de baisers légers qui envoyèrent des ondes de choc dans tout le corps de Mimi. Le souffle de Daniel se perdit
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dans sa nuque qu’il dévora de ses lèvres, suçant, mordillant, léchant, laissant Mimi pantelante. Et il l’avait à peine touchée…
Elle sentit Daniel se redresser. Sa main suivit la ligne de sa colonne, traçant le sillon entre ses fesses, descendit jusqu’à son sexe avant de l’effleurer du bout des doigts.
— Magnifique, gronda Daniel dans son dos.
Mimi frissonna et bougea les fesses pour tenter de soulager la tension entre ses cuisses.
— Si tu bouges encore, je t’attache, murmura-t-il à son oreille.
La raucité de sa voix possédait un timbre presque animal. Vorace. Et elle était la proie qu’il s’apprêtait à dévorer. Proie, oh combien consentante, elle devait bien l’avouer.
Daniel ne pouvait détourner les yeux de Mimi. Devant lui se présentait le paradis. Ainsi exposée, la jeune femme lui apparaissait dans toute sa splendeur. Il ne pouvait détacher son regard de son sexe. Ses chairs rosées, humides de son plaisir, et n’attendait que lui. Du bout des doigts, il écarta les pétales de sa féminité, l’exposant entièrement à son regard. Il sentit Mimi frissonner et son souffle se couper. Son état d’excitation avait une répercussion directe sur son propre sexe qui gonfla un peu plus au point d’en être douloureux. Il positionna son pouce à l’orée du sexe de Mimi et l’inséra avec une lenteur calculée lui arrachant un petit cri.
Elle balança son bassin vers l’arrière pour en sentir plus. Plus vite, plus profondément. Aussitôt, Daniel retira son doigt et Mimi en aurait pleuré de
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frustration. Ce que ce diable cherchait. Elle en était consciente, mais son envie de lui était beaucoup trop forte pour que la raison domine.
— Tss tss, murmura Daniel, son pouce effleurant à peine ses chairs.
Suffisamment pour qu’elle le devine, mais pas assez pour qu’elle le sente.
Mimi en voulait plus et gigota à nouveau pour faire réagir Daniel. Elle voulait qu’il la comble, qu’il la fasse sienne, enfin. Et la torture qu’il lui imposait allait la faire mourir à petit feu.
— S’il te plaît, implora Mimi d’une voix qu’elle reconnaissait à peine.
— S’il te plaît quoi ? C’est ça que tu veux ? demanda Daniel en enfonçant son pouce entre les chairs humides de Mimi.
La chaleur autour de son pouce était insoutenable. Il retenait tous ses instincts pour ne pas remplacer son doigt par son sexe et s’enfoncer jusqu’à la garde, se repaître de sa douceur, de sa chaleur. S’enivrer de ses halètements, de la baiser, profondément, longtemps, lentement.
— Oui, murmura-t-elle essoufflée.
Mimi rua vers l’arrière. Un geste primal, commandé par des réflexes ancestraux. Elle le voulait en elle. Maintenant. Mais Daniel n’était pas d’humeur à la laisser faire. Il souhaitait sa reddition, comprit-elle. Il retira son pouce et claqua ses fesses en punition. Mimi ouvrit la bouche de surprise plus que de douleur.
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— Oh ! gémit Mimi.
Un rire bas s’échappa des lèvres de Daniel.
— J’avoue que j’ignorais si tu aimerais cela, ajouta-t-il en caressant l’endroit où sa main s’était abattue.
— Hum…
Un son qui se voulait une négation. Mimi parvenait
peine à aligner deux pensées cohérentes, mais il était hors de question de lui avouer que oui, étonnamment, elle aimait ce qu’il lui faisait. Et surtout qu’il était le seul homme qu’elle autorisait à poser ses mains sur elle de cette façon.
Mimi releva la tête quand la main de Daniel claqua
nouveau ses fesses. Le picotement se transforma en une chaleur lénifiante.
— Pas de ça, susurra-t-il, sa bouche parsemant son cou de léger baiser. Je vais être obligé de te punir d’une autre façon. Tu es particulièrement désobéissante depuis tout à l’heure.
Mimi se retourna, un masque d’incompréhension sur le visage.
— Je t’avais ordonné de ne pas bouger.
— Oh ! Fut le seul son que Mimi put émettre, le regard sombre de Daniel la réduisant au silence.
Bon sang ! Il était sérieux !
Il attrapa fermement, mais avec douceur les cheveux de Mimi, l’obligeant à se relever. Son dos reposait contre sa poitrine. De son autre main, Daniel crocheta la mâchoire de Mimi, tournant sa tête vers
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lui.
— Tu me fais confiance ?
— Entièrement.
La réponse de Mimi avait été instinctive et lâchée si spontanément qu’elle ne pouvait mentir. Daniel la gratifia d’un baiser qui la laissa étourdie. Sa réponse avait libéré une reconnaissance sans nom et Daniel vénéra la confiance que lui accordait Mimi. Un bien aussi précieux qu’inestimable.
Sa bouche était chaude et autoritaire. Sa langue rude et exigeante. Il termina son baiser sur une note plus douce en aspirant doucement la langue de Mimi, la suçotant, imitant l’acte sexuel dans toute sa douceur, ce qui faillit la faire jouir immédiatement.
D’une pression ferme sur la nuque de Mimi, il l’obligea à poser sa tête sur le matelas, les fesses toujours en l’air. De son autre main, il saisit le minuscule slip de Mimi qui avait fini sa course au bord du lit tandis qu’il l’obligeait à croiser ses poignets dans son dos.
Daniel posa ses lèvres entre les omoplates de la jeune femme quand il entendit sa respiration devenir légèrement erratique.
— Je ne te ferais jamais de mal.
Une promesse que Mimi reçut comme un cadeau.
Aussi hocha-t-elle la tête.
— Avec des mots, Mimi, ordonna Daniel.
— Je te fais confiance, souffla-t-elle.
— Bien, murmura-t-il en éprouvant le leste du lien qui retenait les poignets de Mimi.
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Il ne voulait ni la blesser ni que la circulation sanguine soit altérée. Ainsi attachée, elle était toute à lui et un sentiment de toute-puissance, mais aussi d’humilité le prit aux tripes.
— Tu es absolument parfaite…
Il ne lui laissa pas le temps de reprendre son souffle qu’il lui administra une série de petits coups sur les fesses, le haut des cuisses. Daniel regarda avec fascination sa jolie peau nacrée prendre une belle teinte rouge… et son sexe devenir de plus en plus humide. Un sourire satisfait lui étira les lèvres en même temps que sa main caressait les endroits exacts où quelques secondes plus tôt il l’abattait avec précision.
— Oh, Seigneur… marmonna Mimi.
Daniel grogna. Les petits halètements et les frissons qui parcouraient la peau de la jeune femme étaient un indicateur des plus fiable. Une flèche de désir lui transperça le bas des reins pour se loger directement dans ses bourses. Son sexe était tendu, dans l’attente d’une délivrance qu’il repoussait volontairement. Comme il le faisait avec ses propres limites et celles de Mimi. Le plaisir n’en serait que meilleur. Doucement, il fit glisser sa main sur la rondeur de sa fesse.
— Tu sais que ton corps ne ment pas, chérie.
Il remonta sa main le long de sa colonne avant de la glisser sous Mimi pour empaumer délicatement son sein. Mimi arqua le dos et un autre gémissement s’échappa de ses lèvres qui se transforma en un cri de
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plaisir quand Daniel pinça la pointe de son sein ultra sensible entre son pouce et son index pendant que son autre main s’accrochait fermement à la hanche de la jeune femme, la maintenant sur le lit, l’empêchant de bouger.
— Daniel ! haleta-t-elle. S’il te plaît…
— Pas encore. Sa voix se fit plus basse, plus grave, plus sauvage. Je veux que, quand je m’enfoncerai en toi, tu jouisses immédiatement.
C’était un ordre. Elle était attachée et totalement à sa merci, et Mimi au lieu de se rebeller comme sa nature le lui aurait dictée, accepta plus impatiente et au bord du précipice qu’elle ne l’avait jamais été de sa vie. Encore une parole de la sorte de Daniel, et il n’aurait même pas besoin de la pénétrer pour la faire jouir.
Daniel abandonna son sein et sa grande main vint se déplier contre son dos. Il regarda, fasciné, le contraste entre sa main forte, halée et le dos de Mimi dont la peau était d’une perfection et douceur inégalée sous ses doigts. Il fit descendre sa paume, la passa sur les fesses sensibles de la jeune femme qui poussa un autre de ses petits gémissements sexy. Comme un peu plus tôt, il fit glisser son pouce dans le sillon de ses adorables globes, passa rapidement sur cette petite rosette, puis se plaça à l’orée de son sexe avant de l’enfoncer millimètre par millimètre. Il sentit immédiatement les muscles internes de la jeune femme se contracter sur son doigt. Mais il lui avait promis de la faire jouir avec son sexe. Pas comme cela.
Il ressortit son doigt couvert des fluides de Mimi et le fit glisser jusqu’à son anus qu’il tapota. Mimi sursauta violemment, mais la main de Daniel autour
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de sa taille l’empêcha de bouger.
Daniel entendit le souffle de Mimi se bloquer et ses muscles se tendre. Il posa la question, connaissant déjà la réponse, le corps de Mimi ayant été plus que parlant.
— T’a-t-on déjà prise par ici… ?
Mimi sentait le pouce de Daniel jouer sur son entrée, éprouver les muscles qu’aucun homme n’avait jamais franchis pour tester leur résistance, mais son corps était figé et elle était incapable de répondre. Ses synapses ne faisaient plus aucune connexion. Tout son cerveau semblait court-circuité.
— Mimi ? insista Daniel en exerçant une pression supplémentaire, introduisant légèrement le bout de son doigt.
Elle secoua la tête autant que sa position le lui permettait.
— Verbalise, chérie.
— Non, répondit-elle d’une voix essoufflée en posant sur lui ses grands yeux ambre.
Il vit dans ses prunelles de l’hésitation, mais aussi de l’envie. Un sentiment animal, primitif et possessif le submergea. Elle était à lui. Aucun homme ne la toucherait à présent. Elle était sienne. Il s’efforça de contrôler sa part animale avant d’ajouter d’une voix étonnamment posée au vu des émotions violentes qui faisaient rage dans son corps, sa tête, son cœur.
— Tu vas aimer. Je te le promets, ajouta-t-il, son souffle venant se perdre contre la nuque de Mimi qu’il
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se mit à mordiller avant d’y passer la langue. Mais pas aujourd’hui.
Un frisson de plaisir traversa le corps de Mimi, si fort qu’elle s’en effraya presque. Ce que proposait Daniel était… scandaleusement excitant. Jamais elle n’aurait imaginé qu’elle serait réduite à un amas d’envie et de luxure à cette idée.
Elle gémit quand Daniel retira son doigt pour attraper ses hanches. Il fit glisser son sexe contre celui trempé de Mimi, la faisant gémir de plus belle. Cet homme était un démon. Il connaissait ses limites, son corps mieux que personne, et se servait de ce savoir pour la rendre folle.
Il répéta son mouvement une fois. Deux fois, jusqu’à ce qu’il sente les dernières défenses de Mimi tomber. Et qu’il la pénètre sur toute sa longueur. Daniel poussa un grognement de satisfaction quand Mimi s’ouvrit sous l’assaut, sentant ses chairs se distendre pour l’accueillir. La chaleur de son corps l’enveloppa, et il dut se retenir pour ne pas jouir sur-le-champ.
Mimi cria de plaisir quand le sexe massif de Daniel la transperça pour la remplir totalement. Il ne lui avait pas menti. La sensation fut immédiate. Fulgurante. Et son corps sembla se disloquer sous l’impact de sa jouissance.
Daniel serra les dents, soumettant son corps à un contrôle absolu quand les chairs de Mimi lui comprimèrent la queue. S’il devait définir le paradis, c’est cet instant qu’il prendrait en exemple. Le corps chaud de Mimi, ses cris de plaisirs, ses chairs tendres qui se refermaient sur lui, l’aspirant au plus profond de son corps.
Il accompagna le plaisir de Mimi, coulissant dans
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son sexe en rythme avec les contractions des muscles de la jeune femme. Il sentit de nouveaux spasmes frémir au fond du ventre de Mimi, signe annonciateur d’un autre orgasme. Elle était étonnamment réceptive et il adorait cela !
Il imposa à Mimi une cadence soutenue, entrant et sortant de son corps selon son propre rythme cette fois, ses mains toujours ancrées à ses hanches, donnant plus ou moins de forces à ses pénétrations en faisant jouer le bassin de la jeune femme. Il l’entendit haleter plus fortement et ralentit la cadence, jouant avec le corps et le plaisir de Mimi.
Elle avait presque envie de pleurer tant la frustration était forte, sa jouissance prête à éclater, mais habilement retenue par Daniel qui maîtrisait chaque mouvement. Chaque poussée.
Il glissa enfin ses doigts sous le ventre de Mimi et doucement entreprit alors de caresser son bouton rose. Le rythme de ses va-et- vient, combiné à la légèreté de sa main sur son corps exacerbait la tension que Mimi ressentait dans chaque fibre de son corps, tendant le fil de sa jouissance qui se rompit quand Daniel, de son autre main, posa son pouce sur la partie la plus intime de son corps et y exerça une pression ferme jusqu’à pénétrer totalement ce petit orifice. L’orgasme la terrassa. Son corps explosa si violemment que sa vision se troubla et qu’elle sentit Daniel la soutenir alors qu’elle criait son nom. Encore. Et encore, jusqu’à ce qu’il la rejoigne dans cet ultime voyage.
Quand Mimi revint à elle, Daniel était toujours en elle. Elle sentait sa poitrine heurter son dos alors qu’il reprenait son souffle. Il se soutenait de ses bras pour ne pas l’écraser de son poids. Il les fit basculer sur le côté, essoufflés, haletants, mais comblés.
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Du bout des doigts, il lui dégagea les cheveux qui collaient sur ses tempes, exposant le visage d’une Mimi transcendée par le plaisir. Il déposa des baisers sur son front, sa pommette, ses lèvres et se recula légèrement pour retirer les liens autour de ses poignets qu’il massa doucement pour activer la circulation sanguine.
— Ça va ? demanda-t-il doucement en embrassant son épaule, sa nuque.
— Merveilleusement bien, répondit Mimi dans un souffle. Laisse-moi juste cinq minutes.
Elle entendit son rire bas alors que ses lèvres ne cessaient de lui butiner la peau.
— Laisse-m’en un peu plus.
— Enfer et damnation. Ne serais-tu qu’un homme ? demanda Mimi avec un sourire paresseux.
— Malheureusement.
— Étrange, j’ai cru un instant que c’était un Dieu qui m’avait fait l’amour.
Mimi poussa un petit cri de surprise quand elle sentit une douleur sur son épaule. Elle tourna vivement la tête, les yeux ronds.
— Tu m’as mordu ?
— Tu préférerais une fessée peut-être ?
Comme un mot magique, il provoqua aussitôt des frissons dans tout le corps de Mimi que Daniel ne put que sentir, son sexe toujours fiché en elle.
— On dirait bien que oui, murmura-t-il devant le silence de Mimi tout en soufflant là où ses dents
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avaient légèrement marqué la peau de la jeune femme.
Il déposa un autre baiser sur son épaule alors qu’il se retirait doucement d’elle.
— Je reviens.
Mimi l’entendit se rendre dans la salle de bain, puis l’eau couler. Un sourire béat étira ses lèvres. Ils avaient fait plus que l’amour. Ils avaient partagé quelque chose de spécial. D’unique. Elle avait accordé
Daniel ce qu’elle n’avait jamais donné à aucun homme. Sa confiance. Et il la lui avait retourné, rendant ce moment merveilleux.
Un filet de culpabilité se faufila jusqu’à son cœur. Elle devait parler à Daniel. Il méritait de connaître la vérité. De tout connaître sur elle. Son passé. Son histoire. Mais elle était terrifiée. Car, quand il saurait, il la détesterait.
Mimi s’obligea à écarter ses pensées pour les concentrer sur cette dernière heure. Elle ne souhaitait pas l’entacher. Elle voulait qu’elle reste belle. Pure.
— Mimi ?
La jeune femme se retourna, les sourcils froncés, alarmée par le ton soudainement très sérieux de Daniel. Il revenait vers elle, le visage grave, une serviette de toilette à la main. Merveilleusement beau dans sa nudité. Cet homme avait un corps à se damner, s’égara Mimi.
Il était maintenant près du lit, les traits tendus.
— Je n’ai pas mis de préservatif.
— Oh. Je…, balbutia Mimi.
— Est-ce un problème ? s’inquiéta Daniel
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Un problème ? Oui. Non. Une soudaine joie envahit Mimi avant qu’elle ne se fasse ensevelir par une multitude de souvenirs et qu’une panique s’empare d’elle. Elle ferma les yeux, s’obligeant à la chasser et tenta de faire intervenir sa part rationnelle. Était-ce un problème ? Dans l’absolu, non. Son cycle s’était totalement arrêté depuis trois mois, résultat on ne peut plus parlant du stress que le retour de Ghislain avait provoqué.
— Mimi ?
L’inquiétude de Daniel avait quelque chose de touchant qui remua la jeune femme un peu plus quand il ajouta :
— Je me fais tester fréquemment. Obligation médicale quand je suis sur le terrain. Je suis clean. Tu n’as pas à t’inquiéter. C’est la première fois que je n’utilise pas de préservatif.
Mimi ne pu s’empêcher de se retourner pour faire face à un Daniel inquiet. Elle tapota la place, l’invitant
s’allonger à ses côtés. Aussitôt, Mimi posa sa main sur sa joue.
— C’est OK, Daniel. Tout va bien. Je suis clean également et il n’y a pas de danger pour… le reste.
— Tu prends un contraceptif ? Tu ne risques pas de tomber enceinte ? reformula Daniel.
Non au deux questions, mais les chances qu’elle tombe enceinte était quasi nulle. Aussi, confirma-t-elle. Du moins pour la deuxième question.
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— Non, aucun risque que je tombe enceinte.
— OK.
Étrangement, Mimi ne lut dans les yeux de Daniel aucun soulagement. Elle n’aurait pu définir avec précision ce que son doux regard chocolat renvoyait, mais certainement pas de la peur. Daniel ferait face. Quoi qu’il arrive. Elle voyait dans son regard toute la droiture morale qui faisait de lui un homme exceptionnel qui amena les larmes aux yeux de Mimi.
Daniel se redressa et bougea sur le lit. Doucement, il ouvrit les cuisses de Mimi tout en repliant ses genoux et se plaça entre. Son regard plongea directement sur son sexe qu’il entreprit de nettoyer consciencieusement avec le linge humide qu’il avait gardé en mains. L’acte était intime. Bouleversant. Mimi se releva pour prendre le visage de Daniel en coupe et poser ses lèvres contre les siennes en un baiser doux, empreint d’une tendresse qui les chavira tous les deux.
— Je t’aime, murmura la jeune femme contre la bouche chaude de Daniel.
Comme s’il avait deviné ses pensées, Daniel répondit une gravité dans la voix qui ébranla Mimi.
— Je t’aime également Charlie Meyer. N’en doute jamais, ajouta-t-il en jetant la serviette dans la pièce tout en la faisant basculer sur le dos.
Les larmes perlèrent au coin des yeux de Mimi. Comment le pourrait-elle alors que les bras
puissants de Daniel l’encerclaient et qu’il lui donna le plus profond, le plus authentique des baisers ?
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Comment le pourrait-elle alors que c’était la première fois qu’on lui disait ces mots ? Nombreux étaient ceux qui aimaient Mimi.
Mais Daniel était le seul qui jusqu’à aujourd’hui aimait Charlie Meyer.
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Chapitre 33
Les jours suivants, Mimi ne découvrit rien d’autre de la Toscane que le parcours pour se rendre de la cuisine à la chambre. Il existait toutefois des variantes puisqu’ils passaient fréquemment par la salle de bain, lieu hautement dangereux si elle voulait préserver un semblant de chasteté. Un terme qu’elle oubliait instantanément dès que les mains aventureuses de Daniel s’ingéniaient à trouver la moindre source de plaisirs.
Et bon sang ! Ses mains étaient délicieusement efficaces.
Deux semaines, bientôt trois que Mimi vivait dans un état de constante félicité. Son corps répondait à la moindre sollicitation de Daniel. Qu’elle soit audible, visuelle, mais surtout tactile.
Ils profitèrent du temps resplendissant et encore chaud du nord de l’Italie pour jouir de la piscine.
Daniel en sortit et se pencha sur la jeune femme allongée lascivement sur une chaise longue. Il plaça ses bras de part et d’autre des épaules de Mimi qui sursauta et ouvrit les yeux de surprise quand des gouttes d’eau froides tombèrent sur sa peau échauffée par le soleil.
Daniel en profita pour observer Mimi. Son corps
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dont il ne pensait jamais pouvoir se repaître, son visage qu’il n’avait jamais vu aussi détendu, resplendissant et lumineux. Les traces de son agression n’étaient qu’un souvenir maintenant.
— Le sexe te va bien.
L’air canaille de Daniel lui ôta toute velléité de protestation. Ses muscles roulaient sous sa peau au moindre mouvement, et c’était un plaisir de contempler son corps superbement découplé. Il était magnifique, les cheveux trempés, rejetés vers l’arrière, ses larges épaules dorées que le soleil avait un peu plus tannées, son torse musclé ou des gouttes d’eau se frayaient un chemin entre ses pectoraux. Son ventre plat, cette fine ligne de poils sombres qui descendait vers un point que Mimi adorait explorer. Avec ses mains, son corps, sa bouche. Mimi se passa inconsciemment la langue sur les lèvres.
— Ne fais pas ça, gronda Daniel qui n’avait pas manqué son geste.
Mimi releva immédiatement les yeux pour les plonger dans ceux de Daniel. Sombres. Tentateurs.
— Quoi donc, demanda-t-elle avec une effronterie qui amena un sourire aux coins des lèvres de Daniel.
— Joue à ce jeu et je te promets que plus un son, sauf celui de tes gémissements, ne sortira de cette petite bouche insolente quand je m’enfoncerai loin dans ta gorge.
Mimi eut un hoquet. De désir, plus que par les propos crus de Daniel. Elle sentit sa peau brûler, avant de se liquéfier littéralement quand son ventre se
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noua d’anticipation.
Elle tendit la main vers Daniel qui avec une souplesse qui l’étonnait toujours se recula, lui interdisant tout contact. Avec satisfaction, il put voir la frustration sur les traits de Mimi.
— Espèce d’allumeur, marmonna-t-elle alors que Daniel prenait place sur le transat à ses côtés tandis qu’elle se tortillait pour tenter de chasser cette pulsion sourde entre ses cuisses.
Elle risqua un œil vers Daniel qui la regardait posément, un sourire triomphant aux lèvres. Mais à la tension qui déformait son maillot de bain, ce petit interlude l’avait au moins autant excité qu’elle. Sauf que ce bandit avait une maîtrise parfaite de son corps.
— Ça va ? demanda-t-il en lui jetant un coup d’œil ironique.
— Parfaitement bien !
Hors de question de tomber dans son jeu. Pire, de l’alimenter.
— Comment ne pourrais-je pas l’être en vivant dans un palais princier, ajouta-t-elle avec indolence.
Et le terme était faible. La maison, le château, Mimi ignorait exactement comment la nommer, était magnifique, dans la plus pure des traditions toscanes. Une bâtisse médiévale au toit ocre, posée sur une colline qui ouvrait la vue sur un spectacle grandiose. Des vallées, des monts parsemés de vignes plantées dans la terre tiède. Des cyprès cohabitaient avec des châtaigniers, ce qui ne manquait pas de surprendre Mimi. Et le tout appelait à la détente, une paresse
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bienfaisante.
— D’un comte.
Mimi se redressa sur un coude et se tourna vers Daniel
— Pardon ?
— Un conte, pas un prince, ajouta-t-il avec cette nonchalance qui lui était propre. Nous sommes dans le Palazzo Di Monti.
— Tu veux dire que l’on habite dans la demeure d’un vrai comte ?
— Hum, hum. Que tu connais également, annonça-t-il comme s’il exprimait un désir pour quelque chose d’aussi prosaïque qu’une tasse de café.
Elle posa des yeux ronds sur Daniel. Elle avait envie de le secouer alors qu’il lui jetait cette info. Mimi se redressa complètement et lui flanqua un coup de poing dans l’épaule.
— Hey ! Tu ne peux pas balancer une petite bombe comme celle-ci et faire ton blasé. Qui c’est ?
— À ton avis, chérie ? daigna répondre Daniel en ouvrant un œil paresseux.
— Greg !? questionna-t-elle les yeux ronds.
Daniel esquissa un autre de ses insupportables sourires. Il leva nonchalamment une paupière avant de la refermer.
J’adore ta perspicacité, chérie.
Il se retint néanmoins de faire ce commentaire, Mimi n’apprécierait pas le compliment à sa juste
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valeur. Ce que lui confirma son « Daniel ! », aussi agacé qu’outré.
— Greg, confirma-t-il en ouvrant les yeux cette fois pour les plonger dans ceux de la jeune femme.
— Eh ! Bah ! Jamais je n’aurais imaginé, murmura Mimi, toujours un peu sur le choc.
Même, si en y repensant, l’autorité naturelle que dégageait Greg, son côté sombre qui disait clairement aux autres de passer son chemin possédait une fierté et une aura intimidante. Elle le voyait parfaitement à sa place dans ce palazzo et associait son titre de noblesse à la personnalité taciturne de Greg. Un titre qui à défaut de lui aller comme un gant, ne collait pas avec la vie et la carrière qu’il avait choisies. Daniel lui avait glissé dans une conversation qu’il était le propriétaire d’un club libertin. Mimi pouffa en imaginant les ancêtres de Greg se retourner dans leur tombe.
Doux Jésus !
Il bousculait tous les préjugés et Mimi adorait ça. Son estime pour Greg augmenta de plusieurs échelons.
— Qu’est-ce qui te fait rire ? demanda Daniel.
— Greg. Cet homme est fascinant, murmura-t-elle, plus pour elle-même que pour répondre à Daniel.
Mimi poussa un cri de surprise quand Daniel se leva
une vitesse spectaculaire et que son grand corps la plaqua contre son transat. Elle se retrouva les poignets immobilisés au-dessus de la tête, et le regard de Daniel la clouant sur place. La teinte chocolat
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venait de virer dangereusement au noir et il était absolument splendide lorsque la jalousie le cueillait.
Elle observa avec attention la crispation de ses mâchoires dont un début de barbe accentuait encore les angles.
— Je n’aime pas te voir t’extasier sur un homme alors que trente minutes auparavant, j’étais en toi et tu criais mon nom, grogna-t-il.
Mimi s’apprêtait à le taquiner, mais la lueur de doute qui traversa le beau regard de Daniel l’en dissuada. Une vulnérabilité qui passa comme un éclair, mais que Mimi avait clairement eu le temps d’identifier.
Le besoin impérieux de le rassurer la submergea. Elle redressa lentement la tête jusqu’à ce que ses lèvres se posent sur celles de Daniel. Doucement, elle les fit glisser sur celles de son amant avant d’y passer la langue. Daniel accepta son baiser, et mimi en profita pour se glisser dans sa bouche, le goûter, appréciant sa chaleur, son goût et cette sensation plus discrète qu’était la fragilité de cet homme bâti comme un Dieu… jusqu’à faire disparaître le goût de la vulnérabilité et du doute sur les lèvres de Daniel.
— C’est toi que j’aime, murmura-t-elle.
Des mots que Daniel entendit, car il s’empara de sa bouche avec un appétit qui fit gémir Mimi. Il interrompit leur baiser, les laissant essoufflés, en équilibre sur la crête du plaisir suivi d’un étrange moment ou le temps et leurs émotions semblèrent être en suspend. En attente.
— Daniel ?
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Il entendit clairement le doute de Mimi. La jolie couleur ambre de ses yeux s’était légèrement voilée. Un simple mot, son prénom, sous forme de question éveilla tous les instincts de Daniel qui comprit que l’heure n’était plus ni au sexe ni à la légèreté. Il le voyait également à la gravité de son expression. Il soupçonnait de quoi Mimi voulait lui parler. Aussi ne la pressa-t-il pas. Il libéra ses mains des siennes et s’allongea à ses côtés tout en la tournant vers lui pour lui faire face. Lentement, il caressa le doux ovale de son visage.
— Pose-moi toutes les questions que tu veux, ma douce.
Mimi lui fut reconnaissante de si bien la comprendre. Elle ne lui avait pas parlé, car elle avait peur d’entendre les réponses.
— Comment était-il ? Que… que t’a dit Ghislain quand tu es allé le voir… ? demanda-t-elle avec tant d’hésitation que Daniel sentit sa poitrine se comprimer.
Il ignorait ce que cet enfoiré lui avait fait, et même s’il brûlait de le savoir, il laisserait le temps à Mimi. Un aspect de sa personnalité qui ne lui ressemblait pas. Avec n’importe quel client, il aurait utilisé les techniques d’interrogatoire apprises dans l’armée et les différents services de l’état. Des méthodes douces pour mettre la personne en confiance et l’inciter à se confier. La réussite de certaines missions tenait parfois dans les détails apportés lors d’interrogatoire. De minuscules informations qui pour les profanes seraient passées inaperçues. Mais pas pour lui.
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Seulement, Mimi n’était pas n’importe qui. Elle n’était pas un témoin qu’il pouvait pousser dans ses retranchements tout en le préservant. Trouver ce fin équilibre entre forcer les souvenirs et craquer mentalement. Non. Mimi était la femme qu’il aimait. Celle qu’il s’était promis de protéger quitte à terrasser la terre entière.
Il prit le visage de Mimi en coupe dans une de ses grandes mains et du pouce caressa sa pommette. Un geste doux qui apaisa immédiatement la jeune femme.
— Rien que l’on ne sache déjà, répondit finalement Daniel.
Mimi cligna des yeux attendant visiblement qu’il poursuive. OK. Il jouerait franc jeu. Elle le valait bien.
— Il vit dans un hôtel particulier dans le 7ème arrondissement avec sa femme et ses deux fils.
Le cœur de Mimi eut un soubresaut. L’hôtel particulier ne se situait pas très loin de chez Mathilde et Logan, et de l’appartement de Daniel. Elle serra les poings en réalisant qu’elle s’était probablement trouvée à moins de cinq cents mètres de lui. Et Daniel perçut son malaise et accentua la pression sur sa joue.
— Il y a quelques mois, il a engagé quelqu’un pour te rechercher.
Cette fois, Mimi frissonna presque violemment. Daniel fut tenté de plaquer sa main derrière la nuque de la jeune femme pour la ramener et la blottir contre lui. Mais il voulait observer son visage. Analyser ses réactions qui étaient autant d’informations que les aveux qu’elle avait tant de difficulté à produire. Il
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décida de lui parler franchement.
— De Ribaupierre est malade.
— Ça, je le savais déjà, ne put s’empêcher de répliquer Mimi sarcastique.
— Non, la contredit Daniel en soutenant son regard.
Mimi frissonna devant la gravité de Daniel. Elle n’était pas sûre de bien comprendre…
— Il était dans un lit médical et son dossier ne lui laisse aucune chance. Cancer du pancréas. Il n’en a plus que pour quelques semaines. Jours peut-être.
Il lui épargna le corps malingre et le teint anormalement grisâtre de De Ribaupierre.
Mimi regarda Daniel. Elle avait bien entendu, mais n’était toujours pas certaine d’avoir compris, ce que devina Daniel à l’air presque hébété de Mimi.
— Il va mourir.
— Oh… Je…
— Il n’était pas encore en France, toujours aux États-Unis quand il a diligenté une enquête sur toi. Mais son enquêteur a complètement foiré, reprit immédiatement Daniel. Alors il a laissé tomber.
Il ne voulait pas la voir s’enfoncer dans un marasme émotionnel. Ce type avait été son premier amant. À cette pensée, il serra les dents. Il avait profité du jeune âge de Mimi pour la séduire. Elle n’avait que seize ans, bon sang !
Il s’obligea à respirer lentement et profondément. Ne pas se laisser envahir par la haine sinon il serait capable de remonter sur Paris et de l’achever d’une balle entre les yeux.
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— Faut avouer que tu as su merveilleusement brouiller les pistes, ajouta-t-il.
Mimi releva la tête devant la note de fierté qui transparaissait dans ses mots, et esquissa un pâle sourire. Qui s’effaça bien vite. Évidemment que Ghislain avait tenté de la retrouver ! Elle savait parfaitement pourquoi. Et la culpabilité lui rongea la conscience quand Daniel ajouta :
— Il m’a dit t’avoir recherchée pour alléger sa conscience. C’est incroyable ce qu’un homme peut faire lorsqu’il se retrouve au crépuscule de sa vie, ironisa Daniel.
Mimi ne releva pas. Daniel ne croyait aucunement à la rédemption de Ghislain. Elle brûlait d’envie de tout avouer à Daniel. Mais pas aujourd’hui, pas maintenant. Ghislain allait mourir. Elle aurait dû ressentir du soulagement, mais c’était un poids tout autre qui lui comprima la poitrine. Des regrets d’avoir été aussi naïve quand elle était jeune. De toutes ces années gâchées à se cacher. Mais surtout, de ce quoi Ghislain l’avait privée. D’une partie d’elle-même…
Daniel resserra son étreinte autour de Mimi. Sans mots, il savait qu’elle avait besoin de digérer les informations qu’il venait de lui balancer. Il la sentait prête à s’ouvrir à lui. Ses lèvres s’étaient ouvertes puis fermées à plusieurs reprises. Ce qu’elle dissimulait semblait sur le point d’être enfin mis en lumière. Mais pas aujourd’hui, avait-il immédiatement compris. Et il ne voulait pas la forcer. Il ne voulait pas que Mimi se referme et s’éloigne. Il avait dû apprivoiser sa jolie rousse et il était allé trop loin dans sa relation et ses sentiments pour la voir faire marche
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arrière. Il était surtout terrifié à l’idée qu’elle puisse fuir une nouvelle fois. Aussi pressa-t-il son corps souple et chaud contre lui, se repaissant de sa douceur et son odeur d’été.
De femme.
Daniel avait mis vingt ans à parler de Lizzie. Il pouvait bien laisser quelques jours à Mimi pour raconter son histoire et lui livrer son passé.
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Chapitre 34
Mimi s’étira paresseusement. La veille avait été une journée éprouvante émotionnellement. Les aveux de Daniel sur Ghislain l’avaient assommée. Savoir que cet homme qu’elle avait tant redouté ne pouvait plus lui faire de mal l’emplissait d’une satisfaction mêlée de cette sensation oppressante qui ne la quittait pas.
De nombreux souvenirs étaient remontés, mais l’impression générale qui lui restait était une douleur vive qui lui avait paru tellement réelle qu’une violente nausée l’avait fait bondir du transat sur lequel Daniel et elle se reposaient pour se précipiter vers les toilettes. Daniel avait eu le tact de ne pas lui demander comment elle allait. Il le savait autant qu’elle. Et l’intuition de Mimi la poussait à penser que Daniel en savait plus qu’il ne voulait bien le montrer. Ou si ce n’était pas encore le cas, il s’approchait de la vérité. Et tout aussi étrangement, Mimi avait été envahie par un soulagement immense.
Ce qui l’avait enfin décidé à tout avouer à Daniel.
Dès leur retour sur Paris.
Car à n’en pas douter, la bulle dans laquelle ils flottaient allait bientôt éclater et la réalité les rattraperait bien assez vite.
Égoïstement, Mimi voulait profiter de chaque seconde avec Daniel loin de cette même réalité.
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Et les légères courbatures dans ses jambes et ses épaules lui rappelaient avec quelle énergie Daniel s’était évertué à chasser ses doutes durant la nuit pour vivre pleinement le présent.
La place à ses côtés était froide. Daniel était un lève-tôt et souvent elle le retrouvait dans la cuisine en train de préparer le petit déjeuner. Elle émergeait à peine, qu’il avait déjà fait son footing matinal, pris sa douche et passé deux ou trois coups de fil pour le travail.
Elle se leva pour prendre une douche rapide. Mimi prit tout juste le temps de se sécher avant d’enfiler directement sur sa peau humide un t-shirt de Daniel qu’il avait laissé sur le bras d’un fauteuil.
Elle ne put empêcher ses joues de chauffer anormalement en posant ses yeux sur ces accoudoirs en repensant qu’hier encore, Daniel lui avait passé les jambes de chaque côté pour attirer ses fesses sur le bord du siège avant de s’agenouiller et de plonger sa tête entre ses cuisses la faisant hurler son nom quand sa langue avait entamé un balai impérieux. Il n’avait arrêté sa danse que lorsque Mimi l’avait supplié de mettre fin à cette délicieuse torture.
Elle se revoyait encore pantelante, le souffle court tandis que Daniel se relevait lentement et déboutonnait tout aussi lentement son pantalon libérant une érection telle qu’elle devait en être douloureuse. Un regard de sa part et Mimi s’était redressée, emprisonnant entre ses cuisses les jambes musclées de Daniel, son sexe à hauteur des yeux.
D’une main ferme, il avait crocheté sa nuque dans un ordre silencieux pour lequel Mimi s’était exécutée avec un plaisir qui lui échauffa un peu plus les joues. De son autre main, il avait saisi fermement la base de son sexe, le guidant vers la bouche de Mimi. Daniel avait joué avec ses lèvres, frottant son gland
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turgescent contre. Une petite impulsion et une pression de sa main s’enroulant autour de ses cheveux, Mimi avait accueilli son sexe dans sa bouche.
Il avait donné le rythme, s’était servi de sa bouche et Mimi avait adoré cette forme de soumission. Daniel contrôlait la profondeur, le rythme, mais tout en étant attentif à la jeune femme. Elle avait avalé son sexe, ses grognements de plaisir jusqu’à ce qu’il se déverse dans sa bouche.
Quand il s’était retiré, Mimi avait été surprise par le baiser furieux qu’il lui avait donné, mélangeant leur goût et la texture de leur plaisir mutuel. Un moment d’une force érotique qui lui procurait encore des frissons… et des palpitations entre les jambes.
Elle se secoua et quitta la chambre, les images de leur nuit toujours imprimées sur sa rétine.
Mimi ne put retenir un sourire.
Une chaleur se répandit dans sa poitrine lui apportant un sentiment de bonheur et de plénitude que seul Daniel savait lui faire atteindre. Habillé d’un t-shirt blanc et d’un jean descendant sur ses hanches, Daniel s’activait devant les fourneaux. Mimi reconnut l’odeur d’œufs, d’herbes et d’épices qui devaient probablement venir du jardin. Une cafetière sifflait sur le feu d’à côté, son arôme fort se mélangeant agréablement à celui de la cuisson.
Daniel perçut le moment exact où Mimi entra dans la cuisine. Elle n’avait fait aucun bruit, mais il avait une conscience aiguë de sa présence autant que si elle s’était annoncée. Sa signature était tout aussi existante que la femme qui la portait et Daniel sentit son sexe gonfler de désir.
— Salut.
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Il sourit en entendant le petit hoquet de surprise de Mimi avant d’éteindre toutes les plaques de cuisson et se retourner. Il avala difficilement sa salive. Vêtu d’un simple t.shirt, le sien nota-t- il, ce qui lui donnerait une bonne raison de le lui ôter, sans maquillage, les yeux encore légèrement gonflés de sommeil, elle était simplement splendide, d’une beauté qui lui coupait toujours le souffle.
Il crocheta le doigt et le recourba, l’invitant à le rejoindre. Ce que la jeune femme fit sans hésiter. Un sourire narquois étira les lèvres de Daniel quand Mimi vint se plaquer contre lui. Aussitôt, ses mains glissèrent sous le t- shirt de la jeune femme… pour ne rencontrer que des courbes et une peau aussi douce qu’une pêche.
Bon sang !
Avec cette manie qu’elle avait de se promener cul nu, elle finirait par avoir sa peau. Avec une infinie douceur, il se pencha et enfouit son visage dans le cou de Mimi. Du bout de la langue, taquina son épaule nue.
— J’adore quand tu obéis avec docilité, femme, murmura-t-il tout en appuyant sa remarque avec une petite claque sur les fesses de Mimi.
Comme prévu, elle partit au quart de tour. Il ricana en sentant les petits poings lui marteler le torse. Le chaton sortait les griffes. Et cela aussi, il adorait.
— Je ne suis pas ta chose ! argua Mimi, les joues délicieusement roses, et légèrement essoufflée alors qu’elle tentait de reculer.
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Mais Daniel la serrait contre lui et Mimi savait que toute tentative de fuite était vouée à l’échec.
Elle fronça les sourcils, espérant donner plus d’impact à sa colère. Mais quand elle croisa le regard facétieux de Daniel, elle se sentit complètement fondre. Il la provoquait et elle tombait dans son piège comme une débutante. Daniel la respectait beaucoup trop pour avoir si peu de considération pour elle. Mais hors de question de le laisser s’en sortir si facilement. Daniel devina immédiatement au regard brillant de
Mimi que sa contre-attaque allait beaucoup l’amuser.
De ce fait.
— Encore une remarque sexiste de ce genre et je fais de toi le premier eunuque garde du corps.
Daniel haussa les sourcils, toujours amusé.
— Tu crois ?
— J’en suis certaine, le menaça-t-elle tout en levant son genou vers la partie la plus sensible de l’anatomie de Daniel, un sourire victorieux aux lèvres.
— Le sexe avec moi te manquerait beaucoup trop, chérie, avança-t-il avec une assurance qui donna des frissons à Mimi.
Bon sang ! Autant de suffisance devait être interdite !
— Que tu crois, le défia-t-elle en haussant le menton en un geste vindicatif.
Le genou de Mimi touchait maintenant ses parties intimes et exerçait une dangereuse pression. Un geste brusque de la part de la jeune femme, et il crierait
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pitié de l’épargner… ou de l’achever, au choix. Elle était si certaine d’avoir la main et de contrôler la situation que cela en était risible. Ce qu’il ne fit pas cependant. Mimi avait beau peser la moitié de son poids, elle compensait par la rapidité de ses gestes et son aisance de danseuse… et il ne tenait pas à finir eunuque. Même pour quelques jours.
Aussi, avec une rapidité qui prit Mimi de court, il emprisonna ses jambes, la souleva et l’assit sur la largeur de la table en chêne de la cuisine. D’un geste efficace, il fit passer les jambes de chaque côté de ses hanches et l’allongea sur le plateau de bois, retenant les bras de Mimi au-dessus de sa tête. Ainsi, elle était entièrement à sa merci… et ses attributs complètement à l’abri.
Mimi hoqueta de surprise. Défier Daniel était la pire, mais surtout la meilleure idée qu’elle ait eue. Ce jeu entre eux, cette complicité, cette façon de se compléter sans s’envahir les rapprochait un peu plus chaque jour. Daniel emprisonnait ses poignets sans serrer. Il exerçait une pression dominatrice sans être douloureuse. Et elle adorait le contrôle qu’il leur offrait. Jamais il ne lui ferait de mal. Une évidence qu’elle avait effleurée des mois auparavant, mais qu’elle comprenait seulement maintenant.
— Pour info, murmura Daniel en effleurant le cou de Mimi de ses lèvres, les eunuques remontent à l’Empire byzantin. On les appelait « le troisième sexe ».
Daniel émit un rire bas en entendant Mimi prendre rapidement son souffle.
— Les plus célèbres remontent eux, à l’Empire ottoman où ils étaient affectés à la garde et
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l’administration des harems, ou pour le compte de riches commerçants, poursuivit-il en parsemant maintenant sa gorge de légers baisers.
La voix de Daniel glissait sur la peau de Mimi et semblait résonner au plus profond d’elle-même, en des recoins de son corps dont elle ignorait l’existence. Ses lèvres étaient délicieusement troublantes, ses mots qui pourtant n’avaient rien de salace provoquèrent des frissons dans tout son corps et inconsciemment, Mimi se cambra, cherchant à se plaquer un peu plus contre Daniel.
D’un mouvement vif, il la redressa pour la débarrasser de son t-shirt. Mimi se retrouva nue comme un ver et aussi vite qu’il l’avait relevée, Daniel la plaqua de nouveau contre la table, ses poignets toujours emprisonnés. Il sentit le corps de Mimi frissonner lorsque celui- ci rencontra la fraîcheur du bois. Daniel redressa la tête, un sourire aux lèvres, quand les délicieux tétons de Mimi se dressèrent au seul contact de l’air. Deux petits bourgeons roses qui n’attendaient qu’à être agacés par ses lèvres.
Mimi vit Daniel déglutir et ses yeux prendre une teinte plus sombre quand ils se posèrent sur sa poitrine.
Tout en se redressant, il ordonna d’une voix basse qui n’admettait aucune rébellion :
— Agrippe le bord de la table derrière toi.
Mimi s’exécuta. Elle allongea les bras vers l’arrière. Le geste l’obligea à se cambrer, tendant sa poitrine vers Daniel. Il posa ses larges mains sur les hanches de Mimi, l’attira vers le bord de la table de sorte que
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ses fesses soient à moitié posées sur le bois, à moitié dans le vide. De ses mains autoritaires, il saisit ses jambes, replia ses genoux et l’obligea à poser ses pieds sur le bord de la table, l’exposant totalement à sa vue.
Mimi retint son souffle. Elle était à l’entière merci de Daniel, les seins tendus, les jambes ouvertes, son sexe à disposition des envies de son amant. Un sourire vint étirer ses lèvres quand la pomme d’Adam remonta plusieurs fois dans la gorge de Daniel. Il imposait, mais elle détenait un pouvoir d’une force qu’elle n’aurait jamais cru posséder sur cet homme. Et pour lui, elle était prête à tout.
— Tu es magnifique, murmura-t-il, une forme de vénération dans la voix alors que ses mains se posaient sur le cou de la jeune femme, descendirent sur ses flans, ses pouces caressant les pointes durcies de ses seins en passant.
Les mains de Daniel poursuivirent leur chemin et Mimi poussa un soupir de frustration qui se transforma en gémissement quand ses doigts glissèrent à l’intérieur de ses cuisses jusqu’aux genoux.
Avec Mimi, il se sentait différent. Il ne ressentait plus ce besoin de planifier, de réfléchir à ses actes ou encore de garder le contrôle. Avec Mimi, il pouvait enfin s’abandonner complètement. Elle lui procurait une forme de liberté qu’il s’était interdit depuis vingt ans.
De la pulpe de ses doigts, il effectua de petits mouvements circulaires sur la peau douce à l’intérieur des genoux avant de remonter lentement ses mains, effleurer son sexe, sans lui donner cette caresse qu’elle attendait tant, et emprisonner sa taille.
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nouveau, ses pouces effectuèrent de petits mouvements, puis il remonta les mains jusqu’aux seins de Mimi. Du bout de l’index, il décrivait des cercles autour de son auréole d’un rose très pâle, s’approchant douloureusement de la petite pointe érigée, mais sans jamais la toucher avant de passer à l’autre sein.
Un sourire satisfait fleurit sur les lèvres de Daniel quand il vit Mimi se tortiller sur la table. Il se pencha enfin et souffla sur ses tétons dardés avant de poser ses lèvres dessus et d’agacer de la langue les minuscules bourgeons tendus de désir, de les aspirer, les sucer, les mordiller puis d’en atténuer la brûlure en les léchant avec une application qui fit gémir Mimi.
Il l’emmenait progressivement dans ce voyage délicieux vers la crête du plaisir. Il faillit céder aux adorables miaulements de désir de la jeune femme, mais il voulait la maintenir encore un moment aux portes du paradis, même si ne pas plonger immédiatement au plus profond de sa moiteur relevait de la torture. Il se redressa, délaissant la poitrine de Mimi. Elle était presque trop belle, les joues rosies, le souffle court. Ses lèvres rougies étaient un appel au péché, son sexe à la luxure.
Des pouces, il écarta ses replis humides, l’exposant pleinement à son regard. Daniel se pencha, huma l’odeur féminine de Mimi. Il l’entendit clairement retenir son souffle et Daniel lâcha un petit rire bas. Il aimait son impatience, sa réactivité. En prenant son temps, il posa sa langue sur les chairs moites et remonta lentement, se gorgeant de son goût jusqu’à son bourgeon gonflé qu’il se mit à suçoter, mordiller avant de l’aspirer plus franchement entre se lèvres.
Mimi se cambra sous ses assauts, des petits gémissements s’échappant de ses jolies lèvres. Daniel alternait caresses douces et morsures appuyées. Il
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recula légèrement la tête. Mimi avait toujours les bras tendus, exposant son adorable poitrine encore rougie par les assauts que sa bouche, sa langue, ses dents et ses doigts lui avaient fait subir.
Elle était belle et excitante ainsi à sa merci. Totalement offerte, parfaitement ouverte, ses petits halètements l’existant toujours plus.
Il se baissa à nouveau, la torturant un peu plus de sa langue qui lécha son sexe avec avidité. Jamais il ne pourrait se rassasier d’elle. Il aimait tout chez elle. Sa fragilité qu’elle s’efforçait de dissimuler, sa force qu’elle exposait comme une walkyrie, ses sourires, ses secrets. Son passé qui la définissait, ce présent qui le rendait fou, et cet avenir qu’il souhaitait plus que tout découvrir à ses côtés. Il glissa un doigt à l’intérieur d’elle et la sentit aussitôt se contracter. Il joua un moment, effectuant de lents va-et-vient tout en poursuivant les assauts de sa langue avant de glisser un second doigt dans sa moiteur. Son corps s’arc-bouta sur la table et Daniel posa une main ferme sur son ventre pour la plaquer contre le plateau. Il la voulait totalement à sa merci.
— Daniel…, murmura-t-elle d’une voix rauque.
Un timbre qui l’atteignit en pleine poitrine redescendit le long de sa colonne pour se ficher dans ses bourses qui se crispèrent dangereusement.
Nom de Dieu !
Un mot, et il était prêt à jouir comme un adolescent.
Il releva les yeux qui se plantèrent dans ceux suppliants de Mimi. Elle était aux portes de la jouissance et c’est lui qui en détenait les clés. Il
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esquissa un sourire diabolique en arrêtant toute torture. Mimi grogna quand il retira sa bouche et ses doigts. Il la sentit se contracter pour le retenir, ce qui accentua son sourire. Il la fixa intensément et Mimi se sentit brûler sous son regard. Une chaleur qui s’intensifia par la fixité de Daniel et le contrôle incroyable qu’il avait sur son corps, même s’il puisait dans ses dernières réserves de volonté pour se retenir d’ouvrir son pantalon et de s’enfoncer en elle.
— Dis-moi ce que tu veux, ordonna-t-il.
— Toi ! répondit spontanément Mimi, les yeux brillant de désir et les joues rouges. C’est toi que je veux.
Le regard de Daniel se posa sur le sexe de Mimi. Rose, lisse et luisant. Un péché à lui seul. Du bout des doigts, il caressa les lèvres intimes de Mimi. Un effleurement qui fit gémir la jeune femme.
— Tu me veux comme ça… ?
Elle releva son regard vers Daniel. Il jouait avec elle. Il savait pertinemment ce qu’elle voulait ! Elle secoua la tête.
— Non !
— Comme cela peut-être ? insista-t-il en enfonçant le bout de son index en elle.
— Daniel ! gémit-elle. S’il te plaît… sanglota-t-elle.
Daniel se pencha et posa ses lèvres sur celles de Mimi qui accueillit sa langue comme elle désirait accueillir son sexe en elle. Avec passion.
Bon sang !
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Qu’il aimait flirter avec les frontières du plaisir de la jeune femme. Elle était à lui. Et lui, il lui appartenait corps, cœur et âme.
Il se redressa et Mimi grimaça quand le tissu rugueux de son jean frotta contre son sexe sensible. Il y avait quelque chose de particulièrement érotique dans le fait qu’il soit totalement habillé, et elle entièrement nue. Un contraste qui les définissait si bien tous les deux. Opposés, mais complémentaires. Différents, et pourtant si semblables, animés par un même besoin.
Mimi ne quitta pas Daniel des yeux. Ils étaient brûlants et une lueur amusée, mais aussi bestiale y brillait. Avec une lenteur calculée, il ouvrit les boutons de son jean sans la lâcher du regard et libéra son imposante érection de son boxer. Ses yeux s’écarquillèrent quand elle le regarda se saisir de son sexe et entamer un langoureux va -et-vient avec sa main. C’était indécent et absolument existant. Enfin, il guida son sexe à l’entrée de celui de Mimi, caressa ses replis avant de buter contre la petite crête sensible qui arracha un soupir presque douloureux à la jeune femme.
— Seigneur, gémit-elle quand elle le sentit s’introduire enfin en elle.
D’une cruelle lenteur. Juste assez pour qu’elle perde la tête
— Oui, c’est ça, ma chérie.
Mimi essaya de ne pas prêter attention aux petits
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frissons que faisait naître sa voix rauque. Elle fut totalement incapable de réfléchir lorsqu’il entama un va-et-vient mesuré. Il voulait prendre son temps, la voir s’ouvrir et lâcher prise.
Il se regarda la baiser et l’expression sur son visage était merveilleusement décadente. Baiser ne rendait absolument pas justice à leur acte. Il y avait bien longtemps qu’il ne baisait plus avec Mimi. Ils se livraient, ils échangeaient tant de mots dans leur silence que baiser était à bannir. Il la respectait et l’aimait beaucoup trop pour cela. Leurs corps racontaient une histoire et l’associer à une vulgaire baise serait un sacrilège.
Il passa sa langue sur ses lèvres. Il avait encore le goût de sa chair dans sa bouche, et Bon Dieu ! C’était un nectar dont il voulait s’abreuver. Encore. Et encore. Jusqu’à ce qu’il soit rassasié. Ce qui n’arriverait jamais.
Il ressortit presque entièrement du corps de Mimi qui émit un adorable gémissement. Puis d’une poussée, il l’investit de nouveau. Il sentait ses chairs chaudes et moites s’ouvrir sous son invasion et vibrer contre sa hampe. Il absorbait chaque frémissement, chaque contraction autour de sa queue.
Mimi était à la frontière du plaisir. Ses coups de reins puissants la faisaient glisser sur la table, ses adorables seins tressautant à chaque poussée. Il agrippa ses hanches plus fermement, la stabilisant pour plus de confort, mais aussi pour l’avoir à sa merci et s’enfoncer profondément dans son corps tiède jusqu’à la garde. Il la sentait proche, ce que lui confirma la jeune femme quand sa supplique lui vrilla les reins, remonta dans ses bourses. Sa queue gonfla un peu plus, forçant les chairs de Mimi qui étouffa un gémissement de plaisir.
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— Daniel…
Il posa son pouce presque brutalement sur le bourgeon gorgé de Mimi qui se cambra en poussant un cri quand son orgasme la saisit. Tout son être se tendit avant de se désagréger en un million de particules de plaisir qui se répandit dans son corps. Comme un signal, Daniel réagit dans la seconde, son sexe comprimé par les spasmes de Mimi cria grâce et il se répandit en longs jets saccadés dans le corps accueillant de Mimi.
Son cœur était au bord de l’implosion tant il éprouva du plaisir et cette sensation lénifiante qu’était le bonheur. Peut-être encore plus puissante que de jouir. Il s’écroula sur Mimi tout en se retenant sur les bras pour ne pas l’écraser. Il enfouit sa tête dans le cou de la jeune femme, respirant profondément sa peau. Une odeur de sexe, mais aussi celle plus discrète de la confiance.
Les mains de Mimi se perdirent dans les cheveux de Daniel. Elle repoussa légèrement sa tête pour lui faire face.
— Je t’aime.
Il bâillonna sa bouche en un baiser très tendre. Sa langue l’investit, et trouva la sienne. Elles tâtonnèrent puis entamèrent cette danse que Mimi aimait tant. Daniel se détacha de Mimi.
— Je ne me lasserai jamais de l’entendre, déclara-t-il avant de replonger dans sa bouche.
Il s’écarta à regret de Mimi, abandonnant ses lèvres rouges et gonflées qui cherchaient frénétiquement de l’air. Il sourit quand en se retirant de son corps
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délicieux, il sentit les parois de Mimi se contracter pour tenter de le retenir et qu’elle émit un gémissement de protestation.
Daniel se rajusta avant d’enlever son t-shirt. Il resta quelques secondes à observer Mimi, toujours allongée sur la table, les jambes écartées, offerte à son regard. Aucune gêne ne venait recouvrir les traits parfaits de sa jolie rousse. Au contraire. Elle lui faisait confiance. Il baissa les yeux sur ses jolis tétons qu’il avait malmenés pour leur plus grand plaisir à tous les deux. Leur beau rose pâle habituel faisait place à un merveilleux rouge passion d’avoir été suçotés, léchés, mordillés, pincés. Daniel sentit son sexe frémir dans son pantalon et s’obligea à se calmer. Car s’il s’écoutait, il la prendrait à nouveau sur cette table.
Son regard descendit jusqu’au sexe de Mimi. Elle était magnifique ainsi ouverte. Sa semence s’écoulait de ses replis. Un sentiment de satisfaction purement animal et possessif s’empara de lui à cette vue. C’était imprudent, ils le savaient tous les deux. Mais voir son sperme sur la jeune femme lui donnait ce sentiment d’arrogante masculinité de toute puissance qu’elle lui appartenait.
Elle était à lui.
Marquée par son empreinte. Et il se promit que jamais un autre homme que lui ne vénérerait jamais son corps. Il utilisa le t-shirt pour essayer avec délicatesse la jeune femme puis l’aida à se redresser. Avant même qu’elle ait pu mettre un pied au sol, Daniel la souleva dans ses bras et se dirigea vers les escaliers menant à l’étage.
— Et le petit déjeuner ? demanda Mimi avec surprise.
— Plus tard grogna-t-il avant de sceller ses lèvres aux siennes. Je n’en ai pas fini avec toi.
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Daniel dissimula son sourire quand il sentit clairement le corps de Mimi frissonner de plaisir. Dès qu’il posait ses mains sur elle, il pouvait percevoir tout son corps vibrer, pulser. Et il adorait provoquer cette réaction chez elle.
*
Mimi grogna quand le portable de Daniel sonna. Elle aurait voulu qu’il ignore l’appel, mais savait que cela pouvait être important. Elle s’étira, déliant ses muscles délicieusement fourbus. Elle pensait que l’épisode de la table était le summum du plaisir, mais Daniel venait de lui prouver qu’il pouvait être encore plus créatif en matière de sexe.
Elle sourit en le voyant tendre le bras pour attraper l’appareil. Les muscles roulaient sous sa peau, relevant creux et méplats parfaitement dessinés. Elle écouta dans une plaisante léthargie sa voix rauque, encore chargée des instants magiques qu’ils venaient de passer, répondre à son interlocuteur.
Sa bulle de bien-être explosa sans prévenir, la ramenant sur terre avec une rapidité qui lui donna le vertige quand le timbre de Daniel se modifia. Immédiatement, Mimi comprit que la parenthèse dans laquelle ils étaient plongés depuis trois semaines venait de prendre fin.
Ce que lui confirma Daniel quand il raccrocha et se tourna vers elle le visage sombre.
— On doit remonter sur Paris.
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Chapitre 35
Que se passe-t-il ? ». Une question qui lui brûlait les lèvres, mais qu’elle s’interdisait de formuler. Par lâcheté probablement.
Daniel planta son regard dans le sien avec une force qui en temps normal aurait dû l’effrayer. Mais paradoxalement, il était le seul homme à détenir le pouvoir de la rassurer. Ils savaient tous les deux qu’elle était la cause, ou la raison, elle n’arrivait plus
faire la distinction entre les deux, de leur retour précipité sur Paris. Et elle connaissait suffisamment Daniel pour savoir qu’il ne la forcerait pas à parler. Même si à la contraction de sa mâchoire, cela lui en coûtait. Cette preuve supplémentaire de confiance lui gonfla la poitrine et elle sentit avec surprise les larmes lui embuer les yeux.
— Quand on sera rentrés, murmura-t-elle le visage baissé, d’une voix si troublée que Daniel la rejoignit sur le lit et glissa sa main derrière sa nuque.
Elle lui paraissait d’un coup si fragile qu’il aurait donné n’importe quoi pour voir un sourire s’inscrire sur ses jolies lèvres.
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— Que se passera-t-il quand on sera rentrés ? demanda-t-il avec douceur tout en l’obligeant à lever la tête.
Mimi planta son regard dans celui inquiet de Daniel. Doucement, elle posa sa main contre sa joue, effleura du bout des doigts la ligne volontaire de sa mâchoire pour suivre celle puissante de son cou, s’arrêtant sur son épaule.
— Je te dirais tout, dit-elle dans un souffle à peine audible.
Mimi était terrifiée. Pas à l’idée de parler à Daniel. Au contraire. Elle réalisait, avec un retard évident, qu’elle aurait dû le faire depuis des semaines. Elle était terrifiée non pas par ses révélations à venir, mais par ce que Daniel penserait d’elle quand il saurait.
Son instinct lui dictait qu’il ne porterait pas de jugement.
Son expérience avec les hommes lui soufflait une tout autre alternative.
Et cette bataille entre le bon sens de Daniel et sa propre conscience la poussait à douter d’elle.
Daniel la sentit trembler et l’attira contre lui, posant ses mains en coupe autour de son visage.
Et seigneur !
La peur qu’il lut dans son regard lui noua les tripes. Une peur qu’il identifia. Qui était bien plus subtile qu’il ne l’avait cru.
— Bon sang ! Quoi que tu me dises, jamais cela ne
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remettra en cause ce que je ressens pour toi !
Mimi ouvrit des yeux ronds. Il avait frappé exactement au bon endroit. Et cela le mettait en colère qu’elle puisse penser une seconde qu’il la rejetterait par les choix qu’elle avait faits dans son passé, et qui, visiblement, avaient une influence et des répercussions sur la femme qu’elle était devenue aujourd’hui. Il la secoua doucement.
— On est d’accord ? demanda-t-il durement. Peu importe ton passé.
Mimi hocha lentement la tête.
— Verbalise, chérie.
— On est d’accord, réussit-elle à articuler, encore en proie à quelques bribes de doute.
Qui se dissipèrent quand Daniel l’attira à lui et posa durement ses lèvres sur les siennes. Il y avait dans son baiser une force, mais aussi une détermination qui firent définitivement céder toutes les appréhensions de Mimi.
— Parfait ! Maintenant que l’on a mis les choses au clair, tu files te préparer pendant que je m’occupe de charger la voiture.
Il ponctua son ordre d’un baiser rapide sur ses lèvres avant de se lever et de quitter la pièce.
Mimi regarda la porte se refermer, encore étourdie par les dernières minutes tout en s’admonestant de ne pas avoir choisi la voie de la facilité plus tôt avec Daniel. Mais si elle avait suivi cette option, il ne lui aurait certainement pas fait découvrir des plaisirs
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charnels et émotionnels jusque là inconnus, qui, et cela l’agaça, la fit rougir en repensant à tout ce dont Daniel était capable de faire rien qu’avec ses doigts.
— Bon sang, marmonna-t-elle en se levant et enfilant ses vêtements.
Ce n’était franchement pas le moment. Elle vitupéra, jetant pèle-mêle ses affaires dans son sac de voyage, jusqu’à ce que plus une trace de son passage en Toscane ne soit visible. Elle finissait de boucler son sac quand Daniel revint pour le lui prendre des mains.
— Prête ?
Autant que pouvait l’être un condamné en route pour l’échafaud… Néanmoins.
— Oui, répondit-elle avec conviction.
Et une fêlure dans la voix qui n’échappa pas à Daniel.
*
Le retour fut relativement plus court qu’à l’aller. Cette fois, Daniel avait utilisé les axes routiers rapides sans se soucier de se faire repérer. Même si les probabilités que Giraud cherche à les localiser maintenant fussent quasiment nulles.
Daniel n’avait pas besoin de lui expliquer pour qu’elle comprenne que derrière sa précipitation à rentrer, se dessinait clairement la fin de quelque chose. Mimi espérait au plus profond de son être que ce soit la fin d’une décennie de fuite, de peur et d’incertitude. Elle avait besoin de ce laps de temps
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supplémentaire avant de parler à Daniel. Et il l’avait compris. Elle n’avait pas eu besoin de mettre des mots sur ses émotions. Daniel les avait immédiatement perçues et analysées. Elle ressentait vivement cette impression étourdissante d’être prise dans une spirale et que le contrôle de sa propre vie lui échappait. Une sensation étrangement rassurante de savoir que quelqu’un autre qu’elle prenait soin d’elle. Qu’elle n’était plus seule. À cette pensée, un état de soulagement la submergea, aussitôt suivi d’une boule de gratitude envers Daniel si forte, si respectueuse qu’elle lui donna le vertige.
Elle attrapa doucement la main que Daniel avait posée sur le volant et embrassa le dessus avec solennité.
— Merci, murmura-t-elle.
— Je suis prêt à te laisser autant de temps qu’il t’en faut.
Mimi exerça une légère pression sur la main de Daniel. Cet homme était d’une perspicacité redoutable. Elle avait toujours autant de mal à croire, réaliser même, qu’il soit aussi observateur et intuitif. Comment parvenait-il à la lire, la comprendre avec autant de facilité ?
Daniel lui lança un regard avant de reporter son attention sur la route. Mais pendant ce bref échange, elle avait pu lire toute la force que cet homme serait capable de déployer pour elle. À son tour, il attira les doigts fins de Mimi à sa bouche avant de les embrasser un à un.
*
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Ils avaient traversé l’Italie et la France en un temps record. Trop tard toutefois pour que Daniel voit Greg.
Et sa priorité se trouvait actuellement dans un état d’épuisement intense provoqué par un stress constant. À mesure qu’ils approchaient de la capitale, il pouvait voir Mimi se recroqueviller sur elle. Et il détestait être le témoin d’une nervosité aussi tangible. Pour l’instant, il n’avait pour seul objectif de mettre sa jolie rousse à l’abri dans son appartement. Son lit plus précisément. Pour lui faire l’amour jusqu’à ce qu’elle ne pense à rien d’autre qu’au plaisir.
Projet qu’il mettrait cependant entre parenthèses quand elle tituba en sortant de voiture. Il l’aida à descendre pour la guider jusqu’à l’ascenseur privé du sous-sol qui les emmènerait directement à son appartement. Ses traits accusaient la fatigue et elle était à la limite de s’écrouler.
Il était minuit passé quand Daniel rejoignit une Mimi endormie sous la couette. Comme si elle avait senti sa présence, elle se décala jusqu’à se blottir contre Daniel qui n’hésita pas une seconde à enrouler son bras autour de la taille de la jeune femme. Un instinct, qu’il écouta avec attention, l’avertissait que ce que Greg avait découvert allait changer profondément la nature de sa relation avec Mimi. Mais quoique cela fut, il se promit de tout faire pour la protéger. Il enfouit son visage dans le cou de la jeune femme, respirant sa chaleur et ce parfum si particulier qui la caractérisaient avant d’embrasser doucement sa peau tiède et de fermer les yeux à son tour.
Mimi ouvrit un œil, vérifiant l’heure sur la radio réveil. 10 h 23.
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Seigneur !
Elle avait dormi plus qu’elle ne l’aurait pensé. Ce qui soulignait son état de fatigue de la veille. La place
ses côtés était évidemment froide. Depuis un moment sans aucun doute. Daniel devait actuellement être avec Greg qui avait précipité leur retour. Une réalité qui la réveilla totalement.
Mimi se redressa vivement dans le lit et frissonna. À cause de la fraîcheur de l’air. De l’absence de Daniel. Mais surtout de cette expression d’urgence qui la tenaillait depuis la veille. Elle se leva en vitesse avec le sentiment dérangeant que le temps était compté. Qu’il lui fallait agir. Immédiatement. Simplement pour s’assurer que tout allait bien et effacer l’impression désagréable du danger qui tournait autour d’elle. Elle regarda sa montre. Si elle partait maintenant, le temps de prendre le métro, elle arriverait juste à l’heure.
Mimi prit une douche rapide et hésita un instant en s’habillant. Si elle quittait le loft, Daniel serait furieux. Elle s’était promis, ainsi qu’à Daniel, de lui dévoiler toute la vérité. Mais avant, elle devait se rendre à cet endroit qui lui était si cher. Comme un besoin incoercible d’y retourner une dernière fois.
Car lorsqu’elle lèverait le voile, tout ce qui faisait sa vie depuis douze ans volerait en éclat. Et une autre peur viscérale que le regard de Daniel change lui vrilla l’estomac. Elle sentit la nausée venir et arriva de justesse dans la salle de bain. Ses hauts le cœur lui arrachèrent des larmes. De détresse, de douleur. Elle passa ses mains tremblantes sous l’eau avant de s’asperger le visage. Mimi prit appui sur la céramique, les mains de chaque côté du lavabo. Le reflet qui lui faisait face était pâle, les yeux brillants. Mais ce qui la choqua le plus fut d’y lire cette
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angoisse qu’elle avait mis des années à dissimuler et qui aujourd’hui lui revenait en plein visage.
Mimi ferma les yeux avant de les ouvrir avec détermination. Ce n’était pas le moment d’être faible ! Elle sortit précipitamment, comme si elle avait le diable aux trousses. Ce qui n’était pas loin d’être le cas. Elle repoussa cette pensée et traversa le salon. Son regard fut attiré par la console près de l’entrée. Celle-là même où Daniel avait posé son portable plus de trois semaines auparavant.
Seigneur !
Elle avait cette sensation étourdissante qu’il y avait bien plus de temps que cela que sa « fuite » eût été organisée par Daniel.
Son portable était toujours posé dans l’entrée. La pensée saugrenue que pas un grain de poussière ne recouvrait les meubles lui traversa l’esprit. La personne qui s’occupait de l’entretien de l’appartement agissait avec une efficacité, et une précision redoutables en replaçant au millimètre chaque objet soulevé. Mimi se secoua et attrapa son téléphone qu’elle alluma. Étonnamment, il lui restait encore de la batterie. Des dizaines d’appels en absence, de textos encombraient son écran. Rien d’important, checka-t-elle en les listant.
D’une main tremblante, elle appuya sur le bouton d’appel de l’ascenseur, priant pour que les portes ne s’ouvrent pas sur Daniel. Elle ne voyait pas comment lui expliquer que sa sortie ressemblait à un semblant de pèlerinage. Qu’elle avait besoin d’une heure. Une dernière heure avant de lui parler.
Elle relâcha son souffle quand les portes s’ouvrirent, présentant une cabine vide. Avec tout
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autant de fébrilité, elle attendit le ventre noué que la cabine la dépose cinquante-sept étages plus bas. Ce qui se produisit avec une facilité qui la fit douter.
En général, ce qu’elle entreprenait ne se déroulait jamais sans rencontrer au moins un couac. Et pourtant, elle foulait maintenant le parvis de la Défense les jambes flageolantes, l’air frais en comparaison de celui de la Toscane lui cinglant le visage.
Elle se retourna plusieurs fois, le cœur tambourinant contre ses côtes, mais aucun signe d’un Daniel furieux à sa poursuite. Elle dut poser sa main contre son estomac et respirer longuement pour endiguer la nausée qui montait à nouveau.
Au prix d’un effort qui la laissa épuisée, Mimi monta dans la rame de métro et sentit enfin l’étau qui lui comprimait la poitrine se desserrer.
*
Daniel rejoignit le bureau de Greg à grandes enjambées aussi impatientes que frustrées. Il avait quitté Mimi une heure plus tôt. Comme par un fait exprès, Greg avait dû gérer une urgence sur une mission et ne rentrait que maintenant. Daniel rongeait son frein depuis une bonne heure et sa patience était arrivée au maximum de ce qu’elle pouvait atteindre. Il ouvrit la porte du bureau de Greg à la volée, faisant peu de cas d’envahir l’espace de son ami avec si peu de délicatesse.
— Alors ?
Greg haussa un sourcil avant de se lever de derrière son bureau.
— Bonjour à toi aussi.
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Daniel se renfrogna et allait rétorquer quand un soupçon de contrôle l’empêcha de s’en prendre à son ami.
— Désolé, grogna-t-il. La nuit a été… courte.
Ou longue selon le point de vue. Le sommeil l’avait complètement déserté. Il avait passé la nuit à étayer des hypothèses, sachant pourtant qu’il ne servait à rien de se disperser et alimenter sa nervosité et son état de tension sans posséder le moindre élément tangible. Son métier, son expérience, lui avaient pourtant appris que c’était non seulement contre-productif, mais que cela multipliait de façon exponentielle un stress, qui, le plus souvent, s’avérait toxique. Et non le stress qui permettait d’augmenter son taux d’adrénaline et de rester en vie lors des missions.
Daniel tira une chaise et se laissa tomber lourdement dessus avant de passer une main sur son visage dans l’espoir improbable de chasser la fatigue. Greg l’observa. S’il paraissait reposé, exception faite de légers cernes sombres sous les yeux, résultat d’une nuit d’insomnie, la posture de Daniel révélait à quel point il était tendu. Tout dans son langage corporel indiquait que Daniel, sous ses airs nonchalants était impacté par la situation fragile de sa danseuse. Il ne maîtrisait pas toutes les parts d’ombre de Mimi, et cela, au-delà de le frustrer, créait une inquiétude qui le rongeait.
— Merci pour le Palazzo.
Une entrée en matière qui amena un des rares
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sourires sur le visage de son ami. Sourire qui mit en exergue sa cicatrice, plus prononcée aujourd’hui par la barbe qu’il n’avait visiblement pas eu le temps de raser. Ce qui poussa Daniel à lui demander si son intervention s’était soldée positivement.
— Rien que je ne pouvais régler seul. Même si cela m’a pris plus longtemps que prévu, ajouta Greg. Et de ton côté ? demanda-t-il à Daniel.
Celui-ci haussa un sourcil interrogateur.
— Ce ne serait pas plutôt à toi de me dire ce qui a motivé ton appel de la veille.
— Parle-moi d’abord des éléments que tu as pu récolter au cours de ces trois semaines. Qu’as-tu appris de Mimi ?
OK. Si Greg optait pour cette approche, c’était qu’il voulait comparer les éléments qu’il avait collectés avec ceux de Daniel afin de corroborer sa théorie. Une théorie qui à ce stade n’en serait probablement plus une, mais un fait.
Daniel poussa un long soupir qui alerta immédiatement Greg.
— Ne me dis pas que tu ne l’as pas interrogée !? demanda Greg avec un calme dans la voix qui trahissait néanmoins sa surprise.
Et pour surprendre Greg, il en fallait beaucoup.
— Elle était trop fragile, marmonna Daniel
Bon sang !
Même à ses oreilles, ça sonnait pathétique. Il avait
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été lâche avec Mimi. Il le savait. Greg le savait. À la différence, son ami n’avait pas besoin de mot pour mettre Daniel devant sa propre faiblesse. Mais Mimi n’était pas une femme comme les autres. Elle n’était pas un témoin lambda. Elle était sa femme. Elle était à lui. Et on ne molestait pas ce qui lui appartenait !
— Ta danseuse. Fragile… ? ricana Greg.
Daniel ne releva pas. Cela serait insulter Greg qui en deux questions et trois mots bien placés avait évalué la situation.
Et merde !
— Elle a promis de tout me raconter aujourd’hui. On parle de Mimi, là ! Elle a mis du temps à me faire confiance et je savais qu’il ne servait à rien de poursuivre dans la voie de l’affrontement avec elle, même à fleurets mouchetés, maugréa-t-il.
— Eh ! Bien. Si j’avais pensé un instant que le bourreau des cœurs que tu étais tomberait amoureux de la jolie Mimi, j’aurais ouvert les paris.
Daniel le regarda d’un œil mauvais avant de rétorquer :
— Je serai le premier à sabrer le champagne quand ça t’arrivera.
— Aucun risque, répliqua Greg avec assurance. Cela voudra dire que j’autoriserais une femme à m’attacher… avec les liens que je lui aurai moi-même offerts.
Ce qui dans le monde de la domination relevait de l’utopie voire même de l’hérésie interpréta Daniel. Greg était un dominant. Daniel l’avait déjà vu en
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pleine séance dans son club. Si Greg était respectueux et attentif envers les femmes, il leur offrait la sécurité, ainsi que la possibilité de s’abandonner complètement, elle et leur inhibition, mais jamais il ne laissait les sentiments prendre le pas. Les émotions, oui. Et la différence entre les deux était si subtile que beaucoup de femmes avaient cru pouvoir atteindre le cœur de Greg sans véritablement jamais l’effleurer. Même s’il était parfaitement clair avec elles dès qu’il entamait une relation. Alors le parallèle entre l’amour et les liens était on ne peut plus approprié.
Mais Daniel était bien placé pour savoir que jamais on ne pouvait prédire où une relation avec une femme pouvait déboucher.
— Tu serais surpris, prophétisa Daniel.
Greg balaya sa remarque d’un geste désinvolte de la main.
— Bien ! Qu’as-tu découvert ? demanda Daniel pour revenir sur un terrain qu’il maîtrisait.
Du moins à peu près…
— J’attends une confirmation. On devait m’appeler hier, mais il y a eu un contretemps.
— Quel genre de « confirmation » ?
Un certain malaise envahit Daniel. L’air sombre de Greg était un signe qui n’annonçait rien de réjouissant. Du moins était-ce ainsi que Daniel interprétait l’attitude de son associé.
— Du genre surprenant, répondit Greg.
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Ouais… Réponse on ne peut plus sibylline. Au moins était-ce moins catégorique et négatif qu’il le pensait. Du moins l’espérait-il.
— Mon contact doit me joindre dans la journée. Je pourrais alors…
Il fut interrompu par la sonnerie simultanée de leur portable. Une alarme. Mais pas n’importe laquelle, et qui figea Daniel. Celle attribuée à la surveillance de Mimi.
Les deux hommes sortirent leur portable et lurent le message. Le système que Daniel avait installé dans le téléphone de Mimi plusieurs semaines auparavant s’avérait d’une froide précision.
— Non de Dieu ! s’exclama Daniel.
— Effectivement. On dirait que ta danseuse vient de quitter la tour.
— Bordel ! s’écria Daniel en se levant brusquement et se mettant en route. Qu’est-ce qu’elle fout dehors ?
Une brusque panique lui vrilla le ventre à l’idée qu’elle était en train de le quitter. Une panique qui le paralysa une fraction de seconde et qui n’échappa pas
Greg. Voilà pourquoi il ne voulait jamais tomber amoureux. Les sentiments avaient ce pouvoir destructeur de paralyser et d’empêcher tout choix logique. Et son ami ne faisait pas exception malgré son expérience professionnelle et militaire.
Bon sang !
C’était comme ci tout ce qu’il avait appris, aussi bien par des instructeurs que sur le terrain avait déserté son cerveau.
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— Daniel !
La voix de Greg claqua dans le bureau.
Assez sèchement pour remettre les idées en place de Daniel qui réagit au quart de tour. Déjà, il envoyait des instructions à plusieurs équipes. Une ayant pour mission de rattraper Mimi en visuel, l’autre, par l’algorithme du traceur, estimer sa destination avant même qu’elle ne soit sur place. Daniel choisit cette option. Par expérience, le traceur avait prouvé son efficacité.
Deux minutes plus tard, il se retrouvait dans un véhicule qui roulait dans les dédales des sous voies de la Défense pour s’engager en plein cœur de la capitale.
*
Mimi resserra les pans de sa veste pour se protéger du froid et du vent. Elle chassa une mèche de cheveux devant son visage, ne voulant rater aucun détail. Elle se plaça à un point stratégique. Celui qui lui permettait de voir sans être vue. Légèrement en retrait. Elle scruta l’espace derrière les grilles et mis moins de deux secondes à repérer ce qu’elle cherchait. Un sourire qu’elle ne put contrôler s’inscrivit sur ses lèvres, et cette impression d’oppression se dissiper totalement.
Dieu ! Que cela faisait du bien !
Même si le bonheur simple d’observer était mâtiné de douleur. Mais c’était mieux ainsi. Elle avait fait le bon choix, bien que la déchirure serait toujours présente.
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Absorbée par son observation, Mimi mit plusieurs secondes avant de sentir une présence dans son dos. Un frisson glacial la parcourut et elle sentit son sang se figer dans ses veines. Doucement, elle se retourna sachant déjà qui elle allait trouver.
Ses yeux rencontrèrent ceux chocolat qu’elle aimait tant, mais dépourvu de chaleur. Le visage de Daniel était d’une fixité inquiétante. En observant de plus près, Mimi décela sans peine la fureur qui trahissait ses traits, immédiatement remplacé par la surprise quand ses yeux se posèrent au-dessus de son épaule et qu’ils se posèrent de l’autre côté des grilles.
Daniel reporta son attention sur Mimi dont les yeux étaient agrandis par la frayeur. Son teint était si pâle qu’il craignait qu’elle ne fasse un malaise. Et vu ce qu’il voyait, il comprenait pourquoi elle paraissait tant effrayée.
— Je… je voulais te parler, balbutia Mimi. Je… j’avais seulement besoin de ces dernières minutes.
Il ne répondit pas et reporta son regard par-dessus l’épaule de Mimi.
Bon Dieu ! Comment avait-il pu passer à côté !?
Son téléphone sonna, rompant le silence épais et insupportable qui s’était installé. Un silence lourd. De regret, de peur, de colère. La voix dure et tranchante de Greg résonna comme une sentence. Il connaissait d’avance ses mots, puisque la réponse se trouvait de l’autre côté des grilles et que la vérité lui explosait en pleine tronche, lui laissant un goût amer dans la bouche.
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— On s’est plantés sur toute la ligne. Mimi n’est pas la cible.
— Je sais, répondit la voix glaciale de Daniel. Je l’ai en visuel.
Il raccrocha sans quitter la « cible » du regard puis, avec une lenteur qui fit venir les larmes aux yeux de Mimi, il se tourna vers elle et planta son regard dans le sien.
Seigneur !
Elle aurait donné le peu qu’elle posséda juste pour retrouver cette connexion, ce lien si précieux qu’elle avait créé avec Daniel. Ce fut à peine si elle reconnut l’homme qui lui faisait face.
— Je crois que l’on a certaines choses à mettre au clair.
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Chapitre 36
Où était passée la jeune femme pleine de hargne qu’il connaissait ?
Celle qui lui faisait face semblait démunie et d’une fragilité qui lui serra les entrailles. Sa colère, qu’il avait tenté de dissimuler, resurgit avec une force qu’il n’aurait pas soupçonnée.
Mimi vit de nouveau cette étincelle de fureur dans son regard, les traits de son visage, la tension qui habitait son corps. Elle sentait cette colère grandir, prendre une aura dangereuse autour de Daniel au point qu’elle recula de quelques pas, effrayée par la puissance des émotions de son amant.
Les yeux de Daniel oscillaient entre Mimi et la petite fille qui parlait avec d’autres de son âge dans la cour du collège.
La ressemblance avec Mimi était frappante.
Choquante presque.
La petite fille possédait encore les traits de l’enfance, mais il devinait derrière la femme qu’elle deviendrait d’ici quelques années. Une jeune femme magnifique. Des yeux dont il ne pouvait déterminer la couleur à cette distance, mais dont la forme était identique à ceux de Mimi. Des traits qui avaient pour modèle ceux de Mimi. Seule la couleur de cheveux était différente. Ceux de son père, constata Daniel
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quand il observa l’épaisse chevelure noire qui encadrait le visage doux et solaire de la petite fille dont il estima l’âge à douze ans. De Ribaupierre possédait cette même masse brune. Ses fils aussi.
— Quel âge a ta fille ?
Mimi se statufia littéralement. Daniel était le premier à la nommer ainsi. Entendre ses mots fissura le barrage qui retenait ses émotions depuis des années, et elle sentit les digues céder. Les larmes s’échappaient sans qu’elle puisse, ou même qu’elle en ressente le besoin de les retenir. Pour quoi faire ? En même temps qu’elles coulaient sur ses joues, c’était comme si elle respirait un peu plus. Tant d’années à garder ce secret, fuir les questions, venir en cachette pour observer son propre enfant comme une voleuse. Être privée de ce qu’elle avait de plus précieux. Pas pour elle, mais pour préserver sa fille et la mettre à l’abri.
— Douze ans et demi, hoqueta-t-elle.
Daniel passa sa main dans ses cheveux tout en s’efforçant de respirer calmement.
Putain de bordel de merde !
Le calcul était simple. Mimi venait d’avoir vingt-neuf ans, sa fille, douze. Cela voulait dire qu’elle était tombée enceinte à seize ans pour accoucher à dix-sept.
Nom de Dieu !
Elle n’était qu’une gamine !
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Avec douceur, il prit le visage de Mimi entre ses grandes mains et de ses pouces essuya les larmes sur ses joues.
— Viens ! On ne peut pas rester ici. C’est trop dangereux.
Elle hocha la tête, même si elle ignorait pourquoi cela représentait un danger si immédiat. La douceur dans les gestes de Daniel tranchait avec la froideur de sa voix. Cette dichotomie perturba un peu plus Mimi quand il passa son bras autour de ses épaules et l’entraîna hors de vue des grilles du collège.
Daniel fulminait, mais il tenta de réguler et tempérer ses émotions. Si Greg et lui avaient pu remonter la source, Giraud ne devait pas se trouver loin derrière eux. Il décrocha son téléphone tout en entraînant Mimi.
— Je veux une équipe immédiatement pour soutenir celle déjà sur place
Il continua à donner des ordres au téléphone puis des consignes aux deux hommes qui venaient de sortir d’un véhicule garé un peu plus loin devant une Mimi étourdie. Elle ne comprenait plus, se sentait vide. Fatiguée et sur les nerfs à la fois.
Pourquoi une équipe ?
Pour qui ?
Daniel reconnut sans difficulté la confusion sur le visage de la jeune femme. Tout allait très vite pour elle. Trop vite. Et la situation allait encore s’accélérer. Même s’il ignorait quelle direction prendrait cette
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affaire.
Quoi qu’il en soit, il ferait tout pour mettre Mimi et sa fille en sécurité.
Et cela commençait maintenant !
Il ne pouvait prendre le risque de perde du temps, car ce temps, il ne le possédait pas. Il ne souhaitait pas non plus inquiéter Mimi plus que nécessaire. Il la voyait au bord de l’épuisement. Elle n’était pas une femme à se laissait aller à l’hystérie. Mimi était forte. Mais elle arrivait au maximum de ce qu’elle pouvait encaisser. Et la connaissant, elle voudrait repousser ses limites.
Le trajet jusqu’à la Défense s’effectua dans un silence pesant. Mimi s’était recroquevillée sur elle-même. Émotionnellement et physiquement, au point qu’elle donnait l’impression d’être avalée par le siège et paraissait minuscule. Fragile. Trop fragile. Et plus ils approchaient des bureaux, plus elle semblait se renfermer, et la colère de Daniel s’accroître.
Il claqua trop violemment la portière et Mimi sursauta, accentuant un peu plus l’agitation de Daniel. En silence, ils atteignirent l’étage des bureaux. Mimi stoppa face à l’activité étrange des lieux. Il y régnait une animation perturbante et inhabituelle. L’air était électrique, comme si chaque homme qu’elle croisait était sur le qui-vive.
Elle n’eut guère le temps de s’appesantir que la main de Daniel posée dans le bas de son dos l’entraînait vers un bureau un peu plus en retrait. Celui de Greg, comprit-elle quand elle en franchit les portes et se retrouva face à un regard aussi noir que les abîmes dans lesquels elle avait l’impression de sombrer.
D’une pression sur l’épaule, Daniel l’obligea à prendre place sur le sofa qui occupait une partie de la
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pièce et Mimi le remercia silencieusement, sentant ses jambes la porter à peine. Greg s’assit face à elle, les avant-bras posés sur les cuisses, une expression déterminée, mais aussi concentrée sur le visage. Ainsi, il lui offrait toute son attention.
— Bien ! Il va falloir jouer franc jeu maintenant.
Mimi hocha la tête frénétiquement, impressionnée par le timbre rauque dans sa voix. Elle risqua un regard vers Daniel qui avait pris place dans un fauteuil, légèrement en biais d’elle. Elle ne faisait plus face à deux hommes, mais à des professionnels entraînés qui avait revêtu un masque qu’elle peinait à reconnaître.
— Je vais être franc, poursuivit Greg. Il ne s’agit plus seulement de vous, mais de votre fille…
— Adèle, le coupa doucement Mimi. Elle s’appelle Adèle.
Mimi releva la tête. Un sourire discret ourlait les lèvres de Greg, changeant complètement sa physionomie. Il semblait plus… accessible et étrangement, plus rassurant.
— C’est un très beau prénom, ajouta Greg.
Une remarque qui fit venir les larmes aux yeux de Mimi, touchée par les mots de Greg. Elle le connaissait peu, mais suffisamment pour savoir qu’il était d’une honnêteté sans faille aussi bien dans ses actions que dans ses paroles et qu’il pensait réellement ce qu’il venait de lui dire. Que chaque mot qui sortait de sa bouche était marqué du sceau de la vérité.
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— C’est la seule chose que j’ai exigée, murmura-t-elle sans oser un regard vers Daniel de peur de croiser une fois de plus sa colère.
S’il lui en voulait à ce stade de son récit, il la détesterait lorsqu’il aurait entendu la totalité de son histoire. Une boule se forma dans sa gorge et Mimi dut faire un effort pour la combattre et permettre à l’air d’atteindre ses poumons. Un geste qui ne passa pas inaperçu.
— J’imagine que cela ne doit pas être facile, mais le temps joue contre nous.
Greg avait parlé avec circonspection, malgré une urgence dans sa voix qui alerta Mimi
— Pourquoi ?
Greg jeta un regard vers Daniel qui acquiesça. Ce dernier préférait rester en retrait, sinon il serait capable de tout casser.
Cette ordure qui l’avait mise enceinte à seize ans. Son secret qu’elle avait gardé pendant plus de
douze ans !
Sa détresse qui lui donnait envie de la prendre dans ses bras et de l’emmener loin de tout ce bordel.
Et Greg avait saisi qu’il était bien trop impliqué émotionnellement pour procéder à un interrogatoire, ou plutôt faire face aux confessions de Mimi sans péter un câble.
— Simplement que si l’on est parvenu à remonter jusqu’à Adèle, cela signifie que Giraud n’est pas loin
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derrière nous.
Mimi se figea immédiatement, ses yeux reflétant une peur qui vrilla les tripes de Daniel le poussant à intervenir
— J’ai demandé à une équipe de ne pas la quitter des yeux une seconde.
— Elle ne craint rien ? interrogea Mimi, la voix chevrotante
— Non, assura Daniel. Mais le temps joue contre nous.
Et le temps que Mimi se confie, il serait peut-.être trop tard. Option qu’il était hors de question de dévoiler à la jeune femme. Les deux amis échangèrent un bref regard. Ils étaient malheureusement d’accord sur ce point.
— Mimi, reprit Greg. On ignore totalement qui a recruté Giraud, et dans quel but. Pourquoi s’en prendre à Adèle ? Une chose est sûre, ce n’est pas De Ribaupierre qui est le mandataire. Mais cela peut-être sa femme…
— Sa femme ? le coupa Mimi, en relevant vivement la tête. Pourquoi ferait-elle une chose pareille ?
— L’argent. C’est souvent une raison suffisante.
— Ça n’a pas de sens. Elle est déjà très riche…
— À ce stade, cela peut-être n’importe qui, tempéra Greg. Je ne dis pas qu’elle est impliquée. Juste que c’est une possibilité. Ce peut aussi être un individu qui veut se servir d’Adèle pour faire pression sur De Ribaupierre. Son empire financier pèse des millions et les guerres entre partenaires sont souvent déloyales.
— Quitte à s’en prendre à une enfant ? demanda Mimi les yeux agrandis par la peur.
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— Quitte à s’en prendre à une enfant, confirma Greg.
— Mais pourquoi insista Mimi ?
— Le faire chanter est une option.
Mimi sentit un grand froid l’envahir. Elle mourait d’envie de toucher Daniel, de recevoir sa force, sa chaleur, mais n’osait toujours pas le regarder. La peur du jugement s’abattit en plus de la terreur qui lui comprimait la poitrine, mais avant qu’elle puisse s’enliser dans un marasme émotionnel, Greg intervint.
— On a besoin d’entendre votre histoire. Elle peut probablement nous donner des pistes. On a besoin de vous sur ce coup, Mimi.
— OK, murmura Mimi en prenant une grande inspiration avant de se lancer dans le récit de sa pathétique vie.
Ses origines. D’une famille bourgeoise de Lyon. Son père, un industriel puissant de la région qui se lançait dans la politique, sa mère, sa sœur de dix ans son aînée. Leur vie, que son père qualifiait de parfaite… juste avant sa naissance. Un accident. Une enfant non désirée, comme il aimait le lui répéter.
— Même mon prénom.
Mimi émit un petit rire désabusé en levant les yeux vers les deux hommes.
— Ils ont fait une erreur à l’état civil, précisa-t-elle d’une petite voix. Ils ont oublié le N. Je devais m’appeler Charline et non Charlie.
Daniel serra les poings, touché malgré lui par les
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mots de Mimi. Des mots douloureux qui ne racontaient pas seulement une histoire, mais qui mettaient à nu toutes les douleurs et les souffrances de la jeune femme.
— Juste après mes douze ans, ma mère s’est suicidée…
Revivre ces souvenirs projeta Mimi dans un état d’esprit proche de celui dans lequel elle errait à cet âge. Perdue. Destructeur. D’une violence émotionnelle qui lui coupa momentanément le souffle. Elle se força
respirer longuement. Une respiration hachée, mais qui lui permit de se reprendre. Elle était là pour évoquer des faits. Pour Adèle. Elle n’avait pas le temps, Daniel et Greg non plus, de s’appesantir sur son passé.
— Mon père m’a rendu responsable, poursuivit-elle. Il… il m’a dit que c’était ma faute si ma mère était morte, balbutia-t-elle.
Daniel regardait avec une sorte de fierté la jeune femme combattre ses propres émotions. C’était une guerrière. Elle avait survécu à toute cette merde et il s’en voulait de la replonger dedans. Mais ils n’avaient pas le choix. Et s’il pouvait se trouver face à son connard de père, il n’hésiterait pas une seconde à lui foutre son poing dans la gueule.
— Je n’étais pas très proche de ma sœur. Elle avait vingt-deux ans et faisait ses études sur Paris.
En clair, tu t’es retrouvée seule face à ce merdier, interpréta Daniel.
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— Si mon père ne faisait pas attention à moi avant le drame, après il m’a totalement ignorée. Je suis partie un peu en vrille. La seule constante dans ma vie était la danse.
Effectivement. Daniel reclassa les informations qu’il détenait sur Mimi à cette époque. Des fugues, des résultats scolaires catastrophiques, des renvois et des suspensions qui avaient démarré au collège et s’étaient poursuivies au lycée. Une gamine livrée à elle-même, qui par ses actes appelait au secours. Mais qui n’avait été entendue de personne. Sauf de sa professeur de danse. Il se souvenait de cette petite bonne femme toute sèche, mais qui possédait un cœur débordant d’enthousiasme lorsqu’il était allé la voir et qu’elle lui avait parlé de Mimi : une gamine perdue qui ne demande qu’à être aimée.
— Quand je suis entrée au lycée, j’ai décidé de prendre un petit boulot en parallèle pour payer des cours supplémentaires de danse. Mon père ne voulait pas en entendre parler, alors j’ai dû me débrouiller, ajouta-t-elle en haussant les épaules.
Même si elle tentait de faire abstraction de la présence de Daniel, l’aura de colère qu’il dégageait le lui interdisait. Elle releva la tête et croisa son regard dur. Aussitôt une chape de culpabilité pesa sur sa conscience et ses épaules au point qu’elle se sentit se recroqueviller sur elle-même. Elle poursuivit néanmoins son récit, une boule au ventre.
— Je travaillais comme serveuse dans un bar du centre-ville. Un jour, mon patron m’a demandé si je voulais faire des extras pour le service traiteur d’un de ses amis. J’ai accepté. Le taux horaire était un peu
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plus élevé que celui de serveuse. C’est lors d’une soirée de travail que j’ai rencontré Ghislain.
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Chapitre 37
Mimi sentit sa gorge se nouer et d’un geste inconscient passa sa main sur son front. Les souvenirs s’agglutinaient, les émotions s’entrechoquaient dans son crâne et un instant, elle crut être balayée par une nausée qu’elle contrôla au prix d’un effort qui lui vola une partie de ses forces.
Greg lui tendit un verre d’eau qu’elle accepta, mais ses mains tremblaient si fort qu’elle dut le reposer sur la table basse.
— Je… on. On est devenus amants, balbutia-t-elle. C’était la première fois que l’on faisait attention à moi. Que l’on me considérait comme une personne. Comme une adulte…, ajouta-t-elle, sa voix s’éteignant sur ses derniers mots alors qu’elle risquait un regard vers Daniel.
Les ombres dans son regard semblaient danser et engloutir progressivement ce qui restait de sentiments humain en lui. Mimi le reconnaissait à peine. Et elle était responsable de cette transformation. Une prise de conscience qui lui donna l’impression qu’on lui arrachait le cœur et qu’on le ressortait de sa poitrine pour l’exhiber comme un trophée macabre.
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Greg, tout comme Daniel, connaissait les détails
techniques », mais découvrait à travers le récit de Mimi la façon dont cela s’était déroulé.
Maledizione !
Mimi avait seize ans, De Ribaupierre, vingt-huit de plus. Il avait retrouvé des photographies de l’homme d’affaires à l’époque. Elle n’avait aucune chance face
un homme au charisme aussi puissant que de De Ribaupierre. Elle se trouvait dans une situation de détresse émotionnelle, financière et affective et en prédateur qu’il était l’avait remarquée immédiatement. Il avait à peine posé les yeux sur elle qu’elle était déjà à sa merci. Même si elle ne le savait pas encore. Si ce pourri n’était pas en train de mourir, il irait l’abattre d’une balle en pleine tête. Et à regarder Daniel, il partageait ses envies de meurtre. Mais à la différence de son ami, il parvenait à maîtriser ses émotions.
Un sentiment de honte la submergea. Elle avait honte de son comportement. Honte d’avoir eu cette relation avec un homme marié. Honte, car le dégoût qu’elle lisait dans le regard de Daniel était pire que les coups que Ghislain ne s’était pas privé de lui donner…
Comme s’il avait perçu sa détresse, Greg l’obligea à se concentrer sur sa voix.
— Mimi, l’appela-t-il doucement. Continuez.
Elle lui lança un regard perdu, mais hocha la tête et poursuivit.
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— Au début, il était gentil.
Tu m’étonnes ! fulmina Daniel.
— Je n’ai pas remarqué tout de suite, mais peu à peu, il m’a éloignée de mes amis, et je me suis vite retrouvée isolée, avec Ghislain pour seul repère.
Daniel serra les poings. Il connaissait par cœur le profil de ce genre de type.
— Et les premiers coups ont commencé à tomber. Il était assez malin, et moi drôlement bête, pour me faire croire que s’il me frappait, c’était parce que je faisais quelque chose de mal. J’y croyais, murmura-t-elle.
— C’est le schéma classique des prédateurs, Mimi, la rassura Greg. Ils agissent sur leurs victimes en utilisant la culpabilité.
— Je le sais, acquiesça doucement Mimi, la tête baissée.
Mais même après toutes ces années, elle se sentait tellement responsable. Elle aurait pu fuir, demander de l’aide. Mais elle était restée enfermée dans cette dynamique. Mimi prit une grande inspiration et poursuivit d’une voix tremblante, mais déterminée.
— Cinq mois après ma rencontre avec Ghislain, je suis tombée enceinte. Il l’a appris et a voulu que j’avorte. J’ai refusé. Il m’a frappé, alors je me suis enfuie… acheva-t-elle en essuyant mécaniquement une larme qui coulait sur sa joue.
Mimi triturait l’ourlet de son pull. Elle avait bien
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trop honte pour relever la tête et affronter le regard des deux hommes. Aussi poursuivit-elle, les yeux au sol.
— Je… j’ai pris le train jusqu’à Paris et je suis allée chez ma sœur. Je ne pouvais pas rentrer chez moi. Ghislain m’aurait retrouvée… et je pense que mon père aurait profité de mon « état » pour me mettre à la porte. Clotilde, ma sœur précisa-t-elle, même si je savais que c’était inutile, m’a suggéré de rentrer. Mais quand je lui ai dit que j’étais enceinte et qui était le père, elle a compris que c’était une option inenvisageable. Elle avait fréquenté quelque temps les cercles de Ghislain et connaissait sa réputation… emportée. Je suis restée cachée chez elle et mon beau-frère toute la durée de ma grossesse… et quelques mois après, le temps de récupérer.
— Qu’avez-vous fait d’Adèle ? demanda doucement Greg.
Il voyait la jeune femme à son point de rupture et un mot trop brusque pouvait la voir se refermer complètement. Et Daniel ne l’aidait pas sur ce coup !
Mimi prit une inspiration saccadée, entrecoupée par les larmes qu’elle tentait d’endiguer.
— Clotilde venait d’avoir un petit garçon deux ans auparavant. Amaury. Une grossesse compliquée qui a laissé des séquelles irréversibles. Elle ne pouvait plus avoir d’enfant. Ou en avoir serait possible, mais le processus long, et loin d’être garanti. La décision a été vite prise. C’était la plus sure pour tout le monde.
OK. Greg voyait parfaitement le schéma
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maintenant. Tout comme Daniel quand il releva les yeux pour croiser ceux torturés de son ami.
— Comment avez-vous fait pour dissimuler votre grossesse ?
Mimi esquissa un pâle sourire.
— Mon beau frère est médecin. Ça a été très simple. J’effectuais mes visites prénatales dans son cabinet, mais il utilisait la carte Vitale de ma sœur.
Elle portait le bébé, mais c’était sa sœur qui était inscrite sur les documents.
— J’ai accouché à domicile. C’est de plus en plus fréquent, s’empressa-t-elle d’ajouter alors que Greg allait intervenir.
— Et la sage femme, pour le contrôle post-accouchement ?
Greg n’y connaissait pas grand-chose dans ce domaine, mais il lui semblait tout de même qu’une visite était organisée après l’accouchement.
— Elle est venue. Mon beau-frère lui a expliqué qu’il avait déjà ausculté ma sœur et que tout allait bien. Que s’il y avait un problème, il la contacterait. Elle s’est simplement occupée d’Adèle. C’était un bébé superbe, murmura Mimi. Magnifique.
Sa voix s’éteignit et elle dut prendre sur elle pour dépasser ce sentiment de tristesse, cette impression qu’on lui arrachait les entrailles et qu’on la privait d’oxygène. Comme douze ans auparavant lorsqu’elle avait dû se séparer de sa fille et la confier aux seules
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personnes capables de l’aimer comme si c’était leur propre enfant.
Et aujourd’hui encore, même si cela lui déchirait le cœur, elle savait qu’elle avait fait le bon choix. Pour Adèle.
Elle vivait avec cette blessure, mais c’était un prix à payer bien peu élevé en comparaison de ce qu’aurait été sa vie si elle était restée auprès de Ghislain. Elle aurait fui. Avec le temps, elle serait partie loin de Ghislain. Elle le savait. Mais elle aurait perdu son bébé.
— Ils m’ont donné de l’argent, aidé dans la procédure pour changer de nom. Et je suis partie. Même si cela me déchirait le cœur, j’ai dû laisser Adèle. J’ai abandonné mon bébé, murmura-t-elle avec un désespoir dans la voix qui toucha étonnamment Greg.
Mimi sentait les larmes couler sur ses joues, mais ne fit rien pour les essuyer. À quoi bon… ? Elle osa un regard vers Daniel. Et ce qu’elle vit la tétanisa. Une fureur sourde trahissait ses traits. Elle pouvait la voir physiquement à la couleur sombre de ses yeux, la crispation de sa mâchoire, la tension dans ses épaules. Il semblait à un animal prêt à bondir. Et vu la lueur féroce qui brillait dans ses yeux, elle n’était pas certaine de ressortir vivante s’il décidait de s’attaquer à elle.
Son récit devait faire écho à son propre passé. Son père l’avait abandonné et Mimi était persuadée que Daniel venait de faire le parallèle avec sa propre histoire. Sauf que c’était elle qui détenait le mauvais rôle. Celui de la mère qui avait abandonné son bébé. Elle avait fait avec Adèle ce que son père lui avait fait subir.
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Le dégoût qui s’inscrivait sur les traits de Daniel s’était accentué. Mimi ne put retenir un sanglot. Elle avait tout perdu. Sa fille, sa vie, ses amis, Daniel. Les murs parurent se précipiter sur elle, compressant l’air dans la pièce au point qu’il devint trop épais pour respirer.
Daniel se leva, tout le corps tendu à l’extrême avant d’abattre son poing avec violence dans la paroi, laissant une marque visible sur le mur. Mimi sursauta. La peur, la panique brillant dans ses yeux ambre et chauds. Les larmes coulaient maintenant sans discontinuer, bloquant sa gorge, la rendant douloureuse.
— Je suis tellement désolée…
Daniel se retourna vivement vers la jeune femme.
— Tu es désolée ? demanda-t-il d’une voix pleine de rage.
Mimi sursauta et se recroquevilla un peu plus dans son siège, les joues inondées de larmes, le cœur fiché de milliers de lames, toutes plus douloureuses que les précédentes, mais pas assez létales pour tuer.
— Daniel !
Un avertissement de Greg qui claqua dans la pièce. Il capta brièvement le regard de son ami qui le reposa sur Mimi quand elle prit la parole.
— Je te demande pardon, hoqueta-t-elle à nouveau. Je ne voulais pas abandonner mon bébé, mais je n’avais pas le choix.
— Nom de Dieu ! ragea-t-il en se dirigeant
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furieusement vers Mimi qui instinctivement mis un bras devant elle pour se protéger.
Un geste qui le stoppa net. Il était tellement aveuglé par la colère qu’il ne s’était même pas rendu compte de son propre état.
Il attrapa Mimi par les bras qui poussa un petit cri d’effroi, l’obligeant à se lever. Ses mains vinrent prendre en coupe le visage de la jeune femme ravagé par la peur, la tristesse, le désarroi.
Nom de Dieu ! Qu’avait-il fait ?
Ses pouces effleurèrent ses pommettes et chassèrent les larmes. Les grands yeux de Mimi étaient rongés par un sentiment qu’il ne connaissait que trop bien. La culpabilité, mêlée de honte. Comment pouvait-elle avoir honte ? C’était elle la victime. C’était elle qui avait dû faire le choix qu’aucune mère ne devrait avoir à faire un jour. Et comme un con, il avait tellement été centré sur sa propre colère qu’il n’avait fait abstraction des sentiments de Mimi.
Daniel pencha la tête sur le côté et ses yeux trouvèrent rapidement ceux de Mimi. Il la fixa pendant quelques secondes sans rien laisser paraître. Mimi sentit son ventre se nouer dans l’expectative jusqu’à ce que les lèvres de Daniel se posent sur les lèvres avec une douceur qui contrastait avec sa fureur des minutes précédentes.
— Je suis furieux, oui, murmura-t-il contre ses lèvres. Mais pas contre toi, ajouta-t-il quand il la sentit se tendre contre lui. Je suis furieux, car on ne t’a pas laissé le choix. Je suis furieux que pour survivre tu aies dû faire le choix de laisser ta fille. Je suis furieux,
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car tu n’aurais jamais dû porter seule toute cette merde pendant plus de douze ans ! Douze ans Bordel ! C’est trop. Je suis furieux, car tu n’aurais jamais dû vivre tout cela. Je suis furieux que ton père n’ait pas eu les couilles d’assumer ses propres échecs. Je suis furieux pour toutes ses raisons, mais pas pour ce que tu as fait. Tu n’as pas abandonné Adèle. Tu lui as sauvé la vie. Et je suis fier de toi, je suis fier de la force qui fait de toi la femme que j’aime.
Mimi sentit toutes ses digues céder face aux mots de Daniel. Des paroles qu’elle avait espéré entendre depuis tant d’années, mais qu’elle n’avait jamais reçues. Au point de croire qu’elle ne les méritait pas. Qu’elle ne les valait pas. Et cet homme les lui offrait avec une passion dans la voix et une détermination qui l’empêcha de douter une seconde de son honnêteté.
Mimi jeta ses bras autour du cou de Daniel qui la serra contre lui à l’en étouffer. Elle nicha son visage dans son cou, humant son odeur, puisant de sa force. Entre deux baisers et sanglots, Mimi murmura dans son cou :
— J’ai cru que tu avais honte de moi, honte de ce que j’avais fait…
— Jamais !
Il posa à nouveau ses mains autour du visage de Mimi, la contraignant à se reculer légèrement. Il inclina la tête et posa ses lèvres contre celles chaudes et douces de Mimi. Sa langue vint caresser le pourtour de ses lèvres, les obligeant doucement à s’ouvrir.
Il força la barrière de sa bouche et entama un baiser. Lent. Calme. Doux.
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Un baiser qui laissait le temps aux sentiments de s’installer.
Un baiser qui ne pouvait laisser aucun doute à Mimi sur les émotions qui avaient envahi Daniel à la minute où son regard s’était posé sur elle des mois plus tôt.
Un baiser qui lui prouvait combien il l’aimait. Sa force, ses faiblesses. Surtout ses faiblesses, car il adorait la protéger.
Un baiser dans lequel il lui communiquait tous les espoirs qu’il mettait dans leur relation.
Un baiser qui disait clairement qu’il serait là et qu’il ne comptait pas la lâcher de si tôt.
Daniel quitta la bouche de Mimi à regret. Ses beaux yeux chocolat se plantèrent dans les siens.
— Ne doute jamais de moi.
Elle hocha la tête, étourdie. Mais Daniel vit distinctement dans ses pupilles qu’il venait de retrouver la Mimi pétillante qu’il connaissait.
— Verbalise, chérie.
Mimi lui adressa un premier vrai sourire que Daniel adorait voir sur son visage. Il chassait progressivement les ombres des dernières heures. Elle se hissa sur la pointe des pieds et murmura contre ses lèvres :
— Je te le promets.
— Parfait ! Maintenant, tu vas reprendre place sur ce canapé et essayer de te reposer un peu.
Mimi s’exécuta et seulement à cet instant s’aperçut que Greg avait quitté la pièce. Elle nota d’aller le
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remercier d’être suffisamment subtil pour avoir compris leur besoin d’intimité. Et lui épargner le triste spectacle qu’elle avait dû offrir.
Elle inclina sa tête, la posant contre le dossier du canapé. Cette journée avait été particulièrement éprouvante. La fatigue la rattrapa avec une rapidité qui l’assomma un peu plus, car jusqu’à présent seul le soutien artificiel du stress conjugué à l’adrénaline lui avait permis de garder les yeux ouverts. Daniel se pencha vers elle et posa ses mains en coupe autour de son visage. Un geste qui lui était si familier qu’elle le recherchait à chaque instant. Il embrassa délicatement ses lèvres. Une caresse, un effleurement.
— Repose-toi, OK ? murmura-t-il.
— D’accord.
Alors qu’elle répondait, la porte du bureau s’ouvrit et la voix de Greg leur parvint.
— Tu as un moment, Daniel ?
— J’arrive, répondit-il tournant la tête vers Greg, avant de reporter toute son attention sur Mimi.
La quitter, même un court instant relevait du supplice. Jamais il n’aurait imaginé être ce genre d’homme.
— Ça va aller, murmura Mimi, qui perçut sans peine le combat qu’il se livrait.
Il se redressa à contrecœur et sortit de la pièce d’une démarche raide pour rejoindre Greg.
Aussitôt, toutes ses alarmes se mirent au rouge en voyant l’expression contrariée mâtinée d’inquiétude sur le visage de son associé.
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— L’équipe chargée de la surveillance de la petite ne répond pas.
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Chapitre 38
Le sang de Daniel se figea dans ses veines.
— Je viens d’envoyer deux équipes sur place, ajouta Greg.
— Nom de Dieu ! jura Daniel en donnant un coup de poing dans le mur le plus proche, s’écorchant un peu plus les jointures des doigts.
Sa haine. Sa rage, mais surtout sa peur le paralysait. Greg n’intervint pas. Il laissa ces quelques secondes à Daniel pour évacuer toute sa frustration. Voilà pourquoi il ne voulait jamais se faire attraper par une femme. Elles possédaient ce pouvoir de capturer vos sentiments et empêcher votre cerveau d’être totalement opérationnel. Celui de Daniel réagissait à l’affect au lieu d’être complètement rationnel. Et c’était dans ces situations que les mauvaises décisions étaient prises. Et Daniel n’échappa pas à la règle quand Greg le vit se retourner vers lui, le regard un peu fou.
— Je dois y aller.
Greg le retint par le bras sous le regard meurtrier de Daniel.
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— Lâche-moi !
— Quand tu auras repris tes esprits, argua-t-il d’une voix dure.
— Si tu ne veux pas recevoir mon poing dans la tête, tu as intérêt à me lâcher. Immédiatement !
Si la voix de Greg était dure et coupante, celle de Daniel possédait cet écho métallique qui aurait fait battre en retraite le plus courageux de leurs hommes. Mais Greg refusa de lâcher.
— Non !
Les deux hommes s’affrontèrent du regard. Greg pouvait voir la confusion dans celui de Daniel. La peur également. Il expira longuement. Utiliser la force pour le neutraliser ne servirait à rien. Daniel était un homme censé. Il devait juste retrouver sa lucidité. Aussi Greg utilisa les armes qu’ils avaient en sa possession.
— Tu ne servirais à rien à y retourner. Et on sait tous les deux que Giraud vient de nous devancer. Je pensais aussi avoir plus de temps, ajouta-t-il tandis que Daniel prenait la parole. Seulement, c’est trop tard. Il nous reste une chance de retrouver la petite. Mais le temps joue encore plus contre nous. Alors, reprends-toi !
Les émotions faisaient rage dans sa tête, son corps. Les mots de Greg s’infiltrèrent sur le chemin de sa raison pour le percuter avec une force qui lui coupa la respiration.
— Putain !
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Daniel recula, les bras repliés, paumes vers Greg en signe qu’il comprenait et de capitulation.
— OK, dit-il essoufflé, comme s’il venait de courir un marathon. J’ai merdé. Mais pas un mot à Mimi, termina-t-il d’une voix glaciale.
Greg hocha la tête.
— Pas de soucis. Suis-moi.
Greg se dirigea vers un bureau de l’étage sans se retourner. Daniel était suffisamment intelligent et possédait assez de self-control pour s’être repris et le suivre. Il referma derrière Daniel, se dirigea vers le plan de travail sur lequel il retourna son ordinateur pour que les deux hommes puissent faire face à l’écran. Ils espéraient que le récit de Mimi leur donnerait un indice, aussi minime fût- il. Mais pour le moment, l’essentiel leur échappait, même si une option restait ouverte. La seule qui possède un sens, pensa Greg, maussade.
— Plus je réfléchis à ce que Mimi nous a raconté, plus je me dis que cette histoire revêt un caractère familial et personnel. En tous les cas, trop pour être le fait d’un rival économique de De Ribaupierre, marmonna Daniel en se passant nerveusement une main dans les cheveux.
— Et je partage tes conclusions.
*
Mimi s’étira, déliant ses muscles fourbus. Elle se passa une main sur le visage dans l’espoir d’y chasser
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la fatigue. Geste dérisoire face à toutes les émotions qui venaient de la bousculer. Daniel savait, et malgré ses craintes et ses doutes, il l’avait soutenue. Mieux. Il l’avait comprise. Quand ses mots avaient percé le mur de douleur qui l’entourait, cela avait été comme si un poids qui reposait sur ses épaules s’était envolé.
Elle entendit la vibration de son téléphone et le chercha au fond de son sac.
Son portable s’échappa de ses mains et retomba lourdement sur le sol lorsqu’elle ouvrit le message. Un numéro inconnu. Elle ramassa l’appareil, les mains tremblantes, rendant vaguement flou le visage d’Adèle sur son écran, ses yeux ambre si semblables aux siens, agrandis par la peur. Mimi sentit son souffle se couper et la panique la gagner. Les murs de la pièce semblaient se rapprocher. Près. Beaucoup trop près, l’empêchant de reprendre sa respiration.
Non ! Non ! Non !
Choquée, elle resta quelques secondes paralysée avant que la sonnerie de son téléphone traverse les brumes d’angoisse de son cerveau. Après plusieurs manipulations, elle parvint à décrocher, sachant déjà qui elle allait entendre tout en le refusant de toutes ses forces.
— Tu as cinq minutes pour me rejoindre au pied de la tour.
Seigneur !
Cette voix. Jamais elle ne pourrait oublier le timbre sombre totalement dénué d’humanité. Tout s’embrouilla. Ses pensées. Daniel. Les hommes derrière la porte qui s’activaient.
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Face à son silence, comme s’il avait deviné ses pensées, Mimi perçut nettement le rire sarcastique de l’homme.
— Tu es suffisamment maline pour échapper à la vigilance de notre cher Daniel.
— Je… je ne sais pas si je pourrais y arriver, balbutia Mimi la gorge nouée.
— C’est dans ton intérêt d’y parvenir. Et dans celui de ta fille. Tu as cinq minutes, ajouta Giraud durement avant de raccrocher.
Mimi regarda son téléphone devenu beaucoup trop silencieux. Elle resta prostrée dans le canapé. Choquée, l’esprit totalement en déroute. Le temps lui échappait, sa faculté de raisonnement paralysée.
Seigneur !
Cinq minutes. La panique la fit se lever d’un bond. Elle venait d’en perdre deux. Deux précieuses minutes qui pouvaient avoir des conséquences désastreuses. Elle refoula cette pensée. Il était hors de question de les laisser s’infiltrer et parasiter le peu de courage qui lui restait. Seule Adèle comptait. Ses propres doutes, elle devait les mettre de côté.
Les jambes flageolantes elle se dirigea vers la porte qu’elle ouvrit. Elle ne prit même pas la peine d’enfiler sa veste ou de s’emparer de son sac, agrippant son téléphone, seul lien encore tangible qui la liait à sa fille. Le bureau de Daniel était situé près de l’accueil et des ascenseurs. Elle resta quelques secondes figée sur le seuil. L’effervescence qui régnait devant elle l’étourdit quelque instant. Des hommes à l’air sévère, qu’elle reconnaissait pour certains, traversaient le hall. Quelques-uns portaient des uniformes noirs.
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C’était à peine s’ils faisaient attention à elle. Mimi écarquilla les yeux, stupéfaite.
Mon Dieu ! On avait l’impression qu’ils se préparaient à un assaut. Il y avait une énergie différente des autres fois. Ici, la tension était palpable. Toute une agitation, qui, paradoxalement, la rendait invisible. Et Mimi comprit qu’elle avait devant les yeux la seule chance de sortir du bâtiment. Le cœur battant contre ses tempes, elle s’engagea dans le hall, s’attendant à chaque pas à se faire arrêter par l’un des hommes. Un filet de transpiration glissa le long de sa colonne et Mimi ne put retenir un frisson. Ses jambes la portaient à peine, mais elle savait aussi que c’était sa seule chance d’aider Adèle. Elle devait absolument la rejoindre. L’échec n’était pas admis. Aussi fut-elle surprise d’atteindre les ascenseurs. Les battements de son cœur étaient si forts qu’ils lui faisaient mal à la poitrine et Mimi faillit fondre en larmes lorsque les portes s’ouvrirent dans un chuintement discret qui contrastait tellement avec le chaos dans le hall qu’elle ne put retenir cette fois un sanglot. Elle l’étouffa cependant bien vite et tout aussi vite appuya sur le bouton du rez-de-chaussée.
Mimi ferma les yeux. Son cœur dégringolait dans sa poitrine pour s’écraser lamentablement contre sa conscience en même temps que la cabine s’approchait du sol… et plus effrayant encore, vers un inconnu qui lui noua les entrailles et lui donna un haut-le-cœur.
Elle se retrouva dans le hall et se dirigea aussi vite qu’elle le put vers la sortie. Une fois à l’extérieur, insensible au froid, elle lança un regard paniqué autour d’elle puis sur son téléphone.
Six minutes.
Six minutes depuis l’appel.
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Elle posa sa main devant sa bouche pour étouffer un hoquet de terreur. Sa gorge était si serrée que c’est à peine si un filet d’air pouvait passer. Elle s’avança, tournant la tête dans tous les sens. L’entrée de la tour donnait sur un parvis. La nuit entourait les tours. Les lumières des réverbères perçaient sinistrement le décor. Des hommes, des femmes, marchaient, tête baissée, complètement inconscients de la lutte que menait Mimi pour ne pas s’effondrer.
La route la plus proche se trouvait à une cinquantaine de mètres après le parvis. Il était impossible pour un véhicule de s’approcher. Une nouvelle vague de panique s’empara d’elle et Mimi sentit une nausée prendre vie et s’agiter dangereusement dans son estomac. Elle plaqua sa main devant sa bouche au moment où son téléphone sonna. La vibration au creux de sa main la tétanisa, mais Mimi se reprit vite et décrocha immédiatement.
— Oui, répondit-elle la voix hachée. Ses émotions étaient mises à rude épreuve et elle faillit pleurer en entendant la voix de Giraud. Je suis sur le parvis, se hâta-t-elle d’ajouter.
Un rire bas qui la glaça jusqu’aux os accueillit sa remarque.
— Je n’en doutais pas un seul instant.
— Où… où êtes-vous ? Où est Adèle ?
— Accès Ouest. Secteur des livraisons. Tu as trois minutes, ajouta Giraud avant de raccrocher à nouveau.
— Non ! cria Mimi dans le téléphone.
Mais seule une tonalité glaçante lui répondit.
Elle tourna sur elle même, désorientée. Accès
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Ouest ? Les foutues larmes de peur lui brouillaient la vue et elle les essuya d’un revers de main. Accès Ouest ! Mimi se força à respirer avant de se ressaisir puis avisa plus loin un panneau de livraison « Accès Ouest ».
Aussitôt, elle se mit à courir.
Vite.
Aussi vite qu’elle le pouvait. Ses pas claquaient sur le béton du parvis avant qu’elle ne franchisse une barrière et qu’elle se retrouve sur la rampe menant à l’accès ouest. La circulation était dense à cette heure de la journée. Elle se concentra sur sa course, haletante, son téléphone toujours serré dans sa main.
Mimi dévala la rampe d’accès aux livraisons qui se perdait dans les profondeurs des souterrains de la Défense. Plus elle approchait, plus l’environnement devenait dangereusement calme. Elle se jetait droit dans la gueule du loup, et pourtant rien n’arrêterait sa course. Mimi ralentit quand elle passa sous un passage sous-voie. Des véhicules de société, d’autres, de livraison, étaient garés sur le côté. Mimi s’obligea
respirer profondément, même si l’air pollué lui brûla les poumons. Son regard oscillait entre les véhicules stationnés et ceux qui passaient à ses côtés, s’engouffrant vers les parkings souterrains.
Un vrombissement lui parvint aux oreilles, sombre, sinistre, se répercutant contre les parois en béton. Un bruit qui l’assourdit à mesure qu’il approchait.
Son instinct lui hurlait de s’enfuir. De se réfugier dans la chaleur protectrice des bras de Daniel.
Mais sa raison, son cœur, lui hurlait le contraire. Fuir serait une erreur. Pour elle, mais surtout pour
Adèle.
Elle avala difficilement sa salive, essuyant les larmes de peur et d’impuissance qui s’échappaient. Ce n’était pas le moment de craquer ! Elle sursauta
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quand un puissant véhicule sombre stoppa à ses côtés et que la portière côté passager s’ouvrit.
— Monte !
Mimi se figea, tous ses muscles tétanisés. Instinctivement, elle resserra son portable, les bords s’incrustant dans sa paume, seule et dérisoire arme qu’elle possédait pour faire face à ce monstre.
— Maintenant.
La voix qui s’échappa de l’habitacle était étrangement calme, mais la menace latente qu’elle perçut dans ce simple mot lui arracha un frisson qui lui fouilla les entrailles. Au bord du malaise, Mimi s’exécuta. Le sang battait à ses tempes, et un instant elle crut qu’elle allait s’évanouir. Des points noirs dansaient devant ses yeux et un goût de bile remonta dans sa gorge, lui brûlant l’œsophage.
Elle monta dans l’habitacle, et referma la portière. Instinctivement, son corps se colla contre celle-ci, mettant le plus d’espace possible entre Giraud et elle. Elle entendait un son rauque, comme une respiration animale, et hoqueta quand elle comprit que ce son sortait de sa propre gorge. Mimi se sentait terrifiée à l’idée de regarder son agresseur, comme si garder les yeux baissés la préservait du danger.
Le silence dans l’habitacle augmenta sa nervosité. Giraud ne bougea pas. Ne démarra pas, et Mimi comprit qu’il attendait qu’elle relève les yeux. Elle se remémora les discussions entre Daniel et Greg. Cet homme était dangereux. C’était un tueur. Il se nourrissait de la peur de ses victimes et un frisson violent la secoua lorsqu’elle se souvint de son arme de prédilection : les armes blanches. Elle ne put retenir
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un sanglot quand le silence devint si insupportable, l’air autour si lourd que la seule façon de trouver un peu d’oxygène était de se plier à la volonté de ce monstre.
Elle releva lentement les yeux, laissant les larmes dévaler sur ses joues, pour croiser un regard d’un bleu polaire. Presque translucide. Froid. Sans l’ombre d’une vie les agitant. Mimi dut puiser dans ses réserves de courage déjà bien basses pour s’adresser à Giraud.
— Où est-elle ? demanda-t-elle, la voix chevrotante.
Il l’observait de son regard dénué d’émotions. Un homme d’une extraordinaire banalité. Il aurait pu être beau si son expression ne semblait pas aussi figée. Même assis, sa stature était celle d’un homme musclé, et si l’envie de le blesser avec son téléphone lui avait traversé l’esprit, elle se rendit vite compte qu’elle ne ferait jamais le poids face à cet homme. Mimi aurait certainement été moins effrayée en découvrant un visage buriné par les combats et une vie remplie de meurtres et de contrats sordides. Et elle ne venait que s’ajouter à une liste probablement bien trop longue.
— Ton téléphone, demanda-t-il de cette voix posée qui lui fila des frissons tout en la faisait sursauter quand il tendit la main vers elle.
Des gestes précis. Il économisait ses mouvements, ce qui confirma sa dangerosité. Cet homme agissait quand il le fallait. Avec la précision nécessaire et lorsque c’était nécessaire. Jamais plus. Juste assez pour neutraliser… ou tuer.
Mimi lui tendit son téléphone et poussa un petit cri
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de terreur quand il l’attrapa d’un mouvement vif et rapide Elle le regarda impuissante, ouvrir la vitre côté conducteur et lancer le portable qui vola en éclat lorsqu’il toucha le bitume, avant d’enclencher une vitesse et de démarrer.
Mimi sentit sa poitrine se contracter douloureusement. À la minute où elle était montée dans la voiture, elle avait su que c’était une erreur. Mais elle n’avait pas le choix. Et maintenant, il venait de réduire en miettes le minuscule espoir de s’en sortir.
— Où est-elle ? redemanda-t-elle néanmoins, se raccrochant aux dernières branches d’espoir. J’ai fait ce que vous demandiez, ajouta-t-elle la voix suppliante face au silence angoissant de Giraud.
Il lui lança un regard de biais et Mimi cru qu’elle allait mourir sous l’intensité froide qu’il lui renvoya.
— Elle n’a rien fait, persista Mimi, sa voix s’éteignant à mesure que la voiture avalait l’asphalte.
— Tu la verras bientôt, répondit-il enfin d’une voix dénuée d’émotion.
— Co… comment va-t-elle ?
Il la regarda à nouveau, un sourire relevait le coin de sa bouche. Un sourire qui la glaça.
— La dernière fois que je l’ai vue, elle était en un seul morceau.
Mimi ne put retenir un sanglot de soulagement, même s’il prenait un plaisir évident à jouer avec elle. Mais Dieu merci ! Adèle allait bien. Elle devait être effrayée, mais elle allait bien.
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— Ce n’est qu’une enfant, reprit Mimi attirant l’attention de Giraud. S’il vous plaît, murmura-t-elle. Ne lui faites pas de mal…
— Ce n’est pas moi qu’il faut convaincre, ajouta Giraud sans aucune compassion dans la voix.
Une phrase. Des mots qui tombèrent comme un couperet.
Qui ? Voulait-elle hurler. Sachant que sa question resterait sans réponse. Mimi réfléchissait aussi vite que son cerveau embrumé le pouvait. Giraud travaillait pour quelqu’un. Cela signifiait qu’on le payait et…
— Je vous offre le double de ce que l’on vous a versé.
Les mots se précipitèrent hors de sa bouche à un rythme saccadé. Tout comme les battements de son cœur. C’était la seule solution qui lui venait à l’esprit. L’argent. Daniel lui avait dit que Giraud était un mercenaire. Peu lui importait la cause, seul le montant du cachet comptait à ses yeux. Elle ne pourrait jamais jouer sur sa conscience pour l’obliger à revoir sa position et faire marche arrière. Elle n’avait que cet atout en main.
Le rire rauque et froid de Giraud la stoppa dans ses pensées.
— Et avec quel argent comptes-tu me payer ? Aux dernières nouvelles, sauf si « papa » ouvre les robinets, tu es fauchée comme les blés.
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Mimi se figea. Il connaissait son nom, celui de sa famille, son passé. Elle fit fi de son désarroi et reprit avec assurance.
— Je sais où trouver les fonds.
Daniel était assurément riche. Greg, également. Le Palazzo en était une preuve concrète. Elle s’avançait clairement en terrain inconnu, mais elle n’avait pas le choix. Elle vit distinctement les mains de Giraud se resserrer sur le volant. Visiblement, elle avait mis le doigt sur un point sensible. Elle comprit lequel lorsqu’il ajouta d’une voix sciemment contrôlée.
— Ce serait… admirablement jouissif. Et un pied de nez pour le moins surprenant.
Oui, jouissif. Giraud se concentra sur la route, laissant la jolie rouquine se tordre les doigts d’anxiété. Extorquer quelques milliers d’euros à Monciatti et Clément. Greg et Daniel… C’était comme lui fournir le Saint Graal sur un plateau. Mieux que cela. Une revanche dont il se délecterait un moment après avoir été banni, jugé et condamné par l’armée, mais aussi par le groupe qu’ils formaient à l’époque.
Mimi regardait avec angoisse le profil de Giraud. Quelque chose s’était fermé chez lui. Il avait eu comme une légère hésitation avant de lui répondre. Cet homme ne possédait pas même un fragment de conscience, mais elle avait posé le doigt sur sa seule faiblesse. L’argent. Et l’avenir de sa fille, comme le sien, reposait sur cet hypothétique espoir.
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Chapitre 39
Les deux hommes étaient penchés sur l’ordinateur de Greg, analysant les informations qui leur étaient transmises quand leurs portables sonnèrent simultanément. Ils échangèrent un regard vif interprétant immédiatement.
D’un même mouvement, ils se ruèrent hors du bureau pour rejoindre celui de Daniel. Il poussa la porte d’un geste brusque qui alla s’écraser contre le mur.
Vide ! Cette putain de pièce était vide !
Daniel sentit son corps entier se tendre, une poussée de violence le tétanisa, ses mains se refermant en poings meurtriers. Il s’obligea à inspirer longuement. Mimi n’avait pas besoin qu’il perde la tête. Bien au contraire. Il devait avoir l’esprit sain.
— Giraud, entendit-il murmurer Greg.
Oui, cette enflure était parvenue à faire sortir Mimi de la tour. Et il ne voyait qu’une seule raison qui aurait pu pousser la jeune femme à faire la plus grosse connerie de sa vie.
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Adèle.
Comme s’il lisait ses pensées, Greg réagit en sortant son portable pour joindre ses contacts auprès du ministère intérieur et de la défense… et d’autres, moins nommables.
Daniel aboya des ordres et l’effervescence dans le hall sembla se calmer une microseconde le temps que l’information circule. Plusieurs équipes se formèrent instantanément. Armées, revêtues de tenues sombres, toutes recouvert de gilet par balle. Daniel faisait confiance à ses hommes. Ils étaient entraînés et savaient exactement ce qu’ils avaient à faire. Chaque homme avait un rôle bien défini et tous savaient quelle place ils occupaient dans une mission. Tout était orchestré avec précision, rapidité et efficacité.
Greg raccrocha presque immédiatement tandis que Daniel se ruait sur son ordinateur portable et se connecta au mouchard qu’il avait installé dans le téléphone de Mimi. Aussitôt, une ligne d’écriture s’afficha. Daniel tapa rapidement un code et les données de triangulation s’affichèrent à l’écran avec une précision de moins d’un mètre sur la cible recherchée. Il zooma, les yeux concentrés sur la carte qui s’affichait.
Nom de Dieu ! Elle est à moins de cent mètres de la tour !
— On décolle, ordonna Greg en même temps que Daniel prenait son portable en main et se dirigea vers les ascenseurs.
En parallèle, il avait ouvert l’application permettant d’accéder aux conversations de Mimi. Il identifia
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immédiatement le dernier message reçu, et Daniel se figea. Une photo d’Adèle portant les mêmes vêtements qu’il lui avait vus cet après-midi.
— Bordel ! gronda-t-il avant de réduire la fenêtre et d’en ouvrir une autre.
Les deux hommes fixaient la position de Mimi. Elle était statique. Daniel ne pouvait dire si c’était une bonne ou une mauvaise chose… jusqu’à ce que le curseur commence à bouger. Et la vitesse de déplacement indiquait que Mimi venait de monter dans un véhicule. Daniel, Greg et un groupe d’hommes équipés et armés jusqu’aux dents s’engouffrèrent dans la cabine.
Daniel serrait les dents et s’efforçait de rester calme alors que la tempête faisait rage sous sa peau. Il sentait la rage circuler dans ses veines, prête à se déverser. Les chances de survie quand les victimes étaient entraînées dans une voiture se réduisaient de moitié !
Mimi se trouvait dans les tunnels sous la Défense et se dirigeait vers l’ouest. Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent et les hommes se ruèrent vers les véhicules déjà démarrés et prêts à partir. Ils se dispersèrent en plusieurs groupes de quatre hommes dans cinq véhicules différents. Greg s’installa au volant, Daniel à ses côtés et aussitôt, la voiture quitta les sous-sols de la tour suivie des autres dans un bourdonnement assourdissant. Les voitures sortirent du parking une à une dans une procession sinistre et guerrière.
Daniel pianotait sur son clavier avec une frénésie qui trahissait son angoisse. Il avait beau la dissimuler, il était rongé par la peur. Il allait massacrer Giraud.
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Une alarme sonore retentit et aussitôt, il bascula sur la fenêtre où apparaissait la position de Mimi.
— Putain de merde ! cracha-t-il quand le curseur s’éteignit. Giraud s’est débarrassé de son portable. Je n’ai plus de localisation !
Il ouvrit une autre fenêtre, les doigts tremblants. Il lui restait encore une option, en espérant que Giraud ne l’ait pas devancé. À mesure qu’il entrait des codes, Daniel sentait un filet de sueur couler le long de sa colonne. Il se concentra jusqu’à ouvrir le programme et le lancer. Et pour la première fois de sa vie, il se mit à prier.
Un rire nerveux s’échappa d’entre ses lèvres quand l’information s’afficha sur son écran. En quelques manipulations, il la convertit en carte puis en transmission.
— J’ai la position de Giraud, annonça-t-il d’une voix rauque.
Greg esquissa un sourire, relevant le côté de sa bouche. Celui où la cicatrice marquait ses traits. Un sourire diabolique. Inquiétant. Daniel capta la lueur dans le regard de Greg. Froide. Métallique. Meurtrière.
— Cet enfoiré vient de commettre une erreur.
En gardant son téléphone portable, Giraud avait signé son arrêt de mort. Une erreur de débutant assez étonnante, mais qui en disait long sur l’ego et la confiance en soi que possédait Giraud. Un excès qui cette fois lui serait fatal.
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— Et ce sera sa dernière, ajouta Greg en une promesse qui alerta Daniel.
Les deux hommes avaient un contentieux. Mais aujourd’hui, c’était Daniel qui menait la bataille. C’était son combat. C’était à lui de le neutraliser. Et non à Greg de lui loger une balle entre les yeux. Même si cet enfoiré méritait châtiment bien pire.
— Tu me le laisses, grogna Daniel en reportant son attention sur l’écran.
Daniel n’avait pas téléchargé n’importe quel mouchard dans le téléphone de Mimi. Le programme installé était un petit bijou de technologie. Un fantôme. Il infectait chaque numéro entrant ou sortant. En contactant Mimi, le mouchard avait contaminé le portable de Giraud. En quelques manipulations, Daniel avait pu afficher la position de Giraud, mais aussi tout l’historique de ses appels, de ses messages. Et ce qu’il découvrit à l’écran lui fit froid dans le dos.
— Notre théorie sur le commanditaire s’avère exacte, annonça-t-il à Greg d’une voix blanche.
Greg accéléra, sachant exactement où se rendre. Il avait décortiqué la vie, les habitudes, les biens mobiliers, immobiliers de toutes les personnes susceptibles d’être rattachées à Mimi. Ce qui signifiait qu’il avait eu accès au cadastre et connaissait précisément l’endroit où Mimi allait être conduite.
La tension dans l’habitacle s’intensifia. Le commanditaire était un novice dans le domaine du crime. Il avait fait appel à Giraud dans un but précis. Retrouver la fille de Mimi. Ce qui inquiétait les deux
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hommes était que le monde du darknet qu’il avait invoqué ne répondait pas aux mêmes critères et lois que celui dans lequel il évoluait dans son quotidien. Un moment de panique, et il pouvait ordonner l’exécution de Mimi et Adèle. Et c’était ce genre de personnes imprévisibles qui étaient les plus dangereuses.
*
Mimi réprima un frisson de terreur quand Giraud quitta la route principale et engagea le véhicule sur une allée gravillonnée. Quelques secondes plus tard, une longère traditionnelle se matérialisa. Des poutres apparentes, des petites fenêtres à croisillon, un toit qui au vu de la pente devait être à une certaine époque en chaume. Maintenant, des ardoises la recouvraient offrant un contraste élégant avec les murs blancs. Une belle maison en apparence. Mais qui
l’intérieur ressemblait probablement à l’antre du diable. Des dépendances avaient été transformées en garage. Mimi put voir au moins un véhicule stationné.
Elle sursauta quand Giraud claqua sa portière et vint ouvrir presque immédiatement la sienne. D’un geste brusque, il l’attrapa par le bras pour la faire descendre. Mimi trébucha, mais la poigne de Giraud autour de son bras l’empêcha de tomber.
— Où est Adèle ?
— Que d’impatience, ricana Giraud.
Elle se sentait étourdie, saisie d’une nausée qu’elle réprima rapidement. Adèle se trouvait de l’autre côté de cette porte en chêne. Pas question de lui montrer sa faiblesse. Elle était l’adulte. C’était sur elle qu’Adèle comptait.
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Giraud ouvrit la porte et s’engagea immédiatement dans un escalier étroit menant à l’étage. Mimi eut à peine le temps de laisser son regard errer dans la pièce principale. Elle avait seulement analysé qu’elle était meublée et décorée avec beaucoup de goût sans pouvoir la décrire avec précision. Comment une maison aussi charmante pouvait abriter tant de noirceur… ?
Ses lèvres se mirent à frémir quand ils s’arrêtèrent devant une porte de l’étage et que Giraud la déverrouilla. Comment pouvait-il laisser une enfant enfermée ?
— Vous n’êtes vraiment qu’un sale type, cracha Mimi en oubliant sa peur. De quoi avez-vous peur ? demanda-t-elle, le menton levé. Qu’une enfant de douze ans parvienne à vous maîtriser ? ajouta-t-elle sarcastique.
D’un geste rapide, Giraud saisit Mimi par le cou et la plaqua contre le mur. Elle hoqueta de surprise face
la brutalité de l’homme, mais soutint son regard. Elle le détestait. Le haïssait comme elle n’avait jamais haï quiconque.
— Doucement chaton, murmura-t-il en resserrant sa main et en se penchant vers Mimi.
Elle réprima le frisson de dégoût qui la parcourut quand le souffle de Giraud se perdit dans son cou, sa bouche à quelques millimètres de sa peau pour se redresser subitement et planter son regard froid dans celui de la jeune femme.
— Vous n’êtes qu’un lâche, ajouta Mimi avec une
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autre grimace de dégoût.
— Probablement, acquiesça Giraud. Si j’avais écouté ma nature, j’aurai laissé pourrir la gamine dans la cave et non dans une chambre chauffée.
Mimi en eut le souffle coupé. Cet homme était un monstre et une colère sans nom se mit à circuler dans ses veines. Giraud sentit le changement imperceptible dans la posture de Mimi, pourtant entravée. Il resserra sa main sur son cou, l’empêchant de respirer. Puis, avec des gestes rapides et précis, il déverrouilla la porte et poussa Mimi à l’intérieur avant de la refermer tout aussi rapidement. Mimi se précipita sur le battant, frappant de ses poings contre le bois, le visage rouge, le souffle haché et la gorge douloureuse.
— Sale enfoiré ! rugit-elle.
En entendant le rire de Giraud, elle réalisa qu’elle avait joué exactement le jeu qu’il désirait, et cela lui fit l’effet d’une douche froide. Elle se reprit et se retourna vivement.
Le choc la paralysa. Le souffle lui manqua, et en aucun cas l’étranglement de Giraud en était l’origine. Non. Les larmes lui montèrent aux yeux et Mimi ouvrit la bouche plusieurs fois sans parvenir à émètre un son.
— Tante Charlie ?
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Chapitre 40
Deux mots qui firent céder un barrage d’émotions. Adèle était assise sur le bord du lit, la regardant de ses grands yeux ambre si semblables aux siens. Son visage reflétait la surprise, mais aussi le soulagement. Elle avait l’air en forme, et ne semblait pas blessée.
Mimi se précipita vers Adèle en même temps que cette dernière se levait. La jeune femme enlaça sa fille, pendant que celle-ci nouait ses bras autour de sa taille. Mimi ne put retenir un sanglot. De joie. De soulagement. De bonheur. Appréciant ce moment particulier. Se repaissant de la chaleur de sa fille.
Plus de douze ans qu’elle ne l’avait pas tenue dans ses bras. Un éloignement volontaire qui avait brisé en elle une part d’humanité. Pour ne pas la mettre en danger.
Elle respira l’odeur sucrée de ses cheveux et l’enlaça un peu plus fort, les larmes ruisselant sur ses joues. Mimi se recula et prit le visage d’Adèle en coupe. De minuscules larmes traçaient des sillons sur la peau si douce de la jeune fille. Mimi les essuya du pouce avec toute la tendresse et l’amour qu’elle pouvait lui communiquer.
— Est-ce que tu vas bien ? demanda-t-elle en modulant sa voix pour ne pas l’effrayer.
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La panique maintenant que le choc de revoir Adèle était passé revenait à la charge. De façon bien trop violente pour son propre équilibre.
Adèle hocha la tête.
— Tu n’es pas blessée ? insista Mimi.
— Non, ça va. Il ne m’a pas fait mal.
Dieu merci !
Mimi respira légèrement mieux, même si un poids lui comprimait toujours la poitrine.
— Certaine ?
— Oui, répondit Adèle avec un calme qui étonna Mimi. Je sortais de mon cours de solfège. Il m’a dit que papa lui avait demandé de me prendre à la sortie pour le rejoindre lui et Amaury.
Bon sang !
Mimi aurait volontiers arraché les yeux de ce pauvre type ! Mais elle était bloquée dans une chambre avec une enfant de douze ans qui étrangement semblait maîtriser parfaitement ses nerfs. Elle s’obligea à respirer longuement, et se ressaisir.
— Tu sais pourquoi on est là ? demanda timidement Adèle.
Mimi sentit ses yeux s’embuer. Elle dut faire un effort surhumain pour empêcher les larmes de dévaler ses joues. Non de non ! Elle devait éviter ce genre de réaction. Adèle comptait sur elle.
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— Non, j’ignore pourquoi on est ici. Mais je te promets de te faire sortir.
Plus qu’une promesse. Une certitude qui lui donna le courage d’affronter la triste réalité.
OK. Clairement, elle n’avait aucune idée sur la façon de sortir de cette pièce. Mimi releva la tête et regarda autour d’elle. Une chambre chichement meublée. Pas même une lampe de chevet qui aurait pu lui servir d’arme. Elle avisa les fenêtres et s’y précipita. Elle ouvrit le battant et se retourna en entendant la voix douce d’Adèle quand ses doigts s’écorchèrent sur le bois des volets.
— J’ai déjà essayé de les ouvrir. On dirait qu’ils ont été bloqués depuis l’extérieur.
Mimi observa sa fille avec un étrange mélange de fierté et de stupéfaction avant de refermer la fenêtre, abandonnant leur seule issue de sortie. Mimi se déplaça dans la chambre. Contourna le lit double sur lequel Adèle s’était assise. Elle sentait le regard de la jeune fille sur elle et Mimi se força à ne pas la regarder. Pas parce que cela lui était trop difficile. Mais parce qu’elle ne pourrait s’empêcher de la dévisager. De scruter la moindre parcelle de peau. De la prendre dans ses bras. De l’embrasser et la serrer contre elle. De se repaître de sa présence. De se nourrir de sa fille. Encore, et encore.
— Tu sais, poursuivit Adèle. Je sais qui tu es.
Mimi sentit ses jambes faiblir et ses mains se mirent à trembler. Elle stoppa net et se tourna doucement vers Adèle.
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— Que veux-tu dire ? bredouilla-t-elle.
— Je sais que c’est toi ma vraie maman.
Mimi plaqua une main devant sa bouche. Mais malgré son geste, le gémissement de douleur passa la barrière de ses lèvres. Elle se sentit tomber, comme si un gouffre l’engloutissait pour la faire disparaître. Et Mimi avait beau tenter de remonter à la surface, elle s’effondrait. Encore. Et encore. Un voile noir passa devant ses yeux, suivi d’un bourdonnement qui l’étourdit. À genoux, elle posa une main au sol pour se stabiliser et ne pas être totalement emportée par le choc. Elle était comme un animal blessé, les épaules voûtées, la tête baissée, à attendre le coup final.
Deux petites mains virent se poser sur ses joues. Mimi releva la tête et un sanglot étouffé sortit de sa gorge. Adèle s’agenouilla devant la jeune femme et la douceur et la compréhension que Mimi lut dans son regard lui envoya comme un coup de poing à l’estomac. Mimi prit le temps d’observer sa fille. Elle ne décela aucune trace de colère, de ressentiment. Simplement de l’acceptation, et une forme d’amour qui fit lui venir de nouvelles larmes.
— Je suis tellement désolée, murmura Mimi. Tellement…
Adèle lui adressa un sourire tendre et Mimi ne put qu’admirer la force qui se dégageait de sa fille. Elle possédait une force de résilience, une maturité qui lui gonfla le cœur, allégeant la douleur qui s’y était installée.
— Je sais, tante Charlie. 504
— Je n’avais pas le choix, ajouta Mimi d’une voix si basse qu’elle n’était pas sure qu’Adèle l’ait entendue.
— Maman m’a expliqué. Elle voulait que je sache qui j’étais. Avec papa, ils pensaient que la vérité était plus importante et plus saine.
Mimi étouffa un autre sanglot.
— Je n’ai jamais été fâchée contre toi, tante Charlie ajouta précipitamment Adèle quand les larmes ruisselèrent sur les joues de Mimi.
Mimi tenta de se reprendre, les émotions à vif. D’un côté, une main lui étreignit le cœur. Adèle
avait parlé de sa « maman », mais il ne s’agissait pas d’elle. Elle était peut- être sa mère biologique, mais elle n’était pas sa « maman ». Et Adèle avait clairement fait la distinction entre les deux et acceptait la situation. Mieux que de l’acceptation. Elle comprenait.
De l’autre, un soupir de soulagement s’échappa de ses poumons, comme si le poids qu’elle portait depuis des années se levait enfin de ses épaules. Elle avait cette impression rédemptrice de respirer plus librement. Que tout ce qu’elle avait fait, son sacrifice, n’en était finalement pas un. Elle avait devant elle une petite fille épanouie, d’une maturité effarante, et par certains côtés, beaucoup plus adulte que certaines personnes.
Elle se redressa, saisie d’une volonté farouche de protéger Adèle et la prit dans ses bras, ses lèvres se posant sur le dessus de son crâne. Elle ferma les yeux quand elle sentit les bras de sa fille se resserrer autour de sa taille. Elle en aurait pleuré. De bonheur cette fois.
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— On va sortir de là, promit Mimi. Et bientôt, tu seras chez toi.
— Ils me manquent, bredouilla la fillette.
— À moi aussi…, murmura Mimi en sachant immédiatement à qui elle faisait référence.
Une vérité qui prit Mimi par surprise. Sa sœur lui manquait. Terriblement. Même si elles n’avaient jamais été proches, sa sœur avait tout fait pour lui venir en aide. Elle l’avait sauvée de Gislain, mais aussi d’elle-même.
Mimi se retourna d’un bloc, pressant Adèle dans son dos de façon instinctive quand la porte de la chambre s’ouvrit brusquement.
Giraud tenait la poignée de la porte dans une main, un pied dans la chambre, l’autre dans le couloir. Même ainsi, le dos légèrement courbé, il était taillé dans un bloc. Mimi évalua immédiatement ses chances face à cet homme. Et le résultat lui fit froid dans le dos.
— On descend, ordonna Giraud d’une voix dénuée d’émotion.
Mimi se figea et resserra sa main sur Adèle, la pressant un peu plus contre son dos.
— On avait un marché, s’entendit-elle prononcé.
Une esbroufe, mais à ce stade, tous les moyens étaient admis. Un rire bas et sombre franchit les lèvres de Giraud.
— Je n’ai pas souvenir que l’on ait conclu quoi que ce soit.
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Mimi saisit les mots de Giraud comme une bouée de secours. Il ne rejetait pas sa proposition et un infime espoir naquit. Minuscule, mais suffisamment important pour qu’elle s’y accroche.
— Je vous offre le triple.
Giraud releva la tête. Un mouvement à peine perceptible.
Seigneur !
Elle avait enfin capté son attention ! Mimi retint son souffle, une bouffée d’espoir coincée dans la gorge. Elle n’osa plus un seul mouvement de peur de rompre le lien, si ténu soit-il, qu’elle venait de créer avec Giraud… avant qu’un coin de ses lèvres ne se retrousse en un artefact de sourire.
— À moins que tu aies trente millions à ta disposition, je crains que notre « accord » ne soit caduc.
Mimi sentit tous ses espoirs se recroqueviller et elle pâlit, les jambes vacillantes. Seule la présence d’Adèle dans son dos l’empêcha de s’écrouler. Elle comprit en voyant le visage de Giraud que, pas un seul instant, il n’avait eu l’intention de négocier. Il avait joué avec elle dès le début, faisant naître un espoir chez elle qu’il se réjouissait d’avance de briser.
La colère remplaça vite l’abattement et Mimi se vit se précipiter sur Giraud.
— Espèce de sale enfoiré ! 507
Elle tendit les bras pour le frapper, mais la vitesse de réaction de Giraud la cueillit sur place. Elle entendit vaguement le cri de terreur d’Adèle pendant que la main de Giraud s’enroulait autour de son cou et la plaquait durement contre le mur de la chambre. Sa tête heurta la paroi violemment et Mimi se retrouva étourdie, privée de tout repère.
— À quoi tu t’attendais chérie ? murmura-t-il, son visage frottant le sien tandis que sa main se resserrait toujours plus autour de son cou.
Une question rhétorique qui n’appelait pas de réponse. Mimi aurait été incapable de fournir. La présence du corps de Giraud se pressant contre le sien, son souffle sur sa joue, sa main serrant sa chair, la privant d’oxygène ne lui laissait aucune chance. Mimi leva les mains dans un ultime effort, griffant les avant-bras de Giraud qui lui immobilisa les mains brutalement.
Elle tenta de ruer, mais Giraud était trop fort, solide. Plus elle bougeait, plus sa main se resserrait autour de son cou. La panique fit place à un élan de survie… qui dépendait du bon vouloir de Giraud, seule pensée cohérente qui lui vint à l’esprit.
Elle manquait d’air, se débattait moins rageusement. Ses forces l’abandonnaient en même temps qu’elle sentait les pulsations contre ses tempes ralentir. Giraud allait la tuer. Au moment où elle sentit ses yeux se révulser dans ses orbites, Giraud la relâcha si brusquement qu’elle s’écroula au sol.
Elle porta instinctivement la main à son cou prenant de longues inspirations douloureuses. Le moindre geste était une torture. Ses poumons étaient en feu, sa gorge à vif, ses forces vitales à l’agonie. Un bruit rauque, bourdonnant, résonnait à ses oreilles, jusqu’à
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ce qu’elle comprenne qu’il s’agissait de sa propre respiration.
Giraud s’accroupit face à elle. Mimi tenta de reculer, mais le mur dans son dos l’en empêcha. Elle leva un regard terrifié vers Giraud qui l’observait froidement. Tuer était dans ses gènes. Il ne ressentait aucune compassion, réalisa Mimi avec un train de retard.
Giraud posa ses avant-bras sur ses genoux, observant attentivement Mimi.
— La prochaine fois, c’est autour du cou de la gamine que je place mes mains.
Mimi reçut la menace de façon frontale et hocha la tête autant que ses muscles douloureux lui permettaient.
Les yeux remplis de terreur de la petite furie rouquine lui arrachèrent un sourire. Giraud adorait le pouvoir de persuasion qu’il détenait sur cette femme. Sur elle, plus que sur une autre. Qu’elle baise avec Clément n’était pas étranger à cette soudaine satisfaction.
Il lui adressa un sourire cynique qui la fit se reculer un peu plus. Pauvre petite chose…
— Bien, articula-t-il d’une voix sombre. Tu vas te lever et me suivre sans discuter. Est-ce bien clair à présent ?
La rouquine hocha frénétiquement la tête même si ses yeux brillaient de fureur et de haine. Le message était passé. Il agrippa le bras de la jeune femme pour la relever, mais elle se dégagea d’un brusque mouvement d’épaule. Il admirait cependant. La
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rouquine avait du cran.
Mimi vacilla sur ses jambes, mais plutôt mourir que se faire aider par ce connard. Elle tourna la tête vers Adèle. Les joues baignées de larmes de sa fille lui arrachèrent un gémissement qu’elle réprima vite lorsqu’Adèle se précipita vers elle. Sa surprise grimpa d’un échelon quand Adèle passa un bras autour de sa taille pour la soutenir.
Bon sang !
C’était elle l’adulte. C’était elle qui aurait dû soutenir sa fille et non l’inverse. Mais les forces lui manquaient et elle accepta ce retournement de situation. Elle avait été idiote à provoquer ainsi Giraud. Elle s’était mise en danger. Pire, elle avait mis Adèle en danger.
— Tu vas bien ? demanda Adèle, la voix tremblante.
l’évidence, la scène l’avait choquée. À juste titre. Mimi hocha la tête.
— Je suis désolée, ma chérie, croassa-t-elle, la gorge en feu.
Adèle se hissa sur la pointe des pieds.
— Je crois que cet homme est fou, murmura-t-elle à l’oreille de Mimi.
Je le crois aussi, failli répondre Mimi. Mais elle ne voulait pas alarmer Adèle plus que nécessaire.
— Ne le provoque plus, tante Charlie, reprit Adèle
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d’un ton docte qui surprit une nouvelle fois Mimi par la précocité et la maturité de sa fille.
— Promis, ma chérie.
*
Aidée d’Adèle, Mimi descendit les marches jusqu’au salon qu’elle avait traversé trop rapidement pour en observer la configuration. Un canapé, flanqué de deux fauteuils, faisait face à une cheminée à foyer ouvert. Mais aucun feu ne venait réchauffer la pièce. Il y faisait bon, mais la vieille demeure retenait légèrement l’humidité de l’extérieur qui transit Mimi jusqu’aux os. Adèle se rapprocha de Mimi, s’agrippant
elle, comme si elle aussi percevait l’aspect froid de l’intérieur malgré la décoration luxueuse. Une maison belle, mais sans âme.
Mimi lança un regard alentour. Elle comprenait aussi qu’être au rez-de-chaussée leur offrait une dernière chance de s’enfuir. Il fallait absolument qu’elle trouve un moyen de quitter cette maison. La nuit à l’extérieur serait autant une bénédiction qu’un enfer. Mais elle n’avait pas le choix.
La cuisine était apparente, offrant une ouverture sur une salle à manger et le salon. Résultat d’une transformation de la structure de la longière devina Mimi. La porte d’entrée se trouvait trop loin pour être atteinte. Plusieurs portes-fenêtres donnaient sur l’extérieur.
Celles côté nord vers l’entrée, celles côtés sud sur une terrasse.
Les volets côté entrée étaient fermés, donnant probablement à la maison depuis l’extérieur l’impression d’être inhabitée. Ce qui ne laissait guère d’option à Mimi. Elle sentit les battements de son cœur s’affoler en observant les fermetures. De
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simples clés, qui, ô miracle, étaient sur les serrures. Leur seule chance de s’échapper de cette maison. Encore fallait- il neutraliser Giraud. Mais Mimi aurait l’avantage de la surprise. Même si elle ne parvenait qu’à le ralentir de quelques secondes, celles-ci seraient précieuses à Adèle pour déverrouiller une porte et s’enfuir en s’éloignant le plus possible de la maison.
La fenêtre de tir était minuscule, mais c’était là leur seule chance. Car si elles devaient remonter dans une voiture, Mimi estimait leur chance de survie à zéro.
Mimi leva les yeux vers Giraud. Il était penché sur son téléphone. Mais même ainsi concentré, elle savait qu’il avait une conscience aiguë de son environnement et qu’elle ne pouvait en aucun cas le sous-estimer. Elle se pencha vers Adèle et caressa doucement les cheveux de sa fille, respirant son odeur.
Mimi ferma les yeux, une boule lui obstruant la gorge. Elle avait ce sentiment de gâchis qui lui noua la gorge. Retrouver Adèle dans ses circonstances était douloureux. Et même en tentant d’ignorer toutes les lames qui lui traversaient le cœur, celui-ci saignait à l’idée que c’était probablement la dernière fois qu’elle pourrait étreindre Adèle.
Mimi se faisait peu d’idée quant à ses propres chances de survie face à Giraud. Mais cela en valait la peine pour sauver Adèle. Elle ravala ses larmes et rapprocha ses lèvres pour chuchoter à Adèle ce qu’elle devait faire de façon concise et rapide. Pendant qu’elle retiendrait Giraud, même si elle n’expliqua pas à Adèle comme elle comptait s’y prendre l’ignorant elle-même, Adèle devrait se précipiter vers la porte-fenêtre la plus proche la déverrouiller et s’enfuir. Courir sans jamais s’arrêter. Même si c’était elle, Mimi, qui l’appelait. Elle savait
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Giraud capable de tout pour neutraliser sa cible. Et il n’hésiterait pas à se servir d’elle comme arme. Mimi sentit son cœur se serrer un peu plus quand le corps d’Adèle fut secoué de discrets sanglots.
— Et toi ? chuchota Adèle difficilement.
Mimi respira par à coup, retenant ses propres larmes.
Mon Dieu !
Jamais elle n’aurait imaginé que mentir lui arracherait la gorge de cette façon. Elle mit dans sa voix une assurance qu’elle ne détenait pas. Une douleur qui la fit presque défaillir lui broya le ventre. Comme si une main s’enfonçait dans sa poitrine et lui arrachait le cœur.
— Tout ira bien pour moi. Je ne veux pas que tu t’inquiètes. Je te retrouverai plus tard.
— Tante Charlie… tenta de protester Adèle, les yeux rouges, le visage empreint de terreur.
— Promets-moi de faire ce que je te dis ! insista Mimi. S’il te plaît, murmura-t-elle quand d’autres larmes noyèrent les yeux de sa fille.
Adèle hocha la tête et Mimi éprouva un soulagement immense l’envahir. Ainsi qu’une sérénité qu’elle n’avait pas ressentie depuis des années. Elle allait tout faire pour qu’Adèle sorte de cette maison. Le temps pressait et jouait contre elles. Pour le moment, seul Giraud posait problème. Mais Mimi ignorait quand la personne qui l’avait engagé arriverait. Car si Giraud leur avait fait rejoindre le salon, ce n’était certainement pas par hasard.
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Mimi se pencha sur Adèle et posa ses lèvres sur le haut de sa tête. C’était maintenant qu’elle devait agir. Elle s’apprêtait à se tourner et se diriger vers Giraud quand un bruit de porte suivit de talons résonnant sur le carrelage la figea sur place.
Mimi sentit tous ses muscles se contracter et l’afflux d’adrénaline la fit trembler violemment quand une voix qu’elle n’imaginait jamais entendre s’adressa
elle.
— Quel charmant tableau avons-nous là.
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Chapitre 41
Mimi redressa la tête et se tourna. Ses yeux se plantèrent dans ceux magnifiques de la femme qui lui faisait face. Elle sentit sa gorge se serrer, et le bref sentiment de culpabilité en l’observant se transforma vite en une haine féroce.
— Madame De Ribaupierre, la salua Mimi avec une note sarcastique que la femme ne pouvait pas ignorer.
Cette dernière haussa un sourcil parfaitement épilé. Un coin de ses lèvres s’étira, mais ne réchauffa nullement la lueur glaciale de son regard.
— Bien. Je vois que les présentations sont inutiles.
Instinctivement, le bras de Mimi se resserra autour des épaules d’Adèle, la repoussant derrière elle en une protection bien mince.
Un geste qui n’échappa pas à la femme qui posa ses yeux sur Adèle.
— Voici donc la bâtarde de mon mari.
Mimi se tendit et inconsciemment elle porta son corps vers l’avant, prête à charger. Giraud qui ne la lâchait pas des yeux fit claquer sa langue.
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— Pas de ça, chérie, le menaça-t-il.
Il esquissa un sourire en voyant la jolie rouquine se tendre, mais saisir l’avertissement. Sa gestuelle lui confirma qu’elle avait compris que ses options étaient limitées. Il jeta un regard vers sa cliente. Elle avait retrouvé de sa superbe. Fière et arrogante. Comme la première fois où ils s’étaient rencontrés. Elle l’avait pris de haut, pensant pouvoir diriger les négociations. Elle avait vite compris que dans son monde, elle n’avait pas voix au chapitre. Elle avait peut-être payé une fortune pour retrouver la fille illégitime de son mari, mais c’était lui qui définissait les règles.
Son sourire froid s’accentua en la voyant si pédante et condescendante. La dernière fois qu’il l’avait vue, il venait de la baiser sauvagement dans une chambre d’hôtel. Son cul devait encore être marqué par les coups de badine et à cette pensée, il sentit son sexe s’éveiller. Il la baiserait une dernière fois avant de disparaître. Un petit bonus.
— Pourquoi ? demanda la rouquine.
Une question dont il connaissait la raison. Des hommes, et des femmes étaient prêts à tuer pour bien moins que ça.
La femme posa ses yeux sur Adèle avant de les reporter sur Mimi.
— Ouvrir les cuisses n’a pas suffi. Je savais que mon mari aimait les jeunes filles, mais je ne pensais pas qu’il serait assez stupide pour les mettre enceintes. Et plus stupide encore, de te laisser lui échapper.
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Mimi se figea.
— Eh, oui, confirma la femme en même temps que Mimi comprenait les mots cachés. Tu n’es pas la seule qu’il a engrossée, mais la seule à lui avoir échappé.
— Que sont devenues les autres filles ? demanda Mimi, la voix tremblante.
— Oh, rien de bien original. Un avortement. Une somme d’argent. Et des menaces pour garantir leur silence.
Sauf avec moi, pensa Mimi. Elle s’était enfuie avant. Elle avala difficilement sa salive et un frisson glissa le long de sa colonne.
— Et vous le saviez, ajouta Mimi dans un filet de voix.
— Mon « mari » possède des goûts, disons, particuliers. Tant que tout était sous contrôle, cela ne me dérangeait pas. Mais il a fallu qu’il dérape. Une fois, ajouta-t-elle, en posant un regard froid sur Adèle. J’avoue n’avoir été informée qu’il y a peu de temps.
Le souffle de Mimi se bloqua dans sa gorge.
Mon Dieu ! Réalisa-t-elle.
Sa fuite, la naissance d’Adèle. Son « adoption » par sa sœur. Tout ça avait fonctionné. Elles étaient parvenues à brouiller les pistes et mettre sa fille en sécurité. Une douleur au niveau du cœur la prit par surprise en prenant conscience que ce secret avait été une réussite jusqu’à ce qu’un élément vienne perturber cet équilibre si fragile.
— Tu te demandes ce qui a pu se produire, reprit la
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femme en voyant la confusion transparaître sur les traits de Mimi. C’est très simple, ajouta-t-elle. Mon idiot de mari a eu comme un besoin de rédemption. Il va mourir, prit plaisir à préciser la femme avec une tristesse consommée dans la voix qui n’était qu’un écran de fumée.
Mimi sentit le petit corps d’Adèle trembler contre le sien. Qu’elle aurait voulu épargner ces vérités à sa fille ! Même si Adèle possédait une maturité hors norme pour son âge, elle n’en restait pas moins une petite fille. Et savoir que les révélations de la femme allait la choquer, lui brisa un peu plus le cœur.
— Je savais qu’il t’avait prise pour maîtresse, poursuivit la femme en arpentant la pièce. Petite fille fragile et isolée de sa famille. Ses proies préférées, s’amusa à préciser la femme. Il m’a affirmé que tout était réglé. Que tu ne poserais aucun problème. Je l’ai cru. Je venais d’accoucher moi-même et j’avais l’esprit occupé par d’autres priorités. J’avoue que c’était une erreur. Bref, balaya-t-elle d’un geste désinvolte de la main. Après cette histoire, nous avons décidé de partir pour les États-Unis. Une façon d’éloigner Ghislain de ses perversités. Mais surtout, notre départ nous a permis de saisir une opportunité, d’étendre nos entreprises et d’accroître le capital de la société, dont je détiens un tiers.
Une information que Mimi ne prit pas à la légère. Elle savait par les articles de journaux que par sa fortune et sa puissance économique associées à l’ensemble de ses avoirs donnait à Ghislain un poids de taille sur le marché.
Mimi observa avec attention la femme. Tout dans ses gestes montrait une tension extrême. Elle
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marchait dans le salon, revenait sur ses pas. Mimi la sentait à fleur de peau. Fragile. Trop pour ne pas être inquiétant. Car en un mot, elle pouvait ordonner à Giraud de leur trancher la gorge.
— Durant les huit années passées à l’étranger, la fortune de la société s’est considérablement accrue, confirma la femme. La vie là-bas est beaucoup plus simple.
Pour ceux qui ont de l’argent, ajouta Mimi in petto.
Même si elle se garda bien d’en faire la remarque.
— Nous avons entamé la procédure de naturalisation. Celle-ci devait aboutir dans les semaines qui viennent.
Procédure avortée, en déduisit Mimi en voyant la mine pincée de la femme.
— Mais on a diagnostiqué un cancer à Ghislain. Cela n’aurait en aucun cas été un frein pour la finalité de la naturalisation. Mais mon mari a ressenti comme un besoin impérieux de rédemption et de pardon. J’imagine qu’en apprenant qu’il n’en avait que pour quelques mois à vivre, il a voulu s’aligner avec sa conscience, ajouta-t-elle avec fiel. Il a engagé un détective pour te retrouver. Cela ne m’a pas été difficile de l’apprendre vu que cet idiot m’a remis en main propre son rapport. Vide évidemment. Il n’avait rien trouvé sur toi. Et j’ai compris seulement à cet instant que Ghislain avait menti. Et qu’il fallait que je vous retrouve. Toutes les deux, ajouta-t-elle en braquant son regard froid sur Adèle et Mimi.
— Quel rapport avec nous ? demanda Mimi
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sincèrement déstabilisée.
La femme fixa son regard sur Mimi pour reprendre d’une voix étrangement posée, en totale contradiction avec l’agitation de son corps.
— Le rapport est très simple, fit la femme en faisant trois pas pour revenir se placer face à Mimi. En devenant citoyen américain, Ghislain peut à tout moment déshériter ses enfants. Ce que le droit français interdit.
Mimi la regarda avec des yeux ronds avant que la panique s’infiltre lentement en elle.
— Oh, mon Dieu… ! murmura-t-elle.
— Je vois que tu as compris. Sa bâtarde peut prétendre réclamer sa part.
— Mais elle n’est même pas reconnue par Ghislain. Elle n’apparaît nulle part. Jamais elle n’aurait pu demander une part qui ne lui appartient pas. Adèle n’a aucune filiation légale avec votre famille !
La femme émit un rire froid.
— À partir du moment où Gislain a entrepris la recherche, il a ouvert la boîte de Pandore. Tout s’achète, reprit-elle froidement. Le détective a été grassement payé, mais rien ne garantit qu’il garde le secret. Si ce n’est pas lui, ce sera un autre.
— C’est totalement hypothétique ! s’exclama Mimi complètement abasourdie par un tel raisonnement.
— Et rien ne me garantit que sa bâtarde ne demanderait pas sa part. Pour l’instant, ce n’est qu’une gamine, mais à l’âge adulte…, poursuivit-elle sans tenir compte de la protestation de Mimi.
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— Jamais nous n’aurions relevé quoi que ce soit, insista Mimi totalement effarée. La preuve ! Nous avons tout fait pour tenir Adèle éloignée de votre famille.
La femme fit de nouveau plusieurs pas dans la pièce pour se planter devant Mimi et braquer son regard polaire au sien.
— Je crois que tu n’as pas saisi les implications. Il suffit qu’une personne découvre les penchants de Ghislain pour les jeunes adolescentes pour mettre tout notre empire en danger. Ta « fille », cracha-t-elle, est la concrétisation des erreurs de Ghislain. Elle pourrait réclamer sa part d’héritage. Je ne me suis pas battue pour mes fils pour qu’une bâtarde débarque et rafle tout ! Car cette gamine pèse potentiellement plusieurs millions d’euros et des parts substantielles en actions des entreprises De Ribaupierre.
Mimi la regarda, complètement figée. Une langue de froid glacial s’enroula autour de sa colonne pour se répandre et parcourir son corps. Elle réalisait seulement maintenant qui était sa fille. Une héritière. Une riche. Très riche héritière. Et cette position équivalait tout simplement à une condamnation à mort.
Mimi réfléchissait aussi vite que son esprit engourdi le pouvait. La femme de De Ribaupierre était trop nerveuse. Et à tout moment, elle pouvait ordonner à Giraud de « prendre la relève ». Elle serra brièvement Adèle contre elle, mais s’interdit de quitter des yeux Giraud et la femme. Si Mimi devait agir, il fallait que ce soit maintenant. Elle observa la femme se déplacer nerveusement dans la pièce. Elle s’éloignait du côté opposé aux fenêtres donnant sur l’arrière. Giraud en biais offrait une résistance plus difficile à neutraliser.
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Mimi connaissait ses propres chances de survie. Mais celles d’Adèle augmenteraient considérablement. Elle se retourna brièvement vers sa fille, attrapa son visage en coupe et chuchota rapidement.
— Dès que je te dis « maintenant », tu fais ce que l’on a dit. Compris ?
Adèle réagit immédiatement en hochant la tête et Mimi ne put empêcher ses lèvres d’esquisser un pâle sourire. Cette enfant était vive et intelligente. Mimi regrettait tellement de ne pas avoir eu le temps de la connaître. Elle posa rapidement ses lèvres sur son front et se retourna vers le couple. L’échange avec sa fille avait été bref, mais Mimi savait qu’il serait déterminant.
Giraud lui faisait face, mais légèrement décalé, laissant libre le champ à Adèle pour parcourir les quelques mètres pour atteindre une des portes-fenêtres. La femme revenait sur ses pas, puis repartit en sens inverse. C’était le moment que Mimi attendait. Elle lâcha la main d’Adèle et tout en se précipitant vers Giraud cria :
— Maintenant !
Elle propulsa la table basse, mince obstacle entre Giraud et Adèle avant de foncer poings en avant vers Giraud. La surprise de son geste lui fit gagner quelques précieuses secondes et Mimi vit du coin de l’œil qu’Adèle déverrouillait déjà une fenêtre.
Mimi percuta de plein fouet Giraud. La force de l’impact le fit vaciller, mais pas tomber. Mimi s’agrippa à Giraud et déploya toutes ses forces pour enrouler son corps autour du sien. Il n’y avait rien de formel dans son attaque. Elle se battait avec les armes
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qu’elle possédait, et elles étaient bien minces. Cependant, cela eut le mérite de faire perdre à Giraud encore quelques secondes supplémentaires. Mimi était littéralement enroulée autour de Giraud. Elle sentait la force qui émanait de cet homme et ce n’était qu’une question de secondes avant qu’il la neutralise.
Giraud poussa une bordée de jurons. La danseuse s’accrochait à lui, le mordait et le griffait. Il repoussa un bras, mais aussitôt, elle s’accrochait de nouveau à lui. D’une poigne de fer, il crocheta les poignets de la rouquine et d’un geste puissant l’arracha violemment
lui. Il saisit vivement le cou de la furie, tendit le bras pour être hors d’atteinte et resserra ses doigts autour de sa gorge. Il ignora les griffures sur ses bras et les coups de pieds qu’elle lui lançait désespérément.
— La gamine, hurla-t-il à sa cliente qui restait prostrée.
Il la vit bouger du coin de l’œil et reporta son attention sur la rouquine.
Mimi hoquetait. De douleur, de peur, mais l’adrénaline lui donnait suffisamment de force pour résister à Giraud. Elle releva les yeux et un sentiment de soulagement intense la submergea. La porte-fenêtre était ouverte sur les profondeurs du jardin. Adèle était sortie et des larmes lui brouillèrent la vue.
Nom de Dieu ! Il avait perdu assez de temps et avait assez joué. Il resserra ses doigts autour du cou gracile de la jeune femme et d’une impulsion la projeta vers l’arrière.
Mimi retomba lourdement sur le dos. Une douleur lui vrilla le crâne et elle crut que son heure était arrivée. La poigne de Giraud autour de son cou déjà malmené l’empêchait pratiquement de respirer. Ses
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poumons voulaient s’ouvrir, mais sa gorge était enflée et l’air s’y engouffrait difficilement.
Un voile noir passa devant ses yeux, mais Mimi s’interdit de s’évanouir. Si elle le faisait, elle signait son arrêt de mort. Avec le peu de force qui lui restait, elle s’obligea à se redresser. D’abord à genoux. Mais déjà, Giraud tournait les talons. Elle n’avait pas assez d’énergie pour se mettre debout et poursuivre Giraud. Aussi, se jeta-t-elle en avant, et enroula ses bras autour des chevilles de Giraud. Le geste le déstabilisa et il se retint de tomber de justesse en prenant appui sur le dossier du canapé. Mimi l’entendit grogner, et plus pétrifiant, entendit distinctement le déclic d’une arme.
Giraud sortit son arme. La plaisanterie avait assez duré. Il baissa les yeux vers la rouquine accrochée à ses genoux. Il regrettait presque de lui tirer une balle dans la tête qu’elle redressa vers lui au moment ou il arma le chien.
Le déclic résonna étrangement dans la pièce silencieuse. Un sourire étira ses lèvres quand il rencontra le regard de la rouquine. Il pensait découvrir de la peur dans ses jolis yeux, et non de la haine et une détermination qui l’impressionna. Cette femme était une battante, mais son combat s’arrêtait là. Il braqua son arme vers la tête de la jeune femme qui ne baissa pas le regard.
— Désolé, chérie, articula-t-il avec une froide détermination.
La détonation retentit dans la pièce, dans le crâne de Mimi, explosant ses sens, la privant de tout repère. Un cri transperça au travers du brouillard. Pas le sien, réalisa-t-elle. Celui de la femme.
Puis le calme.
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Chapitre 42
Le silence. Assourdissant. Plus encore que la détonation.
Un silence étrange, qui n’avait rien de commun. Comme s’il prenait le temps de retrouver un équilibre avant que la vie éclate à nouveau. Un sentiment que Mimi n’avait jamais éprouvé jusqu’à aujourd’hui.
Elle releva la tête, étourdie, et cligna plusieurs fois les yeux, réalisant à peine qu’elle fût en vie. Toujours
genoux, ses yeux rencontrèrent une arme. Celle que Giraud tenait dans sa main qui étrangement n’effectuait aucun mouvement. Mimi enregistra uniquement celui de ses doigts qui s’ouvraient lentement, l’index sortit de la gâchette, puis le corps du mercenaire qui se baissait avec prudence pour déposer l’arme à ses pieds.
Il fallut deux bonnes secondes à la jeune femme avant de comprendre le geste de reddition de Giraud. Et une seconde supplémentaire pour remarquer la douzaine de points rouges lumineux qui parsemaient le torse et le front de Giraud. Elle tourna la tête pour apercevoir le même dessin lumineux sur la femme de De Ribaupierre.
— Daniel, murmura-t-elle en refermant les yeux en
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comprenant que le coup de feu était un coup de semonce.
Et le déferlement débuta.
Un bruit de verre brisé lui parvint alors que des voix masculines envahissaient les lieux et se rapprochaient. Elle vit Giraud se laisser tomber à genoux et placer ses mains derrière sa tête. Une poigne puissante la tira vers l’arrière pendant qu’un homme entièrement vêtu de noir obligeait Giraud à s’allonger sur le ventre.
Immédiatement, elle reconnut l’odeur familière de Daniel. Ses mains qui encadrèrent son visage, son souffle, ses lèvres qui se posèrent sur les siennes dans un besoin urgent de la sentir vivante.
— Est-ce que tu vas bien ?
Sa voix reflétait une inquiétude évidente, une panique tangible. Il palpa Mimi, à la recherche de blessures, et expira quand il ne découvrit aucune trace de sang.
— Dis-moi que tu vas bien ? insista-t-il.
Mimi leva la main pour la poser sur sa joue, et ce simple geste suffit à rassurer Daniel.
— Ça va, murmura-t-elle d’une voix rauque, comme si elle avait crié à s’en rompre les cordes vocales. Je suis contente de te voir.
Daniel réagit à son trait d’humour par un rire nerveux.
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Nom de Dieu !
Elle avait failli se faire tuer et elle trouvait l’énergie de plaisanter. Tout cela dans le seul but de le rassurer.
— Tu ne me refais jamais ce coup, compris ! répondit-il en glissant sa main derrière sa nuque pour attirer la jeune femme contre lui.
Bon sang, jamais il n’avait eu aussi peur, paralysé par sa propre impuissante à agir pour sauver sa femme !
— Promis, croassa-t-elle.
Vœux qu’elle serait heureuse de tenir, car jamais plus elle ne voulait se retrouver dans une situation pareille. Elle grimaça lorsque l’étau des bras de Daniel la serra contre lui. Son torse n’était qu’une masse dure et rêche. Une protection en kevlar, comprit-elle en baissant les yeux. Si tous les hommes autour d’eux étaient vêtus de combinaison noire, Daniel portait ses vêtements civils. Seul un gilet de protection le recouvrait. Une flèche de culpabilité vint faucher Mimi par surprise. Daniel était parti tout aussi précipitamment qu’elle s’était enfuie de la tour. Il avait à peine eu le temps d’enfiler une protection, bien maigre, estima- t-elle, avant de débarquer dans la maison. Mais grâce à son intervention, elle avait la chance d’être debout, dans ses bras.
— Adèle, reprit vivement Mimi qui tenta de se libérer de la poigne de Daniel.
— Doucement, ma belle. On l’a récupérée quand elle s’est enfuie de la maison. Elle va bien. On a contacté ta sœur et ton beau frère. Ils devraient
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bientôt être sur place.
— Merci Seigneur ! balbutia Mimi, les larmes aux yeux. Merci d’avoir pris soin d’elle, ajouta-t-elle la voix complètement voilée.
De joie, de soulagement, de douleur, sa gorge toujours irritée.
Daniel prit le visage de Mimi en coupe et l’éloigna doucement de lui, les sourcils froncés. Une pulsion meurtrière déferla dans ses veines quand il vit le cou violacé de Mimi. Des traces d’étranglement si prononcées qu’elles commençaient à bleuir.
— Ce n’est rien, tenta de le rassurer Mimi quand elle vit son visage se transformer.
Blottie contre lui, Mimi perçut le frémissement de fureur qui le parcourait alors qu’il fixait un regard menaçant sur Giraud.
Mais Daniel ne l’écoutait plus. Seule la haine le dirigeait. Il interpella Greg et malgré la puissance de sa fureur parvint à moduler sa voix. Il souleva Mimi pour la déposer sur le canapé tout en s’adressant à Greg.
— Reste avec elle.
Mimi n’eut même pas le temps de réagir que Daniel se retournait et bondissait littéralement sur Giraud. L’homme qui passait les liens de serrage autour des poignets de Giraud se recula vivement quand le poing de Daniel heurta la mâchoire du mercenaire.
Mimi assistait avec effarement au matraquage de Giraud. Ses mains n’étaient pourtant pas entravées, mais il encaissait les coups de Daniel sans réagir. Un, plus fort que les autres, porté sur la tempe de Giraud
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l’envoya au sol. Du sang s’échappait de ses lèvres fendues, mais il ne ripostait toujours pas.
Mimi se redressa autant que ses jambes le lui permettaient. Il allait le tuer. Daniel déversait toute sa rage sur Giraud, et pas un seul homme ne s’interposait. Mimi sentit les larmes couler sur ses joues. Elle ne pouvait pas assister à ça sans réagir.
Elle voulut s’approcher de Daniel, mais Greg d’une poigne vigoureuse la retint par l’épaule.
— Vous risquez d’être blessée.
Elle se dégagea brusquement et le regarda des éclairs dans les yeux
— Il va le tuer !
— Est-ce un mal ? demanda Greg en haussant un sourcil.
— Oui, dans la mesure ou ce sera une punition supplémentaire pour Daniel.
Greg dévisagea la jolie rouquine. Elle ne baissait ni les yeux ni la tête. Ils s’affrontèrent du regard à peine une fraction de seconde, mais elle fut déterminante. Greg comprenait pourquoi Daniel aimait autant sa walkyrie. Il hocha la tête et relâcha lentement l’épaule de Mimi qui aussitôt se précipita sur Daniel.
Il frappait. Encore et encore. Giraud était à terre. Cet enfoiré ne répliquait même pas. Et pour cela il le haïssait encore plus. Ses poings s’écrasaient sur la mâchoire de Giraud. Ses phalanges étaient douloureuses, écorchées. Le monde autour de lui ne se résumait qu’à cette raclure. Il n’y avait plus qu’eux. Il sentit une pression sur son épaule. Douce, en totale contradiction avec la férocité dont il faisait preuve.
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La voix de Mimi s’infiltra dans le chaos qui régnait dans son esprit. Une voix claire qui l’obligea à quitter les ténèbres de haine et de rage dans lesquelles il était tombé.
Mimi sentit le moment où Daniel l’entendit. Elle pouvait physiquement le voir revenir dans leur monde. Ses yeux n’étaient que deux gouffres sombres, et si elle ne le sortait pas de ses propres ténèbres, elle savait qu’il ne remonterait jamais vers la lumière.
Vers elle.
Daniel tourna la tête vers Mimi. Son visage d’abord flou devint plus net. Et ce qu’il vit lui broya le cœur. La douleur dans ses mains n’était rien en comparaison. Mimi se tenait debout, le visage aussi beau et pur qu’un ange. Sa voix se fit plus distincte. Il entendait ses inflexions, elles se frayaient un chemin dans sa conscience, pour enfin devenir aussi limpides qu’une eau cristalline.
— Ne fait pas ça, Daniel.
— Il a voulu te tuer ! gronda-t-il. Il a posé ses mains sur toi !
— Et tu es arrivé, contra Mimi.
— Comment peux-tu vouloir sauver ce porc ? cracha-t-il.
Mimi se mit à genoux à la hauteur de Daniel et prit son visage. Elle sentait sous ses doigts toute la tension qui l’habitait. Il respirait fort. Difficilement. Et Mimi posa doucement ses lèvres sur les siennes.
— Ce n’est pas lui que je veux sauver. C’est toi, murmura-t-elle.
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Daniel se figea, comprenant immédiatement où Mimi voulait en venir. Elle sut avec exactitude à quel moment Daniel percuta et Mimi resserra un peu plus ses mains autour de son visage.
— Je ne suis pas Lizzie, murmura-t-elle d’une voix douce. Je suis vivante. N’entre pas dans son jeu. Si tu le tues, il aura gagné. S’il te plaît…
Une supplique qui mit Daniel un peu plus à terre. Ses doigts se relâchèrent, ses épaules se voûtèrent légèrement. Il baissa la tête et ferma les yeux. Les images de Lizzie baignant dans une marre de sang s’étaient superposées à celle de Mimi. De son cou tuméfié, du sourire sarcastique de Giraud. Et il avait perdu pied avec la réalité. Le passé l’avait rattrapé et plongé dans un maelstrom infernal. Mais Mimi était parvenue à l’en sortir. Avec ses mots. Sa patience. Son amour pour lui.
Il releva la tête pour plonger son regard dans celui confiant de la jeune femme. Doucement, il écarta une mèche de cheveux et vit avec soulagement les lèvres de Mimi trembler en un sourire hésitant.
Daniel attrapa vivement Mimi qui poussa un petit cri de surprise pour l’attirer contre lui. Elle répondit à son étreinte, se perdant dans les bras de Daniel. Des larmes s’accumulèrent sous ses paupières et Mimi décida de les laisser couler librement. Pourquoi retenir le bonheur quand il vous prend dans ses bras ?
— Je t’aime, murmura Daniel d’une voix si basse que seule Mimi l’entendit, son souffle se perdant dans ses cheveux.
Elle se recula, pour regarder ce visage qu’elle
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aimait tant. Un sourire tenta de percer à travers ses larmes.
— Je sais. Sinon, tu ne m’aurais probablement jamais entendue.
Et je me serais perdu, ajouta Daniel pour lui-même. *
Giraud et la femme de De Ribaupierre furent isolés. Chacun dans une pièce, sous bonne garde. À l’instant où ils furent hors de vue, la porte d’entrée s’ouvrit et Mimi se serait écroulée si Daniel ne l’avait pas soutenue. Elle regarda sa fille, les yeux légèrement écarquillés, visiblement sous le choc de ce qui venait de se passer. Son petit visage était pâle et tendu. Trop pour une enfant de douze ans. Mais il se métamorphosa quand ses yeux tombèrent sur Mimi. La jeune femme ne put réprimer un sanglot lorsqu’Adèle échappa à un des guerriers vêtus de noir de l’équipe de Greg et se précipita vers elle.
— Tante Charlie !
Mimi recula légèrement quand le corps d’Adèle percuta le sien et que ses bras s’enroulèrent autour de sa taille. Mimi répondit immédiatement et instinctivement à son étreinte. Elles restèrent ainsi, l’une contre l’autre de longues secondes, même si le temps de la reconstruction prenait plus que ces quelques instants arrachés à la réalité. Mimi avait l’impression de se retrouver hors du temps, dans une bulle où seule sa fille et elle avaient une place. Une place à part. Quand elle releva la tête, elle put voir que les hommes avaient respecté leur intimité en
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s’éloignant.
Mimi se recula pour prendre doucement le visage d’Adèle entre ses mains.
— Tu vas bien, ma chérie ?
— Oui, j’ai surtout eu peur pour toi.
Mimi esquissa un sourire rassurant. Tout ce qu’elle voulait pour le moment, c’était voir disparaître les ombres qui voilaient les yeux si lumineux de sa fille. Et elle y parvint. Par un simple sourire. Cependant, Mimi préféra botter en touche.
— J’étais sûre que tu serais assez maline pour t’échapper. Tout va bien maintenant, ajouta-t-elle en embrassant les cheveux d’Adèle que Mimi respira profondément.
Dieu ! Qu’elle aimait cette odeur !
Un homme portant l’uniforme noir de l’équipe de
Daniel s’approcha. Instinctivement, Mimi poussa
Adèle dans son dos.
— C’est le monsieur qui s’est occupé de moi quand je suis sortie, dit Adèle dans son dos. Il est sympa.
Sympa ?
Mimi faillit s’étrangler devant les propos de sa fille.
L’homme esquissa un sourire discret et tendit la main à Mimi.
— Je suis le médecin de l’équipe, Pierre, se présenta-t-il. Je vais uniquement m’assurer qu’Adèle
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va bien.
Devant l’hésitation de Mimi, il reprit avec une douceur dans la voix qui à elle seule devait être capable de panser bien des plaies, pensa Mimi.
— Je vous promets qu’elle ne craint rien.
— C’est vrai, tante Charlie, intervint Adèle.
Mimi hocha la tête lentement.
— OK.
Elle n’imaginait pas que confier Adèle lui serait si difficile. Et l’homme devant elle faisait preuve de tant de compréhension, que les larmes revinrent lui brouiller la vue. Elle les chassa du revers de la manche avant de relâcher Adèle qui s’approcha du géant avec une confiance qui enleva les derniers doutes à Mimi.
Elle les regarda s’éloigner jusqu’au canapé sur lequel l’homme fit asseoir Adèle. Daniel s’était approché de Mimi et lui souffla doucement à l’oreille.
— Tu seras la prochaine à passer entre les mains de Pierre.
Mimi se retourna pour se retrouver dans les bras de Daniel.
— Ce n’est pas les mains de Pierre que je veux. Ce sont les tiennes.
Daniel la regarda avec tendresse, avant que son front se plisse d’un trait soucieux. Doucement, il passa l’index sur le cou contusionné de Mimi.
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— Je veux qu’il t’examine. Cela ne prendra pas longtemps. Mais j’ai besoin qu’il le fasse. S’il te plaît, ajouta-t-il si bas que Mimi ne fut pas certaine de bien avoir entendu.
Jusqu’à ce qu’elle rencontre son regard torturé. Elle comprit qu’il avait besoin d’être rassuré. Que c’était nécessaire pour lui, presque vital. Alors elle acquiesça.
— Mais après, on rentre à la maison.
Daniel se recula pour plonger ses yeux dans ceux ambre de Mimi, et un sourire illumina son visage, dissipant les dernières ombres.
La maison.
Peu importait où, tant qu’elle était à ses côtés, il serait chez lui partout.
*
Daniel observait Mimi. Ses lèvres tremblaient, mais elle restait stoïque. Il éprouva une vague d’amour et de tendresse si forte envers cette femme qu’il ressentit un instant une faiblesse dans les jambes et une autre sensation beaucoup plus agréable lui étreindre le cœur.
Les parents d’Adèle venaient d’arriver. Ils avaient été introduits dans la maison, et en voyant leur visage refléter la peur, puis le soulagement, il comprit à quel point Adèle était importante pour eux.
Elle n’était pas seulement la fille de Mimi.
Elle était avant tout la leur.
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Les larmes sur leurs visages pâles et défaits montraient à quel point ils avaient été éprouvés au cours des dernières heures. Daniel vit Adèle s’échapper des bras de Mimi pour courir vers ses parents et se jeter dans leur bras.
— Maman !
Un mot.
Beau, mais si difficile à entendre pour Mimi.
Il regarda, impuissant, une larme, unique, glisser le long de sa joue. Un mot qui ne lui était pas destiné. Un mot qui lui transperça le cœur, mais qui paradoxalement le réparait. Doucement, comprit Daniel.
Elle réagissait avec une dignité qui le toucha. Droite, humble. Et il se fit la promesse que ce mot, elle l’entendrait. Peu importe ce que leur réservait l’avenir, il était déterminé à lui offrir ce qui lui avait été interdit depuis douze ans.
La sœur de Mimi vint se poster devant elle, et après un moment d’incertitude, elle prit Mimi dans ses bras pour l’étreindre avec une douceur dans les gestes qui toucha Daniel. Il détourna le regard quand il entendit les sanglots de Mimi.
Elles avaient besoin d’intimité et il n’avait pas sa place dans leurs retrouvailles. Cela prendrait du temps. Douze ans à rattraper étaient une longue période. Elles allaient devoir se réapprendre, se comprendre, se chercher avant de se retrouver. Mais Adèle était leur pilier commun, et Daniel était certain qu’elles réussiraient à recréer ce lien qu’elles avaient dû briser des années plus tôt.
Pour la sécurité d’Adèle.
Et aujourd’hui, elle était celle qui les aiderait à
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reformer ce lien spécial qui les unissait.
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Chapitre 43
— On rentre ?
Mimi hocha la tête. Elle se sentait perdue, épuisée et en même temps elle pouvait presque toucher cette énergie vibrer au plus profond d’elle.
Daniel l’entraîna vers un des véhicules qu’ils avaient utilisés pour intervenir. Mimi monta et s’échoua sur le siège passager. Daniel lui boucla sa ceinture puis fit le tour et s’installa derrière le volant. Avant de s’attacher, il se pencha vers la jeune femme pour lui saisir la nuque et plaquer ses lèvres aux siennes. Son besoin d’elle, de la sentir était presque maladif. Et il dut prendre sur lui pour s’écarter de la tentation de ses lèvres. Mais cette diablesse ne l’aida pas non plus quand elle agrippa ses cheveux pour la maintenir près d’elle. Daniel grogna et se libéra à regret.
Bon sang !
Il devait penser à autre chose sinon il était capable de lui faire l’amour dans cette voiture avec la moitié de ses hommes encore sur place. Sans compter la présence du préfet de police qui s’était déplacé en personne et d’un haut secrétaire de l’armée.
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Daniel savait que rien ne transparaîtrait dans la presse le lendemain. Il y avait trop en jeu.
Trop de personnes impliquées.
Trop d’argent en jeu.
Trop de conséquences aussi bien sur le plan humain que sur les différents marchés financiers si l’affaire de De Ribaupierre venait à être exposée au public.
Une rumeur suffisait parfois à faire s’écrouler la valeur d’une action et mener à la banqueroute une société. Et le chaos financier qui en découlerait mènerait beaucoup des personnes à la ruine et par conséquent toucherait des milliers d’individus et leur famille. Salariés, petits investisseurs qui avaient mis leur économie dans les actions de De Ribaupierre. Sans compter les répercussions à l’étranger.
Tout serait étouffé, réglé, jugé et condamné dans le plus grand silence. Giraud avait été formé par l’armée, et cela ferait une très mauvaise publicité si l’on apprenait. De plus, Giraud intéressait par son profil et Daniel ne doutait pas qu’il allait être recruté de façon obscure. Mais pour servir le bon côté. Quoi que, qui pouvait définir avec certitude quelle action était juste ou non. Cela dépendait justement de quel côté de la ligne on se situait. Giraud était une ressource précieuse. Et ce serait pour certains un terrible gâchis de le mettre derrière les barreaux et plus encore de ne pas exploiter toutes ses capacités. Et savoir que ce pourri risquait de s’en sortir lui fit serrer les poings.
Mais le point le plus important à ses yeux restait Adèle. Qui était le pivot de toute cette histoire. Sa naissance était obscure. Son identité avait été falsifiée
sa venue au monde. Mimi, sa sœur, son beau-frère étaient eux aussi dans l’illégalité, même si leur geste avait été poussé par l’urgence et le danger que
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représentait De Ribaupierre. Aucun juge ne pourrait les condamner pour usurpation d’identité, faux et usage de faux. Mais si la vérité devait être mise en lumière, leur vie deviendrait un enfer.
Daniel engagea la voiture dans la rampe d’accès du parking de la tour. Le trajet s’était effectué dans un silence apaisant. Il jeta un regard à Mimi, et son expression concentrée lui fit dire que ses pensées suivaient étroitement les siennes. Il gara la voiture et l’aida à descendre du véhicule. Mimi poussa un petit cri étranglé quand elle se sentit décoller du sol et projeter contre un torse dur. Solide. Elle passa ses bras autour du cou de Daniel à la mine autoritaire et déterminée.
— Je peux marcher, tu sais.
— Je sais
— Alors, repose-moi.
— Non, répondit-il buté.
Il n’y avait aucune brusquerie dans les mots de Daniel, et Mimi n’insista pas. Il était si déterminé à prendre soin d’elle que ses protestations ne serviraient à rien.
Daniel soupira quand Mimi vint nicher sa tête dans son cou. Son corps souple et chaud contre le sien était un baume à lui seul, et un sentiment de soulagement, de bonheur intense le prit aux tripes.
Nom de Dieu !
Il en aurait crevé s’il lui était arrivé quoi que ce soit. Jamais il ne s’en serait remis. Jamais il ne se le serait pardonné. Mais Mimi était vivante. Dans ses bras. En sécurité. Et il n’était pas près de la lâcher.
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Il les dirigea vers la salle de bain. Il devait se débarrasser de leurs vêtements et du message qu’ils apportaient en les introduisant au cœur de leur foyer. Daniel reposa doucement la jeune femme sur ses jambes et ouvrit le robinet de la douche.
Lentement, il fit passer son pull par dessus sa tête, puis se baissa pour lui retirer ses chaussures et chaussettes. Elle se retint à ses épaules. Les gestes de Daniel étaient empreints d’une douceur qui la toucha.
genoux devant elle, il releva la tête et accrocha son regard. Mimi fut bouleversée par la tendresse qu’elle y lut. Il posa un baiser sur son ventre. Un geste révérencieux, doux, qui à lui seul résumait tout ce qu’il taisait.
Lentement, il fit glisser son jean et son minuscule slip. Il releva la tête et la beauté de Mimi le frappa de plein fouet.
Douce, offerte.
lui.
Il se releva prestement, rompant leur échange. Il se déshabilla rapidement et entraîna Mimi sous le jet. Il leur fouetta délicieusement la peau et Mimi soupira de bien- être quand l’eau chaude s’abattit sur ses épaules, déliant ses muscles douloureux, la lavant de la noirceur des dernières heures.
Daniel prit un savon doux, et de ses mains passa sur le corps de Mimi. Lentement, avec une application qui relevait de la caresse et non d’une douche traditionnelle. Mais les conventions avec Daniel avaient l’habitude d’être bousculées, et Mimi adorait ses attentions. Il avait un côté brut, sauvage, libéré de toutes les convenances, qui lui faisait perdre la tête. Il s’attarda sur ses seins, s’appliquant à faire mousser plus que nécessaire la lotion.
Daniel esquissa un discret sourire quand il entendit
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la jeune femme gémir. Les pointes de ses seins étaient dures sous ses doigts. Il les rinça rapidement avant d’en prendre une entre ses lèvres, se repaissant de la douceur de Mimi et de son cri étranglé. Il poussa un grognement primitif lorsque les doigts de Mimi malmenèrent ses cheveux qu’elle venait d’empoigner vivement.
Il se releva tout aussi hâtivement pour s’emparer des lèvres de Mimi. Il voulait la goûter, apprécier chaque mouvement de son corps souple qui s’enroulait autour du sien. À regret il se détacha de ses lèvres, coupa l’eau et attrapa une serviette épaisse. Mimi disparaissait sous le coton doux tandis que Daniel la frictionnait. Il se sécha à son tour rapidement avant de lancer les serviettes dans un coin de la salle de bain et de saisir Mimi aussi légère qu’une plume pour la soulever et la porter dans sa chambre.
Leur chambre.
Car c’était sa place.
Avec lui.
Et il était hors de question qu’elle retourne dans son minuscule appartement. Elle protesterait. Parce que Mimi était ce genre de femme. Elle défendait ses droits, ses envies, ses désirs, sa féminité. Et compte tenu de la nature indépendante de Mimi, il semblait bien qu’il s’attaquait à une tache qui avait toutes les chances d’être ardue. Mais il était certain d’avoir les arguments pour la convaincre. Et son travail de sape commençait maintenant !
Daniel la fixa intensément. Son regard ardent la brûla. Une chaleur qui s’intensifia lorsque son corps chaud et musclé vint recouvrir le sien. Du bout de la langue, il taquina la jonction entre son cou et son épaule, là où la peau était si fine. Si réceptive. Mimi arqua le dos, lui offrant un accès total à son corps,
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imprimant dans son geste tout ce qu’elle désirait de Daniel. Pas seulement un acte physique. Elle lui offrait tout. Son corps, son cœur, son âme. Sa vie. Cet homme était parvenu à faire tomber toutes ses défenses, et se sentir vulnérable devant lui augmentait l’aura primitive de Daniel qui dégageait un pouvoir sexuel brut.
Mimi posa ses mains sur son visage, l’obligeant à relever la tête. Et ce que Daniel lut dans le regard de Mimi lui empoigna le cœur. Car lui aussi ressentait la même chose. Lui aussi avait les mêmes besoins.
D’un léger mouvement de bassin, Daniel fit glisser son sexe sur celui humide de Mimi, jusqu’à ce qu’il vienne buter contre la petite crête sensible de la jeune femme.
La farouche virilité qui affleurait à chacun de ses gestes allait la perdre. Mimi poussa un gémissement qui faillit avoir raison de son amant. Elle sentit tous ses muscles se tendre. Il résistait, combattait son envie de la prendre.
Mimi joua un instant avec les envies de Daniel qui étaient si similaires aux siennes. À son tour, elle ondula du bassin, exerçant une pression sur le sexe de Daniel qui céda. Écrasé par la surcharge sensorielle qu’elle lui procurait, il ne voulait plus que se perdre en elle. D’un geste, il releva le genou de Mimi et s’enfonça profondément en elle. Il manqua de jouir quand les parois serrées et chaudes de la jeune femme se refermèrent sur lui, l’emprisonnant pour l’ancrer profondément en elle.
Ils gémirent à l’unisson quand il ressortit de son corps pour mieux replonger.
Plus vite.
Plus fort.
Plus puissamment.
Mimi poussa un petit cri étranglé quand elle le
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sentir grossir en elle. La sensation était merveilleuse, d’une intensité qui lui fit monter les larmes aux yeux. Surtout lorsque Daniel se concentra sur son plaisir en glissant la main entre leur corps et caressant son clitoris.
Une pression, une seule, et Mimi sentit le monde se
distendre, l’espace autour d’eux ne se résumant qu’à
ce seul contact.
Puis l’impact.
Suivi par tous les milliers de flèches de plaisirs qui leur traversèrent le corps. Daniel s’enfonça une dernière fois avant de rejoindre Mimi dans l’extase quand il la sentit se resserrer autour de lui. Il accompagna sa jouissance en mouvement de va-et-vient fluides et lents. Jusqu’à l’apaisement. Des corps. Des sens.
Il fit glisser sa bouche sur la gorge malmenée de Mimi qu’il embrassa avec déférence. Ses lèvres légères étaient un baume sur les plaies de Mimi. Visibles ou non. Il l’apaisait. Lui offrait ce qu’aucun homme ne lui avait donné.
Un refuge.
*
Les jours qui suivirent furent une succession de dépositions, de déclarations. Mimi raconta avec force détails son histoire. Depuis son enfance jusqu’à l’arrestation de Madame de De Ribaupierre et Giraud. Elle pensait que parler l’éprouverait, mais étonnamment le fait que son histoire soit enfin connue lui apporta une forme d’apaisement.
De son côté, Daniel était en proie à une agitation qu’il parvenait à peine à maîtriser. Il connaissait une des raisons. Comme ils en avaient discuté avec Greg, toute l’affaire était passée sous silence. Les
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rencontres entre le préfet de police, les institutions de l’armée et Mimi s’effectuaient dans le plus grand secret. Greg et lui n’étaient présents qu’en tant que témoins. Et leurs paroles donnaient un poids supplémentaire aux déclarations de Mimi.
Sur le papier, De Ribaupierre et Giraud devraient être emprisonnés pour un long moment.
Dans la réalité, exposer cette affaire ferait l’effet d’une bombe dans le milieu des affaires, de l’armée et dans la vie de Mimi.
Et même si cela bouffait Daniel que Giraud s’en sorte si impunément, il ne pouvait prendre le risque de perdre Mimi. Elle avait suffisamment souffert et avait largement payé.
La seconde raison qui provoquait son agitation était plus difficile à cerner. Il sentait que quelque chose était légèrement désaxé, mais ne parvenait pas à mettre le doigt dessus.
Mimi était épuisée. Les allers-retours pour les dépositions créaient une fatigue qui se voyait physiquement. Ses jolis yeux, même éclatants après ses visites chez sa sœur, se soulignaient chaque jour de cernes. Les deux sœurs avaient décidé de reprendre progressivement contact. Ni l’une ni l’autre ne désiraient perturber Adèle par une présence trop fréquente de Mimi dans leur schéma familial. Elle en faisait partie, certes, mais elles y allaient par étapes. Et Mimi faisait vaillamment face à cette situation. Non seulement elle l’acceptait, mais aussi, et surtout elle la comprenait. Jamais elle ne pourrait créer un lien filial aussi fort qu’Adèle avait avec sa sœur, mais elle créait leur propre relation empreinte d’une particularité que peu de personnes ne pourraient comprendre.
Lui, inclus.
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*
Tous les week-ends, Daniel emmenait Mimi. Ils quittaient la ville, se retrouvaient, se ressourçaient. Leur complicité s’épanouissait. Presque fusionnelle et d’une intensité qui surprenait encore Daniel. Cela n’empêchait pas Mimi d’accumuler la fatigue.
Daniel observait Mimi recroquevillée sur le canapé, un livre à la main. Quand elle le vit entrer, son sourire éclaira la pièce entière. La vie frénétique de la ville en contrebas de la tour contrastait avec le silence apaisant et la sérénité qui régnait dans le salon. Daniel ne pouvait détourner le regard de la silhouette de Mimi. Elle avait maigri et les cernes autour de ses yeux les faisaient paraître plus grands.
Mimi devait reprendre le travail dans quelques jours, mais si elle ne se remplumait pas, il ne pourrait pas la laisser y retourner. C’était bien trop précipité. Il posa de nouveau son regard perçant sur elle. Elle dégageait une fragilité, mais aussi une force qui l’illuminait de l’intérieur.
Il fronça les sourcils, rassemblant les éléments des derniers mois. Son instinct qui lui dictait que quelque chose n’était pas aligné se mit de nouveau en branle. Les jours précédents, il avait été en alerte constante. Ses alarmes s’étaient mises au rouge pour s’affoler au fur et à mesure que les jours défilaient sans qu’il comprenne où était le problème.
Jusqu’à ce qu’il percute.
Et il était certain à ce moment que son instinct ne le trompait pas.
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Épilogue
Mimi s’était levée pour s’approcher de Daniel. Il semblait comme statufié et la regardait d’une façon nouvelle. Elle fronça les sourcils, inquiète.
— Tout va bien ? demanda-t-elle en posant ses lèvres contre les siennes.
Comme s’il revenait à la vie, Daniel cligna des yeux plusieurs fois avant qu’un sourire immense lui barre le visage. Il l’attrapa par la taille et la souleva de terre. Daniel rit quand Mimi couina face à son geste. Elle agrippa ses épaules et enroula ses jambes autour de sa taille.
— Tout va bien ! lui répondit-il en posant un baiser tendre sur les lèvres de la jeune femme. Tout va très bien, même.
— Alors qu’est-ce qu’il se passe ? demanda prudemment Mimi.
Daniel secoua la tête légèrement sans que son sourire ne s’efface. C’était incroyable comment cette femme pouvait être dans le déni. Et tant qu’il ne la mettrait pas face à la réalité, elle rejetterait ce qu’il venait de comprendre avec une conviction
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inébranlable.
Elle poussa un autre petit couinement de surprise quand il la redressa contre lui, la calant un peu plus contre son corps. Ses lèvres s’arrêtèrent à un souffle de celles de Mimi.
— Tu me fais confiance ? murmura-t-il.
Elle hocha la tête. Daniel la reposa sur le sol et se dirigea vers son bureau. Il avait juste un appel à passer et un rendez-vous à prendre. Immédiatement. Ce qui serait facile à obtenir quand on détenait les bons contacts.
— Va te préparer, ma belle. On part dans cinq minutes.
*
— Tu peux me dire ce que l’on fait là ? demanda Mimi à la fois agacée et incertaine.
— À ton avis, chérie ?
— Je n’ai pas besoin de voir un médecin.
Daniel observa la femme qu’il aimait plus que sa vie taper du pied par terre, les bras croisés contre sa poitrine et secoua la tête. Il s’approcha doucement et posa ses mains sur les bras de Mimi avant de se baisser à sa hauteur. Sa voix calme et posée détendit aussitôt Mimi dont il sentait la tension sous ses doigts.
— Pas n’importe quel médecin, chérie.
Mimi leva les yeux et détailla la plaque plus attentivement. Son souffle se bloqua dans sa gorge en lisant le nom. Mais surtout la spécialité : obstétrique.
Elle leva les yeux vers Daniel, complètement perdu.
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Son cerveau comprenait, ses yeux lisaient correctement, mais elle ne parvenait pas à laisser la réalité s’infiltrer. Jusqu’à ce que les mains de Daniel viennent se poser en coupe sur son visage et que ses pouces caressent ses pommettes.
— Si ce n’est pas ça, en tout cas ça y ressemble.
Mathilde avait fait le même coup à Logan. Rester confortablement installée dans le déni jusqu’à ce qu’il percute lui aussi. Et Daniel avait été le témoin de la transformation de Mathilde. La fatigue, les cernes, l’amaigrissement. À croire que c’était un trait caractéristique chez les danseuses.
— Oh, Seigneur, bredouilla Mimi. Tu crois… tu crois que…
Mais elle était incapable de terminer sa phrase.
— Chérie, pour une danseuse, tu n’es vraiment pas
l’écoute de ton corps, répondit-il à la place en arquant délibérément un sourcil.
*
Jamais Mimi ne pensait un jour se retrouver dans cette position. Allongée sur une table d’examen, le ventre recouvert de gel et une sonde qui parcourait son abdomen. Des sentiments aussi contradictoires que puissants menaient bataille dans sa tête. Mais celui qui dominait les autres était la peur.
Et si Daniel s’était trompé ?
Comme s’il ressentait ses émotions, Daniel resserra sa main dans la sienne avant de porter ses doigts à sa bouche. Et ce simple geste lui apporta un sentiment
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d’apaisement et d’abandon qui la rassurèrent immédiatement. Elle sentit son corps se relâcher, ses tensions se dissiper. Car aujourd’hui, elle n’était plus seule.
— Voilà ! s’exclama le technicien après avoir passé la sonde plusieurs fois. Regardez ce que l’on a là ?
Mimi se figea en fixant l’image. Un magma composé d’ombres, de masses plus ou moins claires. Mais un magma qu’elle avait déjà observé une fois dans sa vie. Jusqu’à ce qu’elle distingue ce que le patricien venait de mesurer.
— Un bébé. En excellente santé, ajouta-t-il. Félicitations ! Je dirais que vous êtes enceinte de huit semaines environ.
Mimi resta le regard rivé à l’écran, incapable de réagir aux propos du technicien. Il poursuivait ses mesures, ses calculs. Huit semaines. Depuis leur arrivée au Palazzo. Elle tourna les yeux vers Daniel. Il observait le moniteur, mais Mimi ne put voir distinctement son expression.
— Je… Je suis désolée, balbutia-t-elle. Mon cycle s’est arrêté il y a plusieurs mois et je… je pensais… que je ne pouvais pas concevoir… que c’était impossible, acheva-t-elle sa voix s’éteignant progressivement.
— Le corps humain est une machine merveilleuse. Parfois capricieuse. Votre ovulation a visiblement repris du service sans que vous vous en rendiez compte. Le stress peut engendrer ce genre de déréglementent, continuait le praticien dont le regard s’attardait sur son écran.
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Mais Mimi ne l’écoutait plus. Son regard était fixé sur Daniel. Tous ses membres étaient tendus, dans l’expectative. Mimi était terrifiée, le souffle en suspend. Ce qui arrivait allait changer de façon fondamentale leur vie. Et elle ignorait totalement si Daniel était près.
Daniel se tourna enfin vers elle, les yeux émerveillés, et Mimi ne put retenir ses larmes. Qui redoublèrent quand elle vit les yeux de Daniel anormalement humide lui aussi. Il agrippa sa nuque et planta un baiser bref sur les lèvres de Mimi.
Nom de Dieu !
Ce qu’il observait n’était pas plus gros qu’un petit pois et pourtant il débordait de sentiments qu’il analyserait plus tard pour cette minuscule chose qui grandissait dans le ventre de Mimi. Un bébé. Son bébé.
Mimi ne put retenir un sanglot.
Trop d’émotion, trop de joie.
Trop de tout.
Et ce tout la submergeait. Elle se retrouvait ensevelie sous les émotions de Daniel, les siennes. Daniel lui sourit avant de reporter son attention sur l’écran.
— Regarde cette petite merveille, murmura-t-il à voix basse.
— Tu le savais, bredouilla Mimi
— Je n’étais pas certain, ajouta-t-il en pressant sa main.
Mimi quitta le visage de Daniel subjugué par les images devant ses yeux. Elle suivit son regard et observa cette petite vie qui se développait dans son
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ventre. Une vague de bonheur plus forte que les autres remonta le long de sa poitrine pour s’étendre dans sa gorge. Elle retint difficilement les larmes. Jamais elle n’aurait imaginé se retrouver à nouveau dans cette situation. Et pourtant. C’était comme si on lui offrait une seconde chance.
Elle se crispa quand le technicien fronça les sourcils. Il resta au même endroit sur son ventre, le visage tendu.
Mimi se tétanisa.
— Il y a un problème ? le devança Daniel, d’une voix rocailleuse, lorsqu’il avait aussi remarqué le changement d’attitude du technicien.
— Une seconde, s’il vous plaît…, répondit-il, concentré sur ses appareils de mesure.
— Qu’est-ce qu’il se passe ? demanda Mimi devenue blême.
Même elle ne pouvait ignorer la pointe de panique qui perçait dans sa voix. Une panique qui augmenta d’un cran quand elle sentit la main de Daniel dans la sienne la serrer plus fermement.
Soudain, elle éprouva de la difficulté à respirer, et sentit une vague de panique lui comprimer la poitrine.
Seigneur !
Faites que ce soit une fausse alerte. Faites que le bébé soit en bonne santé, psalmodia Mimi.
— C’est bien ce que je pensais, avança calmement le praticien.
— Quoi !? aboya Daniel, les nerfs mis à rudes épreuves.
— Ici, montra le technicien en pointant l’index vers
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l’écran.
Mimi et Daniel se penchèrent, interdits, l’un comme l’autre à bout de souffle. Un souffle qui se coupa de façon si simultanée, que le praticien ne put empêcher un sourire relever le coin de ses lèvres.
— Un deuxième bébé.
— Vous êtes sûr ? parvint à demander Daniel sous le choc.
Le patricien haussa un sourcil.
— À moins que vous vouliez que j’en trouve un troisième, ce qui me semble peu probable, oui, je suis sûr.
— Est-ce que tout va bien ? réussit à articuler Mimi.
— Vos bébés sont en pleine forme, confirma le technicien tout en essuyant le ventre de Mimi. Les grossesses gémellaires doivent être suivies plus attentivement. Mais cela ne signifie pas que vous allez rencontrer des problèmes, embraya vivement le praticien quand il vit Daniel ouvrit la bouche. Dans votre cas, il ne s’agit pas d’une grossesse mono-mono ou il faut être plus attentif, mais dizygote. Une poche pour chaque bébé, si on veut vulgariser. Je vous laisse le temps de digérer la nouvelle, ajouta-t-il amusé. Vous semblez en avoir besoin. On se voit dans quelques minutes et on en reparle en détail. Et mes doubles félicitations, termina-t-il avec un petit rictus amusé en fermant la porte et les laissant seuls.
Mimi leva les yeux vers Daniel. Pour une fois, les mots semblaient lui échapper. Le voir désemparé était une première. Mais Mimi comprenait, puisqu’elle était elle aussi sous le choc. Un choc merveilleux. La vie
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était parfois surprenante.
— Ce qui ne nous laisse plus qu’une alternative !
— Qui est, demanda Mimi interloquée, encore sous le choc… ?
— Que je refuserai toute autre réponse que : oui.
Mimi cligna plusieurs fois des paupières. Comme elle ne répondait pas, Daniel insista, les sourcils froncés.
— Bon sang, Mimi ! Je suis en train de te demander en mariage. Tu pourrais au moins dire quelque chose.
— Dans un cabinet de médecin !? Es-tu certain de vouloir ma réponse maintenant ? demanda-t-elle, un sourire en coin sur les lèvres.
— Non, marmonna Daniel. Vaut probablement mieux que l’on sorte d’ici. Tu me diras oui quand je serai en train de te faire l’amour.
Mimi leva les yeux au ciel.
— Seigneur ! Autant d’arrogance pour un seul homme.
— Un Dieu, chérie. Un Dieu, répéta-t-il satisfait. Qui t’as fait, pas un, mais deux bébés ? ajouta-t-il en haussant plusieurs fois les sourcils.
Mimi éclata de rire avant de prendre le visage de Daniel en coupe et de retrouver son sérieux. La lueur facétieuse dans le regard de Daniel avait été remplacée par quelque chose de solennel. Il ne la demandait pas en mariage de façon si cavalière par obligation. Parce qu’elle portait ses enfants.
Nom d’un petit bonhomme !
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Elle avait bien du mal à s’y faire. Mais la sensation était comme un miel doux glissant sur sa langue. Daniel était un homme dont la noblesse morale touchait Mimi. Elle comprenait que derrière ces bravades, Daniel ne voulait pas reproduire le schéma de sa propre enfance. Il était père. Et contrairement au sien, il assumerait ce que ce rôle représentait.
Mimi comprit qu’il s’engageait avec le cœur, avec des valeurs qu’elle partageait. Elle voulait tout cela. Elle le voulait comme mari, comme père, comme ami, comme amant. Elle le prenait avec ses défauts et cette faculté qui n’appartenait qu’à lui de la faire tourner en bourrique, sa nonchalance, et cette assurance qui parfois lui donnait envie de l’étrangler. Mais elle accepterait sa demande simplement parce qu’elle l’aimait.
Profondément.
Irrémédiablement.
Mimi fut contrainte de lâcher le visage de Daniel quand il se recula. Son arrogance avait fait place à l’incertitude. Il se passa nerveusement la main dans les cheveux, fit trois pas dans la petite pièce avant de revenir vers Mimi qui lissait soigneusement le bas de son t-shirt.
— C’est un peu tôt pour une demande, avança-t-il une grimace aux lèvres. Bon ! enchaîna-t-il avec un entrain surfait. Si on y allait ? Le médecin nous attend.
Mimi observa Daniel, la tête penchée, comme s’il s’agissait d’une créature mystérieuse. Puis un discret sourire étira ses lèvres. Elle l’avait fait assez mijoter. Il semblait à point.
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— Daniel ? demanda-t-elle l’air de rien.
Aussitôt, il se positionna à ses côtés, à l’écoute et presque au garde-à-vous.
Au point que Mimi faillit lâcher un « repos soldat ! ». Au lieu, de ça, elle planta son regard dans celui doux et torturé de Daniel.
— J’aimerais beaucoup me marier au Palazzo. Tu crois que ce serait possible ? demanda-t-elle avec une innocence dans la voix qui laissa Daniel stupéfait quelques secondes.
Puis, un sourire qui atteignit ses yeux, se reflétant dans le cœur même de Mimi, éclairant son visage, chassant les doutes qui l’avaient recouvert.
— Je crois que je peux faire ça. J’ai mes entrées, ajouta-t-il avant de se précipiter sur les lèvres de Mimi dont le rire fut vite stopper par l’empressement de Daniel.
* *
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À suivre...
source :
Atramenta